Partant du constat que contrairement à leurs aînés instituteurs,
les professeurs des écoles ne sont plus majoritairement issus du milieu
rural, que chaque année dans le Puy-de-Dôme
notamment, le mouvement des personnels du Premier degré révèle
des "difficultés" à pourvoir les postes les plus reculés,
une piste d'analyse s'offrait à nous. A l'écho des points d'achoppement
inhérents à la prise de fonction abondamment exprimés en
formation continue et dans les mouvements pédagogiques, il s'agissait,
en conséquence, de bâtir une formation initiale susceptible d'armer
les prochaines recrues pour enseigner en milieu rural. Il en va déjà
de même
dans le cadre des ateliers de pratiques professionnelles de l'IUFM d'Avignon
où nous animons un séminaire spécifique intitulé
"Enseigner en ZEP". Pour l'heure nous ne savons pas si les évolutions
en cours dans les IUFM autoriseront la poursuite d'une telle expérience.
Il nous fallait tout d'abord placer les élèves professeurs des
écoles en situation de recherche. A cet effet, nous proposions à
partir d'enquêtes conduites à base d'entretien, de cerner les spécificités
du rapport à l'école entretenu par différentes générations,
toutes issues du milieu rural . Chaque participant se devait de relater, par
écrit, au moins trois témoignages, préalablement à
une synthèse effectuée en groupe avec pour axes principaux de
réflexion, le rapport aux savoirs, les valeurs transmises et les vecteurs
de cette éducation (Famille, Ecole, Eglise). En complément de
données sociologiques, géographiques et culturelles, plus qu'une
meilleure connaissance des ruralités, un véritable outil de prospection
des "petites patries" s'offrait ainsi aux futurs maîtres. Dès
lors, l'aspect pratique de l'enseignement en milieu rural pouvait être
abordé dans une seconde phase.
Précisément, Célestin Freinet et Lucien Gachon étaient
appelés à fournir quelques référentiels pratiques
en vue de la gestion quotidienne d'une classe, à l'instar du groupe ICEM
local ou de quelques collègues de terrain agissant dans un réflexe
de compagnonnage. C'était déjà orienter les débats,
parier que les maîtres sauraient toujours s'adapter à renfort de
dispositifs éducatifs et de ruses. Hier, par les classes promenade et
l'imprimerie, aujourd'hui par les mises en réseaux alimentés par
les nouvelles technologies de communication, les petites écoles se sont
continuellement avérées être de précieux laboratoires
pédagogiques. A chacun par les textes, les matériels et les tutorats
librement consentis de modeler les dispositifs adéquates pour un projet
de classe.
Au delà de l'usage et de l'exemplarité de l'oeuvre de ces deux
pédagogues, l'intérêt de leur parcours était ailleurs,
par la définition d'un projet éducatif à l'écho
de leurs engagements et d'une interprétation culturelle. Pour les quelques
heures de l'atelier, de tels objectifs semblaient démesurés, tout
au plus pouvions-nous illustrer une telle prise de conscience. Avec le parti
pris d'une approche à dimension philosophique, par le choix de reprendre
l'idée que l'enseignant est un passeur dans les apprentissages culturels,
nous suivions Lucien Gachon découvrant Les noces paysannes de l'écrivain-paysan
Emile Guillaumin comme nous avions reçu, dans l'atelier
ZEP, le témoignage d'une adolescente des Minguettes d'une ZEP lisant
Le gone du Chaâba d'Azouz Begag. Distants d'un demi siècle, éloignés
de par leurs cultures respectives, nos exemples se retrouvaient pourtant dans
le sentiment partagé d'accéder à l'intelligence de l'écriture
et d'une culture. Cette entrée littéraire permettait, en formation
initiale, de cerner la dimension humaine qui doit prédominer dans toute
entreprise éducative. Elle préparait encore tout éducateur
à l'urgence dans laquelle il se trouve de faire des choix, d'éprouver
les certitudes au profit d'une action en conscience. Ainsi, l'héritage
de Lucien Gachon était, dans le cheminement exemplaire, depuis l'enfant
du Peuple à l'affirmation de l'écrivain passé maître
dans l'art du pouvoir scriptural jusqu'au pédagogue armé pour
penser et agir en faveur d'une autre école.
Depuis Les petites patries, les instituteurs n'ont jamais agi dans l'ignorance
des réalités locales. Il appartient aux professeurs des écoles,
non pas de valoriser les particularismes mais d'en faire les leviers de l'altérité.
De la sorte, les réflexes d'écriture, la discussion des finalités
éducatives aident à l'affirmation d'un véritable projet
d'enseigner, transposable en tout lieu, pour tout public dont aucun maître
ne saurait faire l'économie. Plus que des moratoires, l'école
du village réclame la continuité de tels pédagogues.
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