La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Politiques éducatives : initiatives institutionnelles et/ou initiatives d'acteurs ?


Titre : La composante "temps" : un principe formatif oublié (Le cas d'un dispositif accompagnant des transformations de pratiques)
Auteurs : OUDART Anne-Catherine

Texte :
C'est en tant qu'Enseignant / Chercheur à l'IUP des métiers de la Formation (CUEEP/ Lille 1) et au laboratoire Trigone de Lille 1 que j'aborde cette communication portant sur la formation continue d'adultes.

Si l'on observe les principes formatifs sous-jacents aux dispositifs élaborés par les ingénieurs de formation, on constate par exemple que les formations sont de plus en plus tributaires des logiques économiques et  des modes pédagogiques en vigueur ( individualisation, NTIC).
Sans nier ces caractéristiques, nous pensons qu'elles condamnent parfois la mise en œuvre d'autres principes formatifs pourtant fondamentaux.

J'ai souhaité par exemple m'interroger sur la place que l'on accordait à la temporalité en formation. Car le temps est inscrit dans l'idée même de Formation Permanente et, comme le fait remarquer Gaston Pineau , "le qualificatif de permanent souligne le rapport essentiel que vise à entretenir ce mouvement socio-éducatif avec le temps."

Or, la temporalité est rarement une variable prise en compte dans les offres de formation d'adultes. Tout au plus est-elle envisagée dans le cadre des évaluations : on parle "d'évaluer les acquis six mois après la formation". "L'espace temps" est ignoré des prescripteurs qui voient  bien souvent en lui un obstacle aux principes de l'immédiateté et de la rentabilité.

En effet, si l'on regarde les offres de formation d'adultes en entreprise de ces 10 dernières années, on s'aperçoit un écart important entre les exigences de formation et le temps accordé à la formation. Il n'est pas rare, dans le domaine de la communication par exemple, de proposer des formations pour transformer des pratiques professionnelles en (3x6 h), pour modifier des habitudes d'écriture en (2x7 h), ou pour harmoniser des pratiques au travail (2x7h). On fait comme si les changements de pratique et donc de représentations pouvaient s'approprier dans un espace-temps programmé au rythme du programmateur. Cette "Chronoformation" qui devient la formation en deux temps trois mouvements, commence à se répandre et à laisser derrière elle un arrière goût de "contretemps".

D'ailleurs, les remarques effectuées par les apprenants au cours des évaluations de fin de formation reprennent d'une façon systématique la problématique du temps : il m'aurait fallu plus de temps ; on a manqué de temps ; je n'ai pas eu le temps de mettre en application ; il faudra voir avec le temps, etc. Propos récurrents que prescripteurs, et concepteurs traduisent bien souvent en terme de rythme et y répondent parfois en terme d'individualisation.

Or, le temps éducatif n'est pas seulement le temps chronique (date/jour /heure/ ), ni le temps productif individuel (vite /lent) : il ne peut et ne doit se réduire à un espace, à un programme, à un calendrier, à un individu car alors il aliène plus qu'il ne libère la formation.

Le temps éducatif, c'est surtout le temps formateur, celui qui se situe dans l'intervalle, entre deux champs de conscience, temps subjectif étroitement lié aux passions rencontrées, aux phases de réveil déclencheurs d'apprentissage. Et là, nous savons bien que tous les sujets ne sont pas homogènes, car tous n'investissent pas l'objet de formation de la même façon, pour ne pas dire avec la même passion.

Et c'est justement parce que ce temps subjectif formateur est une composante centrale du processus d'apprentissage que nous souhaitons le réintroduire pour qu'enfin l'on puisse parler réellement d'apprentissage tout au long de la vie.


L'intégration de la "temporalité" dans une action de formation

C'est pourquoi, lorsqu'une Entreprise de Vente par Correspondance nous a contactés pour
mettre en place une formation pour transformer les pratiques d'écriture d'acteurs au travail, nous avons cherché à proposer un dispositif de formation qui permettrait d'intégrer une variable temporelle comme moyen d'ancrage de nouvelles pratiques d'écriture.

Notre hypothèse de départ était la suivante : si l'on travaille sur des transformations de pratiques, on touche inévitablement aux représentations d'acteurs au travail et à leurs constructions identitaires. Confrontations, observations, échanges, applications, ne pouvaient s'envisager sans la prise en compte de la temporalité comme vecteur de changement.

C'était donc dans une logique d'accompagnement que l'on pouvait faire naître la dimension temporelle, celle qui s'écarte du temps de l'enseignement et qui rejoint le temps de l'apprentissage, plus proche du concept d'alternance.

Nous vous proposons donc de vous présenter dans un premier temps l'ensemble du dispositif d'accompagnement tel qu'il a été conçu et mené, ainsi que les objectifs qu'il devait atteindre. Dans un deuxième temps, nous essayerons de formaliser une réflexion sur l'importance de l'intégration de la composante temps dès lors que l'on cherche à travailler sur des transformations de pratique.


Le dispositif  d'accompagnement et ses finalités

Au départ de la formation, notre public était composé de 130 rédactrices d'un service de réclamation ; 15 agents d'encadrement ; 40 rédactrices du Service Après-Vente ; 20 rédactrices des Renseignements Techniques ; 10 Conseillères Qualité. Soit au total 215 personnes, toutes issues du même service clientèle, ont donc suivi la formation. Pour les prescripteurs, il s'agissait d'aider ces personnes, possédant une grande expérience professionnelle (en moyenne 25 ans d'ancienneté), à modifier leur pratique d'écriture au travail en vue d'une communication plus en phase avec l'évolution commerciale de l'entreprise.


u Dans un premier temps, deux phases d'apprentissage ont été retenues, échelonnées sur 6 années avec les mêmes apprenants (de 1993 à 1998) .

Phase 1
: "Confrontation" / 54 h ( Formation groupe)
Cette phase, la plus importante, est consacrée principalement à faire émerger les représentations des acteurs sur leur activité d'écriture et à comprendre les normes implicites de références sur lesquelles les rédactrices s'appuient pour mettre en œuvre une pratique rédactionnelle commerciale. Les activités d'apprentissage mises en place questionnent le rapport que les rédactrices ont à leur pratique d'écriture et les confrontent à leur identité professionnelle. Progressivement , on les amène à interroger leur pratique, à prendre du recul et à intégrer quelques nouvelles pratiques rédactionnelles. Le formateur cherche à établir une connexion entre ce que les acteurs découvrent et ce qu'ils savent déjà. Conflit socio-cognitif et métacognition restent des outils d'apprentissage fondamentaux pour travailler sur les transformations de pratique. A travers ces activités pédagogiques et notamment l'écriture collective, nous cherchons surtout à identifier ce qui pourrait empêcher la mise en place d'une nouvelle pratique d'écriture.
  
Phase 2 : " Rectification" / 18 h (Formation - groupe)
Un an après la phase de "confrontation", la phase de "rectification " permet de mesurer comment les acteurs se sont appropriés ces nouvelles pratiques. Des "sondages " sur les terrains nous indiquent les rigidifications, interprétations, résistances survenues après la phase 1. A partir de ces indicateurs, nous questionnons à nouveau les pratiques et proposons des réajustements si nécessaire. Une réactualisation des connaissances au regard de l'évolution du service et des problématiques rencontrées s'effectue également.

Phase 3 : " Personnalisation" 18 h (Formation - atelier)
Enfin, un an après la phase 2, on cherche à aller à la rencontre des individualités. Certains apprenants découvrent qu'ils sont au centre d'un conflit identitaire ou d'exigences contradictoires voire paradoxales. Ils n'ont, par conséquent, pas toujours réussi le transfert d'un savoir faire vers un autre. Le formateur entre alors plus directement dans un travail cognitif personnalisé avec les apprenants, lesquels trouvent également dans cette phase un ressourcement ou une remotivation.

A travers ces trois premières phases, nous tenons compte dans nos choix pédagogiques et didactiques de la théorie de Piaget relative aux différentes étapes de l'apprentissage : équilibration, déséquilibration et rééquilibration.


u Dans un deuxième temps, deux phases d'approfondissement ont été retenues, échelonnées sur 6 mois (2001/ 2002) pour 90 personnes déjà formées dans la phase1.

Ce deuxième temps, effectué quelques années après les trois premières phases, reprend plus particulièrement certains points fondamentaux déjà abordés. Les acteurs sont prêts : ils interrogent différemment leur pratique, et l'ancrage de l'expérience n'est plus un frein pour acquérir des savoirs autres. Le savoir, intégré et finalisé, est devenu un outil au service de l'action professionnelle : on peut maintenant parler en terme d'approfondissement des savoirs.

Phase 4 :  Approfondissement 1  : 6h ( Formation - groupe)
Phase 5  :  Approfondissement 2 : 9h ( Formation - atelier)

Au terme de ces deux temps, un processus de changement s'est enclenché au sein du service, lequel est devenu co-constructeur du procès de formation puisqu'il s'est associé à la création d'une mallette pédagogique pour poursuivre à son rythme (en 2003) l'effort de changement entrepris. On peut dire que "l'apprentissage du temps" est entré dans les objectifs de formation.

Conclusion : L'apprentissage du temps ...

Parler de "l'apprentissage du temps " à une époque où les ingénieurs de formation parlent de production et de résultats immédiats n'est certes pas facile. Même si cette réflexion s'inscrit à contre-courant des tendances actuelles de la formation d'adultes en entreprise, nous pensons que l'innovation éducative professionnelle résidera, dans les années à venir, dans la transformation du rapport au temps des prescripteurs et des acteurs.
Car, prétendre, comme le font certains prescripteurs, qu'il suffit de proposer une formation de deux jours sur les compétences en situation de travail, pour que le salarié transforme ses pratiques au travail, c'est oublier les processus d'apprentissage, les enjeux sociaux et identitaires que toute transformation de l'activité au travail implique. C'est donner également bien peu d'importance au rôle du temps dans les processus de changement, à la notion de parcours dans l'acquisition des connaissances. Hélène Trocmé Fabre parle du rôle fondamental de "l'itinérance" pour permettre la maturation et la structuration de la pensée dans le temps.

Nous sommes conscients d'avoir profité pour cette action de formation d'une formidable dynamique interne et d'une confiance absolue des responsables de l'entreprise à notre égard. Néanmoins, au-delà de ces conditions, nous voulons ici montrer que l'intégration de la temporalité dans la mise en œuvre des actions de formation permet de répondre à la question qui devrait être essentielle pour tout sujet s'intéressant à la formation professionnelle : comment entretenir sa professionnalité et la faire évoluer tout au long de sa vie?

Or, en isolant le "temps éducatif" du "temps de l'action", on oublie que l'apprentissage ne peut s'effectuer sans référence à l'activité en situation ou tout au moins, comme le montre Patrick Mayen, " sans activités qui réfèrent à la situation". Pour être assimilée, une information a besoin de différents types d'ancrage : ancrage dans le présent, ancrage dans l'expérience, ancrage dans un projet  ..et le temps facilite cet ancrage.

Nous souhaitons donc réintroduire le concept d'apprentissage du temps et non de temps d'apprentissage pour qu'enfin "l'espace-temps "fasse partie intégrante des préoccupations des ingénieurs de formation.

Anne-catherine OUDART
Maître de Conférences
Laboratoire Trigone / LILLE 1



Bibliographie

Dubar Claude, 1984, La formation professionnelle continue ,Editions la découverte ; 125 p

Oudart2001, Les Chargé(e)s de Relation Clientèle face à la lettre de réclamation, Editions d'organisation, 300 p
  
Pineau Gaston, 2000, Temporalités en Formation , Anthropos, Paris, 203 p

trocme-fabre Hélène, 1992, J'apprends ,donc je suis, Editions d'organisation, 291 p ; p 148

Mayensituations potentielles de développement"  in , Apprendre des situations,  Education Permanente N° 139


Menu