Le droit au bilan de compétences constitue une innovation dans le paysage
de la formation professionnelle mais, malgré ses dix ans d'existence,
il n'a pris qu'une place marginale chez les salariés en activité.
Nous constatons que les universitaires ont initié dans les cinq dernières
années, des recherches qui s'intéressent aux effets du bilan (Kop
et al., 1997 ; Lemoine, 1997 ; Ferrieux et Carayon, 1998 ; Gaudron et al. 2001).
Et, nos précédentes recherches (1997 et 1998) ont mis en évidence
un taux de satisfaction très important (96 %) des bénéficiaires
d'un bilan de compétences avec toutefois un taux de concrétisation
du projet issu du bilan relativement faible (43 %). Ces résultats ont
laissé des questions en suspens ce qui nous a amenés à
élaborer un protocole permettant de faire émerger les caractéristiques
individuelles des bénéficiaires d'un bilan de compétences
et d'introduire un accompagnement spécifique du projet en parallèle
à la démarche de bilan conduite par l'opérateur.
1. AXES DE RECHERCHE ET HYPOTHESES
A partir de notre hypothèse générale : "L'activation
volontaire des composantes de l'implication S/R/C est possible par un accompagnement
spécifique du bénéficiaire porteur d'un projet issu du
bilan de compétences. Les caractéristiques personnelles et professionnelles
des salariés ayant recours au bilan présentent des particularités
qui les différencient des salariés qui n'ont pas recours à
ce nouveau droit et peuvent avoir le statut de prédicteur quant à
la réussite du projet." Nous avons articulé notre travail
autour d'un corps d'hypothèses en trois axes.
Le premier axe s'attache à mettre en évidence la possibilité
d'une activation des composantes de l'implication Sens/ Repères / sentiment
de Contrôle (S/R/C) dans une temporalité et un but définis
par la mise en place d'un accompagnement des salariés dont un ou des
projets sont issus du bilan de compétences. L'impact de cet accompagnement
se mesure sur la concrétisation des projets de l'échantillon quasi
expérimental par rapport à l'échantillon de comparaison.
Le second axe a pour objectif d'identifier les caractéristiques individuelles
des bénéficiaires d'un congé pour bilan de compétences
et des bénéficiaires d'un congé pour formation n'ayant
pas eu recours à des dispositifs de conseil, de bilan ou d'orientation.
Ceci en vue de différencier ces deux groupes et d'apporter des éléments
en terme de caractéristiques individuelles qui donneraient un éclairage
nouveau à la compréhension du faible développement du bilan
de compétences chez les salariés en activité.
Le troisième axe s'intéresse à la possible existence de
prédicteurs, dans les caractéristiques individuelles, qui influenceraient
la réalisation du projet.
2. DESCRIPTION DES ECHANTILLONS
Pour cette recherche nous avons travaillé en partenariat avec un collecteur
des fonds destinés au financement du congé pour bilan de compétences
et du congé individuel de formation. Ce partenariat nous a permis de
proposer à un volume important d'individus leur participation à
l'étude, qui reposait sur le volontariat, et de constituer deux types
de groupes :
- des salariés bénéficiaires du financement d'un bilan
de compétences,
- des salariés n'ayant pas eu recours au bilan de compétences
ou à un autre type de conseil dans les cinq dernières années
mais bénéficiaires du financement d'un congé individuel
de formation (CIF).
A partir du groupe des bénéficiaires d'un bilan de compétences,
nous avons formé deux échantillons par randomisation pour vérifier
l'impact de l'accompagnement en terme d'implication.
Concernant le groupe de bénéficiaires d'un congé individuel
de formation, nous avons procédé à sa constitution également
par randomisation et avons rencontré 50 individus sans aucun refus. Les
rencontres se faisaient sur le temps personnel des bénéficiaires,
qu'il s'agisse des demandeurs d'un bilan ou d'une formation, il n'y avait aucune
prise en charge financière de la participation du sujet à cette
recherche.
3. INSTRUMENTS
Les questionnaires construits
Un questionnaire "parcours socioprofessionnel" avec déterminants
sociaux (sexe, âge, situation de famille, capital scolaire, salaire),
parcours professionnel (entreprise, fonction, statut, ancienneté, nombre
de fonctions antérieures, formation), bilan de compétences (information,
financement, attentes, période de réalisation, restitution, débouchés,
représentations).
Un questionnaire "vécu dans l'entreprise" actuelle bâti
autour des trois composantes du modèle de l'implication professionnelle,
des informations sur la participation à la vie de l'entreprise, les représentations
du vécu dans l'entreprise, du contexte proximal) et du contexte distal.
Les tests validés
L'échelle de satisfaction de vie développée par E. Diener,
le questionnaire des valeurs professionnelles (QVP) élaboré par
Super, le Social Support Questionnaire 6 ou SSQ6 élaboré par Sarason,
l'échelle de Contrôle Interne/Externe de J.R. Lumpkin.
4. PROCEDURES DE LA RECHERCHE
Temps 1 : en amont des parcours de bilan ou de formation financés.
Il s'agissait d'évaluer les caractéristiques individuelles et
de recueillir des données concernant le parcours socioprofessionnel,
le vécu dans l'entreprise et les représentations du bilan avant
le démarrage des actions prévues afin que le changement qu'elles
apportent nécessairement ne soit pas un biais dans les réponses.
Cette étape s'est déroulée de la manière suivante
: rencontre des 54 bénéficiaires d'un congé pour bilan
de compétences, attribués par randomisation à l'échantillon
quasi expérimental ; envoi par courrier des différents questionnaires,
cités supra, aux 101 bénéficiaires d'un congé pour
bilan de compétences, attribués par randomisation à l'échantillon
de comparaison ; 79 retours étaient exploitables ; rencontre de 50 bénéficiaires
d'un congé pour formation, attribués par randomisation au groupe
contrôle.
Temps 2 : pendant le bilan
Nous avons accompagné 54 bénéficiaires d'un bilan de compétences
à raison de 2 entretiens d'environ 1 H 30, programmés en fonction
des recherches à effectuer et des rencontres de personnes ressources
par le bénéficiaire.
Temps 3 : quelques mois après le bilan ou le début de la formation,
selon le groupe.
Il s'agissait de recevoir les 54 bénéficiaires d'un congé
pour bilan de compétences afin d'évaluer la mise en uvre
du projet en terme de concrétisation, de reprendre contact, par téléphone,
avec les 79 bénéficiaires d'un bilan n'ayant pas eu d'accompagnement
afin d'évaluer également la mise en uvre du projet en terme
de concrétisation et de recevoir les 50 bénéficiaires d'un
congé pour formation pour recueillir leur sentiment par rapport à
leur choix de formation au regard des contenus et de leur projet professionnel.
5. RESULTATS
L'effet de l'accompagnement
Le résultat des différentes analyses statistiques pratiquées
permet de mettre en évidence un impact significatif entre accompagnement
et concrétisation du projet élaboré au cours du bilan de
compétences : Taille de l'effet de notre accompagnement .96 ; Anova Manova
35,87 avec niveau p .000000. Les concrétisations nettement plus nombreuses
dans l'échantillon quasi expérimental, portent plus sur des projets
réalisés hors et dans l'entreprise que sur des projets de formation
qui sont par contre majoritaires dans l'échantillon de comparaison.
Les caractéristiques individuelles
Le t de student opérant la comparaison des moyennes du groupe contrôle
(bénéficiaires d'un congé pour formation) et du groupe
expérimental (bénéficiaires d'un congé pour bilan
de compétences) met en évidence dans le groupe bilan un niveau
de satisfaction de vie plus bas, moins de personnes disponibles dans l'entourage
social, une plus faible satisfaction du soutien apporté par l'entourage
social et un contrôle plutôt externe. Pour les valeurs professionnelles,
nos deux groupes se distinguent sur une seule dimension, celle concernant les
relations aux collègues qui sont moins bien perçues dans le groupe
bilan de compétences.
Les représentations du bilan et du vécu dans l'entreprise
Nous notons que ces classes révèlent une forte proportion de
recours au bilan de compétences dans des situations professionnelles
difficiles. Les salariés qui y ont recours en tant qu'outil de navigation
professionnelle sont largement minoritaires. Pour les non-demandeurs nous remarquons
des représentations du bilan de compétences de type palliatif
à des carences personnelles du salarié.
Nous constatons un léger rapprochement en terme de représentations
du vécu dans l'entreprise entre les bénéficiaires d'un
bilan de compétences et les bénéficiaires d'un congé
pour formation. Les premiers ont majoritairement recours au bilan pour échapper
un temps à la pression de l'activité professionnelle et tenter
ainsi de faire face à une situation difficile puis nous voyons le même
mécanisme mais minoritairement chez les seconds qui ont recours au congé
pour formation dans l'espoir de quitter une entreprise déprimante.
Effet prédictif des caractéristiques individuelles sur la
concrétisation du projet
Cette hypothèse n'est que partiellement confirmée car nous n'avons
repéré qu'un seul prédicteur qui semble avoir un impact
sur la concrétisation du projet. Il s'agit du degré de satisfaction
de vie. En effet, plus l'insatisfaction de vie est grande et plus le salarié
semble s'investir dans le processus de changement pour aboutir à la concrétisation
de son projet.
6. CONCLUSION
Nos résultats confirment nos hypothèses. En effet pour l'axe 1
ces résultats nous permettent de penser que l'implication professionnelle
n'est pas un trait stable mais au contraire un état malléable.
Il est possible, avec un accompagnement basé sur la construction du sens,
l'accession au sentiment de contrôle et l'élaboration des repères,
de modifier les représentations et le mode de contrôle, temporairement,
afin de servir le projet professionnel. Toutefois, nous prenons en compte les
limites de ces résultats qui s'inscrivent à deux niveaux. Tout
d'abord dans le fait qu'il est complexe voire impossible d'attribuer totalement
la concrétisation du projet à un ou plusieurs éléments
de notre protocole, nous pouvons le supposer actif mais en tenant compte de
la possible intervention de facteurs imprévisibles et incontrôlés
qui peuvent s'imposer à tout moment et faire basculer une décision.
C'est pourquoi nous dirons plus modestement que lorsque les différentes
étapes du processus d'accompagnement ont été convenablement
suivies nous remarquons une hausse du taux de concrétisation des projets
ce qui nous engage à continuer nos recherches dans ce sens. Concernant
l'axe 2, nous avons remarqué que la demande de bilan de compétences
s'inscrit rarement dans un projet programmé de réflexion, elle
fait plutôt suite à des événements déclencheurs
négatifs et met en évidence une attente de réparation que
la rupture avec l'entreprise soit avérée ou en cours. Le bilan
de compétences serait ainsi une stratégie de faire face aux situations
de crises ou aux perturbations personnelles et/ou professionnelles auxquelles
le salarié est confronté. Nous assistons de ce point de vue à
un glissement de l'objectif initial, de la loi de 1991, de gestion de carrière
du salarié par lui-même. Nous notons également que nos deux
groupes (bénéficiaires et non-demandeurs d'un bilan) s'opposent
sur les caractéristiques individuelles. En effet, les bénéficiaires
d'un bilan présentent une certaine fragilité s'exprimant par un
niveau de satisfaction de vie plus bas associé à une moins bonne
perception du soutien constitué par l'ancrage social. Ce soutien social
d'ailleurs moins important en nombre de personnes disponibles s'explique partiellement
par une mise au second plan des relations avec les collègues en terme
de valeurs professionnelles. Leur vécu professionnel a également
une tonalité majoritairement négative. D'autre part, au niveau
du lieu de contrôle il est plutôt externe dans ce groupe ce qui
est confirmé par l'énumération de contraintes essentiellement
externes lorsque nous évoquons les raisons possibles d'un échec
du projet. Concernant les représentations du bilan nous avons le sentiment,
sans en avoir pour autant la preuve, que le bilan de compétences est
victime de son fort développement dans les processus d'insertion et de
réinsertion, cette image d'outil au service des personnes en difficulté
est omniprésente dans les représentations des non-demandeurs.
Nous pouvons imaginer que comme l'information sur le bilan relève plutôt
du bouche à oreille, la personne qui parle de son expérience évoque
nécessairement ce qui l'a sous-tendue et véhicule ainsi involontairement
la représentation défavorable d'une démarche dédiée
à un personnel incapable de faire face seul à une situation difficile.
L'axe 3, est quant à lui partiellement confirmé en ce sens que
nous ne notons qu'un prédicteur de concrétisation du projet, il
s'agit du niveau de satisfaction de vie car plus il est bas et plus les concrétisations
du projet sont là. Il serait donc un des moteurs de l'investissement
du salarié dans le projet. Il n'est pas possible aujourd'hui d'avancer
une validité externe et d'affirmer que nos conclusions peuvent s'élargir
à l'ensemble des bénéficiaires d'un bilan de compétences.
Seule la répétition du protocole quasi expérimental et
l'obtention de résultats similaires sur un plus grand nombre de salariés
en activité pourraient nous le permettre.
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