La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : ENSEIGNANTS ET AIDES EDUCATEURS : BILAN ET QUESTIONS
Auteurs : BIENAIME Dominique, PAVIET-SALOMON Odile

Texte :
1997, la loi " Nouveaux emplois-nouveaus services " met en place une nouvelle catégorie de travailleurs : les emplois jeunes. Le Ministère de l'Education Nationale recrute en grand nombre, 65 000 postes sont ouverts. Les conditions d'embauche sont floues (seule exigence : être titulaire d'un baccalauréat), les missions encore plus (ce qui est en accord avec l'objectif de la loi : créer de nouveaux métiers). Le recrutement se fait dans l'urgence, de façon volontariste, sans préparation des recruteurs.

Après une période d'incertitude, la situation se stabilise, des tendances se marquent : les aides éducateurs font tous plus ou moins les mêmes tâches, et au bout de quelques mois celles-ci cessent d'évoluer. Les habitudes et les routines s'installent. Les aides éducateurs se coulent sans mal dans la peau des fonctionnaires avec lesquels ils travaillent. Ces derniers abandonnent assez rapidement les activités qui leur pèsent.

Dans quelques cas les jeunes ont été recrutés " sur profil " pour mettre en place des activités spécifiques (artistiques, sportives, informatiques, de soutien disciplinaire). Dans d'autres cas, ils sont plus ou moins à disposition des enseignants, et leurs fonctions se centrent alors autour des axes suivants : garderie, surveillance, études surveillées…

Les contrats de travail qui sont signés sont symptomatiques de cet état de fait. " Aide technologique informatique. Etude dirigée du soir. Maintenance B.C.D. et suivi des projets (aide à la recherche documentaire), ouverture de la B.C.D. (pause de midi). Accompagnement de sorties scolaires, classes transplantées et participation aux séjours. Accompagnement piscine, gymnase. Aide aux devoirs tous les jours après la classe ". Cela ressemble étrangement à du soutien pour personnels éducatifs débordés, si l'on fait exception de quelques nouveautés dont le flou laisse perplexe : " animation d'ateliers de loisirs, sports collectifs, jeux musique et chant, arts graphiques, modelage, bricolage, aménagement de l'espace, environnement, citoyenneté, lecture, images et sons, informatique, nouvelles technologies, etc. "…" recherche de documents, illustration, mise en page de documents, préparation d'expositions, jeux éducatifs, activités diverses ", " action dans une classe spécifique auprès d'élèves au comportement perturbateur et d'animation du coin écoute ", " création d'un centre de ressources de circonscription "…

Même les jeunes embauchés au titre de l'intégration scolaire n'échappent pas à cette polyvalence, et en dehors de leurs missions spécifiques d'aide aux enfants handicapés, ils sont corvéables à merci. Ainsi cette jeune fille embauchée pour ces diverses activités : " B.C.D., installation et maintenance, accueil des classes maternelles et élémentaires, travail de recherches documentaires, réalisation d'expositions, lecture, prêt. Danse ; accompagnement et encadrement d'une classe en liaison avec une intervenante extérieure. Participation à l'intégration de 3troid enfants mal voyants. Accompagnements : piscine (2 classes de C.P.) ; maternelle (gymnastique + sorties scolaires et classes transplantées). Animation B.C.D. et études à thème : théâtre / activités manuelles ". Quelle énergie ! Et quand s'occupe-t-elle des enfants dont elle a la charge ?

Les exemples ci dessus concernent des postes implantés dans le secteur primaire. Nombre d'activités font partie des missions dévolues aux enseignants, quelques unes permettent de mieux réaliser ces missions, en particulier dans le cas d'activités artistiques ou sportives. On ne peut exiger de personne de savoir tout faire, ce qui pose à la fois la question des critères de recrutement, et de l'indétermination des objectifs et des missions de l'école : beaucoup d'idées généreuses, d'injonctions ministérielles ou académiques, des référentiels multiformes, peu de moyens : que ce soit en termes de matériel, d'équipements, ou de formation, initiale ou continue.

Pourtant c'est dans le secteur primaire que le recouvrement des fonctions est le moins important. On ne note " que " : l'aide aux devoirs, l'accompagnement des sorties, les tâches de surveillance durant les interclasses, les activités artistiques et sportives, l'accueil des enfants (et des familles), et plus étonnant, " la citoyenneté ".

Dans les collèges et lycées les dérives sont plus fréquentes, sinon programmées pour faire face au manque d'effectifs : dans les centres d'information et de documentation des établissements, mais surtout à la " vie scolaire " : surveillance dans les salles de permanence, au portail durant les entrées et sorties, voire " autour de l'établissement pour en surveiller les abords, gestion des absences par informatique. Certains jeunes, titulaires d'une licence, ont été recrutés pour faire " du soutien ". Mais la limite entre " soutien " et " cours " est parfois extrêmement ténue, sinon carrément abolie, et les emplois-jeunes assurent directement des remplacements lorsque les professeurs sont absents. Il existe aussi des aides éducateurs qui travaillent en secrétariat ou en comptabilité. On est bien loin de la non substitution des emplois, loin de la création de métiers nouveaux, loin de la formation par l'emploi !.

Selon une étude récente de D. Glasman concernant une trentaine d'établissements, les aides éducateurs " ont contribué à réactiver des activités ou à remettre en route des équipements dont plus personne ne s'occupait, ou à créer des services nouveaux " ; ils ont contribué à développer d'autres pratiques pédagogiques dans une optique d'individualisation. Mais ils sont également corvéables à merci pour de tâches telles que replacement d'un enseignant, " coup de main " à l'administration, ou l'éducation des élèves les plus en difficulté dont certains enseignants se " délestent " volontiers auprès des aides éducateurs. Parfois sous des prétextes pseudo pédagogiques : ainsi cette enseignante de langue vivante qui ne prenait plus en classe que les bons élèves, sous prétexte de ne pas ralentir le niveau et de pouvoir " boucler le programme ". A l'aide éducatrice de s'occuper des autres… que l'enseignante en titre acceptait de reprendre en cours une fois atteint un " niveau correct ". Souvent ces dérives sont acceptées par les aides éducateurs qui envisagent de passer des concours de l'enseignement. Parallèlement, ils comprennent mal de ne pas être " intégrés d'office " puisqu'ils ont " fait leurs preuves ".

Et de fait comme le notait Philippe Meirieu " l'école du XXIeme siècle ne peut se construire sans avoir pris acte de l'arrivée des aides éducateurs. Ils sont l'un des acteurs du changement du système éducatif. (…). L'école doit leur permettre de se constituer une véritable identité professionnelle. L'ensemble des tâches qui leur sont confiées est instable et évolue en fonction des circonstances. Il ne leur permet pas encore de se forger cette identité professionnelle, celle dont ils ont besoin comme nous en avons tous besoin. Peut-on esquisser une hypothèse, celle de leur spécificité dans un rôle de médiateur, de passeur entre le monde des enfants et celui des adultes ? Ils sont appelés à devenir des adultes de référence qui peuvent aider l'enfant à entrer dans le monde ".

Sans doute ce rôle de médiation est il ce qui apparaît de plus cohérent après quelques années d'expérience. Mais cela pose une double question : celle des critères de recrutement des aides éducateurs et de leur formation au sein de l'établissement ; celle des critères de recrutement et de la formation des enseignants, auxquels ce rôle de médiation devrait apparaître comme un élément incontournable de leur métier. Or nombre d'entre eux, après une période de scepticisme, considèrent la venue des aides éducateurs comme bénéfique car " ils ont le temps, eux, d'écouter les élèves, de discuter, voire de faire du travail en petits groupes "… Est-ce à dire que décidément, l'unique mission des enseignants est l'instruction ? Et que toutes les recherches en Sciences de l'Education (sur les modes de transmission des savoirs, le sens de l'école, le rapport au savoir, la pédagogie différenciée, les groupes de niveau…) sont nulles et non avenues ? Nous avons été étonnées, dans d'autres cadres, d'entendre des enseignants nous dire " j'ai fait une formation sur la médiation, mais on ne peut pas utiliser ces connaissances dans le travail d'enseignant ". Il semble bien malheureusement que ce soit le cas pour certains d'entre eux, qui se " déchargent " sur les emplois jeunes de toute relation à l'autre qui ne concerne pas spécifiquement la transmission d'un savoir disciplinaire. Comme si l'élève pouvait être séparé de la personne ! Il est vrai que les cours de psychologie et de sociologie ne constituent pas l'essentiel des programmes de formation. Mais les aides éducateurs ne sont pas toujours mieux armés pour faire face à ce travail. Sauf à considérer que " le relationnel " et " la pédagogie " sont des qualités innées. Ce qui expliquerait que les modes de recrutement ne soient fondées que sur l'accumulation de connaissances ! Et mettrait au chômage tous les chercheurs sur l'éducation.

Donc les enseignants transmettent des savoirs et les aides éducateurs éduquent, communiquent, font de la médiation, créent des liens. Pourquoi pas ? Mais il faut en tirer une double conséquence :
- La redéfinition des missions des enseignants dont la richesse actuelle (peut-être un peu désordonnée) favorise pourtant l'innovation et l'avancée des pratiques.
- La création d'un nouveau métier dans la fonction publique d'Etat, celui d'aide éducateur, accessible par concours après la mise en place d'un référentiel de métier (5 années d'expérience devraient être suffisante pour le construire).

Ce nouveau métier pourrait s'organiser avec des dominantes, qui permettraient de faire face à la fois aux besoins non satisfaits et aux nouveaux besoins qui ont émergé dans les établissements. Sa création permettrait par ailleurs une plus grande lisibilité des critères de recrutement et des embauches. Quelles pourraient être les missions de ces nouveaux personnels (liste non exhaustive) ?

Il nous semble que toutes les tâches de l'ordre du soutien scolaire et de l'aide aux études surveillées font principalement état d'un manque d'effectif des personnels. Idem pour les documentalistes de collège et de lycée. Un recrutement accru devrait en venir à bout, sous réserve que les nouveaux personnels soient réellement formés à ce type de travail et l'aient intégré dans leurs représentations professionnelles. Mais de nouvelles fonctions, ou des fonction actuellement non assurées, peuvent effectivement émerger.

- Des besoins existent pour animer les bibliothèques dans le secteur primaire. Ces tâches sont actuellement assurées par des enseignants en réadaptation, des titulaires remplaçants… Il n'existe pas de personnel spécifique ni formé.

- Les intervenants culturels dans les écoles sont trop peu nombreux. Les procédures d'agrément sont aussi lourdes que soumises à variation. Des jeunes qui ont effectivement assumé (avec succès) ces fonctions durant plusieurs années pourraient se voir offrir une validation des acquis professionnels qui prendrait en compte une expérience réelle et acquise dans la durée. Les critères de cette validation permettraient de clarifier les embauches, autant que les tâches demandées à ces jeunes. Leur poste aurait une identité tangible, et les équipes pourraient construire des projets d'établissement plus structurés. Ces nouveaux intervenants artistiques pourraient sans doute obtenir un emploi à plein temps en travaillant sur plusieurs écoles, au niveau d'un district scolaire par exemple.

- Des animateurs d'ateliers informatiques et de nouvelles technologies sont sans doute nécessaires. Les établissements manquent de personnels pour assurer la petite maintenance, et l'accès des élèves aux salles informatiques peut poser problème. Par ailleurs les logiciels pédagogiques constituent une nouvelle modalité d'accès aux savoirs qui n'est pas négligeable, et la bonne volonté des enseignants (même formés) ne peut y suffire.

- Des fonctions de médiation, " d'adultes de référence " pour reprendre le terme de P. Meirieu, doivent également être envisagées. Incontestablement ce rôle demeure celui des enseignants. Mais leur statut spécifique peut être un obstacle à une bonne communication dans certaines situations. Ce type de fonction nécessite pourtant une formation approfondie, et les situations de médiations susceptibles d'être rencontrées doivent être clairement identifiées. Un travail d'équipe paraît un garant indispensable de l'intégrité des personnes (enfants et adultes).

- Enfin un autre type de travail est fréquemment confié aux aides éducateurs : l'aide à la recherche de stages et à la recherche d'emploi dans les lycées professionnels. Ce type de travail nous semble être partie intégrante de la mission d'insertion des enseignants. Le problème posé ici est donc celui d'une réelle formation de ces derniers à la connaissance du monde du travail et de l'entreprise. Il nous semble par ailleurs aberrant de confier ce type de travail à des jeunes qui, dans leur majorité, n'ont pas été en capacité de trouver un emploi durable autrement que dans le cadre protégé qui leur était offert. Mais si les missions des enseignants doivent être " recentrées ", si, décidément, l'insertion ne les concerne pas (comme malheureusement beaucoup le pensent), alors, il faudra bien que de nouveaux personnels assument cette tâche. Mais les critères de recrutement de ces personnels devront donner lieu à une réflexion très approfondie.

Alors, enseignants et aides éducateurs : complémentarité ou de sous-traitance ? La question mérite d'être posée et surtout clarifiée. Pourtant le tableau que nous avons brossé, qui est réel, ne doit pas faire oublier que pour nombre de jeunes, cet emploi a été un réel tremplin vers un emploi plus durable. Majoritairement cela a été le cas pour ceux qui avaient travaillé précédemment, étaient conscients des exigences de l'emploi dans le secteur privé, et ont utilisé le temps qui leur était imparti pour construire un réel projet professionnel et les parcours de formation nécessaires à sa réalisation. En ce qui concerne ceux qui envisagent de devenir enseignants, le problème est plus complexe. Certes leur travail peut leur permettre de mieux appréhender le métier choisi, d'être en contact avec des enfants ou des adolescents et de " tester " leurs capacités (à la fois à transmettre des connaissances lors des études dirigées, et relationnelles lors d'autres activités). Mais des dérives sont également possibles. Il n'y a rien de vraiment commun entre le fait d'assurer un soutien individuel ou en petits groupes, de façon ponctuelle, sous la direction d'un enseignant (avant, on parlait de répétiteurs ") et la responsabilité sur une année d'une classe entière et d'un programme. Certains aides éducateurs animent des ateliers sur la base du volontariat des élèves. Mais combien d'élèves sont volontaires pour suivre les enseignements obligatoires ? Et puis, nombre d'aides éducateurs se sont déjà, à plusieurs reprises, présentés à des concours de l'enseignement (avant et après leur entrée en fonction). Sans succès. Certes le type de recrutement des enseignants présente quelques carences. Mais le fait que ces jeunes ne remettent à aucun moment en cause leur " projet professionnel " pose question.

Par contre pourquoi ne pas envisager qu'une expérience comme aide éducateur soit une phase préalable à la passation du concours, et constitue une période obligatoire lors de l'année de formation ? L'expérience de terrain pourrait constituer un support de validation des compétences effectif et pertinent. Nous avons rencontré, dans d'autres cadres, trop de très jeunes enseignants incapables, au bout de 2 à 3 ans de faire face à leurs obligations professionnelles (pour des raisons de caractéristiques personnelles mais aussi, parce qu'ils avaient une image incomplète, voire fausse de leur métier lors de leur sortie de l'IUFM) pour ne pas envisager positivement cette perspective. Un expérience d'aide éducateur peut effectivement permettre de confirmer, ou d'infirmer, un projet professionnel dans l'enseignement. Non seulement pour le jeune, mais également pour les responsables du recrutement qui pourraient juger à partir de réalités effectives de la pertinence d'un tel projet. Une perspective sans doute, mais lointaine. Puisqu'elle nécessiterait bien évidemment la " mise à plat " des fonctions d'un enseignant et des compétences associées.


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