La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : L'insertion objet de demande ou d'assignation ? Décrochage : comment raccrocher ?


Titre : Mobilité des enseignants et relation pédagogique
Auteurs : Marie-Christine LE FLOCH, Université de Lille III - CES

Texte :

Le fonctionnement du service public obéit au principe de continuité. Ceci impose l'organisation d'un système de suppléances dans les établissements scolaires. En effet quelle que soit la nature des défaillances des enseignants et les jugements que l'on porte sur eux, les élèves ont le droit d'être encadrés et suivis sans interruption dans leurs apprentissages. Avant 1985, les suppléances étaient assurées par des enseignants non titulaires. Depuis cette date ce sont les titulaires remplaçants qui assurent cette fonction.
L'étude porte sur les stratégies et le travail des titulaires mobiles, remplaçants dans les collèges et lycées. Il s'agit des résultats d'une enquête plus large menée dans l'académie de Lille dans le cadre d'une thèse de doctorat portant sur l'exercice du métier d'enseignant sur les emplois particuliers du système éducatif. La méthode d'enquête repose sur des entretiens non directifs et sur quelques observations directes filmées et enregistrées. Nous avons fait l'hypothèse que les enseignants ayant choisi ces postes hors norme entretiennent une certaine distance par rapport à la culture enseignante traditionnelle, ce qui facilite la production de parole, notamment sur les questions d'autorité.
Nous présentons ici l'évolution des dispositions légales et les stratégies des enseignants qui font le choix de ces postes où s'y adaptent. La réflexion porte ensuite sur les relations entre l'instabilité actuelle des modalités du remplacement et la tâche centrale de tout enseignant : maintenir, rétablir ou affirmer une relation d'enseignement satisfaisante dans les contextes les plus divers. Ce faisant, nous cherchons à comprendre les conséquences de certaines formes de déréglementation des emplois dans la fonction publique sur l'exercice même du métier et sur la culture professionnelle des enseignants.

1) Les dispositions légales et leur évolution

Cette évolution reflète une hésitation quant à la place que l'on peut attribuer aux fonctions de remplacement. En effet selon les moments, depuis le début des années 1960, les textes prévoient des statuts spécifiques assortis d'incitations, ou à l'inverse n'encadrent que de manière très imprécise des fonctions peu définies.
Dans les décennies 60 et 70, les remplacements ont été pris en charge par les MA ( maîtres auxiliaires). Ceux-ci représentaient entre 10 et 19 % du personnel enseignant du secondaire selon les périodes, entre 1970 et 1990 . Les textes de 1985 sont à l'origine de la création des statuts de TA ( Titulaires académiques, nommés sur des postes à l'année) et des TR ( Titulaires remplaçants assurant les missions de suppléance). L'Académie de Lille se caractérisait jusqu'à l'abrogation de ces textes par l'existence de " brigades de remplacement " au sein desquelles se regroupaient l'ensemble des TR, toutes disciplines confondues. Ces brigades étaient rattachées à un établissement, dans le cadre d'une gestion par Bassin d'Emploi et de Formation. Cet établissement était un lieu de socialisation actuellement regretté des anciens " brigadistes ". Le décret de 1985 a été abrogé par celui de 1999 qui définit le statut de TZR ( Titulaires sur Zone de Remplacement ; 908 titulaires en 1999-2000, dans l'Académie de Lille ).
Depuis cette date, les enseignants ne peuvent plus véritablement choisir le remplacement de courte et moyenne durée. Ils signalent des préférences ( et non plus des voeux). Les TZR sont affectés en priorité sur des postes non pourvus à l'année ( notamment des postes à exigence particulière ) et ceci dans toutes les académies déficitaires. Ce déficit est relatif aux disciplines, aux territoires violents ou excentrés. Ce type d'affectation entraîne la suppression des indemnités liées aux remplacements de courtes et moyennes durée . Ces nouvelles dispositions traduisent une politique de restriction et d'optimisation des moyens en personnel fonctionnaire. Le remplacement est à nouveau considéré comme une tâche résiduelle.
Souvent subie en début de carrière, cette situation constitue pour une part des enseignants une situation durable acceptée pour ses avantages ou un choix véritable.

2) Les stratégies des enseignants remplaçants

Pour les jeunes titulaires, la situation actuelle de TZR apparaît comme une fatalité. Les supports de poste ainsi dénommés correspondent à plusieurs modalités d'exercice : sur un poste à l'année, sur plusieurs temps partiels ou sur des remplacements de courte et moyenne durée. Cette situation donne lieu à des stratégies plus ou moins maîtrisées, surtout si l'exercice en mobilité se pérennise.

a) Les stratégies d'attente
Les titulaires débutants cherchent à accumuler des points et des primes. Ils veulent également visiter le territoire avant de se décider pour une région, un territoire, un établissement. Les " calculs " sont fait dans l'opacité résultant d'une information très imparfaite sur des règles de gestion du personnel qui évoluent.
Les contreparties financières appréciées interviennent comme un moyen de transformer une situation contrainte en une occasion d'améliorer les conditions d'installation et un outil stratégique d'attente et de négociation, face à une administration souvent perçue de manière conspiratrice.

b) Le retrait instrumental et les stratégies de survie.
Le remplacement peut faire l'objet d'un choix ou d'une adaptation satisfaisante. Certains enseignants cherchent ainsi à réduire l'écart entre les satisfactions attendues du travail et les conditions réelles d'exercice. Il s'agit de simplifier la tâche, en limitant la confrontation avec les publics difficiles. Les remplacements courts permettent une économie de préparation, de corrections et de charges annexes, à condition de se spécialiser dans la régulation normative et la renégociation permanente de mini-contrats pédagogiques. La mobilité entre les établissements permet d'écourter les missions impossibles. Les difficultés liées au territoire s'associent à celles qui reposent plus directement sur l'identité professionnelle de l'enseignant (la peur du groupe par exemple).
Il s'agit également d'augmenter de façon substantielle un traitement généralement considéré comme modeste grâce aux primes. Celles-ci sont progressivement considérée comme partie intégrante du revenu et autorise des engagements financiers parfois risqués.
Dans le cadre de l'ancien système de brigade, les périodes sans remplacement, parfois très longues, ont pu être mises à profit pour préparer la suite de la carrière ( passer des concours, entrer à l'université).

c) Une tentative pour transformer la précarité professionnelle en mobilité qualifiante
Certains débutants tentent de mettre à profit leur situation, subie au départ, pour développer des contacts avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques. Dans le cadre d'une socialisation anticipatrice, ils s'engagent parfois dans des tâches d'organisation et de coordination pédagogique.
Cette stratégie s'accompagne souvent de formes d'engagement, syndicales ou associatives, destinées à faire reconnaître de nouvelles compétences par les représentants de l'institution.

conclusion 2) :
En dehors de l'attente des débutants qui souhaitent obtenir un poste fixe, les expériences du remplacement dans le secondaire et les stratégies de ceux qui remplissent durablement ces fonctions, se traduisent soit par un repli instrumental ou de survie, soit par une expérience professionnelle intéressante.

3) Relation entre instabilité professionnelle et relation d'enseignement

a) Reconnaissance statutaire et relation d'enseignement : une relation ambivalente.
La reconnaissance statutaire, fondement de l'autorité du même nom est présentée dans les entretiens comme un élément central qui fait défaut ou au contraire qui autorise une redéfinition de la relation d'enseignement.
Dans le premier cas, l'enseignant est en attente d'une reconnaissance qui lui permettra de s'appuyer sur autre chose que ses ressources personnelles. A l'inverse, certains remplaçants parviennent à affirmer leur position devant les élèves et ceci de deux manières : soit ils mettent en oeuvre un difficile travail de conquête de la classe, soit ils semblent le faire " naturellement " en s'appuyant exclusivement sur leur qualité personnelle et sur le décalage propre à une situation d'intervention temporaire.

b) Autorité charismatique et déviance scolaire
Dans un univers complexe de justification ( Derouet 1992), le charisme apparaît souvent comme l'unique recours pour exercer une autorité didactique. Cette ressource est délicate à analyser, à objectiver. La situation du " remplacement au pied levé " peut être considérée comme une sorte de laboratoire où l'on observe cette capacité à jouer sur les registres d'une identité professionnelle multiple ou flexible. (Lahire 1998 ; Demailly 1994). La mobilité volontaire semble faciliter la construction de cette identité multiple.
De plus, la position de remplaçant amène souvent à relativiser la dimension normative de l'institution. Elle oblige, encore davantage à se situer par rapport à la loi ou aux règles. Elle peut se traduire par la négociation de normes provisoires. Elle est une occasion de s'interroger sur les formes de narcissisme compatibles avec les pratiques démocratiques.

Les trois séquences exploitées ont été filmées, analysées et comparées. Elles ont permis de confirmer les résultats d'études antérieures ( Durand 1996). Face à l'instabilité de l'ordre scolaire, deux qualités sont généralement requises : la capacité à diviser son attention dans le cadre d'un temps partagé entre la transmission de connaissance et la régulation normative ( overlapping) ; la capacité à être au centre de la tâche des élèves ( withitness ou " avoir des yeux dans le dos ") ce qui ne signifie pas nécessairement être au centre de l'activité.
Trois types de configurations, schématisant les échanges en classe ont alors pu être distingués. Elles correspondent à trois styles différents confrontés à trois situations spécifiques et révèlent des qualités ou des difficultés dans la gestion de la relation d'enseignement : un cours magistral déguisé à l'aide d'une routine (celle de la " sollicitation des élèves jusqu'à l'obtention d'une réponse en écho du discours de l'enseignant "); un exemple de perturbation qui dévore l'activité pédagogique proposée ; une illustration de l'attention partagée avec maintien de l'enseignant au centre de l'activité et négociation de mini-contrats pédagogiques avec la classe ou les individus qui la composent.

c) Mobilité intégration professionnelle et territoire
Telle qu'elle fonctionne actuellement, la mobilité des TZR se traduit plutôt par une difficulté d'intégration professionnelle dans un espace de qualification segmenté. L'intégration est incertaine, disqualifiante ou laborieuse . L'entrée dans le métier est très aléatoire. La constitution des équipes pédagogiques est compromise par le " turn over " qui caractérise certains territoires.
Une certaine mobilité peut être qualifiante et permet de réconcilier le développement des compétences individuelles et l'efficacité globale de l'organisation du système éducatif. Elle suppose une expérience préalable ( toute situation de mobilité ne convient pas à tout enseignant débutant), elle suppose une réflexion préalable sur la cartographie des fonctions successives que l'on veut confier aux enseignants selon le stade de développement de leurs qualités pédagogiques.

Conclusion :

Après avoir fait l'objet d'une mise en forme professionnelle analogue à celle qui existe dans les écoles, le remplacement dans les lycées et collèges est à nouveau considéré comme un tâche résiduelle. Ce sont aujourd'hui des débutants qui assurent le plus souvent cette fonction.
Certains remplaçants développent cependant des qualités en exerçant cette fonction. A côté de l'instrumentalisation pure et simple d'une situation avantageuse, on observe de grandes capacités à travailler les relations en classe, à tirer parti des investissements affectifs des élèves et des siens propres.
La situation du remplacement présente un intérêt pour le développement des qualités professionnelles des enseignants.

Bibliographie :

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CHAPOULIE J M., 1979 " La compétence pédagogique des professeurs comme enjeu de conflits " Actes de la recherche en sciences sociales, n°30, p.65-85.
DEMAILLY L., 1994, " la professionnalité enseignante en transformation :le rôle des réseaux ". Colloque international, L'école et les changements sociaux, Montréal, AISLF.
DEROUET J L., 1992, Ecole et justice, Paris, Métailié,.
DURAND M., 1996, L'enseignement en milieu scolaire. PUF.
HIRSCHHORN M., 1993, L'ère des enseignants, Paris, PUF.
HUGHES E., 1958, Men and their work. Gencoe. Free Press. p 78-87. Trad J.M CHAPOULIE, Le regard sociologique 1997, Paris, MSH..
LAHIRE B., 1998, L'homme pluriel. Les ressorts de l'action, Paris, Nathan,.
MOISAN C., SIMON J., 1997, Rapport sur les ZEP, Inspection Générale, Ministère de l'Education Nationale.
PAUGAM S., 2000 Le salarié de la précarité, Paris, PUF.
TARDIF M., LESSARD C., 1999, Le travail enseignant au quotidien, Bruxelles, De Boeck Université.


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