La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Le sujet apprenant et communicationnel. L'individualisation aide-t-elle le sujet à se construire ?


Titre : L'affectivité à l'école : Le discours des élèves diffère-t-il en fonction de leur niveau de résultats scolaires ?
Auteurs : ESPINOSA Gaëlle : Chargée de recherche à l'Université Paris 8 - Saint-Denis / Membre de l'équipe ESCOL

Texte :
Cette présentation se fonde sur un travail de recherche mené dans le cadre d'une thèse de doctorat effectuée à Grenoble et soutenue en juillet 2001.

Principales questions
Au point de départ de notre recherche se trouve un questionnement général : Quelle est l'importance de la relation au maître, en particulier dans sa dimension affective, dans le devenir scolaire de l'élève ? Devenir scolaire de l'élève que nous choisissons d'envisager en termes de " chemin " (et non de " destin "), tel l'itinéraire de réussite ou d'échec dans lequel l'élève s'engage en rencontrant l'école et ses acteurs.
Nous en déduisons, essentiellement, deux questions de recherche : Le rapport au maître est-il déterminant dans le niveau de résultats scolaires de l'élève ? Ce rapport est-il de l'ordre de l'affectif ?
Dans cette recherche, l'élève est appréhendé dans son triple rapport à l'école, au savoir et au maître afin de comprendre :
· d'une part, le rôle de l'enseignant dans l'investissement scolaire des élèves ;
· d'autre part, la dimension affective de la relation maître-élève.

Le cadre théorique de ce travail s'inspire ainsi des notions de rapport à l'école (Develay, 1996; Perrenoud, 1994; Rochex, 1995), de rapport au savoir (Beillerot, Blanchard-Laville et Mosconi, 1996; Blanchard-Laville, Beillerot, Bouillet, Mosconi et Obertelli, 1989; Charlot, Bautier et Rochex, 1992; Charlot, 1997) et de rapport au maître (Gilly, 1980; Postic, 1979; Terrier et Bigeault, 1975). L'étude de ce triple rapport est complétée et enrichie par l'examen de la notion d'affectivité, d'un premier point de vue psychologique (Lafortune et Saint-Pierre, 1998; Monteil, 1989; Nimier, 1976) et d'un second point de vue psychanalytique (Cifali et Moll, 1985; J. Filloux, 1974; Imbert, 1996; Kaës, 1976; Kaës, Anzieu et Thomas, 1973).

Nous pensons, comme Charlot (1997), que les phénomènes d'échec et de réussite peuvent être analysés de façon fructueuse en termes de différence d'expérience, et que l'expérience scolaire se vit essentiellement sur le mode relationnel; avec l'institution scolaire elle-même, le savoir enseigné en classe et la personne qui dispense ce savoir. L'histoire que traverse tout élève à l'école serait donc une double histoire de sens et de " rapport à " (Charlot, Bautier et Rochex, 1992; Rochex, 1995; Perrenoud, 1994; Develay, 1996; Charlot, 1997).

Méthodologie et population
Nous retiendrons ici une partie seulement de notre expérimentation : les entretiens semi-directifs de recherche (données qualitatives) menés auprès de trente élèves issus de deux classes de CE2 et de deux classes de 2nde : la moitié de ces élèves est en situation de réussite, l'autre en situation de difficulté scolaire.

Résultats : variation des attentes affectives et professionnelles des élèves à l'égard du maître
L'analyse de nos données qualitatives permet la mise à jour, en fonction du niveau de résultats scolaires des élèves, de " tendances " discursives. Ces dernières permettent notre contribution à l'élaboration de la notion de " pensée de l'élève ".

" Pensée de l'élève "
Lors d'une première étude, l'analyse des résultats d'observations en salle de classe et d'entretiens menés auprès d'élèves de 15-16 ans (Espinosa, 1997) nous avait permis la construction d'un tableau de synthèse caractérisant ce que nous avons appelé la " pensée de l'élève " en réussite scolaire et " la pensée de l'élève " en difficulté scolaire. Ces pensées correspondent à deux modalités contrastées, chez l'enfant, d'appréhender sa situation d'élève et son rapport à la " chose scolaire ".
Par " pensée de l'élève ", nous désignons ainsi une " conduite " de l'ordre à la fois, de la représentation et de la disposition. Cette conduite nous paraît conditionner le fonctionnement cognitif et les pratiques d'apprentissage des élèves. La " pensée de l'élève " exprime et traduit une certaine " disposition scolaire ", à la fois intellectuelle et affective, de l'élève à l'égard de la " chose scolaire " (la " pensée de l'élève " se place donc plutôt sur les terrains de la psychologie, de la psychosociologie, voire de la psychanalyse de l'enfant au travail). Notre intérêt se porte ainsi sur les conditions d'une mobilisation scolaire des élèves, sur ce qui se passe en amont de la mobilisation même des élèves (Charlot, 1997). Quel est la part du rapport à l'enseignant dans ces conditions qui créent ou non la mobilisation ?
Notre analyse d'une " pensée de l'élève " propre à son niveau de résultats scolaires nous semble, ici, opportune dans la mesure où elle permet encore de souligner les différences de rapport à l' " objet scolaire " des élèves, et donc les différences de rapport à l'enseignant des élèves.

Analyse des entretiens
Le temps de chaque entretien a bien sûr varié d'un élève à l'autre : quinze minutes pour les plus courts et de cinquante minutes pour les plus longs. Une vingtaine de questions simples furent posées aux élèves, nous permettant d'aborder des thèmes tels que, d'une part, les rapports à l'école, au savoir et au maître et, d'autre part, la place de l'affectivité dans la relation maître-élève, mais aussi dans les rapports à l'école et au savoir de l'élève. Essayer d'atteindre l'affectivité latente dans cette triple relation demandait de s'attarder sur le " ressenti " scolaire des élèves, au quotidien, au lycée ou à l'école, face aux enseignements dispensés et aux enseignants. On pouvait espérer ainsi se donner les moyens de " poser ", c'est-à-dire d'estimer et de comprendre, cette affectivité en suspens. Aidée par les travaux de Lafortune et Saint-Pierre (1998), nous avons choisi d'appréhender l'affectivité à partir de l'ensemble de cinq composantes : les attitudes, les émotions (dont l'anxiété), la motivation, l'attribution et la confiance en soi. Les thèmes constitutifs de notre grille d'entretien font étroitement référence à ces cinq composantes.

En première analyse qualitative, les propos tenus par les élèves révèlent une grande diversité d'appréhension de la relation maître-élève. Peut-être aussi vaste que le nombre d'élèves entretenus. Au-delà de ces fluctuations individuelles, apparaissent cependant des tendances dans le discours des élèves au sujet de la façon d'envisager leur rapport à l'enseignant, en fonction de leur " groupe d'appartenance " : élèves en réussite scolaire, élèves en difficulté scolaire, élèves de classe de CE2, élèves de classe de 2nde. Nous sommes en mesure de faire trois constats.

Tout d'abord, il semble que les propos tenus par les élèves sur leur rapport à l'enseignant puissent se classer en deux grandes catégories. La première fait référence à des facteurs humains de la relation maître-élève, c'est-à-dire des facteurs impliquant la personne même de l'enseignant (il/elle est " sympa ", " gentil(le) ", " important(e) ", " sévère "; " faire les choses pour faire plaisir au maître/à la maîtresse "; l'enseignant " me rassure/me fait peur "; " venir à l'école pour voir le maître/la maîtresse "; etc.). La seconde fait référence à des facteurs professionnels de cette relation, c'est-à-dire à des facteurs impliquant la façon, appréciée ou pas, d'enseigner de l'enseignant (le maître/la maîtresse " apprend bien "; il/elle " fait bien son métier " ; etc.).

Ensuite, il apparaît que les facteurs humains du rapport maître-élève tiennent une réelle place dans la relation à l'enseignant, d'une part, de l'ensemble des élèves de classe de CE2 et, d'autre part, des élèves en difficulté scolaire de classe de 2nde. Ainsi, les élèves de classe de CE2 avouent volontiers venir à l'école pour voir le maître ou la maîtresse (dix élèves sur seize entretenus), aimer le ou la retrouver en classe (l'ensemble des élèves en difficulté scolaire) et faire les choses en classe pour faire plaisir au maître ou à la maîtresse (sept élèves sur seize entretenus). Ils avouent également se sentir rassurés quand le maître ou la maîtresse leur parle (onze élèves sur seize) et lui donner une réelle importance dans leurs apprentissages scolaires (treize élèves sur seize).
De leur côté, les élèves en difficulté scolaire de classe de 2nde semblent avoir de grandes attentes à l'égard de leur relation à l'enseignant et se montrent insatisfaits, voire frustrés, quant à cette relation. Il y a chez ces élèves une réelle demande humaine, et affective, accompagnée, d'une façon qui pourrait paraître paradoxale, d'une difficulté à l'accepter. Ainsi, ces élèves voudraient " autre chose " de leur relation à l'enseignant; ils la voudraient " ailleurs ", en marge des apprentissages scolaires et du lycée, afin d'exister aux yeux de l'enseignant " autrement " que par le biais d'un parcours scolaire difficile et douloureux (Espinosa, 1997). Ils voudraient ainsi montrer qu'ils ne se réduisent pas à leur statut d'élèves en difficulté scolaire et qu'ils peuvent être bons ailleurs, c'est-à-dire en sport, dans certaines activités artistiques, par exemple. Leur difficulté à accepter leur propre demande affective dans leur relation à l'enseignant se traduit, lors des entretiens, par une minimisation excessive des atteintes narcissiques dont ils sont victimes du fait de leur statut d'élève en difficulté scolaire, et par certaines contradictions dans leur discours à propos du rapport maître-élève. Aux yeux des élèves en difficulté scolaire de classe de 2nde, cette demande affective semble, en effet, inavouable et presque inacceptable, très probablement parce qu'ils s'estiment " trop grands " pour une telle attente à l'égard de leur relation à l'enseignant. Ils passent ainsi, lors des entretiens, de la confidence et de l'allusion, au refus et à la négation.

Enfin, les élèves en réussite scolaire de classe de 2nde ont une approche moins difficile, moins complexe et ambiguë, du rapport maître-élève. Leurs attentes sont essentiellement professionnelles. Même s'ils estiment et respectent leurs enseignants, ils disent à l'unanimité n'entretenir, avec eux, aucune relation et n'en rechercher aucune. De plus, certains d'entre eux avouent que cette méconnaissance de leurs enseignants ne constitue pas un manque, bien au contraire, chacun devant rester à sa place et tenir son rôle. Les élèves en réussite scolaire de classe de 2nde demandent ainsi à leurs enseignants d'être passionnants, de leur faire aimer ce qu'ils enseignent et d'être présents professionnellement.

Résumé : résultats selon les " groupes d'appartenance " des élèves
Les phénomènes d'attentes mutuelles existent, entre les acteurs, dans le cadre de la relation pédagogique. Ces attentes peuvent être professionnelles et/ou humaines. S'il apparaît exact d'avancer que l'ensemble des élèves, quels que soient leur âge et leur niveau de résultats scolaires, ont une attente professionnelle à l'égard de la relation maître-élève, il semble également vrai que cette attente soit aussi humaine, et affective, et ce particulièrement pour certains " groupes " d'élèves. Nous pensons que l'ensemble de ces attentes se place à des degrés différents en fonction, justement, de ces " groupes ". Ainsi, l'attente professionnelle la plus grande appartiendrait aux élèves en réussite scolaire de classe de 2nde, mais aussi aux élèves en réussite scolaire de classe de CE2. L'attente humaine et affective, quant à elle, concernerait majoritairement les élèves en difficulté scolaire de classe de CE2, et surtout, les élèves en difficulté scolaire de classe de 2nde .

Il apparaît donc que les élèves les plus exigeants à l'égard de la relation maître-élève dans sa totalité (comprenant les dimensions professionnelle et affective de la relation pédagogique) sont les élèves de classe de CE2. Les élèves les plus exigeants à l'égard de la relation maître-élève dans sa dimension affective seraient, quant à eux, les élèves en difficulté scolaire de classe de 2nde. Enfin, les élèves les plus exigeants à l'égard de la relation maître-élève dans sa dimension professionnelle seraient les élèves en réussite scolaire de classe de 2nde. [Face à ce constat affirmant la diversité de l'appréhension par les élèves de la relation maître-élève, il peut apparaître opportun de s'interroger sur une différenciation des pratiques enseignantes selon la variété des rapports maître-élève existants.]


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