La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : Travail enseignant et rapport au(x) savoir(s) scolaire(s) : le cas des PLP2 stagiaires à l'IUFM
Auteurs : JELLAB Aziz Maître de conférences en sociologie Centre IUFM de Villeneuve d'Ascq & ESCOL, Université de Paris 8 Azizjellab@aol.com


Texte :
Le travail des enseignants a largement été exploré par des recherches sociologiques, en particulier sous l'angle de leur professionnalisation (BOURDONCLE) et de leur construction identitaire (TARDIF, LESSARD). De même, la plupart des analyses semblent se focaliser sur le métier d'enseignant en invoquant les contraintes liées à l'incertitude des normes et à l'écart séparant statut et rôle institutionnel (DUBET, MARTUCELLI). Notre propos vise à explorer une autre voie, celle qui interroge le rapport au savoir chez les enseignants en partant d'une lecture qui associe à la fois le sens qu'ils donnent et construisent à l'épreuve des élèves et des contenus enseignés et du contexte à travers lequel ils effectuent une transaction entre ce qu'ils ont été - en tant qu'élève, en tant que sujet social et singulier - et ce qu'ils sont censés devenir - en tant que professeur et en tant que sujet doté d'un (ou de) savoir(s). Le cas des enseignants stagiaires PLP2 (enseignants en lycée professionnel) offre alors la possibilité de voir comment ils se confrontent aux savoirs à enseigner en mettant à l'épreuve tout autant leur histoire, une vision du métier et un discours institutionnel plus ou moins cohérent (porté par l'IUFM, les formateurs disciplinaires et transversaux, les lycées professionnels d'affectation).
Nous avons donc engagé une recherche sociologique qualitative auprès de PLP2 stagiaires à l'IUFM en problématisant leur rapport au savoir - au sens de savoirs disciplinaires et de savoirs professionnels, pour reprendre la distinction proposée par PERRENOUD, les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner, distinction dont la pertinence est surtout théorique - en interrogeant à la fois leur trajectoire et histoire sociale-scolaire et leur " affiliation " actuelle au contexte du LP ainsi qu'au monde enseignant. Si l'on s'en tient à la question du contexte professionnel qu'est le LP, nos recherches antérieures menées auprès du public scolaire nous ont montré combien les pratiques enseignantes sont traversées par une certaine perception de ce qu'est apprendre et partant, par une conception de ce qu'est " enseigner en LP " (JELLAB, 2001). Si les enseignants stagiaires sont en cours de professionnalisation, leur subjectivité est aussi sollicitée par les savoirs qu'ils doivent enseigner - et " maîtriser " - et partant, il convient de s'interroger sur le degré d'implication de cette subjectivité - en tant qu'épreuve mais aussi comme histoire, dont celle qui les a menés à devenir PLP2 - dans les transactions avec l'institution scolaire (Education nationale, IUFM, LP essentiellement) et avec leurs élèves (en particulier pour ce qui est de la dialectique enseigner/apprendre). Ainsi, face à une question relative au choix d'enseigner en LP, les réponses sont variables, et le fait que la plupart des PLP2 stagiaires disent qu'ils auraient préféré enseigner en lycée ou en collège ne donne pas lieu au même rapport au savoir et aux élèves. De même, enseigner une matière professionnelle n'oblige pas au même remaniement identitaire et subjectif que si l'on enseigne deux disciplines générales, auquel cas le sens des savoirs semble imposer une rupture-reconstruction eu égard à sa formation universitaire.

Nous proposons une approche sociologique du rapport aux savoirs chez les enseignants stagiaires de LP qui ne pense pas seulement leur " professionnalisation ". Il s'agit de s'interroger sur le sens que les enseignants confèrent aux savoirs enseignés en ne dissociant pas leur histoire - scolaire et sociale - des contextes auxquels ils sont confrontés : ces contextes, nous les rapportons essentiellement à leur formation - au sein de l'IUFM, en établissement scolaire - et au public dont la perception et avec lequel les interactions conduisent à la construction de postures visant à rendre " sensés " les savoirs enseignés. C'est en donnant une orientation spécifique à la démarche empirique - qui part à la fois des enseignants comme " rôle " institutionnel et des enseignants comme " subjectivité " (sociale et singulière) - que l'on peut montrer en quoi le rapport enseignant aux savoirs enseignés est traversé tout autant par la spécificité des contenus disciplinaires que par leur histoire scolaire (et sociale). A la question : que faut-il savoir pour savoir enseigner, il est possible de situer le double versant, identitaire et épistémique, pour qualifier l'activité professorale du point de vue de ceux qui l'exercent.

Une méthodologie qualitative
Nous avons mené des entretiens semi-directifs avec des PLP2 stagiaires en centrant le propos sur les points suivants :
· L'itinéraire scolaire et le " choix " du métier d'enseignant ;
· L'entrée dans le métier et les contraintes de l'activité ;
· Les changements de la conception que l'on a du métier au fur et à mesure que l'on enseigne ;
· Le sens de la discipline - ou des disciplines - enseigné(é)s (en particulier la place qu'occupe la ou les disciplines dans l'enseignement en LP, les finalités formelles et subjectives des contenus enseignés, le rapport à la " seconde " discipline enseignée s'agissant des PLP2 de " matières générales ")
· La " transition " entre l'université et l'enseignement, en particulier la tension entre être élève (ou stagiaire) et être professeur.
· Où puise-t-on les savoirs à enseigner, comment élabore-t-on un cours et à quels " bricolages " se livre-t-on ?
· Les relations aux élèves, mode de construction des interactions et manière de mobiliser les apprenants ;

L'ensemble de ces interrogations vise à problématiser le double versant du travail enseignant : le versant subjectif que nous ramenons à leur histoire scolaire et sociale (multi-référentielle) et aux contextes institutionnels avec lesquels les enseignants sont aux prises (les établissements scolaires d'exercice et de formation, l'IUFM, essentiellement).

L'analyse des entretiens s'est effectuée en nous appuyant sur une approche qualitative semblable à celle mise en œuvre dans une recherche antérieure (JELLAB). Il s'agissait de dégager des singularités : ici, l'analyse biographique visait à saisir des contenus significatifs par rapport à d'autres contenus énoncés dans un même entretien. Nous visions aussi l'établissement de régularités : ici, l'analyse des thèmes procédait par rapprochement entre différents contenus appartenant à différents sujets pour en saisir la cohérence globale, les similitudes mais également les différences. Il s'agissait alors de lire les entretiens à la lumière des différentes biographies, démarche qui influença aussi le déroulement des entretiens ultérieurs. Ainsi, les points sur lesquels nous pouvions orienter le propos s'appuyaient sur des non-dits ou la volonté d'approfondir des points soulevés lors d'entretiens précédents.

Quelques résultats :

Ces entretiens menés avec différents enseignants permettent d'entrevoir l'existence d'une étroite relation entre leur trajectoire scolaire et la façon dont ils pensent pouvoir mobiliser les élèves. Mais davantage qu'une transition entre le monde " universitaire " (référé ici à la formation initiale) et le monde professionnel et de la formation (à l'IUFM, en établissements scolaires), ce qui nous a paru important est cette confrontation entre une perception des savoirs à enseigner, des élèves auxquels ont doit " apprendre " et sa propre subjectivité, marquée le plus souvent par des " moments " biographiques. Ces moments biographiques renvoient à des expériences scolaires pendant lesquelles " on a été marqué " par tel ou tel enseignant, à l'aune desquelles on s'est aperçu que l'on avait " des compétences pour expliquer aux autres [les camarades de la classe] le cours "… Bref, c'est dans cet aller et retour entre sa scolarité antérieure, entre l'intérêt suscité par les savoirs (ou un savoir disciplinaire particulier) et l'enseignement en LP que se structure le sens de la mission enseignante et que prend forme la tension entre enseigner et apprendre (ceci est d'autant plus amplifié que la plupart des enseignants stagiaires vivent leur expérience sur le mode d'une dialectique entre former des élèves tout en se formant ; ils sont à la fois enseignants et élèves à l'IUFM).
Le sens des savoirs est à rapprocher tant de leur statut au sein du LP que de la trajectoire scolaire de l'enseignant. Cette trajectoire est faite de projets, de tensions et d'un travail de mise en cohérence entre une scolarité et des projets (subjectifs et socio-familiaux en même temps) et l'on ne peut se saisir du sens de l'expérience enseignante indépendamment de la façon dont le professeur a engagé et engage sa propre scolarité à l'épreuve des élèves de LP.

Enfin, un autre élément semble concourir à la formation d'un habitus professionnel, celui des effets induits par le public scolaire sur la manière dont les enseignants conçoivent leur mission, et sur la façon dont ils définissent les finalités des savoirs enseignés. Selon la façon dont l'enseignant définit les finalités des savoirs qu'il enseigne, selon le degré de leur intégration dans l'ensemble des savoirs scolaires et professionnels définissant la formation (en CAP, BEP ou baccalauréat professionnel), il se produit une sorte de mise en relation complexe entre attentes du professeur - attentes engageant son identité et son histoire - perception des attentes des élèves et exigences de l'institution scolaire en matière de préparation à la vie active (ou de poursuite des études). Cette mise en relation, nous la trouvons au centre même d'une problématique du rapport au(x) savoir(s) dans la mesure où les finalités de ceux-ci ne constituent pas un objet de consensus socio-institutionnel.

On peut alors se demander dans quelle mesure la mise en exergue du rapport aux savoirs scolaires chez les enseignants peut constituer un " analyseur " de leur expérience et partant, contribuer à repenser leur " entrée dans le métier " et leur formation au sein de l'IUFM.

Bibliographie sommaire

Bourdoncle, R. L'université et les professions. Un itinéraire de recherche sociologique, Paris, L'Harmattan, 1994.
Charlot, B. Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997.
Jellab, A. Scolarité et rapport aux savoirs en lycée professionnel, Paris, PUF, 2001.


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