La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : L'insertion objet de demande ou d'assignation ? Décrochage : comment raccrocher ?


Titre : Des pratiques socio-éducatives innovantes avec des jeunes en difficulté d'insertion
Auteurs : TOURRILHES Catherine, Doctorante Sociologie de l'Education Lille 3 - Unité de recherche PROFEOR - Formatrice à l'IRTS de Reims

Texte :

En quoi certaines pratiques sociales dans le cadre d'activités culturelles, sportives et d'insertion par l'économique qu'on qualifie d'innovantes sont l'occasion, pour des jeunes en difficulté, de vivre des situations qui leur permettent de ré-instaurer des relations positives avec les adultes et les institutions, de respecter un certain nombre de règles et de trouver une reconnaissance sociale et une représentation positive d'eux-mêmes qui les amènent à un désir de changement et à être acteurs de leur propre vie ?

Ces jeunes dont les difficultés d'insertion reflètent des difficultés de socialisation sont l'objet de dispositifs sociaux de plus en plus nombreux chargés de les encadrer .
Les actions dont il est question sont liées au travail social et plus précisément à l'accompagnement social et éducatif de jeunes considérés parfois comme " déviants " ainsi qu'à leur insertion professionnelle. Cela passe le plus souvent par une phase de re-communication avec eux et d'invention d'une relation incertaine mais aussi de proposition de situations pour agir, sources de reconnaissance, d'apprentissages relationnel, technique, intellectuel, culturel, sportif,…et de construction de soi.

L'objet de notre recherche est d'analyser les situations d'action proposées à ces jeunes, la place et la représentation qu'ils ont dans ces situations, la relation développée avec les adultes qui les encadrent et la pédagogie mise en œuvre.
La question sous-jacente est d'interroger le rôle de ces pratiques " inventives " dans la socialisation de jeunes en difficulté, dans leur insertion sociale et leur construction identitaire. Et dans cette perspective, nous nous intéressons à la place qu'ont ces pratiques dans les politiques sociales en direction de la jeunesse, à la position de leurs inventeurs dans le système d'action sociale, aux relations de l'innovation avec l'institution sociale et à son degré d'appropriation par le travail social, participant ainsi au renouvellement de ses pratiques.
Nous nous interrogerons sur les zones d'incertitude qu'occupent ces innovateurs, sur leur marge de liberté et sur les stratégies mises en place pour développer des systèmes d'action innovants pour des jeunes en difficulté d'insertion.

C'est la construction progressive du " maillage " de ces pratiques avec celles de l'institution sociale qui fera innovation sociale, c'est-à-dire la mise en synergie de logiques le plus souvent contradictoires : organisation et innovation, rationalisation et invention, institué et instituant, ordre établi et désordre, normes et déviance, l'économique et le social, … lent processus d'apprentissage d'un réel travail en partenariat à partir de points de vue différents pour la construction d'une action éducative commune.
Seulement alors on pourra parler d'appropriation de ces pratiques innovantes par les acteurs sociaux et d'institutionnalisation de l'innovation qui appellera d'autres innovations dans un nécessaire mouvement d'invention de pratiques d'insertion sociale et professionnelle avec les jeunes en difficulté.

La crise économique du milieu des années 1970 a laissé exsangues des pans entiers de la population et c'est toute une organisation sociale autour du travail qui se trouve défaite, laissant sur le côté ces " inutiles à la société " dont la " disqualification sociale " et la non-intégration par le travail laissent ces " désaffiliés " sans repères . Les jeunes sans qualification sont touchés de plein fouet. L'Etat libéral prend le pas sur l'Etat social et la question sociale n'est plus la lutte contre les inégalités sociales mais contre " l'exclusion ".

Les quartiers populaires, souvent situés à la périphérie des grandes villes, sont le cadre des représentations de la crise de manière exacerbée (chômage, exclusion, délinquance juvénile,… ) et donc de la question sociale qui se pose à la société afin de maintenir sa cohésion et un certain ordre social. Cela se traduit en terme de manques et de besoins. C'est sur ces territoires qu'ont lieu des " violences urbaines " mais où on peut repérer l'émergence d'initiatives multiples et de nouvelles sociabilités.

Dès les années 1980, suite à l'arrivée de la gauche au pouvoir et aux premières émeutes de jeunes dans les quartiers périphériques de Lyon, des politiques sociales innovantes sont mises en place en direction des jeunes et notamment des dispositifs d'insertion sociale et professionnelle suite au rapport de Bertrand Schwartz . Une première rupture se fait avec le travail social traditionnel. C'est dans ce cadre que des actions d'insertion de jeunes en difficulté ont eu lieu avec des supports de loisirs et d'activités économiques.

Nous analysons des pratiques sociales dans le cadre d'activités appelées " loisirs d'insertion " mises en place pour des jeunes " en rupture " suivis par la prévention spécialisée mais aussi dans le cadre d'entreprises d'insertion, invention d'un " passage " vers l'emploi ordinaire pour des jeunes sans qualification.
Activités considérées comme innovantes à leur époque, qui ont dû se confronter avec l'institué pour voir le jour et qui, pour certaines, se sont institutionnalisées.

Mais on peut se demander aujourd'hui si, pour nombre de ces jeunes issus des quartiers en difficulté, ce passage par des dispositifs d'insertion de plus en plus nombreux chargés de les amener à un vrai travail n'est pas devenu un " état transitoire durable ". Parallèlement, pendant cette même période, ces quartiers sont devenus progressivement le lieu d'émeutes et de révoltes régulières provoquées par les jeunes qui y habitent.

Cette jeunesse qui pose problème par son désordre et ses conduites anomiques questionne l'ensemble du système social et oblige régulièrement les politiques à s'interroger sur l'efficacité des dispositifs sociaux mis en place.

Cette violence de la jeunesse dans les quartiers en difficulté et à l'école est-elle une forme de contestation et de remise en question des institutions ? Un symptôme de non-renouvellement des pratiques sociales et éducatives, de non réponse à des besoins émergents, exprimés ou diffus, de non-assistance à personnes en danger ?

La crise économique de 1929 avait, sur fond de chômage, remis en question le capitalisme et provoqué la mise en place d'une politique étatique de grands travaux pour créer des emplois mais aussi la mise en œuvre, dans les entreprises, d'une théorie économique basée sur l'innovation, moteur de leur développement dans une vision de progrès technique, source de progrès économique et social .

La crise de Mai 1968 provoqua, elle, une remise en question des institutions sociales ce qui a provoqué de façon durable un changement dans les rapports sociaux, notamment d'ordre intergénérationnel. C'est à la même époque que le travail social est remis en question et accusé de participer au contrôle social des individus .

Qu'en est-il aujourd'hui de cette crise manifestée dans certains quartiers par des jeunes qui posent de plus en plus problèmes et dont les violences et les incivilités sont largement médiatisées ? Qu'en est-il du rapport entre cette jeunesse et le monde adulte ?
Quelles initiatives prennent les personnes préoccupées par ces questions (habitants, travailleurs sociaux, intervenants, autres jeunes) pour tenter d'inverser le cours des choses ?

Nous avons enquêté sur deux quartiers de Lille à la fin des années 1990 et nous avons cherché ce que ces expressions agressives de la part des jeunes (révoltes, incivilités, cultures urbaines) provoquent chez les adultes: attitude, comportement, questionnement, initiatives, relations d'entente ou conflictuelles entre les adultes au sujet des jeunes,... Nous avons interrogé habitants, parents, "grands frères", directeurs d'écoles, travailleurs sociaux, bénévoles d'associations, élus, technicien de la politique de la ville, de la CAF,... tous concernés plus ou moins par ces jeunes.

Alliés ou adversaires, ils ont avec les jeunes des rapports spécifiques et ambigus et entre "adultes" des rapports parfois conflictuels ou d'évitement de la question, notamment à propos de la pédagogie à adopter vis à vis de ces jeunes.
Il semble qu'une des questions qui se posent est la coopération entre ces différentes instances dans une action éducative commune en direction de cette jeunesse.

Nous avons ensuite centré plus particulièrement notre travail sur une expérience de " maillage " entre travail social et pratique culturelle et artistique avec des jeunes fréquentant une structure de quartier. Séduits par les NTIC, les jeunes s'initient peu à peu à la vidéo et au montage. Passant derrière la caméra, ils donnent à voir leur vision du monde où ils vivent. Mais la vidéo sert aussi de prétexte pour découvrir d'autres univers sociaux et culturels où les jeunes peuvent faire l'expérience de rencontres génératrices d'autres rapports sociaux.

Ce nouveau type d'intervention sociale qui émerge à côté du travail social, notamment dans le cadre des politiques de la ville, a pour fonction essentielle de re-créer du lien social dans une " lutte contre l'exclusion ", d'assurer une médiation entre personnes en difficulté et institutions sociales et de faire participer les habitants à la vie des quartiers. Ce sont des initiatives venant d'habitants, de jeunes mais aussi d'acteurs culturels et sportifs. Ces pratiques ont pour support l'accompagnement scolaire, des fêtes, des échanges interculturels ou des voyages humanitaires. Quelles sont les caractéristiques de ces pratiques ? Quelle " place " et quelle représentation y ont les jeunes ? Quels liens entretiennent-elles avec le travail social ? Peut-on à leur sujet parler d'innovations sociales ou de nouvelles formes de régulation sociale ?


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