La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Quel sens les savoirs de la pratique donnent-ils à la formation ?


Titre : MODALITÉS INTERACTIVES D'ACCOMPAGNEMENT FORMATIF POUR LA TRANSFORMATION DES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES
Auteurs : Françoise PLATONE, chercheuse Cresas-INRP et Christiane MONTANDON, maître / de conférences université Paris 12, chercheuse associée Cresas-INRP

Texte :
Les tendances contemporaines dans le champ de la formation des enseignants mettent l'accent sur les pratiques et la réflexivité sur les pratiques dans la professionnalisation des enseignants (Paquay, 1996 ; Bourgeois et Nizet, 1997). Venant s'inscrire dans cette orientation, des équipes du Cresas expérimentent depuis plusieurs années des dispositifs de formation et d'accompagnement originaux. Plusieurs publications récentes en ont analysé certains aspects (notamment, Cresas, 2000, 3ème partie).

Cette communication a pour but de présenter quelques éléments inédits propres à enrichir l'analyse et l'évaluation de ces dispositifs. Ils seront tirés de l'analyse d'un rapport de trente et une pages rédigé par deux enseignants de collège qui ont participé, tout au long de l'année 1999-2000, à l'un de nos cycles de formation et qui ont continué à travailler par eux-mêmes l'année suivante.
Après avoir rappelé les caractéristiques principales de nos dispositifs, nous dirons comment nous les avons mis en oeuvre dans le cas concerné. Nous procèderons ensuite à la présentation du compte-rendu d'expérience rédigé par nos deux formés, puis à l'analyse de ce document en tant qu'il constitue pour nous une forme précieuse d'objectivation des effets de notre démarche de formation.

I - CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DE NOS DISPOSITIFS DE FORMATION
Nos dispositifs ont pour objectif de provoquer l'appropriation par les formés d'une approche pédagogique, dite "pédagogie interactive", qui a été élaborée au Cresas et à l'IEDPE , en collaboration avec des équipes éducatives. (Cresas, 1991 ; Cresas, 2000, 1ère partie ; Hardy, 1999 ; Hardy et al., 2001 ; Hugon et al., 2000).
Cette approche est de type socio-constructiviste. Elle postule que l'activité des apprenants et l'interactivité entre tous les partenaires - entre élèves et enseignants, entre élèves, entre enseignants - sont les conditions nécessaires pour provoquer la construction des savoirs par tous les élèves. Ces conditions ne trouvent cependant leur pleine efficacité que si l'on tend en permanence à l'équilibration des relations entre les partenaires, de sorte que chacun, quel que soit son statut, se sente autorisé à exprimer ses points de vue et à le confronter à ceux d'autrui dans le cadre d'activités partagées.
Cette approche vaut également pour les adultes en formation. C'est pourquoi, comme les enseignants par rapport à leurs élèves, il est indispensable que nous placions les "formés" en position d'agir et d'interagir à propos d'actions partagées, entre eux et avec leurs formateurs, dans le cadre d'un processus continu d'équilibration des relations. Il y a donc isomorphie entre la démarche de formation et la démarche pédagogique à laquelle nous voulons former. En cohérence avec ce cadre théorique, notre démarche repose sur trois principes fondamentaux invariants : s'adresser à des équipes constituées ou en voie de constitution et non à des individus isolés ; engager les enseignants en formation dans une démarche "d'expérimentation méthodique" (Piaget, 1994) ; pratiquer, à plusieurs, un accompagnement régulateur, expert et interactif. Ces principes peuvent s'incarner dans des modalités pratiques relativement diverses en fonction des différents contextes où nous sommes appelés à travailler.

II- MODALITÉS DE MISE EN OEUVRE DANS LE CAS ÉTUDIÉ
À la rentrée scolaire 1999, le ministère de l'Éducation nationale incitait les enseignants de collège à mettre en place des actions de remise à niveau pour les élèves de sixième en difficulté. La principale adjointe du collège La Rochotte à Chaumont (Haute-Marne) avait réussi à fédérer un groupe d'enseignants prêts à s'engager dans cette innovation. Un soutien fut proposé à cette équipe sous la forme d'une "Formation d'Initiative Locale" organisée par l'Inspection Académique. Il nous fut proposé d'être les formateurs de ce dispositif. Après une phase de négociation au cours de laquelle nous avons vérifié que nos principes d'action étaient applicables dans ce contexte, nous avons accepté d'assurer,en "triplette" , un "accompagnement formatif" de l'équipe d'enseignants.
Quelles ont été sur ce terrain les modalités de mise en oeuvre de nos principes ?

Principe 1 : s'adresser à des équipes et non à des individus isolés :
Au départ, c'est un groupe de dix-huit personnes - dix-sept enseignants et la conseillère principale d'éducation -auquel nous nous adressions (douze à l'arrivée). Nous avons proposé que ce groupe se subdivise en sous-équipes, chacune devant élaborer un projet original de remise à niveau. Nous avons proposé également de faire alterner, lors des journées de regroupement, le travail en grand groupe et le travail par petits groupes de projet, chaque formatrice participant le plus souvent au travail de l'un des groupes de projet. Cette façon de faire, que nous avons improvisée au vu du contexte, s'est avérée fructueuse car elle a créé un espace dialogique riche, porteur de plusieurs types d'interactions : interactions formateurs-formés en petits groupes et en grand groupe, interactions entre formés à l'intérieur de chaque sous-équipe, interactions entre équipes lors des séances de travail plénières. Cette interactivité multiforme nous a aidées pour impulser et soutenir la dynamique d'ensemble. Elle a permis notamment d'éviter certains blocages que le face à face formateurs-formés, comme toute relation duelle, peut parfois générer. Elle a permis également la participation active des divers membres du groupe, et des échanges constructifs entre "les vieux routiers" de l'innovation pédagogique et d'autres membres de la grande équipe, plus novices en ce domaine.

Principe 2 : engager les enseignants en formation dans une démarche "d'expérimentation méthodique"
Nous avons proposé aux équipes ainsi structurées d'élaborer des projets d'action sur un objectif restreint, pour qu'il soit plus facilement maîtrisable, à partir d'un certain nombre d'hypothèses que nous faisions expliciter. Nous leur avons aussi demandé de se donner les moyens d'observer et de recueillir des traces du travail effectué avec les élèves. Lors des journées de regroupement, chaque équipe devait présenter au grand groupe, en réunion plénière, un exposé sur le travail accompli dans l'intersession, avec présentation de données. Chaque exposé était suivi d'une discussion dans laquelle les membres des autres équipes, aussi bien que les formatrices, étaient invités à intervenir. Le travail en petits groupes permettait à chacun de réajuster son projet et d'en imaginer la suite pour l'intersession suivante. Cette méthode, dite d'auto-évaluation régulatrice, permet à la fois de réguler les actions en cours tout en dégageant des savoirs nouveaux sur les apprentissages et les conditions qui les favorisent.

Principe 3 : pratiquer , à plusieurs , un accompagnement régulateur, expert et interactif
L'accompagnement a été organisé en cinq journées disjointes, réparties sur l'année scolaire, et regroupant tous les enseignants et autres personnels impliqués dans l'opération. Il a été régulateur, expert et interactif.
Accompagnement régulateur : après l'impulsion initiale lors de la première journée de travail, nous avons fourni tout au long de l'année un soutien et un cadrage de la dynamique enclenchée pour aider les acteurs à mener leurs projets jusqu'à leurs termes - "tenir le coup" - en dépit des multiples sollicitations et embûches que la vie quotidienne dans un établissement scolaire ne cesse de générer. Par exemple, à la fin de chaque réunion, nous suscitions la rédaction d'un cahier des charges à réaliser dans l'intersession. À l'approche de la réunion suivante, nous adressions à chaque formé un courrier rappelant ce cahier des charges et proposant un ordre du jour attribuant notamment des temps d'exposé à chaque équipe. Nous savons que ce cadrage a servi plusieurs fois d'élément déclencheur pour la mise en forme par les équipes de l'analyse de leurs actions. Sur un autre plan, nous pensons que notre accompagnement a été un appui pour construire une cohérence d'ensemble - "tenir le cap" - à travers l'analyse des pratiques et de leurs effets sur les élèves que nous suscitions ou soutenions de façon continue .
Accompagnement expert : au sens où, sans l'imposer bien entendu, nous n'avons cessé de proposer les orientations théoriques et méthodologiques que nous avons pu valider dans nos recherches antérieures, que ce soit de façon directe, lors des moments d'apports théoriques, ou de façon indirecte à travers nos réactions aux observations réalisées par les formés dans leurs expérimentations.
Accompagnement interactif : il s'est inscrit dans l'espace dialogique complexe que nous avons décrit plus haut, où nous avons eu la volonté de provoquer et de soutenir, de la façon la plus continue possible, un processus d'équilibration des relations de façon que chacun se sente autorisé à donner son point de vue et à discuter ceux d'autrui, quel que soit son statut dans le groupe : formateur ou formé, jeune enseignant ou enseignant chevronné, innovateur expérimenté ou au contraire novice, personnel enseignant ou autre personnel de l'établissement...

III - STRUCTURE ET CONTENU DU RAPPORT DES DEUX FORMÉS
L'année qui a suivi notre intervention, l'une des sous-équipes, composée d'un professeur de français et d'un professeur d'anglais, a décidé de poursuivre son expérimentation auprès des élèves. À la suggestion de la principale-adjointe du collège, cette équipe a inscrit son projet dans le cadre du dispositif académique de valorisation des innovations. Les deux professeurs ont ainsi bénéficié d'un soutien institutionnel pendant une année supplémentaire, au terme de laquelle ils ont rédigé un rapport portant sur leurs deux années d'expérimentation. (Cordonier et Didelot, 2001)
Intitulé "La remise à niveau : un nouveau départ", ce document a été produit indépendamment de nous, un an après la fin de notre intervention et au terme d'une seconde année d'expérimentation pédagogique à laquelle nous n'avons pris aucune part. Pourtant, c'est bien dans la filiation de notre intervention de la première année que les auteurs situent leur démarche, comme l'indiquent :
- le résumé qu'ils ont placé sous le titre : "Initiés à la pédagogie interactive et à la démarche de recherche-action, nous avons entrepris un travail interdisciplinaire de remise à niveau destiné, à travers la co-animation et le respect du rythme d'apprentissage des élèves, à leur redonner confiance et à leur faire acquérir les bases de la métalangue grammaticale". (1) .
- le rappel du cadre théorique de la pédagogie interactive qu'ils rédigent au moment de présenter leur première expérimentation. (4)
- les remerciements qu'ils adressent dans la conclusion du document aux "chercheurs du Cresas-INRP", "car leurs interventions nous auront non seulement permis de concevoir ce projet mais aussi d'en tirer des leçons en matière de pédagogie".( 30)
Dans la première partie du texte, intitulée "Genèse de l'action", les auteurs retracent le cheminement et les découvertes qui ont été les leurs dans le cadre de cette "initiation", lors de l'accompagnement formatif que nous avons assuré dans leur collège au cours de l'année 1999-2000. Ils commencent par citer un large extrait de la proposition écrite "d'accompagnement formatif au travail en équipe et à une démarche d'expérimentation méthodique" que nous avions envoyée au collège avant la première réunion. Ils expliquent ensuite comment leur collaboration a évolué dès les premières mises en oeuvre : dans une première phase, conformément à une suggestion méthodologique de notre part, le professeur de français animait la séance de remise à niveau tandis que le professeur d'anglais observait la séquence. Cette phase, déjà très productive en termes d'effets sur les élèves, fut pourtant rapidement dépassée par les deux professeurs qui eurent envie de pratiquer la co-animation du groupe et de développer ensemble un premier projet d'expérimentation commun.
Dans une deuxième partie, intitulée "Présentation de l'action", les auteurs précisent l'organisation concrète de l'heure hebdomadaire de remise à niveau qu'ils ont assurée conjointement toute l'année suivante, puis les objectifs de leur action (remettre les élèves en confiance, favoriser les échanges, pratiquer la co-animation du groupe, travailler l'interdisciplinarité sur le cas du français et de l'anglais, faire assimiler la métalangue grammaticale de base et obtenir une maîtrise opératoire effective, obtenir le réinvestissement des acquis psychologiques, notionnels et interdisciplinaires lors des séquences en classes entières). Enfin, ils précisent le dispositif qu'ils ont mis en place pour évaluer les acquis des élèves.
Une troisième et dernière partie présente en quatre points une analyse de l'action : analyse de l'attitude des élèves dans les séances de remise à niveau, examen de leurs productions orales et écrites, discussion sur le réinvestissement en classe entière des compétences et des savoirs acquis par les élèves dans la remise à niveau, analyse de la pratique de co-animation mise en oeuvre par les deux professeurs.

IV - ANALYSE DU RAPPORT COMME OBJECTIVATION DES EFFETS DE NOTRE DÉMARCHE DE FORMATION
Nous avons dit plus haut que ce texte constituait pour nous une forme précieuse d'objectivation des effets de notre dispositif de formation. Nous y trouvons en effet nombre d'éléments qui portent l'empreinte de notre action de formateurs tout en la dépassant souvent par des prolongements inattendus, témoins de la créativité et de l'inventivité des auteurs. Quand nous disons "empreinte", nous voulons dire que nous nous reconnaissons pour beaucoup dans ce qui est dit ou dans ce qui est dit avoir été fait. Mais ce qui provoque chez nous, à la lecture de ces pages, une véritable jubilation, c'est le caractère totalement original et singulier de la démarche mise en oeuvre et de l'analyse qui en est présentée. Il ne s'agit donc pas du résultat d'un "transfert" ou d'une "transmission" dans lesquels les récepteurs seraient passifs. Nous avons plutôt l'impression d'avoir libéré un potentiel de créativité en provoquant, par notre dispositif d'ensemble, et notamment par l'aller et retour entre la réflexion et l'action qui le caractérise, une certaine recomposition des cadres de pensée et de l'espace mental des formés qui va de pair avec une transformation de leurs pratiques.
Nous nous limiterons ici à citer certains éléments qui nous ont particulièrement frappées en tant que reflet et dépassement de notre propre vision des choses. Ils appartiennent à trois groupes de notations rapportées par les enseignants : les effets sur les élèves, les nouvelles intentionnalités et attitudes pédagogiques des enseignants, la co-animation des séquences.

Les effets sur les élèves
Les faits observés et rapportés sur ce thème sont en résonance parfaite avec notre propre expérience de pédagogie interactive. Pourtant, les faits concrets rapportés sont originaux et inédits. Ils sont venus enrichir notre stock d'exemples propres à valider, par leur accumulation même, le bien fondé de l'orientation pédagogique que nous cherchons à promouvoir.
Les auteurs mentionnent tout d'abord, et non sans étonnement, des effets sur le climat de travail, sur l'affiliation des élèves à l'heure de remise à niveau et sur leur mobilisation intellectuelle : "Notons d'abord l'absence de problèmes proprement disciplinaires. L'échec induit souvent des comportements perturbateurs, mais dans le cadre de la remise à niveau, nous n'avons eu à intervenir que très rarement" (12). "Les élèves sont vite devenus coutumiers de ce rendez-vous hebdomadaire où l'on travaillait à leur rythme et dans la bonne humeur." (27). "Les visages enthousiastes et souriants attestèrent que les élèves prirent plaisir à venir à cette heure malgré tout supplémentaire..." (13). Et l'on notait "un engagement visible et quasi unanime des élèves..." (12). Au total, "la satisfaction et la motivation étaient souvent de mise pour l'ensemble du groupe". (11)
Un deuxième série d'observations porte sur l'interactivité généralisée qui s'est mise en place : "...une communication élèves/élèves et élèves/professeurs bien supérieure à celle éprouvée en classe entière"(13). "L'effectif réduit aura permis de multiplier les stratégies interactives de travail et de compter ainsi sur une large participation orale des élèves" (12). "L'élève était appelé à construire avec les autres ses réponses pour l'assimilation d'un savoir conceptuel, et cette autonomie qui lui était laissée favorisait la prise de parole et le questionnement spontanés". (13)
En troisième lieu, et c'est le point le plus important à nos yeux, de nombreuses notations témoignent d'un véritable dévoilement du fonctionnement mental des élèves et de l'état de leurs savoirs. Les auteurs signalent en effet "... des productions surprenantes des élèves que les conditions ordinaires d'apprentissage ne laissent pas normalement apparaître" (16). Par exemple, pour certains élèves, "le pluriel se signalait toujours par un s, quelle que soit la nature du mot (nom, adjectif ou verbe). Certains transféraient spontanément cette représentation à l'anglais, en mettant par exemple un s au verbe like pour les personnes du pluriel." (15). Un autre exemple est l'affirmation par une élève de l'appartenance du mot "noir" à la classe des verbes, "parce que l'on pouvait le conjuguer (...) Lorsque la conjugaison lui en fut demandée - nous voulions avoir accès au mécanisme mental qui faisait que chez elle le recours à un critère pertinent aboutissait à une conclusion erronée -, elle récita 'je suis noir', 'tu es noir' etc." (16).
Ces idées et représentations des élèves, que les conditions d'interactivité mises en place firent apparaître en grand nombre, ne suscitèrent nullement l'hilarité moqueuse des enseignants, comme c'est parfois le cas lorsqu'on évoque, entre adultes, les "perles" des élèves. La révélation de ces contenus de pensée leur servit au contraire de points d'appui pour ajuster leurs pratiques aux "besoins" des élèves : "Il apparaît donc que nos représentations des difficultés des élèves n'étaient pas toujours adéquates (...). C'est donc à une modification globale du projet pédagogique - réflexion, préparation, mise en oeuvre et évaluation - que nous convie cette prise de conscience" (16).
Ces nouvelles pratiques, sur lesquelles nous allons nous arrêter dans le point suivant, ont eu des effets très positifs sur les élèves, tant du point de vue de l'image de soi que du point de vue des acquisitions : "Certains élèves se sont réjouis tout haut des progrès qu'ils se voyaient réaliser" (13). "Leur conception de la grammaire, souvent synonyme de jargon, a changé au cours des séances de remise à niveau. Les élèves ont perçu son utilité et la nécessité de maîtriser parfaitement quelques termes fondamentaux afin d'approfondir la construction de leur savoir." (17). Le "au revoir et merci " adressé par l'une des élèves à ses professeurs à l'issue de l'une des premières séances, lors de la première année de travail, signe également, sur le plan affectif et relationnel, l'importance de cette action pour les élèves. (5)

Les nouvelles intentionnalités et attitudes pédagogiques
Les intentions et les pratiques pédagogiques mises en oeuvre par les deux enseignants entrent elles aussi en forte résonance avec l'expérience que nous avons acquise dans nos propres recherches pédagogiques. La première intentionnalité a été d'encourager l'expression de chacun et l'interactivité entre élèves : "Lors de la séance expérimentale, les élèves furent invités avec insistance à dire ce qu'ils pensaient vraiment et comment ils arrivaient à leur réponse tandis que leurs camarades devaient réagir à ces propositions et en formuler d'autres s'ils n'étaient pas d'accord. (4) Ces conditions, nous l'avons vu au point précédent, ont permis aux enseignants d'accéder aux idées et représentations des élèves. Cette expérience semble avoir libéré la capacité des adultes à décentrer leur point de vue sur le savoir pour tenter d'en imaginer l'appréhension par les apprenants. En voici un exemple : "La grammaire française distingue quatre types obligatoires de phrases (déclaratif, interrogatif, exclamatif, injonctif) et au moins quatre formes facultatives (affirmative, négative, passive, emphatique), pendant que la grammaire anglaise parle de formes affirmative, négative, interrogative. Si l'on trouve cela bien abscons, il suffit d'imaginer que d'un côté d'une rue on appelle "portes" les portes et "fenêtres" les fenêtres tandis que de l'autre côté on appelle "portes" certaines fenêtres, pour imaginer ce qu'un élève en difficulté peut comprendre de tout cela. Autant dire que c'est la porte ouverte à l'échec..." (29)
Cet objectif cognitif allait de pair avec une volonté de redonner confiance aux élèves, de les revaloriser à leurs propres yeux et à ceux d'autrui : "Prisonniers d'une logique de l'échec depuis le début de leur scolarité, nos élèves avaient besoin de retrouver la confiance qui leur manquait pour aborder sereinement la classe de sixième." (7) Il y a eu en conséquence une action de "dédramatisation de l'erreur" en expliquant aux élèves que "l'erreur fait partie intégrante du processus d'apprentissage. (7), "qu'elle n'est pas honteuse et qu'elle est même un facteur de progrès." (8). Par ailleurs, "les acquis notionnels des élèves au cours des séances de remise à niveau furent dans une large mesure réinvestis en classe entière et en études dirigées, et ce afin de valoriser les élèves concernés." (9-10)
Les attitudes des enseignants en cours de séance se sont également transformées. Ils ont appris, par exemple, à "accepter le silence de l'élève, accepter qu'il prenne le temps de réfléchir, même longuement..." (8). Ou encore, à accepter les initiatives : "Les douze ou treize élèves regroupèrent leurs tables qu'ils disposèrent en rectangle : ils ne travaillaient plus tout seuls (ou à deux), mais tous ensemble, autour du même projet." (8). Où encore, "à rebondir à partir des productions orales parfois inattendues des élèves" (8).

Une création des formés : la co-animation.
Avec ce thème, nous entrons dans une zone du travail de nos deux collègues dans laquelle leur autonomie et leur créativité ont été maximales. En effet, les réalisations qui y sont rattachées, bien que venant s'inscrire sans difficulté dans le cadre conceptuel que nous avons co-construit, n'ont été induites en aucune façon par nos interventions. Très tôt dans l'histoire du processus, les deux enseignants décidèrent de ne pas en rester à une répartition des rôles observateur-observé, que nous avions encouragée, mais d'en venir plutôt à la co-animation, l'un des deux enseignants étant plus particulièrement chargé à chaque séance d'assumer en même temps le rôle d'observateur.
Le rapport montre que cet aspect de l'expérience a été vécu de façon particulièrement positive par les acteurs. À chaque occurrence, le thème est traité avec emphase et de nombreuse fonctions positives sont attribuées à la pratique de la co-animation :
1) Tout d'abord, les auteurs évoquent à plusieurs reprises le "plaisir certain qu'il y a à travailler à deux ..." (27).
2) D'autre part, la co-animation assure davantage les enseignants, elle génère de l'entraide entre professeurs qui leur permet "de rebondir à partir des productions orales parfois inattendues des élèves : quand l'un de nous se trouvait plus ou moins déstabilisé par l'intervention d'un élève, l'autre pouvait prendre le relais". (8) Par ailleurs, elle augmente les ressources éducatives de la situation en additionnant les compétences didacticiennes des adultes : "Deux éclairages sur un même problème valent sûrement mieux qu'un pour un élève en difficulté, surtout quand il est autorisé à dire qu'il n'a 'pas compris ce qu'a dit le prof'. " (8)
3) De façon concrète, elle donne à voir certaines choses aux élèves : lorsque les enseignants ne sont pas de la même discipline, elle est une "manifestation physique de l'interdisciplinarité", qui fait vivre "auprès des élèves certains liens possibles entre deux disciplines, et cela aussi bien dans le domaine des savoirs (conjugaison simultanée des mêmes verbes dans les deux langues) que dans celui des compétences (analyse des classes de mots)."(26)
4) Elle peut conduire les enseignants à toutes sortes de découvertes et par là elle "fait avancer dans la connaissance du métier."(28). "Ainsi, en explicitant l'un devant l'autre pour les élèves certains aspects des savoirs, "nous nous sommes aperçus que les réponses de l'un pouvaient être problématiques pour l'autre. (...) Et, progressivement, nous avons pris conscience que la terminologie grammaticale qui, pour nous, constituait le point de rencontre de nos deux disciplines et le contenu notionnel de notre projet, était loin d'être aussi rigoureuse et cohérente que nous l'imaginions." (29)
5) Enfin, elle a été le creuset de l'interactivité des séquences éducatives, de la culture de l'interaction qui caractérise l'approche pédagogique mise en oeuvre. Les auteurs nous disent en effet qu'elle a été une aide pour "rompre avec la frontalité habituelle des cours en classe entière, en instaurant une triple interaction : professeurs/élèves, élèves/élèves, et, plus innovant encore, professeur/professeur."(8) Et que "l'interaction enseignant / enseignant apparut aux élèves à la fois comme le modèle et le reflet de leur propre interaction". (9) À partir d'un autre angle, les auteurs reviennent plus loin à cette idée : découvrant à travers leurs échanges que la terminologie grammaticale n'est pas aussi rigoureuse qu'ils le croyaient, "à plusieurs reprises", ils se sont "questionnés sous les yeux mêmes des élèves", ce qu'ils pensent "être un exemple pour eux car cela illustre la relativité du savoir et l'intérêt de le co-construire." (28)
De notre point de vue, ce dernier élément de la démarche de nos deux enseignants, à savoir la co-animation qu'ils ont pratiquée, est sûrement le plus fondamental. Il caractérise aussi notre démarche de formation qui comporte, en son troisième principe, une injonction à pratiquer "à plusieurs" un accompagnement des équipes en formation. Les avantages que nous voyons à cette pratique sont les mêmes que ceux énoncées par les enseignants, et nous pourrions les énumérer dans le même ordre, le plus fondamental venant à la fin. Tout se passe comme si, par la coopération qu'ils donnent à voir plus que par leurs discours, les formateurs entraînaient un désir de collaboration entre les formés qui à son tour viendrait nourrir le désir de collaboration entre les élèves. Il nous semble que l'on peut voir dans ce phénomène "en cascade" une sorte d'objectivation des effets de l'isomorphie de notre démarche de formation par rapport à la démarche pédagogique dont nous cherchons à provoquer l'appropriation par les enseignants.

Conclusion
Dans cette contribution, pour la première fois, nous avons tenté de tirer parti des écrits que les enseignants qui participent à nos formations sont parfois amenés à élaborer : rapports pour des dispositifs institutionnels, mémoires professionnels ou travaux universitaires. En objectivant eux-mêmes, selon leur propre logique et en fonction de leur propre vécu, la démarche que nous avons proposée, les formés nous renvoient un certain reflet de notre action. Il nous semble que celui-ci peut contribuer à la compréhension des mécanismes par lesquels nous parvenons à provoquer la transformation des approches pédagogiques - cadres de pensée et pratiques correspondantes. Mais pour nous, ce chantier ne fait que s'ouvrir et beaucoup reste à faire pour parvenir à la maîtrise de ce type d'analyse. Le cadre très ouvert de la Biennale de l'Éducation nous a décidées à tenter ce premier essai. Nous attendons beaucoup des interactions qu'il pourra déclencher .

Références bibliographiques

- Bourgeois É, Nizet J. (1997). Apprentissage et formation des adultes . Paris : PUF.

- Cohen A., Dupret J., Le Moal M., Serrero F. (2002). "Accompagner les équipes pédagogiques", (In)novatio, n°3.

- (Cordonier T., Didelot D. (2001). La remise à niveau : un nouveau départ. Académie de Reims, Plan national d'Innovation.

- Cresas (2000).On n'enseigne pas tout seul. À la crèche, à l'école, au collège et au lycée.
Actes du colloque, Paris, 17-18-19 mai 2001. Paris : INRP.

- Cresas (1991). Naissance d'une pédagogie interactive, Paris : ESF Éditeur/INRP.

- Hardy M. (1999). "Pratiquer à l'école une pédagogie interactive", Revue française de pédagogie, n° 129, L'école pour tous : conditions pédagogiques, institutionnelles et sociales., p. 17-28.

- Hardy M., Royon C., Platone F. (2001), "Communiquer pour apprendre : la pédagogie interactive du Cresas". Les cahiers de l'ISP n° 33, Lev Vygotsky aujourd'hui, p. 53-74.

-Hugon M.A., Rayna S., Royon C. (2000). "Favoriser des dynamiques d'apprentissage interactives. À la crèche, à l'école, au lycée". In Cresas,On n'enseigne pas tout seul : INRP.

- Montandon C. (sous presse) Approches systémiques des dispositifs pédagogiques. Enjeux et méthodes. Paris : L'Harmattan.

- Paquay L. et al.(1996). Former des enseignants professionnels : quelles stratégies ? quelles compétences ? Louvain-la-Neuve : De Boeck.

- Piaget J. (1994). Où va l'éducation ? Paris : Denoël-Gonthier (Premières éditions : UNESCO 1948 et 1972).


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