La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Regrouper en réseau un collège et les écoles de son secteur : Quelle démarche pour quels effets ?
Auteurs : GRANGEAT Michel - IUFM & GREIF/LSE/Université / MENDES-FRANCE Pierre - GRENOBLE

Texte :
Á la rentrée 2001, un collège de l'académie de Grenoble et les écoles primaires de son secteur sont regroupés en réseau afin de stimuler la continuité des apprentissages et la complémentarité des acteurs. L'étude de cette démarche s'inscrit ainsi dans le cadre des recherches sur l'évaluation des dispositifs curriculaires et la question qui l'oriente est celle de comprendre dans quelle mesure l'évaluation des dispositifs scolaires, lorsqu'elle est menée avec les acteurs eux-mêmes, modifie leurs conceptions et leurs pratiques curriculaires.

1. Le réseau Écoles et Collège, un dispositif potentiellement efficace ?
Du fait qu'il constitue un agencement d'actions au sein du curriculum réel (Forquin, 1996), tout dispositif implique des choix d'objectifs, des interactions entre acteurs et des modes de décision ; or, ces éléments sont présents dans le réseau étudié ici. Des conférences, des réunions ou des stages de formation continue, communs aux établissements sont instaurés. Des observations mutuelles en classe sont organisées. Des ateliers thématiques permettent les échanges entre acteurs. Des actions harmonisées concernant divers aspects du parcours scolaire sont conçues, proposées et réalisées depuis ces ateliers Un comité scientifique et un groupe de pilotage assurent le maintien de l'ensemble dans l'orientation initiale.
Il convient donc d'analyser ce réseau - à partir du texte de cadrage initial et du rapport d'étape rédigé au bout de six mois- en terme de dispositif afin de déterminer s'il est susceptible de modifier les conceptions et pratiques curriculaires des acteurs.
1.1. Une prise en compte de l'environnement du dispositif
L'environnement du dispositif est pris en compte, dans ses aspects sociaux et individuels, par le texte de cadrage, mais il manque les données sur les aspects purement scolaires. Cette lacune conduit à s'interroger sur la possibilité ultérieure laissée aux acteurs de constater, eux mêmes, des évolutions vis-à-vis des effets du réseau sur la cohérence des parcours scolaires.
1.2. Une implication des acteurs proches de l'action
Les actions élaborées dans le réseau sont prises en compte dans le rapport d'étape. Leur analyse -selon les trois axes que sont la pertinence, le suivi et l'accomplissement- conduit à constater que ces actions sont construites dans une perspective réflexive et interactive qui pourrait représenter une source de changement.
La pertinence (ce en quoi les actions élaborées s'inscrivent dans les objectifs du réseau) semble importante. En effet, le rapport d'étape met clairement en évidence une problématique générale qui oriente la réflexion des acteurs du réseau ; une démarche commune, fondée sur un questionnement explicite, qui guide leurs réflexions ; des référentiels détaillés qui permettent d'expliciter les différentes facettes des actions instaurées par chacun des chantiers.
Le suivi (la mesure selon laquelle la conduite de la démarche mobilise les acteurs, tout au long de l'avancée vers l'atteinte des objectifs initiaux) semble adéquat mais devrait être élargi. De fait, le document analysé permet de constater que de multiples rencontres suscitent une implication de divers acteurs, et que les actions engagées conduisent à des interactions entre ces catégories de personnel. Cependant, demeure mal définie l'implication des enseignants qui ne participent pas aux chantiers de réflexion et des élèves, alors qu'elle est souhaitée par les responsables de chantier.
L'accomplissement (comment l'aboutissement des actions réalisées par le réseau est mis en rapport avec les objectifs initiaux), enfin, semble une préoccupation essentielle dès ce début de mise en œuvre du dispositif et le rapport d'étape présente le référentiel d'évaluation des actions élaboré par chaque atelier thématique. Ces référentiels explicitent et organisent des indicateurs destinés à vérifier la pertinence, la cohérence et l'avancée des actions proposées.
1.3. Une approche des effets produits par le dispositif
Les effets du dispositif sont esquissés dans les documents analysés. Ils concernent la continuité des apprentissages (lors de l'articulation entre école et collège, notamment), la complémentarité des acteurs (quelle que soit leur fonction dans le système scolaire), l'homogénéité de la scolarité obligatoire (en ce qui concerne les démarches et les dispositifs d'enseignement) et la compréhension par les élèves de leur rapport au savoir (vis-à-vis des contenus disciplinaires et des démarches transversales). Les effets produits par le dispositif sont donc pris comme des objectifs orientant l'action.
En résumé, cette mise en réseau des écoles primaires et de leur collège de secteur constitue un dispositif dans la mesure où il s'avère, à la fois, facilement identifiable par les acteurs du réseau et fortement initiateur de pratiques professionnelles dépassant le cadre de la classe. De plus, ce dispositif stimule fortement les réflexions et les interactions des différents acteurs du réseau. Dans cette mesure, ce réseau "Écoles et Collège" est susceptible de jouer sur les conceptions et les pratiques curriculaires des enseignants.

2. L'évaluation, un support à la réflexion et à l'interaction ?
Dès l'origine, une méthodologie d'évaluation est intégrée à l'expérimentation : fondée sur l'élaboration et l'explicitation des référentiels nécessaires pour apprécier la cohérence ou les effets des dispositifs éducatifs mis en place (Figari, 1994, 2001), elle vise la régulation réfléchie des pratiques (Grangeat, 2001).
2.1. Une élaboration collaborative des référentiels
La démarche d'élaboration de référentiels est initiée lors des stages mis en place dès le début de la démarche. Ces référentiels visent à faire prendre sens aux indicateurs en évitant de les laisser à l'état de liste plus ou moins rationnellement hiérarchisée. Les référentiels produits par les sept ateliers thématiques comportent tous une ou plusieurs questions -que le document qualifie de problématique- relatives au thème de l'atelier, un tableau -organisé en dimensions, critères et indicateurs- décrivant une ou plusieurs actions dont l'évaluation des effets devrait permettre de répondre au questionnement initial et, enfin, une liste de trois actions à réaliser.
2.2. Des actions inscrites dans les orientations communes
En centrant l'étude de ces référentiels sur les dimensions et les critères, autrement dit sur les intentions pédagogiques et leurs caractéristiques, une répartition autour de cinq thèmes communs apparaît. Ces thèmes consistent à :
o considérer l'élève, l'enfant, l'adolescent, dans sa globalité et, de ce fait, prendre en compte la diversité des représentations et des démarches d'apprentissage,
o mettre l'élève en projet et, de ce fait, développer le sens des apprentissages, la responsabilisation et la motivation,
o maintenir le suivi des actions sur l'ensemble de la scolarité et, de ce fait, travailler à leur pérennisation et à leur harmonisation,
o jouer sur la complémentarité des actions des intervenants adultes et, de ce fait, travailler à leur exploitation et à leur communication au-delà des disciplines d'enseignement ou des secteurs d'intervention,
o viser la prévention et, de ce fait, assurer la circulation de l'information en direction des élèves ou des adultes intervenants de l'acte éducatif.
Ces cinq catégories correspondent aux objectifs du réseau et l'ensemble de ces référentiels développe donc une cohérence interne efficace.
Les indicateurs représentent ici des descripteurs de l'action commune. La démarche permet de les tenir entre deux limites essentielles : l'articulation des actions entre elles, afin d'éviter la fragmentation du dispositif ; le réalisme de l'ensemble proposé, afin d'éviter la juxtaposition de déclarations pédagogiquement correctes mais impossible à mettre en pratique.
En conséquence, la démarche d'élaboration des référentiels apparaît génératrice de sens. Elle devrait donc contribuer au développement des compétences professionnelles en structurant les réflexions et les interactions entre enseignants autour d'actions explicitées et harmonisées.

3. Conclusion
Cette expérimentation permet d'explorer plusieurs questions actuelles mais cette étude se limite à comprendre dans quelle mesure la qualité des dispositifs curriculaires est modifiée par la démarche d'évaluation structurant l'instauration de ce réseau. Comme la qualité de l'école, la valeur des dispositifs éducatifs, l'efficacité des apprentissages scolaires dépendent largement de la nature du curriculum réel construit dans chaque établissement et donc des pratiques et des conceptions curriculaires des enseignants (Tochon, 2000), c'est l'évolution de ces conceptions et de ces pratiques qui semble intéressante à étudier.
Cette évolution des conceptions et des pratiques irait dans le sens d'une meilleure articulation entre l'individu métacognitif et le praticien réflexif (Lafortune, 2001) que sont -ou deviendraient- les acteurs du réseau. Cette évolution semble, cependant, tributaire d'une transformation des activités de développement professionnel -et donc des actions de formation continue- par un déplacement de l'individuel au collectif (Savoie-Zajc, 2001). La problématique s'inscrit donc dans les études sur les effets des modalités de formation ou d'accompagnement des équipes éducatives. La question de recherche est alors de comprendre dans quelle mesure l'évaluation des dispositifs scolaires, lorsqu'elle est menée avec les acteurs, modifie leurs conceptions et leurs pratiques curriculaires (Gather Turler, 2001).
Cette étude montre que la mise en réseau d'un collège et des écoles primaires de son secteur est potentiellement susceptible d'améliorer la cohérence des pratiques d'enseignement tout au long du curriculum commun et obligatoire. Cependant, cet effet potentiel tient à différents facteurs qui ont été identifiés et dont les deux principaux, qui sont complémentaires, consistent, d'une part, en l'appui constant sur une démarche évaluation des pratiques d'enseignement avec les acteurs eux-mêmes et, d'autre part, dans le maintien d'une dynamique de formation continue permettant d'assurer cette coopération plurielle autour de l'évaluation. Cette étude permet également de jalonner un terrain de recherche prometteur. Reste donc à poursuivre la structuration de ce réseau et à mener une évaluation fiable de ses effets.


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