Les tendances contemporaines dans le champ de la formation des enseignants
mettent l'accent sur les pratiques et la réflexivité sur les pratiques
dans la professionnalisation des enseignants (Paquay, 1996 ; Bourgeois et Nizet,
1997). Venant s'inscrire dans cette orientation, des équipes du Cresas
expérimentent depuis plusieurs années des dispositifs de formation
et d'accompagnement originaux. Plusieurs publications récentes en ont
analysé certains aspects (notamment, Cresas, 2000, 3ème partie).
Cette communication a pour but de présenter quelques éléments
inédits propres à enrichir l'analyse et l'évaluation de
ces dispositifs. Ils seront tirés de l'analyse d'un rapport de trente
et une pages rédigé par deux enseignants de collège qui
ont participé, tout au long de l'année 1999-2000, à l'un
de nos cycles de formation et qui ont continué à travailler par
eux-mêmes l'année suivante.
Après avoir rappelé les caractéristiques principales de
nos dispositifs, nous dirons comment nous les avons mis en oeuvre dans le cas
concerné. Nous procèderons ensuite à la présentation
du compte-rendu d'expérience rédigé par nos deux formés,
puis à l'analyse de ce document en tant qu'il constitue pour nous une
forme précieuse d'objectivation des effets de notre démarche de
formation.
I - CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DE NOS DISPOSITIFS DE FORMATION
Nos dispositifs ont pour objectif de provoquer l'appropriation par les formés
d'une approche pédagogique, dite "pédagogie interactive",
qui a été élaborée au Cresas et à l'IEDPE
, en collaboration avec des équipes éducatives. (Cresas, 1991
; Cresas, 2000, 1ère partie ; Hardy, 1999 ; Hardy et al., 2001 ; Hugon
et al., 2000).
Cette approche est de type socio-constructiviste. Elle postule que l'activité
des apprenants et l'interactivité entre tous les partenaires - entre
élèves et enseignants, entre élèves, entre enseignants
- sont les conditions nécessaires pour provoquer la construction des
savoirs par tous les élèves. Ces conditions ne trouvent cependant
leur pleine efficacité que si l'on tend en permanence à l'équilibration
des relations entre les partenaires, de sorte que chacun, quel que soit son
statut, se sente autorisé à exprimer ses points de vue et à
le confronter à ceux d'autrui dans le cadre d'activités partagées.
Cette approche vaut également pour les adultes en formation. C'est pourquoi,
comme les enseignants par rapport à leurs élèves, il est
indispensable que nous placions les "formés" en position d'agir
et d'interagir à propos d'actions partagées, entre eux et avec
leurs formateurs, dans le cadre d'un processus continu d'équilibration
des relations. Il y a donc isomorphie entre la démarche de formation
et la démarche pédagogique à laquelle nous voulons former.
En cohérence avec ce cadre théorique, notre démarche repose
sur trois principes fondamentaux invariants : s'adresser à des équipes
constituées ou en voie de constitution et non à des individus
isolés ; engager les enseignants en formation dans une démarche
"d'expérimentation méthodique" (Piaget, 1994) ; pratiquer,
à plusieurs, un accompagnement régulateur, expert et interactif.
Ces principes peuvent s'incarner dans des modalités pratiques relativement
diverses en fonction des différents contextes où nous sommes appelés
à travailler.
II- MODALITÉS DE MISE EN OEUVRE DANS LE CAS ÉTUDIÉ
À la rentrée scolaire 1999, le ministère de l'Éducation
nationale incitait les enseignants de collège à mettre en place
des actions de remise à niveau pour les élèves de sixième
en difficulté. La principale adjointe du collège La Rochotte à
Chaumont (Haute-Marne) avait réussi à fédérer un
groupe d'enseignants prêts à s'engager dans cette innovation. Un
soutien fut proposé à cette équipe sous la forme d'une
"Formation d'Initiative Locale" organisée par l'Inspection
Académique. Il nous fut proposé d'être les formateurs de
ce dispositif. Après une phase de négociation au cours de laquelle
nous avons vérifié que nos principes d'action étaient applicables
dans ce contexte, nous avons accepté d'assurer,en "triplette"
, un "accompagnement formatif" de l'équipe d'enseignants.
Quelles ont été sur ce terrain les modalités de mise en
oeuvre de nos principes ?
Principe 1 : s'adresser à des équipes et non à des
individus isolés :
Au départ, c'est un groupe de dix-huit personnes - dix-sept enseignants
et la conseillère principale d'éducation -auquel nous nous adressions
(douze à l'arrivée). Nous avons proposé que ce groupe se
subdivise en sous-équipes, chacune devant élaborer un projet original
de remise à niveau. Nous avons proposé également de faire
alterner, lors des journées de regroupement, le travail en grand groupe
et le travail par petits groupes de projet, chaque formatrice participant le
plus souvent au travail de l'un des groupes de projet. Cette façon de
faire, que nous avons improvisée au vu du contexte, s'est avérée
fructueuse car elle a créé un espace dialogique riche, porteur
de plusieurs types d'interactions : interactions formateurs-formés en
petits groupes et en grand groupe, interactions entre formés à
l'intérieur de chaque sous-équipe, interactions entre équipes
lors des séances de travail plénières. Cette interactivité
multiforme nous a aidées pour impulser et soutenir la dynamique d'ensemble.
Elle a permis notamment d'éviter certains blocages que le face à
face formateurs-formés, comme toute relation duelle, peut parfois générer.
Elle a permis également la participation active des divers membres du
groupe, et des échanges constructifs entre "les vieux routiers"
de l'innovation pédagogique et d'autres membres de la grande équipe,
plus novices en ce domaine.
Principe 2 : engager les enseignants en formation dans une démarche
"d'expérimentation méthodique"
Nous avons proposé aux équipes ainsi structurées d'élaborer
des projets d'action sur un objectif restreint, pour qu'il soit plus facilement
maîtrisable, à partir d'un certain nombre d'hypothèses que
nous faisions expliciter. Nous leur avons aussi demandé de se donner
les moyens d'observer et de recueillir des traces du travail effectué
avec les élèves. Lors des journées de regroupement, chaque
équipe devait présenter au grand groupe, en réunion plénière,
un exposé sur le travail accompli dans l'intersession, avec présentation
de données. Chaque exposé était suivi d'une discussion
dans laquelle les membres des autres équipes, aussi bien que les formatrices,
étaient invités à intervenir. Le travail en petits groupes
permettait à chacun de réajuster son projet et d'en imaginer la
suite pour l'intersession suivante. Cette méthode, dite d'auto-évaluation
régulatrice, permet à la fois de réguler les actions en
cours tout en dégageant des savoirs nouveaux sur les apprentissages et
les conditions qui les favorisent.
Principe 3 : pratiquer , à plusieurs , un accompagnement régulateur,
expert et interactif
L'accompagnement a été organisé en cinq journées
disjointes, réparties sur l'année scolaire, et regroupant tous
les enseignants et autres personnels impliqués dans l'opération.
Il a été régulateur, expert et interactif.
Accompagnement régulateur : après l'impulsion initiale lors de
la première journée de travail, nous avons fourni tout au long
de l'année un soutien et un cadrage de la dynamique enclenchée
pour aider les acteurs à mener leurs projets jusqu'à leurs termes
- "tenir le coup" - en dépit des multiples sollicitations et
embûches que la vie quotidienne dans un établissement scolaire
ne cesse de générer. Par exemple, à la fin de chaque réunion,
nous suscitions la rédaction d'un cahier des charges à réaliser
dans l'intersession. À l'approche de la réunion suivante, nous
adressions à chaque formé un courrier rappelant ce cahier des
charges et proposant un ordre du jour attribuant notamment des temps d'exposé
à chaque équipe. Nous savons que ce cadrage a servi plusieurs
fois d'élément déclencheur pour la mise en forme par les
équipes de l'analyse de leurs actions. Sur un autre plan, nous pensons
que notre accompagnement a été un appui pour construire une cohérence
d'ensemble - "tenir le cap" - à travers l'analyse des pratiques
et de leurs effets sur les élèves que nous suscitions ou soutenions
de façon continue .
Accompagnement expert : au sens où, sans l'imposer bien entendu, nous
n'avons cessé de proposer les orientations théoriques et méthodologiques
que nous avons pu valider dans nos recherches antérieures, que ce soit
de façon directe, lors des moments d'apports théoriques, ou de
façon indirecte à travers nos réactions aux observations
réalisées par les formés dans leurs expérimentations.
Accompagnement interactif : il s'est inscrit dans l'espace dialogique complexe
que nous avons décrit plus haut, où nous avons eu la volonté
de provoquer et de soutenir, de la façon la plus continue possible, un
processus d'équilibration des relations de façon que chacun se
sente autorisé à donner son point de vue et à discuter
ceux d'autrui, quel que soit son statut dans le groupe : formateur ou formé,
jeune enseignant ou enseignant chevronné, innovateur expérimenté
ou au contraire novice, personnel enseignant ou autre personnel de l'établissement...
III - STRUCTURE ET CONTENU DU RAPPORT DES DEUX FORMÉS
L'année qui a suivi notre intervention, l'une des sous-équipes,
composée d'un professeur de français et d'un professeur d'anglais,
a décidé de poursuivre son expérimentation auprès
des élèves. À la suggestion de la principale-adjointe du
collège, cette équipe a inscrit son projet dans le cadre du dispositif
académique de valorisation des innovations. Les deux professeurs ont
ainsi bénéficié d'un soutien institutionnel pendant une
année supplémentaire, au terme de laquelle ils ont rédigé
un rapport portant sur leurs deux années d'expérimentation. (Cordonier
et Didelot, 2001)
Intitulé "La remise à niveau : un nouveau départ",
ce document a été produit indépendamment de nous, un an
après la fin de notre intervention et au terme d'une seconde année
d'expérimentation pédagogique à laquelle nous n'avons pris
aucune part. Pourtant, c'est bien dans la filiation de notre intervention de
la première année que les auteurs situent leur démarche,
comme l'indiquent :
- le résumé qu'ils ont placé sous le titre : "Initiés
à la pédagogie interactive et à la démarche de recherche-action,
nous avons entrepris un travail interdisciplinaire de remise à niveau
destiné, à travers la co-animation et le respect du rythme d'apprentissage
des élèves, à leur redonner confiance et à leur
faire acquérir les bases de la métalangue grammaticale".
(1) .
- le rappel du cadre théorique de la pédagogie interactive qu'ils
rédigent au moment de présenter leur première expérimentation.
(4)
- les remerciements qu'ils adressent dans la conclusion du document aux "chercheurs
du Cresas-INRP", "car leurs interventions nous auront non seulement
permis de concevoir ce projet mais aussi d'en tirer des leçons en matière
de pédagogie".( 30)
Dans la première partie du texte, intitulée "Genèse
de l'action", les auteurs retracent le cheminement et les découvertes
qui ont été les leurs dans le cadre de cette "initiation",
lors de l'accompagnement formatif que nous avons assuré dans leur collège
au cours de l'année 1999-2000. Ils commencent par citer un large extrait
de la proposition écrite "d'accompagnement formatif au travail en
équipe et à une démarche d'expérimentation méthodique"
que nous avions envoyée au collège avant la première réunion.
Ils expliquent ensuite comment leur collaboration a évolué dès
les premières mises en oeuvre : dans une première phase, conformément
à une suggestion méthodologique de notre part, le professeur de
français animait la séance de remise à niveau tandis que
le professeur d'anglais observait la séquence. Cette phase, déjà
très productive en termes d'effets sur les élèves, fut
pourtant rapidement dépassée par les deux professeurs qui eurent
envie de pratiquer la co-animation du groupe et de développer ensemble
un premier projet d'expérimentation commun.
Dans une deuxième partie, intitulée "Présentation
de l'action", les auteurs précisent l'organisation concrète
de l'heure hebdomadaire de remise à niveau qu'ils ont assurée
conjointement toute l'année suivante, puis les objectifs de leur action
(remettre les élèves en confiance, favoriser les échanges,
pratiquer la co-animation du groupe, travailler l'interdisciplinarité
sur le cas du français et de l'anglais, faire assimiler la métalangue
grammaticale de base et obtenir une maîtrise opératoire effective,
obtenir le réinvestissement des acquis psychologiques, notionnels et
interdisciplinaires lors des séquences en classes entières). Enfin,
ils précisent le dispositif qu'ils ont mis en place pour évaluer
les acquis des élèves.
Une troisième et dernière partie présente en quatre points
une analyse de l'action : analyse de l'attitude des élèves dans
les séances de remise à niveau, examen de leurs productions orales
et écrites, discussion sur le réinvestissement en classe entière
des compétences et des savoirs acquis par les élèves dans
la remise à niveau, analyse de la pratique de co-animation mise en oeuvre
par les deux professeurs.
IV - ANALYSE DU RAPPORT COMME OBJECTIVATION DES EFFETS DE NOTRE DÉMARCHE
DE FORMATION
Nous avons dit plus haut que ce texte constituait pour nous une forme précieuse
d'objectivation des effets de notre dispositif de formation. Nous y trouvons
en effet nombre d'éléments qui portent l'empreinte de notre action
de formateurs tout en la dépassant souvent par des prolongements inattendus,
témoins de la créativité et de l'inventivité des
auteurs. Quand nous disons "empreinte", nous voulons dire que nous
nous reconnaissons pour beaucoup dans ce qui est dit ou dans ce qui est dit
avoir été fait. Mais ce qui provoque chez nous, à la lecture
de ces pages, une véritable jubilation, c'est le caractère totalement
original et singulier de la démarche mise en oeuvre et de l'analyse qui
en est présentée. Il ne s'agit donc pas du résultat d'un
"transfert" ou d'une "transmission" dans lesquels les récepteurs
seraient passifs. Nous avons plutôt l'impression d'avoir libéré
un potentiel de créativité en provoquant, par notre dispositif
d'ensemble, et notamment par l'aller et retour entre la réflexion et
l'action qui le caractérise, une certaine recomposition des cadres de
pensée et de l'espace mental des formés qui va de pair avec une
transformation de leurs pratiques.
Nous nous limiterons ici à citer certains éléments qui
nous ont particulièrement frappées en tant que reflet et dépassement
de notre propre vision des choses. Ils appartiennent à trois groupes
de notations rapportées par les enseignants : les effets sur les élèves,
les nouvelles intentionnalités et attitudes pédagogiques des enseignants,
la co-animation des séquences.
Les effets sur les élèves
Les faits observés et rapportés sur ce thème sont en résonance
parfaite avec notre propre expérience de pédagogie interactive.
Pourtant, les faits concrets rapportés sont originaux et inédits.
Ils sont venus enrichir notre stock d'exemples propres à valider, par
leur accumulation même, le bien fondé de l'orientation pédagogique
que nous cherchons à promouvoir.
Les auteurs mentionnent tout d'abord, et non sans étonnement, des effets
sur le climat de travail, sur l'affiliation des élèves à
l'heure de remise à niveau et sur leur mobilisation intellectuelle :
"Notons d'abord l'absence de problèmes proprement disciplinaires.
L'échec induit souvent des comportements perturbateurs, mais dans le
cadre de la remise à niveau, nous n'avons eu à intervenir que
très rarement" (12). "Les élèves sont vite devenus
coutumiers de ce rendez-vous hebdomadaire où l'on travaillait à
leur rythme et dans la bonne humeur." (27). "Les visages enthousiastes
et souriants attestèrent que les élèves prirent plaisir
à venir à cette heure malgré tout supplémentaire..."
(13). Et l'on notait "un engagement visible et quasi unanime des élèves..."
(12). Au total, "la satisfaction et la motivation étaient souvent
de mise pour l'ensemble du groupe". (11)
Un deuxième série d'observations porte sur l'interactivité
généralisée qui s'est mise en place : "...une communication
élèves/élèves et élèves/professeurs
bien supérieure à celle éprouvée en classe entière"(13).
"L'effectif réduit aura permis de multiplier les stratégies
interactives de travail et de compter ainsi sur une large participation orale
des élèves" (12). "L'élève était
appelé à construire avec les autres ses réponses pour l'assimilation
d'un savoir conceptuel, et cette autonomie qui lui était laissée
favorisait la prise de parole et le questionnement spontanés". (13)
En troisième lieu, et c'est le point le plus important à nos yeux,
de nombreuses notations témoignent d'un véritable dévoilement
du fonctionnement mental des élèves et de l'état de leurs
savoirs. Les auteurs signalent en effet "... des productions surprenantes
des élèves que les conditions ordinaires d'apprentissage ne laissent
pas normalement apparaître" (16). Par exemple, pour certains élèves,
"le pluriel se signalait toujours par un s, quelle que soit la nature du
mot (nom, adjectif ou verbe). Certains transféraient spontanément
cette représentation à l'anglais, en mettant par exemple un s
au verbe like pour les personnes du pluriel." (15). Un autre exemple est
l'affirmation par une élève de l'appartenance du mot "noir"
à la classe des verbes, "parce que l'on pouvait le conjuguer (...)
Lorsque la conjugaison lui en fut demandée - nous voulions avoir accès
au mécanisme mental qui faisait que chez elle le recours à un
critère pertinent aboutissait à une conclusion erronée
-, elle récita 'je suis noir', 'tu es noir' etc." (16).
Ces idées et représentations des élèves, que les
conditions d'interactivité mises en place firent apparaître en
grand nombre, ne suscitèrent nullement l'hilarité moqueuse des
enseignants, comme c'est parfois le cas lorsqu'on évoque, entre adultes,
les "perles" des élèves. La révélation
de ces contenus de pensée leur servit au contraire de points d'appui
pour ajuster leurs pratiques aux "besoins" des élèves
: "Il apparaît donc que nos représentations des difficultés
des élèves n'étaient pas toujours adéquates (...).
C'est donc à une modification globale du projet pédagogique -
réflexion, préparation, mise en oeuvre et évaluation -
que nous convie cette prise de conscience" (16).
Ces nouvelles pratiques, sur lesquelles nous allons nous arrêter dans
le point suivant, ont eu des effets très positifs sur les élèves,
tant du point de vue de l'image de soi que du point de vue des acquisitions
: "Certains élèves se sont réjouis tout haut des progrès
qu'ils se voyaient réaliser" (13). "Leur conception de la grammaire,
souvent synonyme de jargon, a changé au cours des séances de remise
à niveau. Les élèves ont perçu son utilité
et la nécessité de maîtriser parfaitement quelques termes
fondamentaux afin d'approfondir la construction de leur savoir." (17).
Le "au revoir et merci " adressé par l'une des élèves
à ses professeurs à l'issue de l'une des premières séances,
lors de la première année de travail, signe également,
sur le plan affectif et relationnel, l'importance de cette action pour les élèves.
(5)
Les nouvelles intentionnalités et attitudes pédagogiques
Les intentions et les pratiques pédagogiques mises en oeuvre par les
deux enseignants entrent elles aussi en forte résonance avec l'expérience
que nous avons acquise dans nos propres recherches pédagogiques. La première
intentionnalité a été d'encourager l'expression de chacun
et l'interactivité entre élèves : "Lors de la séance
expérimentale, les élèves furent invités avec insistance
à dire ce qu'ils pensaient vraiment et comment ils arrivaient à
leur réponse tandis que leurs camarades devaient réagir à
ces propositions et en formuler d'autres s'ils n'étaient pas d'accord.
(4) Ces conditions, nous l'avons vu au point précédent, ont permis
aux enseignants d'accéder aux idées et représentations
des élèves. Cette expérience semble avoir libéré
la capacité des adultes à décentrer leur point de vue sur
le savoir pour tenter d'en imaginer l'appréhension par les apprenants.
En voici un exemple : "La grammaire française distingue quatre types
obligatoires de phrases (déclaratif, interrogatif, exclamatif, injonctif)
et au moins quatre formes facultatives (affirmative, négative, passive,
emphatique), pendant que la grammaire anglaise parle de formes affirmative,
négative, interrogative. Si l'on trouve cela bien abscons, il suffit
d'imaginer que d'un côté d'une rue on appelle "portes"
les portes et "fenêtres" les fenêtres tandis que de l'autre
côté on appelle "portes" certaines fenêtres, pour
imaginer ce qu'un élève en difficulté peut comprendre de
tout cela. Autant dire que c'est la porte ouverte à l'échec..."
(29)
Cet objectif cognitif allait de pair avec une volonté de redonner confiance
aux élèves, de les revaloriser à leurs propres yeux et
à ceux d'autrui : "Prisonniers d'une logique de l'échec depuis
le début de leur scolarité, nos élèves avaient besoin
de retrouver la confiance qui leur manquait pour aborder sereinement la classe
de sixième." (7) Il y a eu en conséquence une action de "dédramatisation
de l'erreur" en expliquant aux élèves que "l'erreur
fait partie intégrante du processus d'apprentissage. (7), "qu'elle
n'est pas honteuse et qu'elle est même un facteur de progrès."
(8). Par ailleurs, "les acquis notionnels des élèves au cours
des séances de remise à niveau furent dans une large mesure réinvestis
en classe entière et en études dirigées, et ce afin de
valoriser les élèves concernés." (9-10)
Les attitudes des enseignants en cours de séance se sont également
transformées. Ils ont appris, par exemple, à "accepter le
silence de l'élève, accepter qu'il prenne le temps de réfléchir,
même longuement..." (8). Ou encore, à accepter les initiatives
: "Les douze ou treize élèves regroupèrent leurs tables
qu'ils disposèrent en rectangle : ils ne travaillaient plus tout seuls
(ou à deux), mais tous ensemble, autour du même projet." (8).
Où encore, "à rebondir à partir des productions orales
parfois inattendues des élèves" (8).
Une création des formés : la co-animation.
Avec ce thème, nous entrons dans une zone du travail de nos deux collègues
dans laquelle leur autonomie et leur créativité ont été
maximales. En effet, les réalisations qui y sont rattachées, bien
que venant s'inscrire sans difficulté dans le cadre conceptuel que nous
avons co-construit, n'ont été induites en aucune façon
par nos interventions. Très tôt dans l'histoire du processus, les
deux enseignants décidèrent de ne pas en rester à une répartition
des rôles observateur-observé, que nous avions encouragée,
mais d'en venir plutôt à la co-animation, l'un des deux enseignants
étant plus particulièrement chargé à chaque séance
d'assumer en même temps le rôle d'observateur.
Le rapport montre que cet aspect de l'expérience a été
vécu de façon particulièrement positive par les acteurs.
À chaque occurrence, le thème est traité avec emphase et
de nombreuse fonctions positives sont attribuées à la pratique
de la co-animation :
1) Tout d'abord, les auteurs évoquent à plusieurs reprises le
"plaisir certain qu'il y a à travailler à deux ..."
(27).
2) D'autre part, la co-animation assure davantage les enseignants, elle génère
de l'entraide entre professeurs qui leur permet "de rebondir à partir
des productions orales parfois inattendues des élèves : quand
l'un de nous se trouvait plus ou moins déstabilisé par l'intervention
d'un élève, l'autre pouvait prendre le relais". (8) Par ailleurs,
elle augmente les ressources éducatives de la situation en additionnant
les compétences didacticiennes des adultes : "Deux éclairages
sur un même problème valent sûrement mieux qu'un pour un
élève en difficulté, surtout quand il est autorisé
à dire qu'il n'a 'pas compris ce qu'a dit le prof'. " (8)
3) De façon concrète, elle donne à voir certaines choses
aux élèves : lorsque les enseignants ne sont pas de la même
discipline, elle est une "manifestation physique de l'interdisciplinarité",
qui fait vivre "auprès des élèves certains liens possibles
entre deux disciplines, et cela aussi bien dans le domaine des savoirs (conjugaison
simultanée des mêmes verbes dans les deux langues) que dans celui
des compétences (analyse des classes de mots)."(26)
4) Elle peut conduire les enseignants à toutes sortes de découvertes
et par là elle "fait avancer dans la connaissance du métier."(28).
"Ainsi, en explicitant l'un devant l'autre pour les élèves
certains aspects des savoirs, "nous nous sommes aperçus que les
réponses de l'un pouvaient être problématiques pour l'autre.
(...) Et, progressivement, nous avons pris conscience que la terminologie grammaticale
qui, pour nous, constituait le point de rencontre de nos deux disciplines et
le contenu notionnel de notre projet, était loin d'être aussi rigoureuse
et cohérente que nous l'imaginions." (29)
5) Enfin, elle a été le creuset de l'interactivité des
séquences éducatives, de la culture de l'interaction qui caractérise
l'approche pédagogique mise en oeuvre. Les auteurs nous disent en effet
qu'elle a été une aide pour "rompre avec la frontalité
habituelle des cours en classe entière, en instaurant une triple interaction
: professeurs/élèves, élèves/élèves,
et, plus innovant encore, professeur/professeur."(8) Et que "l'interaction
enseignant / enseignant apparut aux élèves à la fois comme
le modèle et le reflet de leur propre interaction". (9) À
partir d'un autre angle, les auteurs reviennent plus loin à cette idée
: découvrant à travers leurs échanges que la terminologie
grammaticale n'est pas aussi rigoureuse qu'ils le croyaient, "à
plusieurs reprises", ils se sont "questionnés sous les yeux
mêmes des élèves", ce qu'ils pensent "être
un exemple pour eux car cela illustre la relativité du savoir et l'intérêt
de le co-construire." (28)
De notre point de vue, ce dernier élément de la démarche
de nos deux enseignants, à savoir la co-animation qu'ils ont pratiquée,
est sûrement le plus fondamental. Il caractérise aussi notre démarche
de formation qui comporte, en son troisième principe, une injonction
à pratiquer "à plusieurs" un accompagnement des équipes
en formation. Les avantages que nous voyons à cette pratique sont les
mêmes que ceux énoncées par les enseignants, et nous pourrions
les énumérer dans le même ordre, le plus fondamental venant
à la fin. Tout se passe comme si, par la coopération qu'ils donnent
à voir plus que par leurs discours, les formateurs entraînaient
un désir de collaboration entre les formés qui à son tour
viendrait nourrir le désir de collaboration entre les élèves.
Il nous semble que l'on peut voir dans ce phénomène "en cascade"
une sorte d'objectivation des effets de l'isomorphie de notre démarche
de formation par rapport à la démarche pédagogique dont
nous cherchons à provoquer l'appropriation par les enseignants.
Conclusion
Dans cette contribution, pour la première fois, nous avons tenté
de tirer parti des écrits que les enseignants qui participent à
nos formations sont parfois amenés à élaborer : rapports
pour des dispositifs institutionnels, mémoires professionnels ou travaux
universitaires. En objectivant eux-mêmes, selon leur propre logique et
en fonction de leur propre vécu, la démarche que nous avons proposée,
les formés nous renvoient un certain reflet de notre action. Il nous
semble que celui-ci peut contribuer à la compréhension des mécanismes
par lesquels nous parvenons à provoquer la transformation des approches
pédagogiques - cadres de pensée et pratiques correspondantes.
Mais pour nous, ce chantier ne fait que s'ouvrir et beaucoup reste à
faire pour parvenir à la maîtrise de ce type d'analyse. Le cadre
très ouvert de la Biennale de l'Éducation nous a décidées
à tenter ce premier essai. Nous attendons beaucoup des interactions qu'il
pourra déclencher .
Références bibliographiques
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. Paris : PUF.
- Cohen A., Dupret J., Le Moal M., Serrero F. (2002). "Accompagner les
équipes pédagogiques", (In)novatio, n°3.
- (Cordonier T., Didelot D. (2001). La remise à niveau : un nouveau
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Actes du colloque, Paris, 17-18-19 mai 2001. Paris : INRP.
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Éditeur/INRP.
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-Hugon M.A., Rayna S., Royon C. (2000). "Favoriser des dynamiques d'apprentissage
interactives. À la crèche, à l'école, au lycée".
In Cresas,On n'enseigne pas tout seul : INRP.
- Montandon C. (sous presse) Approches systémiques des dispositifs pédagogiques.
Enjeux et méthodes. Paris : L'Harmattan.
- Paquay L. et al.(1996). Former des enseignants professionnels : quelles stratégies
? quelles compétences ? Louvain-la-Neuve : De Boeck.
- Piaget J. (1994). Où va l'éducation ? Paris : Denoël-Gonthier
(Premières éditions : UNESCO 1948 et 1972).
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