Cette présentation se fonde sur un travail de recherche mené dans
le cadre d'une thèse de doctorat effectuée à Grenoble et
soutenue en juillet 2001.
Principales questions
Au point de départ de notre recherche se trouve un questionnement général
: Quelle est l'importance de la relation au maître, en particulier dans
sa dimension affective, dans le devenir scolaire de l'élève ?
Devenir scolaire de l'élève que nous choisissons d'envisager en
termes de " chemin " (et non de " destin "), tel l'itinéraire
de réussite ou d'échec dans lequel l'élève s'engage
en rencontrant l'école et ses acteurs.
Nous en déduisons, essentiellement, deux questions de recherche : Le
rapport au maître est-il déterminant dans le niveau de résultats
scolaires de l'élève ? Ce rapport est-il de l'ordre de l'affectif
?
Dans cette recherche, l'élève est appréhendé dans
son triple rapport à l'école, au savoir et au maître afin
de comprendre :
· d'une part, le rôle de l'enseignant dans l'investissement scolaire
des élèves ;
· d'autre part, la dimension affective de la relation maître-élève.
Le cadre théorique de ce travail s'inspire ainsi des notions de rapport
à l'école (Develay, 1996; Perrenoud, 1994; Rochex, 1995), de rapport
au savoir (Beillerot, Blanchard-Laville et Mosconi, 1996; Blanchard-Laville,
Beillerot, Bouillet, Mosconi et Obertelli, 1989; Charlot, Bautier et Rochex,
1992; Charlot, 1997) et de rapport au maître (Gilly, 1980; Postic, 1979;
Terrier et Bigeault, 1975). L'étude de ce triple rapport est complétée
et enrichie par l'examen de la notion d'affectivité, d'un premier point
de vue psychologique (Lafortune et Saint-Pierre, 1998; Monteil, 1989; Nimier,
1976) et d'un second point de vue psychanalytique (Cifali et Moll, 1985; J.
Filloux, 1974; Imbert, 1996; Kaës, 1976; Kaës, Anzieu et Thomas, 1973).
Nous pensons, comme Charlot (1997), que les phénomènes d'échec
et de réussite peuvent être analysés de façon fructueuse
en termes de différence d'expérience, et que l'expérience
scolaire se vit essentiellement sur le mode relationnel; avec l'institution
scolaire elle-même, le savoir enseigné en classe et la personne
qui dispense ce savoir. L'histoire que traverse tout élève à
l'école serait donc une double histoire de sens et de " rapport
à " (Charlot, Bautier et Rochex, 1992; Rochex, 1995; Perrenoud,
1994; Develay, 1996; Charlot, 1997).
Méthodologie et population
Nous retiendrons ici une partie seulement de notre expérimentation :
les entretiens semi-directifs de recherche (données qualitatives) menés
auprès de trente élèves issus de deux classes de CE2 et
de deux classes de 2nde : la moitié de ces élèves est en
situation de réussite, l'autre en situation de difficulté scolaire.
Résultats : variation des attentes affectives et professionnelles
des élèves à l'égard du maître
L'analyse de nos données qualitatives permet la mise à jour, en
fonction du niveau de résultats scolaires des élèves, de
" tendances " discursives. Ces dernières permettent notre contribution
à l'élaboration de la notion de " pensée de l'élève
".
" Pensée de l'élève "
Lors d'une première étude, l'analyse des résultats d'observations
en salle de classe et d'entretiens menés auprès d'élèves
de 15-16 ans (Espinosa, 1997) nous avait permis la construction d'un tableau
de synthèse caractérisant ce que nous avons appelé la "
pensée de l'élève " en réussite scolaire et
" la pensée de l'élève " en difficulté
scolaire. Ces pensées correspondent à deux modalités contrastées,
chez l'enfant, d'appréhender sa situation d'élève et son
rapport à la " chose scolaire ".
Par " pensée de l'élève ", nous désignons
ainsi une " conduite " de l'ordre à la fois, de la représentation
et de la disposition. Cette conduite nous paraît conditionner le fonctionnement
cognitif et les pratiques d'apprentissage des élèves. La "
pensée de l'élève " exprime et traduit une certaine
" disposition scolaire ", à la fois intellectuelle et affective,
de l'élève à l'égard de la " chose scolaire
" (la " pensée de l'élève " se place donc
plutôt sur les terrains de la psychologie, de la psychosociologie, voire
de la psychanalyse de l'enfant au travail). Notre intérêt se porte
ainsi sur les conditions d'une mobilisation scolaire des élèves,
sur ce qui se passe en amont de la mobilisation même des élèves
(Charlot, 1997). Quel est la part du rapport à l'enseignant dans ces
conditions qui créent ou non la mobilisation ?
Notre analyse d'une " pensée de l'élève " propre
à son niveau de résultats scolaires nous semble, ici, opportune
dans la mesure où elle permet encore de souligner les différences
de rapport à l' " objet scolaire " des élèves,
et donc les différences de rapport à l'enseignant des élèves.
Analyse des entretiens
Le temps de chaque entretien a bien sûr varié d'un élève
à l'autre : quinze minutes pour les plus courts et de cinquante minutes
pour les plus longs. Une vingtaine de questions simples furent posées
aux élèves, nous permettant d'aborder des thèmes tels que,
d'une part, les rapports à l'école, au savoir et au maître
et, d'autre part, la place de l'affectivité dans la relation maître-élève,
mais aussi dans les rapports à l'école et au savoir de l'élève.
Essayer d'atteindre l'affectivité latente dans cette triple relation
demandait de s'attarder sur le " ressenti " scolaire des élèves,
au quotidien, au lycée ou à l'école, face aux enseignements
dispensés et aux enseignants. On pouvait espérer ainsi se donner
les moyens de " poser ", c'est-à-dire d'estimer et de comprendre,
cette affectivité en suspens. Aidée par les travaux de Lafortune
et Saint-Pierre (1998), nous avons choisi d'appréhender l'affectivité
à partir de l'ensemble de cinq composantes : les attitudes, les émotions
(dont l'anxiété), la motivation, l'attribution et la confiance
en soi. Les thèmes constitutifs de notre grille d'entretien font étroitement
référence à ces cinq composantes.
En première analyse qualitative, les propos tenus par les élèves
révèlent une grande diversité d'appréhension de
la relation maître-élève. Peut-être aussi vaste que
le nombre d'élèves entretenus. Au-delà de ces fluctuations
individuelles, apparaissent cependant des tendances dans le discours des élèves
au sujet de la façon d'envisager leur rapport à l'enseignant,
en fonction de leur " groupe d'appartenance " : élèves
en réussite scolaire, élèves en difficulté scolaire,
élèves de classe de CE2, élèves de classe de 2nde.
Nous sommes en mesure de faire trois constats.
Tout d'abord, il semble que les propos tenus par les élèves sur
leur rapport à l'enseignant puissent se classer en deux grandes catégories.
La première fait référence à des facteurs humains
de la relation maître-élève, c'est-à-dire des facteurs
impliquant la personne même de l'enseignant (il/elle est " sympa
", " gentil(le) ", " important(e) ", " sévère
"; " faire les choses pour faire plaisir au maître/à
la maîtresse "; l'enseignant " me rassure/me fait peur ";
" venir à l'école pour voir le maître/la maîtresse
"; etc.). La seconde fait référence à des facteurs
professionnels de cette relation, c'est-à-dire à des facteurs
impliquant la façon, appréciée ou pas, d'enseigner de l'enseignant
(le maître/la maîtresse " apprend bien "; il/elle "
fait bien son métier " ; etc.).
Ensuite, il apparaît que les facteurs humains du rapport maître-élève
tiennent une réelle place dans la relation à l'enseignant, d'une
part, de l'ensemble des élèves de classe de CE2 et, d'autre part,
des élèves en difficulté scolaire de classe de 2nde. Ainsi,
les élèves de classe de CE2 avouent volontiers venir à
l'école pour voir le maître ou la maîtresse (dix élèves
sur seize entretenus), aimer le ou la retrouver en classe (l'ensemble des élèves
en difficulté scolaire) et faire les choses en classe pour faire plaisir
au maître ou à la maîtresse (sept élèves sur
seize entretenus). Ils avouent également se sentir rassurés quand
le maître ou la maîtresse leur parle (onze élèves
sur seize) et lui donner une réelle importance dans leurs apprentissages
scolaires (treize élèves sur seize).
De leur côté, les élèves en difficulté scolaire
de classe de 2nde semblent avoir de grandes attentes à l'égard
de leur relation à l'enseignant et se montrent insatisfaits, voire frustrés,
quant à cette relation. Il y a chez ces élèves une réelle
demande humaine, et affective, accompagnée, d'une façon qui pourrait
paraître paradoxale, d'une difficulté à l'accepter. Ainsi,
ces élèves voudraient " autre chose " de leur relation
à l'enseignant; ils la voudraient " ailleurs ", en marge des
apprentissages scolaires et du lycée, afin d'exister aux yeux de l'enseignant
" autrement " que par le biais d'un parcours scolaire difficile et
douloureux (Espinosa, 1997). Ils voudraient ainsi montrer qu'ils ne se réduisent
pas à leur statut d'élèves en difficulté scolaire
et qu'ils peuvent être bons ailleurs, c'est-à-dire en sport, dans
certaines activités artistiques, par exemple. Leur difficulté
à accepter leur propre demande affective dans leur relation à
l'enseignant se traduit, lors des entretiens, par une minimisation excessive
des atteintes narcissiques dont ils sont victimes du fait de leur statut d'élève
en difficulté scolaire, et par certaines contradictions dans leur discours
à propos du rapport maître-élève. Aux yeux des élèves
en difficulté scolaire de classe de 2nde, cette demande affective semble,
en effet, inavouable et presque inacceptable, très probablement parce
qu'ils s'estiment " trop grands " pour une telle attente à
l'égard de leur relation à l'enseignant. Ils passent ainsi, lors
des entretiens, de la confidence et de l'allusion, au refus et à la négation.
Enfin, les élèves en réussite scolaire de classe de 2nde
ont une approche moins difficile, moins complexe et ambiguë, du rapport
maître-élève. Leurs attentes sont essentiellement professionnelles.
Même s'ils estiment et respectent leurs enseignants, ils disent à
l'unanimité n'entretenir, avec eux, aucune relation et n'en rechercher
aucune. De plus, certains d'entre eux avouent que cette méconnaissance
de leurs enseignants ne constitue pas un manque, bien au contraire, chacun devant
rester à sa place et tenir son rôle. Les élèves en
réussite scolaire de classe de 2nde demandent ainsi à leurs enseignants
d'être passionnants, de leur faire aimer ce qu'ils enseignent et d'être
présents professionnellement.
Résumé : résultats selon les " groupes d'appartenance
" des élèves
Les phénomènes d'attentes mutuelles existent, entre les acteurs,
dans le cadre de la relation pédagogique. Ces attentes peuvent être
professionnelles et/ou humaines. S'il apparaît exact d'avancer que l'ensemble
des élèves, quels que soient leur âge et leur niveau de
résultats scolaires, ont une attente professionnelle à l'égard
de la relation maître-élève, il semble également
vrai que cette attente soit aussi humaine, et affective, et ce particulièrement
pour certains " groupes " d'élèves. Nous pensons que
l'ensemble de ces attentes se place à des degrés différents
en fonction, justement, de ces " groupes ". Ainsi, l'attente professionnelle
la plus grande appartiendrait aux élèves en réussite scolaire
de classe de 2nde, mais aussi aux élèves en réussite scolaire
de classe de CE2. L'attente humaine et affective, quant à elle, concernerait
majoritairement les élèves en difficulté scolaire de classe
de CE2, et surtout, les élèves en difficulté scolaire de
classe de 2nde .
Il apparaît donc que les élèves les plus exigeants à
l'égard de la relation maître-élève dans sa totalité
(comprenant les dimensions professionnelle et affective de la relation pédagogique)
sont les élèves de classe de CE2. Les élèves les
plus exigeants à l'égard de la relation maître-élève
dans sa dimension affective seraient, quant à eux, les élèves
en difficulté scolaire de classe de 2nde. Enfin, les élèves
les plus exigeants à l'égard de la relation maître-élève
dans sa dimension professionnelle seraient les élèves en réussite
scolaire de classe de 2nde. [Face à ce constat affirmant la diversité
de l'appréhension par les élèves de la relation maître-élève,
il peut apparaître opportun de s'interroger sur une différenciation
des pratiques enseignantes selon la variété des rapports maître-élève
existants.]
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