La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Les interventions sociales et les familles : injonction ou implication ?


Titre : Éducation et évolution du regard sur le foetus et les parents
Auteurs : TILLARD-CASSAR Bernadette Maître de conférences Education familiale et interventions sociales, CREF, Paris X (Nanterre)

Texte :
Introduction
Cette communication est l'occasion de rapprocher les principaux résultats d'une recherche ethnographique sur la naissance dans un quartier populaire de la ville de Lille, du contexte plus général de la naissance et de ses évolutions. Les observations et les entretiens auprès de 75 familles (171 enfants) ont été menés au domicile et dans le cadre hospitalier. L'objectif était de décrire comment les familles préparent la naissance durant la grossesse et comment elles intègrent le nouveau-né la cellule familiale déjà existante. Le suivi médico-social de la naissance et de l'accouchement est alors considéré comme un élément parmi d'autres, participant à l'arrivée de l'enfant. Anthropologue et médecin de santé publique, je m'interroge ici sur les répercussions du suivi médico-social sur les parents et sur l'éducation future de l'enfant.

Evolution du suivi médico-social et des r™les paternels et maternels
L'évolution du suivi médico-social et des circonstances de la naissance est un exemple particulièrement criant des modifications des r™les paternels et maternels.
Durant le XXe siècle, la naissance s'est déplacée du domicile vers l'hôpital. Si durant le XIXe siècle, les maternités accueillaient essentiellement des mères indigentes ou des naissances illégitimes, le XXe siècle a promu une naissance médicalisée pour tous. Aujourd'hui, c'est davantage l'absence de suivi médical qui est stigmatisante. Dans ce nouveau cadre hospitalier, la place du père aux côtés de la mère a été progressivement affirmée comme une nouvelle norme. Dans les années 1960, la méthode dite de "l'accouchement sans douleur" revendiquait déjà cette place du père au bloc obstétrical. Après que la contraception et l'interruption volontaire de grossesse ont apporté leur part aux transformations des relations des couples à la procréation, les années 80 ont vu le développement des méthodes d'analgésie péridurale. La péridurale a confirmé que la douleur n'est pas la bienvenue à l'occasion de la naissance et que la femme en toute circonstance peut continuer de rester disponible à la présence de son conjoint.

Cette implication du p?re dans la grossesse et la naissance change la tonalité du moment où les mères sont tenues à l'écart de leurs activités ordinaires et plus particulièrement durant le temps de leur hospitalisation : l'enfant n'est plus considéré comme relevant totalement de la responsabilité maternelle durant les différentes étapes.
Le congé paternel prolongé en 2001 vient entériner cette participation du père à un moment privilégié en lui permettant lui-aussi de se retirer un peu plus longtemps de ses activités professionnelles.
Or cette nouvelle place du père à la naissance ne s'est pas imposée avec la même facilité dans toutes les classes sociales. Les milieux les plus populaires, comme ceux rencontrés dans cette étude montre des formes de résistances que certains expriment en soulignant qu'il s'agit d'une "mode, comme celle de connaître le sexe avant la naissance."

Anticipation de l'identité  de l'enfant
En effet, pour les familles, la connaissance du sexe de l'enfant avant la naissance est bien une deuxième évolution marquante de la prise en charge médico-sociale de la naissance. L'échographie s'est développée très rapidement durant les années quatre-vingts. S'appuyant sur les pratiques toujours présentes de prédiction du sexe de l'enfant à naître, les échographistes qui vérifient le bon déroulement de la grossesse et recherchent d'éventuelles malformations, se sont lancés dans la lecture du sexe du fétus. L'engouement pour cette technologie a été tel que les praticiens et les organismes de sécurité sociale ont établi un consensus sur les indications de l'échographie prénatale. Des objectifs et des moments précis ont été définis pour chaqueexamen. Pour la grossesse "normale", trois examens sont remboursés par la sécurité sociale.
L'échographie fait correspondre au "ne plus se voir", expression privative utilisée par les femmes pour parler de l'arrêt des règles, le "voir le bébé" grâce à l'appareil échographique. Une mère hésite entre l'emploi du terme bébé  et l'expression "quelque chose qui vit en nous". Parfois, la femme situe la perception des mouvements du côté du secret de la grossesse "on le sent", perception qui lui est propre et qui n'appartient qu' elle, tandis que l'image de l'échographie appartient à la connaissance objectivée "on voit tout" qui dépasse la limite du corps humain entre intérieur et extérieur et qui, en même temps permet à d'autres (professionnels ou familiers) d'être témoins de ce qu'elle perçoit.
L'aspect du fétus et ses mouvements sont ainsi transcrits en deux dimensions, sur la surface de l'écran et offre à la famille, la première image de l'enfant parfois insérée dans l'album photo. Aussi, ce passage par la visualisation de l'embryon à l'échographie est-il présenté par certaines femmes hésitantes dans leur décision de poursuivre la grossesse comme un élément faisant pencher le choix du couple du côté de la non-interruption.
De même, de nombreux couples connaissant le sexe de l'enfant, lui attribuent un prénom et anticipent ainsi sur l'identité civile de l'enfant dans les mois qui précèdent la naissance.
Attitude face au handicap
L'anticipation de l'identité civile de l'enfant à naître pose la question du statut du fétus dans sa future famille et dans notre société. Les paradoxes et les incertitudes liés à ces interrogations nouvelles sont soulignés par la question de l'attitude face aux handicaps.
En France, l'actualité du début d'année 2002, autour de l'arrêté "Perruche" a permis à notre société de réfléchir à la délicate question des liens entre périnatalité et handicap. Or ces liens ont considérablement évolué depuis trente ans.

Le plan périnatalité des années 70
  En effet, dans le plan périnatalité des années 70, il était question de diminuer la mortalité infantile et d'éviter des handicaps dus aux conditions de la naissance. La surveillance de l'accouchement devait permettre d'éviter des handicaps dus aux séquelles neurologiques de la souffrance fétale en la détectant et en pratiquant la césarienne. Il s'agissait donc de diminuer l'incidence des handicaps à la naissance en améliorant la qualité des soins au moment de l'accouchement. Aucune ambition n'était affichée en ce qui concernait les handicaps consécutifs aux anomalies chromosomiques ou au déroulement de la grossesse.
L'évaluation des résultats du plan périnatalité a montré que, si l'objectif en terme de mortalité avait été atteint, le nombre de handicaps à la naissance n'avait pas baissé. Cela fut expliqué par les soins apportés à des nouveaux-nés qui n'auraient pas survécu dans une période antérieure. La réanimation néonatale faisait vivre un plus grand nombre d'enfants mais le nombre d'enfants handicapés était sensiblement constant. On assistait au recul de la limite de viabilité du fétus. Ce recul fut entériné par les modifications de la législation quant aux critères de viabilité du fétus en 1975 puis en 1993.

Les interruptions médicales de grossesse
  Dès 1975, une autre étape des relations entre périnatalité et handicap a été franchie. En effet, dès la première loi sur les interruptions de grossesse, des interruptions médicales de grossesse (IMG) ont été pratiquées tout au long de la grossesse pour deux raisons totalement différentes : soit pour assurer la survie de la mère dans des cas graves, soit en raison de malformation congénitale ou de maladie incurable. Le dépistage de la pathologie fétale reposaient essentiellement sur les antécédents familiaux, certains signes cliniques et l'échographie.

Le dépistage des anomalies congénitales
  Enfin depuis 1997, le dépistage des anomalies congénitales doit être proposé systématiquement aux parents. Certes les parents peuvent refuser ce dépistage mais il s'agit d'une décision des parents. Le caractère systématique participe à une impression que s'installe une politique publique d'eugénisme. De plus, cette proposition de dépistage vient dès le premier trimestre de la grossesse confronter assez brutalement les parents à leurs responsabilités vis-à-vis de l'embryon que la mère porte, avec, en cas de dépistage positif, le droit de "vie" ou de "mort" à prononcer à l'égard de l'embryon puis du fétus.

Ces trois étapes de la politique de "prévention" du handicap montrent un effort croissant de diminution du nombre d'enfants atteints par un handicap à la naissance. Cette évolution passe par l'anticipation de la connaissance d'éventuels handicaps (IMG, dépistage, etc). Cette politique a été possible sans que nous en ayons pleinement conscience. Durant la même période, on assistait ˆ un investissement croissant de la connaissance du fétus qui contribuait à lui conférer des attributs nouveaux.

Naissances biologiques, naissances sociales
Les évènements de la phase prénatale semblent être plus que la préhistoire de l'enfant puisqu'ils sont inscrits dans plusieurs documents médicaux et familiaux par l'écriture et l'image. Cet investissement du temps biologique de la grossesse et de l'accouchement en un temps social contribue probablement à assigner un regard d'une différence encore accrue entre les parents biologiques et les parents adoptifs, ou les beaux-parents, c'est-à-dire entre ceux qui partagent la mémoire familiale de la grossesse et ceux qui sont tentés de la reconstituer. Ces réflexions peuvent expliquer pour partie l'éclosion rapide du terme "parentalité" et la recrudescence des questions relatives au secret des origines. En effet, les familles offrent des visages plus variés qu'autrefois. Le biologique et le social ne s'y recouvrent pas nécessairement. Or tandis que les familles de notre société se diversifiaient, le biologique s'affirmait d'une autre manière au travers de cet investissement croissant de suivi de la grossesse, ayant des répercussions importantes sur ce que les représentations du fétus et la question des liens entre périnatalité et handicap.

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