La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Le sujet apprenant et communicationnel. L'individualisation aide-t-elle le sujet à se construire ?


Titre : Rôle de l'école - Apprentissage de la lecture, dyslexie
Auteurs : SEMERIA Nicole

Texte :

Proposition N° 41

ROLE DE L ' ECOLE , APPRENTISSAGE DE LA LECTURE ,

DYSLEXIE

J'ai été institutrice pendant 20 ans dans les niveaux concernés par l'apprentissage de la lecture (soit le cycle II), j'ai été ensuite psychologue scolaire pendant 10 ans. Je me suis toujours intéressée à cet apprentissage tellement essentiel.

Ayant fait un mémoire universitaire (DESS de Psychologie du développement) sur l'analyse d'un test intellectuel (le WISC) avec des concepts de psychologie cognitive puis grâce aux apports des recherches dans cet apprentissage, j'ai élaboré un outil d'évaluation des compétences de bases dans l'apprentissage de la lecture (L'ABCD de la lecture) et différents outils d'apprentissage et de remédiation (COUCOU, je suis là !).

Selon Colette Ouzilou (orthophoniste) : "la dyslexie" est "une vraie fausse épidémie". Celle-ci montre que ce sont les méthodes pédagogiques actuellement utilisées qui entraînent des difficultés dans l'apprentissage de la lecture de certains enfants : ceux qui sont issus de milieux socio-culturels défavorisés (chez eux l'écrit n'est ni un outil social, ni un support ludique), les enfants à risque de dyslexie (enfants intelligents, pouvant appartenir à de bons milieux socio-culturels), les enfants ayant des difficultés de développement (psychologiques et relationnelles, caractérielles, comportementales).

Pour Michel Habib (médecin-enseignant de neurologie et de neuro-psychologie), la dyslexie a une origine neurologique (une migration des cellules nerveuses de l'embryon qui se serait mal effectuée). Néanmoins, il écrit quand même, dans "Le cerveau singulier" que les modes d'enseignement influencent les capacités à apprendre à lire. Un enfant dyslexique peut apprendre à lire avec des bonnes méthodes alors qu'un enfant normal peut éprouver des difficultés avec des méthodes discutables...

Mon expérience d'enseignement dans les classes ordinaires mais aussi en classe de perfectionnement ou en soutien spécialisé en lecture, m'a démontré que très peu d'enfants n'arrivent pas à apprendre à lire lorsqu'on développe des techniques adaptées. Mais il faut proposer une vigilance active aux enseignants et aux parents pour que les problèmes soient analysés dès le cours préparatoire.

Les Ministères de l'Education Nationale et de la Santé (suite au rapport Ringard) ont mis en place un plan de dépistage des enfants à risque, en grande section de maternelle (1ère année du cycle 2). Les tests portent sur les capacités métaphonologiques de l'enfant. De sorte que ce sont les enfants particulièrement stimulés sur le plan langagier dans leur famille qui réussissent le mieux ces épreuves. Il est important de travailler ces capacités métaphonologiques avec les enfants ayant un niveau de langage insuffisant de même qu'il faut entraîner leur expression orale (Agnès Florin).

Mais même lorsque les compétences langagières nécessaires ne sont pas présentes l'enfant doit poursuivre sa scolarité à l'école élémentaire. En effet on sait que les compétences métaphonologiques se développent avec l'apprentissage explicite du code et c'est au CP que cet apprentissage commence. Le CP est un moment essentiel dans les processus mis en oeuvre dans l'apprentissage de la lecture.

Il faut donc observer l'enfant dès ses premières acquisitions sur le code. Dans la classe ou à la maison, il n'y a pas toujours de signal d'alerte (l'enfant mémorise bien les mots et les phrases globalement). Mais c'est parce qu'on n'observe pas expressément ce qui se passe au niveau du code. Ou bien on perçoit bien des difficultés mais on pense qu'il va se produire "le déclic".Il peut se passer de nombreuses semaines, parfois une année entière voire même le début du CE 1 pour commencer à s'alerter de la situation. Parfois on se résout à ce que l'enfant n'apprenne pas à lire dans l'année et on compte sur un maintien en Cours Préparatoire, pour effectuer cet apprentissage (les statistiques montrent que les doublements de CP ne permettent pas un bon apprentissage de la lecture).

Qu'est-ce qu'une vigilance active ? Il s'agit dès les premières semaines du CP d'observer la réussite de l'enfant dans différents processus de l'apprentissage de la lecture (nous allons définir ceux-ci plus loin). A partir de ces constats réguliers, il faut élaborer des remédiations dans le cadre de la classe même. Les conclusions des travaux des psychologues cognitivistes permettent de sortir d'habitudes pédagogiques qui proposent "toujours de le même chose" (Watzlawick, Bateson... école de thérapie de Palo Alto).

Quelles sont les compétences que l'enfant doit développer pendant les apprentissages fondamentaux en lecture ? Nous allons citer quelques théories des psychologues cognitivistes. U. Frith en 1985 donne une théorie qui est universellement admise. Il y a 3 stades dans l'apprentissage de la lecture :

logographique : l'enfant mémorise les mots comme des dessins (logos) sans analyser leur composition interne (lettres, syllabes) - prévalent en maternelle -

alphabétique : l'enfant effectue l'apprentissage systématique des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes et apprend à assembler ceux-ci pour oraliser des syllabes et ensuite les mots - travail relevant du cours préparatoire essentiellement -

- orthographique : après être devenu compétent dans la maîtrise du code, l'enfant s'imprègne de connaissances grammaticales qui lui permettent de gérer les lettres muettes dues aux règles du féminin et pluriel et de la conjugaison, et en même temps de comprendre le texte grâce à cette orthographe. Il enrichit régulièrement son lexique orthographique (orthographe d'usage) grâce à la rencontre avec de multiples mots dans ses lectures, exercices d'orthographe, vocabulaire, leçons de sciences, histoire, géographie, soit toutes les disciplines enseignées à l'école. La lecture orthographique tient compte de tous ces apports culturels, elle distingue le sens d'homophones par leur orthographe.. - se met en place dès le cours préparatoire puis tout au long de la scolarité -

D'autres théories proposent deux voies de lecture :

- adressage : les individus reconnaîtraient les mots sans s'appuyer sur le code

- assemblage : il faut passer par la reconnaissance des graphonèmes et par la correspondance sonore de l'association de plusieurs graphèmes, soit la syllabe, avant d'accéder à la lecture des mots.

Alain Bentolila a écrit de très beaux textes sur l'importance pour tout sujet d'accéder à ces savoirs libérateurs que constituent une bonne maîtrise du langage oral et de la lecture (De l'illettrisme en général et de l'école en particulier - 1996), et aussi

de la nécessité de recourir au "déchiffrage" (Introduction du rapport de l'Observatoire National de la Lecture créé par le Ministère de l'Education Nationale : APPRENDRE A LIRE (1998) ).

Les conclusions des recherches (Gombert, Fayol, Moraïs, Perfetti, Casalis, Valdois, Lecocq...) qui ont éclairé l'ONL, réhabilitent l'apprentissage de la synthèse des éléments insignifiants et distincts que sont les graphèmes qu'il faut exprimer oralement en phonèmes et que l'on associe ensuite entre eux pour constituer les syllabes et enfin les mots.

Un bon apprentissage de la lecture doit donc passer par ces compétences-là. Elles sont très faciles à évaluer si on accepte de les tester simplement, selon les différents paramètres à couvrir. Le test que j'ai créé : "L'ABCD de la lecture" permet de faire cette évaluation formative. Des stagiaires en psychologie de l'Université de Nantes et d'Angers, et moi, nous effectuons des passations du test afin de l'étalonner et d'en mesurer l'intérêt et l'usage que l'on peut faire de ses résultats.

Un programme de remédiation est donc établi à partir des résultats de notre évaluation des compétences de base en lecture. Il s'appuie sur des conclusions de psychologues cognitivistes non spécialisés dans l'apprentissage de la lecture. Je vais en citer quelques uns de façon indifférenciée : J.F. Richard, C. Bonnet, R. Ghiglione, M.Denis, M. Reuchlin, J. Lautrey, M. Huteau, etc...).
Les concepts porteurs que j'ai dégagés sont : pareil-différent, discrimination, représentation, automatisation, identification, indexation, organisation. Voyons ce qu'ils recouvrent et le rôle qu'ils peuvent jouer dans les apprentissages.

pareil-différent : dès son plus jeune âge, le bébé a la capacité de reconnaître des sensations pareilles : l'odeur de sa mère, la voix de son père, des visages... Mais dans le même temps il perçoit le différent : pas le même goût, pas la même intonation... Nos actions, nos sensations, nos réflexions, sont conditionnées par cette connaissance du pareil et du différent (analogies, mémoire, concepts).
* dans l'apprentissage de la lecture, le pareil c'est la constance des correspondances graphie-phonie, la ressemblance entre différentes graphies d'une même lettre ( a A a ), la reconnaissance d'un même phonème; et le différent c'est la distinction entre deux graphies proches (a d / d b / é è ) ou deux phonies proches ( c g / f v / t d ).

- discrimination : c'est la capacité à trouver toutes les différences possibles, à séparer, à extraire.
* l'enfant doit percevoir toutes les lettres à la lecture (voir) ou à l'écriture (entendre), ou toutes les syllabes, ou tous les mots... en somme toute l'information graphique ou sémantique. C'est une faculté d'attention qui permet de faire les différenciations proposées ci-dessus. représentation : c'est ce qui reste dans le champ mental après une perception ou une reconstruction à partir de perceptions anciennes. Importance de l'image mentale reposant sur le visuel et du prototype qui est l'élément le plus représentatif (souvent par le biais de l'affectivité) d'un groupe.
* On doit permettre à l'enfant de se donner des images mentales à partir des perceptions qu'on lui soumet. On doit l'aider en lui fournissant des dessins (en recherchant le pictogramme le plus prototypique possible pour chaque graphème) qui lui permettront de mémoriser les correspondances graphie-phonie, des supports à manipuler (étiquettes mobiles contenant les graphèmes) pour apprendre à oraliser l'association des graphèmes pour constituer des syllabes permettant ensuite de prononcer. Ensuite il faudra permettre à l'enfant de se représenter, c'est à dire accéder au sens de ces mots, en les situant par rapport à leur propre expérience.

- automatisation : c'est le résultat d'un travail de mémorisation sur des éléments constants qui permet de réduire considérablement la charge mentale déployée pour décoder les syllabes et les mots.

* l'enfant doit pouvoir accélérer le processus de décodage par un travail régulier et systématique sur les associations de graphèmes grâce à des tableaux de syllabes qu'il ne doit pas apprendre par coeur mais apprendre à décoder de plus en plus instantanément. Il va également automatiser la reconnaissance des morphèmes grammaticaux (règles d'accord et de conjugaison) et des mots d'orthographe d'usage.

-identification : expression en langage verbal d'une information captée par les sens ou issue d'un raisonnement.

* c'est déjà de pouvoir nommer la lettre ou dire la correspondance graphie- phonie, décrire le dessin qui représente le graphème. C'est ensuite de pouvoir oraliser un groupe de graphèmes et de savoir s'il a une signification ( pré en a mais pas pru ) et savoir dire un mot de plusieurs syllabes, et ce en interaction avec la capacité de représentation.

-indexation : capacité à retrouver une information stockée en mémoire.

* Comme on l'a déjà noté l'image visuelle est un support efficace pour mémoriser et elle permet de guider plus facilement le travail mental pour retrouver l'information. D'où l'idée de représenter chaque graphème par un dessin qui associe le signe écrit au son émis.

-organisation : mise en relation de différents éléments - temporels (chronologie), spatiaux (successivité, pivotements, retournements), - verbaux (syntaxe), etc...

* Ce concept correspond aux défauts d'organisation spatiale de certains élèves : inversion de l'ordre des lettres ( bar bra ), erreur de sens des lettres et des chiffres ( d b / é è ), mauvaise syntaxe... Il faut placer des repères spatiaux à connotation affective sur les plans de travail des enfants et leur donner des supports concrets à manipuler (étiquettes graphèmes mobiles).

La plupart de ces concepts se recoupent, mais le fait de les différencier permet de travailler plus précisément un processus qui le nécessite. Les activités proposées aux enfants par leurs enseignants correspondront strictement aux besoins signalés par l'observation précise de ces différents processus. Il existe des outils permettant aux enseignants de travailler ou des concepts qui peuvent les guider dans leurs démarches.

     On ne peut faire le diagnostic de dyslexie au cours préparatoire, car selon la définition même de la dyslexie, elle s'exprime par un retard en lecture de 18 mois. Mais on aura des élèves en difficulté dans l'apprentissage de la lecture. Cela permettra aux enfants en difficultés globales comme aux enfants à risque de dyslexie de faire des acquisitions qui pourront se prolonger en CE1.Pour tous ceux-ci l'évaluation formative suivie d'un programme de remédiation adapté aux difficultés de chacun, sera la meilleure tâche de prévention de difficultés aggravées plus tard.

A Angrie, le 24 Mai 2002 Nicole Séméria


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