La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Nouvelles compétences et nouveaux apprentissages ? dont le sous-groupe 'philo'


Titre : Rôles de l'enseignant documentaliste et adaptabilité du Centre de Documentation et d'Information (CDI) dans le cadre des Travaux Personnels Encadrés (TPE)
Auteurs : LIQUETE Vincent

Texte :
Certains dispositifs innovants ont eu, dans l'histoire de l'éducation, d'énormes difficultés à se mettre en place tant la résistance du corps enseignant était conséquente. Les Travaux Personnels Encadrés (T.P.E.) semblent ne pas déroger à la règle. Toutefois malgré le fait qu'un dispositif de type T.P.E. a été avant tout décrété par le Ministère de l'Education Nationale, on assiste peu à peu à l'émergence de nouvelles pratiques d'enseignement et d'apprentissage, pour lesquelles le professeur-documentaliste, gestionnaire et responsable du Centre de Documentation et d'Information (C.D.I.) est tout particulièrement actif. Les multiples résistances liées notamment au caractère injonctif de la réforme, révèlent cependant des changements dans les " relations inter-enseignantes ", ainsi que dans l'approche de la problématique documentaire scolaire.
Nous choisissons comme référent théorique l'analyse systémique, combinée à des approches micro-sociologiques par établissement scolaire. Ceci afin notamment de considérer le dispositif d'étude dans toute sa complexité (Le Moigne, 1999), tout en accordant une place de choix aux analyses individuelles.
Méthodologiquement, nos observations reposent sur un recueil de données obtenues à partir d'un questionnaire diffusé à 50 professeurs-documentalistes de l'Académie de Bordeaux suivi dans un deuxième temps, quelques dix mois après, d'une enquête longitudinale d'une douzaine d'entretiens semi-directifs menés auprès de ceux ayant eu des positions affirmées positives ou négatives sur les T.P.E., afin notamment de voir progresser les représentations des uns et des autres face à la pratique professionnelle.
Le professeur-documentaliste a-t-il vu évoluer son champs d'action professionnel et comment l'espace C.D.I. semble-t-il devoir s'adapter notamment face à l'écosystème informationnel composé d'organismes documentaires entourant l'établissement scolaire ?
Nous émettons l'hypothèse que les T.P.E. ont un impact au niveau de la représentation et des attentes des usagers (enseignants et élèves) envers le C.D.I. et le professeur-documentaliste, que ce dernier a particulièrement cru en ce dispositif, comme moyen de décloisonnement des apprentissages disciplinaires mais qu'à l'usage, les T.P.E. instrumentalisent l'enseignant-documentaliste et l'enferment dans des champs d'action qu'il ne souhaitait pas forcément.
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Le C.D.I. : un système d'information d'établissement appelé à se modifier

Le CDI a longtemps été un espace documentaire centripète, organisé comme un système d'information replié, avec une faible capacité à participer à une organisation collective et réticulaire de la fourniture d'informations. L'émergence des réseaux, assortie des besoins documentaires croissants et variés des acteurs dans le cadre des T.P.E. transforme le C.D.I.en un " espace interface " avec les organismes documentaires environnants, notamment ceux ayant des missions de lecture publique ou divers organismes associatifs à vocation culturelle. On voit se dessiner peu à peu une ouverture et une complexification de la notion de recherche d'information dans le milieu scolaire, où la maîtrise technologique, la connaissance des langages d'interrogation (Morizio, 2002), la structuration de l'information, deviennent des pans entiers de l'accès à la connaissance (De Rosnay, 1995).
La démarche documentaire inscrite dans les T.P.E. a été traduite dans l'action par un usage massif de la recherche d'informations sur l'Internet. Dans la plupart des situations observées, la documentation issue des fonds physiques des C.D.I. est minoritaire et vient en complément de l'information virtuelle. Les C.D.I. dès lors deviennent tributaires de l'opérationnalité des moyens d'accès à l'information (accès et débit à l'Internet prioritairement), obligeant un ensemble d'acteurs (professeurs-documentalistes, enseignants, assistants en technologies, emploi-jeunes,…)à agir sur de nouvelles situations. Nous avons pu constater alors un ensemble conséquent de développements dans les établissements scolaires, allant de l'offre informationnelle sur l'Intranet, à la préparation de corpus de documents, à l'aspiration de sites de référence pour le projet, etc .

Les fonctions de fourniture et de traitement de l'information jusqu'alors destinées en priorité aux C.D.I. et aux professeurs-documentalistes se disséminent peu à peu au sein de l'établissement. Nous avons vu se poser de nouvelles questions comme celle de la politique documentaire d'établissement où l'ensemble des enseignants sont appelés à réfléchir et à contribuer dans le champ de leurs spécialités aux acquisitions, aux formes d'accès, aux partenariats, et à des projets de contenus transférables aux membres de la communauté éducative au delà de la discipline enseignée. Penser l'acte documentaire revient à penser autrement l'acte pédagogique à un niveau collectif.

Enfin, le C.D.I. et plus largement la classe renforcent leur fonction de micro-espaces de production. A l'analyse des actions déclarées par les professeurs-documentalistes rencontrés, il semblerait que se renforce l'idée que de nouvelles formes d'approches des acquisitions de connaissances passent par une phase de " lecture/réécriture " de l'information recueillie, et par des temps de production individuelle d'informations avec présentation et communication aux autres des résultats obtenus. Les T.P.E. reposent sur cette conception des apprentissages, associant la méthode de recherche d'information, l'analyse des contenus et leur réécriture dans un objectif de communication partagée.

La réorientation du champs d'action du professeur-documentaliste

Quelques tendances se dégagent au regard des pratiques, même si au fil du temps, certaines semblent s'émousser et freiner les ardeurs des professeurs-documentalistes les plus motivés au départ de ce dispositif innovant.

Les TPE créent des situations authentiques de recherche d'information, combinant diverses approches et contenus disciplinaires dont la recherche et la méthode sont au centre du dispositif. Le professeur-documentaliste occupe une position de relais, orientant les élèves et les enseignants, au sein du C.D.I., ailleurs dans l'établissement et hors les murs de l'école. Cette médiation oblige le professeur-documentaliste à être au fait de l'offre informationnelle environnante (Boyer, 2002) . La mise en œuvre fonctionnelle des T.P.E. reposerait avant tout, selon les professeurs-documentalistes, sur trois axes majeurs à savoir le renforcement de la collaboration avec les professeurs, la concertation et enfin, la formation des élèves.
Les professeurs-documentalistes avouent un changement conséquent dans leur relation avec ces derniers. Ils se sentent davantage reconnus, grâce à une meilleure visibilité de leurs missions et savoir-faire. Les T.P.E. leur semblent être un dispositif globalement valorisant.

Les principaux fournisseurs institutionnels ont organisé une part de leur information en ligne pour faciliter la mise en route des T.P.E., et de ce fait ont focalisé les pédagogues sur un véritable " marché virtuel " de sites référencés . A l'observation des pratiques, on note maintenant une démarche de recherche élargie, où les sites pré-sélectionnés et proposés par les professeurs-documentalistes sont plus nombreux et variés. Par conséquent, le professionnel de la documentation est tenu par l'Internet de veiller régulièrement sur l'état de l'offre informationnelle, ceci l'obligeant à réorienter sa démarche de gestion de l'information, dans laquelle peu à peu les fonds documentaires physiques n'occupent plus une position centrale voire unique.

De plus, le professeur-documentaliste dans l'histoire de chaque établissement est souvent un des acteurs inscrits de longue date dans les dispositifs conjoncturels basés sur une pédagogie de l'innovation, tentant d'assurer des transferts de connaissances différemment des pratiques de classe. On note que les dispositifs antérieurs (Module, Aide Individualisée,…), en complémentarité, ont progressivement pénétré le champ des T.P.E., sous diverses formes d'actions. Le professeur-documentaliste est par conséquent au centre de la démarche de transfert des expériences passées dans le nouveau champ des TPE. Cette situation-là le surexpose tant en volume de travail, qu'en accompagnements divers et est source de valorisation des activités menées par le passé.

Enfin, il serait davantage appelé à se centrer sur un ensemble de démarches méthodologiques notamment dans les domaines de la recherche de l'information, de l'identification des sites thématiques de référence ou de l'analyse de l'information autour de critères de pertinence, au détriment de la seule transmission de contenus à visée opérationnelle et manipulatoire (maîtrise d'un logiciel documentaire, connaissance d'une classification, les règles de l'indexation,…).

Quelques limites et incohérences …

Ce paysage rapidement dressé pourrait laisser entendre que tout se déroule d'une manière lisse sans dysfonctionnements apparents. Nous avons pu pourtant relever à l'issue de deux années d'instauration de ce dispositif, quelques réticences, regrets exprimés par les professeurs-documentalistes rencontrés.

L'approche suggérée par les T.P.E. par la méthode et la démarche collective de recherche désoeuvreraient les acteurs : les élèves par rapport notamment à leur envie d'utiliser systématiquement l'Internet quel que soit le projet de recherche élaboré et quel que soit le fonds documentaire physique mis à leur disposition (l'Internet devenant le point de passage obligé de la recherche et de la fourniture d'informations) ; les enseignants face à leurs préoccupations immédiates liées au respect du contenu des programmes, à la recherche systématique d'un référent lié à leur discipline d'enseignement. Une des résultantes de cette situation serait pour les professeurs- documentalistes (près de la moitié de notre population d'étude), un sentiment d'isolement dans son approche méthodologique de la recherche d'information et plus fondamentalement sa perception de la construction de savoirs (Morin, 2000 ).

Nombreux sont les professeurs-documentalistes qui expriment leur difficulté à travailler de concert avec certains enseignants de discipline, les obligeant à faire continuellement des concessions, à entreprendre des négociations, voire faire de l'entrisme pour rééquilibrer leurs interventions face aux élèves, notamment dans la phase de recherche active d'information.
Aux yeux des documentalistes, les T.P.E. n'ont pas constitué à proprement parler un dispositif " miracle ". Par exemple, 67% d'entre eux déclarent qu'ils travaillaient déjà par le passé autour de projets spécifiques de ce type, axés sur l'innovation, principalement pour les étapes de recherche d'information ou de conseils méthodologiques. 74% de ces mêmes professionnels, considèrent les TPE plutôt comme une source de renouvellement de leurs pratiques qu'une innovation majeure dans les domaines des apprentissages et de la pédagogie documentaire .

Une autre difficulté concerne la possible participation du professeur-documentaliste à la dernière phase d'évaluation des élèves et de leur production. Bien qu'initialement prévue celle-ci reste occasionnelle et exceptionnelle dans la plupart des situations observées. La phase ultime de l'évaluation de l'élève semble encore être un temps non partagé où l'on assiste dans la majeure partie des situations à un repliement de la discipline sur elle-même. Nombre de professeurs-documentalistes n'ont pas même été tenus informés des dates de passation des soutenances orales.

De même, les projets menés, les attentes exprimées révèlent de la part des enseignants et du professeur-documentaliste encore une optique à dominante mono-disciplinaire. La plupart des pédagogues n'ont pas encore travaillé sur des schèmas d'évaluation et de transmission pluri-disciplinaires.

De plus, il semblerait que la capacité des équipes pédagogiques à supporter et à agir en faveur des productions T.P.E. soit fortement influencée par l'opérationnalité du système d'information C.D.I. à fournir de l'information " matière première ". Or, plus le professeur-documentaliste est sollicité, moins le système documentaire est géré et administré, et davantage les solutions de repli qui sont envisagées par les enseignants sont là pour remédier à des dysfonctionnements de la documentation scolaire. Cette contradiction majeure semble difficile à résoudre tout en concernant l'organisation actuelle des enseignements.

Enfin, le professeur-documentaliste, face aux sollicitations quotidiennes, se retrouve très rapidement " instrumentalisé " et s'affaire à mettre à disposition des configurations techniques, matérielles et organisationnelles fonctionnelles dans le cadre des T.P.E. le rendant souvent " indispensable " dans le domaine de l'ingénierie de la formation, moins dans celui de l'apport de savoirs et de savoir-faire.

Sélection bibliographique :
Ø Beauchemin, M. (2000). La culture et la maîtrise de l'information chez les élèves : que vise-t-on au juste ? [en ligne] http://www.fas.umontreal.ca/ebsi/cursus/

Ø Boyer, Monique. (2002) La réforme des lycées : les TPE , un enjeu à saisir. Inter-CDI, avril n° 176.
Ø De Rosnay, Joël (1995). L'homme symbiotique : regards sur le troisième millénaire. Seuil.
Ø Giordan, A. (1998). Apprendre ! Paris : Belin.
Ø Le Moigne, Jean-Louis (1999). La modélisation des systèmes complexes. Dunod.
Ø Ministère de l'Education nationale. Direction de l'enseignement scolaire (2001). Mise en œuvre des Travaux Personnels Encadrés : lycées - rentrée 2001. Men.
Ø Morin, Edgar (2000). Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur. Seuil.
Ø Morizio, Claude (2002). La recherche d'information. Adbs, Nathan Université.

Ø Pantanella, R. (2000). Les Tpe, vers une autre pédagogie. Amiens : CRDP.
Ø Tardif, J. (1998). Intégrer les nouvelles technologies de l'information. Paris : ESF.

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