La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Savoir communiquer : vers une nouvelle formation des personnels de direction dans l'Académie de Lille
Auteurs : DELATTRE Joëlle / MARECHAL Dominique DESS Ingéniérie des Ressources Humaines dans les Institutions Educatives. Sciences de l'éducation. Université de Lille 3.

Texte :
Quand une formation universitaire de DESS, en sciences de l'éducation, décide d'accueillir à l'Université à titre expérimental, pendant leur " semaine communication ", 56 chefs d'établissement scolaire du second degré (EPLE), stagiaires en seconde année de formation, que se passe-t-il exactement ?

Universitaires, professionnels et institutionnels : du face à face au coude à coude

Les préparatifs : les premières rencontres, après échanges téléphoniques, ont eu lieu à l'initiative des universitaires avec les responsables académiques de l'ensemble du dispositif de formation des chefs d'établissement, puis entre les responsables de la seule " semaine communication " et les intervenants du DESS intéressés par le projet. Ces rencontres ont permis de mettre au point un projet de formation après avoir précisé les besoins spécifiques du public de chefs d'établissement (nouveau recrutement), et les ressources de l'équipe du DESS. Engagement a été pris en juin de programmer l'action de manière expérimentale pour décembre.
La négociation : une première audience au cabinet du Recteur, accordée à deux des universitaires initiateurs s'est déroulée dans une ambiance très tendue et assez complexe (du fait de la restructuration récente de l'ensemble du dispositif de formation). Le principe du réaménagement (et non plus le rejet pur et simple) du projet initial est acquis, au bout de deux longues heures d'échanges animés. La deuxième audience au cabinet du Recteur permet de présenter une nouvelle version du projet et de le renégocier, dans une ambiance moins tendue et plus constructive. La Direction générale (DG) du rectorat accepte de venir répéter quatre fois dans la même semaine, par souci d'efficacité, une intervention sur la politique de communication rectorale, devant un quart du groupe de stagiaires à la fois. Le principe d'une matinée de travail personnel pour chaque sous groupe est accepté lui aussi, d'autant que notre UFR s'est engagé à ouvrir aux stagiaires, pendant les quatre matinées prévues pour ce travail personnel, sa bibliothèque et sa salle informatique en libre service.
La mise en œuvre : il restait à organiser la permutation régulière des différents sous-groupes entre les ateliers proposés par chacune des trois intervenantes du DESS. Il restait aussi à trouver des salles de travail suffisamment proches dans l'espace pour faciliter les échanges lors des pauses. Du mardi après-midi au jeudi matin, il faut avouer que cela ressemblait à la quadrature du cercle dans notre université en proie à la massification. Les services du rectorat ont assuré la reprographie des documents nécessaires pour l'atelier sociologie, les services du CROUS sollicités pour la restauration ont déçu le premier jour. Sous le choc du " resto U ", de la (re)découverte de lieux universitaires profondément transformés, de la rencontre étonnée avec une population étudiante très nombreuse et tellement peu différente de la population lycéenne, encadrés par leurs collègues du Groupe d'organisation et de pilotage (GOP), les chefs d'établissement stagiaires ont ainsi expérimenté un nouveau type de formation.

Trois ateliers qui en ont fait cinq

Nous avions mis au point un dispositif faisant tourner quatre sous groupes d'environ 15 stagiaires d'atelier en atelier de la manière suivante :
° Atelier 1 (deux séances de 3 heures) : " Gestion de conflits et situations de communication " Pratique réflexive ; analyse de situations (D. Maréchal).
° Atelier 2 (deux séances de 3 heures, deux sous-groupes à la fois): " Situations problématiques de communication et d'action en établissements scolaires " (A. Barrère).
° Atelier 3 (deux séances de 3 heures, deux sous-groupes à la fois): " Pratique réflexive d'écriture professionnelle ". Situations de communication écrite ; écriture de situations professionnelles. (J. Delattre).
Pour compléter ces trois ateliers, pour chaque sous groupe d'environ 15 stagiaires, avaient été prévues deux autres matinées : " Philosophie et politique de l'Académie en matière de communication et de circulation de l'information ", prise en charge par le GOP et la DG ; et " Travail personnel ", permettant de faire le point sur les connaissances acquises et d'approfondir les travaux de lecture et d'écriture.

Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi
Présentation de la cohérence de la semaine " Com-munication ". Répartition dans les groupes Atelier 1 : G1Atelier 2 : G2 et 3Travail perso: G4. Atelier 1 : G2 Atelier 2 : G1 et 4Travail perso : G3 Atelier 1 : G3 Atelier 3 : G1 et 4Travail perso : G2. Atelier 1 : G4 Atelier 3 : G2 et 3Travail perso : G1
Atelier 1 : G1 Atelier 2 : G2 et 3Animation GOP et DG : G4 Atelier 1 : G2 Atelier 2 : G1 et 4Animation GOP et DG : G3 Atelier 1 : G3 Atelier 3 : G1 et 4Animation GOP et DG : G2 Intervention de la DG sur la politique académique devant l'ensemble des stagiaires, questions au Recteur. Atelier 1 : G4 Atelier 3 : G2et 3Animation GOP et DG : G1

 

Nous limiterons notre analyse au contenu des trois ateliers que, pour simplifier, nous allons appeller " atelier management " pour le premier, " atelier sociologie " pour le deuxième et " atelier écriture " pour le dernier.

Atelier management : on ne naît pas " manager ", le management s'apprend.
Le travail au cours des deux séances successives s'est organisé selon les trois axes constitutifs du rôle du tout manager : communiquer, motiver et diriger.
Le petit nombre de participants par groupe (une quinzaine environ) a permis l'alternance, pour chacun de ces trois axes, des apports théoriques avec des exercices d'application et des questionnaires d'auto-diagnostic ou de connaissances.
Ont été abordés :
- La communication verbale et non verbale : ses caractéristiques et les écueils à éviter, les techniques de reformulation et la gestion des contradictions. Des exercices écrits individuels ont été proposés sous forme de " mini situations " permettant une application directe des différentes techniques proposées. Ces exercices ont permis d'introduire la notion d'assertivité abordée par un questionnaire d'auto-diagnostic, un apport théorique et un exercice d'application.
- La motivation : cette notion a été liée à l'assertivité grâce à une étude de cas démontrant que le manque d'assertivité avait pour conséquence une démotivation de la personne. Les aspects climat de travail et outils de motivation ont été introduits sous forme de fiches récapitulatives.
- La direction : un questionnaire d'auto-diagnostic a permis à chacun des participants de caractériser son style de management. Chaque style a ensuite été analysé afin de mettre en évidence sa pertinence et ses limites. Deux grands aspects de la direction ont ensuite été travaillés : la délégation et les remarques et mises au point. La nécessité d'être assertif est alors apparue comme incontournable dans la conduite des Hommes.
Une cassette vidéo mettant en scène un entretien entre un manager et son collaborateur a permis de faire la synthèse de la formation. L'animation du séminaire est constamment restée centrée sur les pratiques et préoccupations des managers en situation éducative. De ce fait, les liens entre les modèles théoriques et la réalité des situations en établissements scolaires ont toujours pu être réalisés.

Les participants ont découvert le monde du management.
D'un point de vue théorique, ils ont appris l'existence d'études permettant de dégager des modèles de management applicables au sein de leur établissement. Si l'ensemble des modèles n'a pu être abordé, les participants ont aujourd'hui conscience que ces modèles existent et qu'ils peuvent s'y référer. L'importance de la communication a été soulignée de nombreuses fois et à différents moments, et d'un point de vue pratique, les exercices et situations proposées ont d'emblée suscité l'adhésion. Il est apparu en effet primordial de rendre opérationnelles les notions abordées par des exercices qui ont en outre permis des échanges de situations vécues par l'un ou l'autre des participants.

Atelier sociologie : décrire et comprendre la communication dans les établissements scolaires
Trois modèles d'analyse des établissements scolaires, qui sont aussi trois manières différentes de considérer la communication dans l'établissement ont été présentés :
Le modèle bureaucratique : l'établissement est marqué par une histoire institutionnelle qui faisait de lui, jusqu'à une date récente, le maillon de base d'un système bureaucratique pyramidal. S'il se voit reconnu des marges de manœuvre et une autonomie, on peut encore décrire sa réalité dans l'ombre de ce modèle d'analyse. La communication y est conçue comme épousant les contours de la ligne hiérarchique, et transportant informations et prises de décisions qui se traduisent par l'édiction de règles.
Le modèle de l'analyse stratégique : l'analyse de Crozier et Friedberg considère l'organisation comme un construit humain composé de membres qui y développent des stratégies et y ont un certain pouvoir, défini essentiellement par la maîtrise de zones d'incertitude. La communication y tient un rôle majeur, comme structurant de manière plus ou moins ouverte les relations entre les acteurs, mais également comme élément clé de la décision.
Le modèle de l'établissement entre plusieurs mondes : Jean-Louis Derouet montre comment l'école existe aujourd'hui entre " plusieurs mondes " : modèle civique, modèle domestique, modèle industriel et modèle marchand. La communication dans l'établissement est alors vue comme des arrangements et des compromis constants mais aussi des tensions et des dénonciations entre ces différents mondes.

Un dossier de textes a ensuite été proposé à la lecture des chefs d'établissement stagiaires. Centré essentiellement sur le thème de " la gestion de l'ordre scolaire : de la communication à l'action collective ", il a permis d'analyser l'autorité et l'ordre scolaire comme problème de communication et d'action dans l'établissement, sous les trois angles suivants :
- L'ordre scolaire dans l'établissement : état des lieux et division du travail
- La communication autour de l'ordre scolaire : malentendus et blocages
- Du réel du travail au projet d'établissement : pourquoi les enseignants ne travaillent-ils pas en équipe ?
En particulier l'analyse et les échanges se sont plus longuement organisés à propos du texte extrait du livre : Les établissements entre l'éthique et la loi de J.-P. Obin (p. 130-136).
J-P Obin propose, il est vrai, une grille de lecture de la prise de décision dans les établissements scolaires qui ne correspond pas exactement à l'analyse précédente, puisqu'elle s'appuie sur la distinction de trois registres différents : le droit, la morale, l'éthique. Pourtant, le cas résolu par Sylvaine permet aussi de comprendre et de mettre à l'œuvre la distinction entre les trois registres sur lesquels fonctionne son établissement.
Le contexte. Le modèle bureaucratique est important dans la situation parce que son prédécesseur, apparemment, fonctionnait quasi exclusivement sur ce modèle. Il est l'héritage de la situation. L'absence de projet d'établissement montre qu'il en est même resté à une vision bien antérieure du système. L'établissement est bien centré sur l'application de la règle, qui évite le désordre, et un "ne pas faire de vagues" partagé par les enseignants.
Mais Sylvaine fait aussi une lecture stratégique de la situation, d'abord en constatant que les règles réelles ne correspondent pas aux règles formelles. Elle comprend aussi ce qui dicte les stratégies des enseignants, le fait de conserver leur tranquillité. Elle trouve également un " appui stratégique " dans la personne de la présidente de la FCPE.
La vision d'horreur qui frappe Sylviane dès l'entrée est l'indice qu'elle ne se sent pas dans le même monde que son prédécesseur. La version du modèle civico-bureaucratique adoptée par son collègue est pour le moins surannée, puisqu'elle repose sur l'écrasement total de l'échelon inférieur de l'organisation. D'ailleurs, d'une certaine manière, elle était dévoyée par l'intérêt personnel puisqu'il a dérogé à la continuité du service et à l'intérêt général en dissimulant les documents et les rapports officiels. L'absence de convivialité et de structures de vie dans l'établissement est claire, la conception du modèle civique à l'œuvre n'envisage même pas que les relations entre élèves puissent faire partie de l'organisation ! L'efficacité repose sur un principe de ségrégation scolaire entre classes de niveaux.
Le problème. Le problème posé par Bernard est de ceux qui était classiquement résolu par l'application d'une règle d'exclusion dans l'ancien modèle (bureaucratique ou civique dévoyé). Il est intéressant de noter que la conseillère d'éducation, qui fonctionnait plutôt sur un modèle domestique, était d'ailleurs d'accord sur la sanction (compromis modèle l - modèle 2). La spéciale acuité des problèmes sociaux de Bernard n'a pas d'existence dans l'ancien modèle.
La solution. Elle s'appuie en partie sur le modèle bureaucratique de l'établissement, ce qui est pertinent vu la force de ce modèle dans ce cas précis. Il va s'agir d'appliquer une sanction, mais après avoir rénové le règlement intérieur, et en choisissant un autre type de sanctions. Il s'agit de redonner un peu de cohérence au modèle civico-bureaucratique sur lequel s'appuyait jusqu'alors l'établissement. Sylvaine a malgré tout l'intention de changer de monde (ouverture à l'environnement, changement de style de relations entre enseignants et élèves) sans que l'on sache exactement quelles inflexions elle envisage. Mais elle sait qu'elle ne pourra le faire que sur le long terme (recrutement de jeunes enseignants).

Enfin un dernier document a été proposé à la réflexion des chefs d'établissement stagiaires pour une exploitation ultérieure, il est tiré de Henri Amblard, Philippe Bernoux, Gilles Herreros, Yves-Frédéric Livian, Les Nouvelles approches sociologiques des Organisations, Seui11996, p. 222-229. Attention ! Cette grille ne s'applique pas à proprement parler à l'établissement scolaire, mais à l'organisation en général et à l'entreprise. Par ailleurs, elle est plutôt une grille d'analyse-intervention pour des sociologues ou des intervenants extérieurs et non pas pour des décideurs internes aux organisations. Elle mélange plusieurs types d'approches, dont l'approche stratégique et l'approche par les " mondes " (ici, décrite comme approche par les conventions ou les accords) mais elle fait allusion aussi à d'autres modèles non abordés (principalement celui de Sainsaulieu sur les identités collectives).
Malgré tout, la grille des sociologues nous a paru intéressante dans le cadre de cette semaine communication, comme une manière progressive d'aborder et de décrire une situation professionnelle, mais aussi de la problématiser de diverses manières. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de la " didactiser " et d'y recourir dans l'atelier écriture.

Atelier écriture : pratique réflexive de la communication écrite comme " action de pilotage "
L'organisation interactive de ce troisième atelier avait pour objectif de
- prendre la mesure de la complexité des situations de communication constituées par la diffusion et la reproduction d'un certain nombre d'écrits ordinaires en établissements scolaires ;
- se mettre d'accord sur des critères plus rationnels de la pertinence et de la qualité de tels écrits, et réfléchir aux démarches professionnelles qu'ils mobilisent ;
- articuler des stratégies professionnelles d'écriture sur les acquis sociologiques et psycho-sociologiques de la semaine (ateliers 1 et 2) en particulier concernant les situations de communication évoquées, puis d'autres situations professionnelles formulées par écrit.
Le déroulement du travail dans cet atelier a été diversement apprécié par les chefs d'établissement stagiaires, et leurs réactions parfois inattendues et imprévisibles (malgré tous les efforts de notre préparation collective du dispositif expérimental de formation) nous ont semblé exprimer un malaise et une difficulté professionnelle assez complexes sur lesquelles nous allons essayer de faire porter maintenant l'analyse.

Apprendre en groupe à cesser d'enseigner

La grille d'analyse empruntée aux sociologues de l'innovation, et présentée sous la forme suivante, a donc servi de fil directeur et de guide à la réflexion demandée sur les pratiques professionnelles.

Grille d'analyse des sociologues de l'innovation
(Amblard, Bernoux, Herreros et Livian)
Aide à la mise en œuvre du projet d'écriture professionnelle

Phase 1 : contextualisation

moment 1 : recensement des actants, parties prenantes ; délimitation du contexte de l'analyse (intra, extra-muros)
moment 2 : tâches des acteurs et missions ; perception de leurs tâches par les acteurs
moment 3 : anticipation de compromis possibles ; repérage des enjeux, des systèmes d'équivalences, des " mondes " de rattachement différents ; recherche des zones d'incertitudes (à préserver, à conquérir)
moment 4 : conflits et alliances, systèmes de relations et identités collectives

Phase 2 : possibilité d'accord

moment 1 : mesure des états de grandeurs des sujets et des objets (hiérarchisation) ; identification des acteurs clés fondés et légitimés
moment 2 : repérage des lieux de résistance au changement et des acteurs capables d'être acteurs du changement (les problèmes pour le plus grand nombre, les accords implicites et dissimulés ; les objets et sujets supports possibles de compromis)

Phase 3 : action et analyse (nécessairement et étroitement liées)

moment 1 : restitution aux personnels (moment d'analyse et d'action à la fois)
moment 2 : institutionnalisation du processus de changement par la problématisation et par l'élaboration ou la structuration d'un réseau intra-organisationnel
moment 3 : engagement de l'action et poursuite de la réflexion dans la transparence (ce qui implique vigilance, retour sur soi et sa pratique, état des alliances, durabilité des compromis)

Un premier travail de lecture critique et de réécriture a porté sur un certain nombre de situations de communication écrite rencontrées plus ou moins quotidiennement par un chef d'établissement ; l'enjeu de l'exercice proposé consistait en l'analyse réflexive des démarches et procédures mises en œuvre dans quelques écrits anonymés (notes d'information, circulaires aux personnels, lettres diverses) ; ils ont été proposés à la sagacité des stagiaires, qui avaient pour consigne de les analyser, en ayant recours autant que possible à la grille des sociologues, à l'exclusion de tout jugement de valeur. La vivacité des débats, les désaccords et les résistances ont révélé l'intérêt d'une discussion collective sur de telles situations professionnelles de communication écrite, et en même temps la difficulté de se situer clairement et sans ambiguïté dans le rôle du chef d'établissement.
Voici les types de situations de communication proposées à partir d'écrits anonymés :
1) Rayonnement de l'établissement (Portes ouvertes, Tremplins, Site internet) ;
2) Organisation des élections ;
3) Circulaires aux enseignants (consignes nationales, rappels règlement intérieur, etc.) ;
4) Relations avec des parents d'élèves et ou des politiques influents (professeur souvent absent, élève à " caser ", etc.)
5) Fonctions de coordination des enseignants, allocation de moyens (Heures Supplémentaires Année, Professeurs principaux, Innovation - valorisation, Travaux Personnels Encadrés, etc.) ;
6) Demande de moyens au rectorat ;
7) Festivités réservées aux personnels (vœux, pots et médailles, départs en retraite, etc.).
Il s'agissait de lire et apprécier l'écrit (ou les écrits) proposé(s), puis de prendre collectivement la mesure de la situation de communication choisie en utilisant la grille d'analyse (phase 1) et les acquis des autres ateliers pour caractériser la situation et reconstituer le système d'action concret, réécrire les documents existants ou manquants dans la perspective d'une gestion maîtrisée du processus en cause (phase 2), échanger et critiquer les réécritures entre sous-groupes, justifier les choix réalisés (action et réflexion étroitement liées) en vue d'une restitution (phase 3)… au groupe entier.

L'analyse critique et la mise en perspective de quelques formes standardisées d'écriture par rapport à des situations professionnelles objectivées, et la clarification de critères pour une meilleure auto-évaluation d'une " bonne formulation " écrite se sont progressivement mises en œuvre en recherchant des propositions pour aménager et améliorer les écrits proposés, des suggestions de réécriture entre les groupes, enfin une traduction de ces essais sous la forme d'un certain nombre de préconisations afin de garantir la qualité d'un écrit professionnel lié à une action de pilotage.
Les petits groupes de trois à cinq futurs chefs d'établissement ont diversement fonctionné. Certains ont trouvé de véritables occasions de réinvestir et de mettre en pratique les acquis de la veille ou du matin même en psychosociologie et en analyse sociologique. D'autres, sans doute pas vraiment convaincus des vertus appropriatives du travail interactif, ont hésité à s'engager dans la tâche collective d'élucidation du sens et de l'intérêt des écrits. Nous les avons perçus comme doublement réticents :
- le mode d'action pédagogique proposé leur apparaissait comme non recevable et non performant. Sans doute auraient-ils préféré un " discours magistral " ou un " cours dialogué " sur le sujet. Leur scepticisme par rapport à la possibilité d'une démarche authentique d'apprentissage et d'appropriation par l'interaction nous a profondément étonnées.
- les situations de communications écrites étaient le plus souvent analysées du seul point de vue de la réaction possible des enseignants, et même parfois en anticipant leurs résistances " légitimes ". Il n'est arrivé que très rarement que les situations soient immédiatement et directement conçues comme " situations de management ou de pilotage ", obligeant à " naviguer " de façon pragmatique entre les pressions d'intérêts contradictoires, jusqu'à oser aller parfois à l'encontre des valeurs corporatistes de la gent enseignante. Il nous a donc semblé extrêmement important de prêter attention à ce phénomène, comme si le corps professionnel d'origine (majorité d'anciens enseignants) continuait de conditionner et d'une certaine manière de limiter la pensée et la conduite des futurs managers de communautés éducatives.

Néanmoins, la richesse et la diversité des productions a prouvé, de fait, la fécondité du dispositif interactif de formation réflexive à l'écriture professionnelle qui avait été mis en œuvre : placés en position de formuler des exigences à partir de leur analyse critique de quelques écrits professionnels, les stagiaires ont réussi collectivement (dans le travail interactif des sous-groupes) à anticiper une meilleure représentation des tâches d'écriture à réaliser et à formuler eux-mêmes des préconisations pour que ces écrits soit professionnellement intéressants et efficaces. La réécriture qui avait été proposée aux stagiaires, comme moyen et comme objectif à la fois, dans chacune des séances de travail, a facilité " la réflexion sur les stratégies employées et les moyens de les améliorer, ainsi que sur les diverses stratégies possibles ". Elle a permis surtout de " mettre en conflit voire de bouger certaines représentations ", comme l'écrit Y. Reuter au chapitre 11 " Evaluation et réécriture " (p. 171) de son livre Enseigner et apprendre à écrire (ESF, Paris 1996).

D'autre part, la situation de communication que chacun des écrits proposés à l'analyse a contribué à définir et à caractériser le dépassait, en fait, très largement en complexité. Elle comportait en particulier des zones d'ombre et d'incertitude, liées aux différents " mondes " auxquels l'institution se rattache, et par rapport auxquels l'action professionnelle doit donc s'efforcer de trouver sa place et son sens. D'où les difficultés d'interprétation univoque des écrits proposés (abstraits de leurs contextes), et les multiples interrogations qu'ils ont soulevées. Mais en même temps, " l'assertivité " plutôt que la fuite ou l'agressivité, est apparue, dans ces conditions d'équivocité toujours possible, comme une règle de conduite, la plus sensée et la plus efficace ; en tout état de cause, elle s'avère être la condition d'une authentique pratique réflexive ainsi que d'une " navigation professionnelle " intelligente entre le modèle civique et bureaucratique, le modèle relationnel stratégique et le modèle des arrangements et des compromis.


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