En 1975, la loi d'orientation sur les personnes handicapées reconnaît
le droit pour tous à l'éducation, en priorité en milieu
ordinaire, dont le principe est repris dans la loi d'orientation sur l'éducation
de 1989. L'intégration scolaire est considérée comme un
moyen d'insertion sociale. Malgré l'ensemble du dispositif législatif
mis en place et les efforts déployés par de nombreux acteurs sur
le terrain, l'intégration des enfants en situation de handicap ne se
développe pas suffisamment pour répondre à la demande sociale
de plus en plus pressante, comme l'attestent des évaluations récentes
(rapport de l'IGEN et l'IGAS, rapport du Conseil économique et social).
Depuis quelques années, de nouvelles mesures visent à augmenter
les possibilités d'intégration, insuffisamment développées
par rapport à la demande sociale de plus en plus pressante. Les directives
actuelles réaffirment la nécessité d'inscrire le travail
d'intégration dans le cadre d'un partenariat entre les différents
acteurs concernés, en particulier l'école, les familles et les
structures spécialisées. Elles insistent à nouveau sur
l'importance de la mise en uvre de projets individualisés d'intégration,
élaborés conjointement. Il s'agit de " conjuguer dans une
démarche commune les attentes du jeune et de sa famille, l'action des
enseignants et celle, indispensable, des équipes de soins et d'accompagnement
".
Ce partenariat apparaît effectivement comme un facteur déterminant
dans la mise en uvre de l'intégration. Une collaboration avec des
professionnels spécialisés est mentionnée en termes de
besoin par les enseignants qui demandent à être aidés dans
la démarche d'adaptation pédagogique qu'implique nécessairement
l'accueil d'un enfant handicapé dans une classe (Lantier et al. 1994).
Cependant, ce partenariat n'est pas évident à instaurer, en raison
du cloisonnement qui s'est historiquement développé entre les
deux systèmes d'éducation, ordinaire et spéciale. De façon
générale, si un travail entre adultes s'avère propice à
une amélioration des pratiques éducatives (Gather-Thurler, 1994),
la collaboration entre l'école et des partenaires extérieurs soulève
généralement des difficultés (Van Zanten, 1990, Glasman,
1992).
En ce qui concerne les enfants handicapés, on constate qu'avec le développement
des projets d'intégration, les contacts entre enseignants d'accueil et
professionnels spécialisés ont tendance à se généraliser,
mais les rencontres restent peu fréquentes, le plus souvent trimestrielles.
Elles ne favorisent pas les échanges sur les solutions pédagogiques
à mettre en uvre pour répondre aux problèmes qui
se posent au quotidien et ne semblent pas en mesure de répondre aux attentes
des enseignants (Belmont, Vérillon, 1997).
La recherche présentée vise à analyser les modes de collaboration
qui peuvent se développer dans des cas d'intégration. Elle s'appuie
sur des entretiens groupés, réunissant l'enseignant d'accueil
et un ou deux professionnels spécialisés, sélectionnés
en fonction de la fréquence de leurs rencontres.
Des modes de collaboration efficaces
Dans des situations d'intégration où enseignants et spécialistes
ont pu établir des relations suivies (une fois par semaine environ),
donc dans des conditions favorables aux échanges sur les pratiques, nous
constatons qu'une collaboration efficace peut se développer. Ces contacts
réguliers s'instaurent surtout avec des professionnels ayant une action
éducative directe avec les enfants, essentiellement des éducateurs
et instituteurs spécialisés, parfois des rééducateurs.
Elle peut prendre des formes diverses, engageant plus ou moins les partenaires
dans un travail commun, ces formes pouvant coexister dans un même cas
d'intégration.
Elle peut consister en une mise en commun d'informations, de savoirs, d'expériences,
de pratiques, dont chaque partenaire peut ensuite tirer profit dans son propre
travail avec l'enfant. Par exemple, un enseignant indique à l'éducatrice
spécialisée les problèmes qu'un enfant rencontre en mathématiques,
pour que le soutien à l'enfant se greffe sur ces difficultés ;
une institutrice s'inspire d'activités proposées avec succès
en rééducation psychomotrice pour organiser dans sa classe des
jeux moteurs accessibles à l'enfant intégré.
Il peut s'agir également d'une réflexion commune conduisant à
un accord sur des démarches éducatives à adopter. Par exemple,
une enseignante et sa partenaire spécialisée cherchent à
repérer les activités qui retiennent le plus l'intérêt
d'un enfant de façon à susciter sa participation.
La collaboration peut aller jusqu'à un engagement commun des partenaires
dans des actions conçues ensemble ; par exemple, rencontrer ensemble
des parents pour susciter leur implication dans le projet ou leur soutien scolaire
à l'enfant.
Enseignants et spécialistes peuvent également concevoir ensemble
des situations éducatives s'adressant à l'ensemble des élèves.
Par exemple, une institutrice et une enseignante spécialisée préparent
et animent ensemble des activités pour que des élèves malentendants
puissent y participer. Elles considèrent que leurs approches complémentaires,
surtout verbale pour l'une, utilisant des supports non verbaux pour la seconde,
profitent à bien d'autres élèves qui ont des difficultés
de langage.
Cette dernière forme de travail, où les partenaires, partageant
la préoccupation de tous les élèves, mettent en commun
leurs compétences pour rechercher la façon de les faire progresser
ensemble dans la classe, paraît particulièrement favorable à
une évolution vers des pratiques plus intégratives.
Ces formes de collaboration reposent sur une dynamique d'échanges caractérisée
par :
- un engagement des partenaires dans une réflexion sur les pratiques
éducatives susceptibles de favoriser les progrès d'un enfant.
- une confrontation des observations sur l'enfant, pour parvenir à une
évaluation partagée, plus fiable et plus précise de son
évolution, déterminer ensemble ses besoins en situation scolaire
et élaborer des actions éducatives adaptées à ces
besoins.
- une clarification progressive des objectifs visés pour l'enfant et
leur réajustement en fonction de son évolution.
Ces processus interactifs apparaissent efficients pour le développement
du travail d'intégration. Ils facilitent l'élaboration de pratiques
éducatives visant à s'ajuster aux besoins des enfants intégrés.
Les apports de la collaboration
Ces modes de collaboration étroite sont jugés positifs par les
partenaires.
Ils leur permettent une meilleure maîtrise du travail d'intégration.
Les enseignants en retirent des informations sur le handicap de l'enfant intégré
et ses répercussions dans les apprentissages, sur ses conditions de vie
et son comportement hors du cadre scolaire qui lui permettent de mieux comprendre
ses réactions. Les spécialistes en acquièrent une connaissance
de ses progrès et difficultés dans le cadre scolaire, de ses possibilités
d'adaptation en milieu ordinaire. Cette meilleure connaissance de l'enfant,
la possibilité de partager des idées d'aménagements matériels
ou pédagogiques permettent aux uns comme aux autres de réajuster
leurs attitudes et attentes à son égard.
Ce travail commun établit un partage des responsabilités dans
les actions engagées. Il permet aux partenaires de ne pas se trouver
seuls face aux difficultés, de rechercher ensemble des solutions. Les
appréciations partagées sur l'évolution de l'enfant, l'accord
sur des orientations de travail leur apportent plus de sûreté dans
leur travail avec l'enfant.
C'est une source de perfectionnement professionnel. Le partage d'informations,
la mise en commun des compétences, la réflexion commune qui se
développent entre eux leur permettent d'élaborer des pratiques
mieux adaptées aux enfants intégrés.
Cette collaboration a également des bénéfices plus larges,
au niveau de la gestion globale de la classe. Elle est une ouverture à
une réflexion sur les difficultés rencontrées par l'ensemble
des élèves et les conditions qui favorisent les apprentissages
pour tous et peut conduire à modification générale des
pratiques au bénéfice de tous.
Elle débouche ainsi sur la construction de nouvelles compétences
professionnelles. En ce sens, elle semble en mesure de contribuer à répondre
à certains besoins de formation exprimés par les enseignants.
Les conditions de la collaboration
Cependant, ces modalités de collaboration satisfaisantes pour les partenaires
ne sont pas acquises d'emblée. Elles s'élaborent progressivement
dans le temps. Elles demandent de la part des partenaires de s'engager dans
un processus de construction commune.
On a souvent tendance, a priori, à penser qu'une bonne collaboration
repose sur des affinités personnelles ou professionnelles. Cependant,
il apparaît que collaborer suscite toujours au départ certaines
appréhensions : peur d'avoir à se confronter à un partenaire,
à bousculer ses habitudes, peur d'un jugement sur sa pratique, d'un empiètement
de prérogatives, surtout lorsqu'une présence commune dans la classe
est envisagée. Un ajustement progressif entre les partenaires est nécessaire
pour s'accorder sur des modes de travail. L'entente et la confiance mutuelles,
dont ils font état comme critères d'une collaboration réussie
résultent de cette élaboration.
Cette construction implique une démarche de négociation entre
les partenaires, c'est-à-dire la prise en compte mutuelle des attentes,
conceptions de travail et réticences de chacun. Chacun, en effet, en
fonction de ses expériences personnelles et professionnelles, est différemment
disposé par rapport à l'engagement dans un travail commun. Certains,
par exemple, souhaitent que le professionnel spécialisé assure
un soutien à l'enfant intégré à l'extérieur
de la classe, d'autres préfèrent qu'il intervienne en classe pour
permettre à l'enfant de participer aux activités communes.
Cette démarche est à envisager comme un processus évolutif.
A partir d'une entente sur une première proposition, même limitée,
le travail commun peut évoluer et se développer, en s'appuyant
sur la mise en commun et l'analyse des observations sur l'enfant intégré
en vue de répondre à ses besoins en fonction de son évolution.
Conclusion
La collaboration entre enseignants et professionnels spécialisés
peut être une aide appréciable dans le travail d'intégration,
elle facilite la recherche de solutions pédagogiques adaptées.
Nous avons pu dégager certaines caractéristiques d'une démarche
permettant de parvenir à ce type de collaboration. Il s'agit d'une co-conctruction
s'appuyant sur une mise en commun des compétences des partenaires,
La construction de ces modes de travail suppose cependant des conditions d'ordre
institutionnel. Ils nécessitent tout d'abord du temps et donc une fréquence
et une régularité des rencontres entre partenaires. Ceci implique
une reconnaissance institutionnelle de l'intérêt de ce travail
commun, c'est-à-dire que des moments et des conditions de rencontres
satisfaisantes soient prévus, de part et d'autre, dans l'organisation
des établissements.
La formation des personnels, tant de l'éducation ordinaire que de l'éducation
spéciale, paraît également avoir un rôle important.
Elle pourrait contribuer à préparer ces professionnels à
la collaboration, au moins en les sensibilisant aux modalités possibles
de travail commun, à ce qu'elles peuvent apporter et aux démarches
qui les favorisent. Il serait intéressant que les enseignants comme les
spécialistes puissent faireB dans le cadre de stages, l'expérience
d'élaborer en commun des projets de collaboration. Mais ces propositions
impliquent la possibilité d'organiser des moments de formation communs
aux enseignants ordinaires et aux partenaires spécialisés, ce
qui suppose une évolution dans les fonctionnements institutionnels.
|