La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : Au "lycée des métiers", métier d'élève et/ou de candidat au Bac
Auteurs : Marie-Claire DAUVISIS, ENFA, U.P.Professionnalité des enseignants du Ministère de l'Agriculture Nathalie DROYER et Gerard FROSSARD, ENESAD

Texte :
Le lycée agricole : un « lycée des métiers »
Proposant dans un même établissement des formations professionnelles, technologiques et générales scientifiques et regroupant divers types publics ; scolaires, apprentis et adultes, les lycées agricoles constituent depuis fort longtemps de véritables lycées des métiers. A la suite à l'injonction politique de mener 80 % d'une classe d'âge au niveau du Baccalauréat, diplôme emblématique du système éducatif français, la Loi sur l'éducation de 1989 (J.O. du 14 Juillet 1989), a proposé de diversifier les orientations de ce diplômeau travers de trois voies de formation : générale, technologique et professionnelle ; le Ministère de l'Agriculture, cosignataire de la Loi , propose toute la palette de ces voies d'accès au Baccalauréat.
Les textes réglementaires et les dispositifs de formation traduisent des orientations politiques, mais leur mise en œuvre reste à l'initiative des praticiens, dans un contexte social et culturel, marqué par des habitudes, de normes et de valeurs. Les pratiques d'évaluation, notamment certificative, sont en cela particulièrement révélatrices et les élèves ne s'y trompent pas, élaborant ainsi leur métier d'élève qui, en Terminale de Bacalauréat pourrait se transformer en métier de candidat, selon les choix de leurs enseignants .
La recherche se centre sur une analyse éclairée de pratiques dans quelques établissements de deux Régions qui présentent une diversité de filières de Bac ; elle intègre, dans chaque filière concernée, une analyse des documents présentant les évaluations réalisées durant la formation, des entretiens individuels d'enseignants et un questionnaire collectif auprès des élèves dans les filières S et Bac Techno et Pro de production agricole (Bac techno STAE :  TA et TV, et Bac Pro CGEA : PA et PV). Les domaines d'enseignement explorés correspondent à la fois à l'enseignement technique ou professionnel (agronomie) et l'enseignement général, avec une discipline originale (Education socio-culturelle) et des disciplines scolaires traditionnelles (français, mathématiques, biologie).

Une recherche sur l'évaluation en terminale Bac
    Nos premières analyses, se sont principalement fondées sur l'exploitation des questionnaires enseignants, nous choisissons de présenter ici les résultats en partant du point de vue des élèves, tout en le confrontant aux informations recueillies auprès des autres acteurs. Une analyse des diverses caractéristiques scolaires et socio professionnelles montre que, outre une répartition majoritaire de garcons et un nombre plus important de redoublants, la population des élèves des classses de l'échantillon peut être considérée comme représentative au plan national de l'ensemble des élèves des différentes filères retenues pour l'étude.  
Les enseignants, notamment des filières Scientifiques et Technologiques ne paraissaient pas faire de différence entre les évaluations importantes pour l'apprentissage et celles qui l'étaient pour le diplôme, incitant ainsi, dans ces classes de Terminale, à s'interroger sur la confusion possible, et ainsi entretenue, entre «métier d'élève» et «métier de candidat» et à reprendre de façon évidente l'éternelle question du sens principal de l'école «apprendre ou réussir?»

Le contexte du « métier»
Un effet établissement pour la politique d'évaluation
Parmi les cinq établissements qui constituent notre échantillon des différences notables sont perceptibles concernant la politique d'évaluation. Il semble ainsi possible de repérer une culture d'évaluation propre à chaque établissement, qui constitue une donnée identifiable pour définir le contexte du métier d'élève.
1.    Un des établissements affiche des choix politiques en matière d'évaluation qui se traduisent dans l'organisation des emplois du temps et dans les rythmes imposés aux D.S ou autres contrôles et épreuves à caractère certificatif
      2.    Dans un autre, la politique d'évaluation se centre sur l'insertion et le suivi des élèves, on peut en percevoir les effets dans une certaine incitation à l'organisation des contrôles, mais les filières restent autonomes et même au sein de chaque filière chaque enseignant s'organise de manière individuelle sans que les élèves soient consultés.
3.    Dans un autre, ancien LPA, aucune politique d'évaluation n'est affichée, mais des pratiques de débats internes entre enseignants et une pratique de la régulation et d'aide aux élèves sont traditionnelles dans la culture de l'établissement, très soucieux de l'adaptation professionnelle des formations. -
4.    Dans un autre, si les déclarations du chef d'établissement en matière de politique d'évaluation apparaissent en termes d'organisation, elles semblent rester sans effet sur la concertation d'équipes, et sur les pratiques pédagogiques.
5.     Dans un autre enfin, les habitudes individuelles servent de politique dans la mesure où, selon le chef d'établissement, les résultats aux examens sont estimés très satisfaisants
      Selon les chefs d'établissements, les débats concernant l'évaluation sont rares, voire inexistants dans les filières bac, et lorsqu'ils s'établissent, c'est entre collègues d'une même discipline ce qui vient confirmer le poids des coutumes didactiques dans l'approche et les pratiques d'évaluation.

Quelle politique d'évaluation dans la filière ?
    Les analyses de réponses des enseignants confirment les déclarations des coordinateurs de manlere évidente, la filière ne représente pas une identité facile à identifier, ni un niveau d'analyse pertinent, en matière de politique et de pratiques coordonnées d'évaluation pour les enseignants qui y interviennent.
Le cadrage et la planification des épreuves à fonction certificative se présentent comme des figures imposées : on n'en discute plus et il faut s'y soumettre. La consultation des élèves en matière d'évaluation, ou au moins de planification de celle-ci, n'est pas coutumière : «ils n'ont qu'à s'organiser», déclarent, par exemple, plusieurs coordinateurs; cependant lorsque la pression est trop forte, on apprend que chaque enseignant tente de s'arranger au cas par cas et peut éventuellement déplacer les dates de certaines évaluations, mais, quand elle existe, la négociation ne porte que sur ce seul aspect de l'évaluation. Ce point de vue des coordinateurs permet de mieux comprendre les revendications des élèves qui, majoritairement, souhaiteraient que leur avis soit sollicité et pris en compte, au moins pour la planification des évaluations.

Un effet majeur : l'effet-enseignant
Dans la plupart des établissements ou des filières de notre échantillon, la tendance générale est qu'un enseignant d'une discipline donnée suit la promotion depuis la classe de Première. Selon les élèves, cette stabilité de l'équipe se traduit généralement dans les pratiques d'évaluation, soulignant ainsi l'importance de l'effet enseignant .
Quelques raisons sont invoquées par les élèves pour justifier les constats d'évolution de pratiques entre la Première et la Terminale  progression pédagogique, cadrage institutionnel, choix pédagogiques de l'enseignant, enfin, ambiance de la classe.

Le poids des coutumes didactiques sur les pratiques d'évaluation
Un effet enseignant peut étre identifié au travers des constats de changements provoqués par un changement d'enseignant, mais il n'est pas toujours facilement dissociable d'un effet discipline chaque discipline a ses coutumes didactiques cri matière d'évaluation (Dauvisis, 2001) et les élèves les perçoivent aisément et, pas plus que les enseignants, ils ne les remettent en cause tant elles apparaissent naturellement associées à chaque discipline. Interrogés sur les modalités d'évaluation rares ou absentes dans les cinq disciplines retenues pour l'étude, les élèves manifestent particulièrement ces diverses coutumes didactiques. 

Quelques exemples peuvent être évoqués
  • en Mathématiques, les travaux de groupes, les interrogations surprises et les travaux facultatifs sont rares, voire exceptionnels;
  •       en ESC, pas de travaux facultatifs ni de QCM et très peu de petites interrogations écrites ou orales, de DM, d'interrogations surprises, d'épreuves blanches-ce qui s'explique par l'absence d'épreuve terminale, mais aussi, ce qui est plus surprenant, d'évaluations interdisciplinaires;
  •       en Français, toutes les formes d'évaluation semblent possibles, mais projets, travaux de groupe, travaux pratiques, travaux facultatifs, interrogations surprises, QCM et interdisciplinarité n'apparaissent que très rarement ;
  •       en Biologie, pas de travaux facultatifs et exposés oraux, interrogations surprises, QCM et travaux interdisciplinaires sont l'exception;
    en Agronomie, aucune interrogation surprise et de très rares évaluations pratiques, travaux de groupe, travaux facultatifs, QCM et travaux interdisciplinaires.
  •       
        Seuls les D.S.et les contrôles écrits sont des pratiques unanimement développées dans toutes les disciplines, ainsi que, dans les disciplines autres que 1'ESC, les petites interrogations écrites ou orales et les épreuves blanches, C'est dans les filières technologiques que se remarque la plus grande variété de modalités d'évaluation. En filière S, l'usage des QCM est le plus développé ; de fait, , la définition du cadrage et des épreuves se révèle particulièrement déterminant pour l'organisation des évaluations interdisciplinaires.

    Quelques attentes des élèves vis -à-vis de l'évaluation
    Les analyses précédentes montrent combien l'évaluation se situe, comme toute pratique sociale, dans un ensemble de contraintes et de normes qui la conditionnent et qu'elle contribue à stabiliser; le poids des déterminants du diplôme sont, à cet égard, pai-ticulièrement prégnants pour renforcer les pratiques certificatives les plus traditionnelles, notamment dans les disciplines générales à longue tradition scolaire ou dans celles qui sont dotées d'un fort coefficient dans le diplôme. L'effet d'un tel contexte ne saurait être ignoré pour situer les attentes des élèves et prendre encompte leurs aspirations.

    Appréciation des élèves sur les pratiques d'évaluation
    Selon les voies de formation et les champs disciplinaires, l'appréciation des groupes d'élèves se nuance, montrant le taux plus élevé de satisfaction pour les classes de S

    BacS Bac Techno BacPro
    Satisfaits Non satisfaits Avis différenciés Non Réponse Total
    BacS 9 2 1 12
    Bac Techno 15 5 3 2 25
    BacPro 6 3 1 10

    Les justifications de réponse, en explicitant les critères d'appréciation évoqués par les élèves, soulignent les valeurs particulièrement mises en exergue :
  • en Mathématiques particulièrement, mais aussi pour toutes le disciplines à l'exception de la Biologie, c'est l'équité et la transparence des décisions qui est la première qualité évoquée (8 fois), et ce critère n'est qu'une fois évoqué pour son insuffisance;
  •       le deuxième critère utilisé par les élèves pour apprécier ou non les évaluations qui leur sont proposées correspond à la planification et l'organisation de ces travaux. L'appréciation de l'organisation provoque des appréciations diverses: sur les 5 citations: 2 avis positifs, 2 négatifs et 1 non unanime; par, ailleurs, 4 des 5 évocations proviennent d'un même établissement ;
  •       la pertinence des épreuves, c'est-à-dire leur adaptation à l'apprentissage et au niveau, apparaît comme une critique négative qui ne concerne que la Biologie et l'Agronomie 4 citations, dont 3 en Bac Techno, notamment en Biologie dans deux classes d'un établissement pour lequel la même critique est portée également en Agronomie en filière S;
  •       enfin, les élèves manifestent le désir que l'évaluation serve à voir reconnaître et valoriser leur travail : part égale cette qualité est appréciée positivement (une fois en math en Bac Techno et une fois en Biologie en S) ou énoncée comme revendication légitime (une fois en ESC en Bac pro et une fois en math en Bac techno), c'est encore de l'établissement qui se remarquait pour l'appréciation de la planification que proviennent 3/4 des évocations de ce critère.
  •       Dans l'appréciation des élèves peuvent se repérer de manière évidente les divers effets de contexte soulignés plus haut : effet établissement, par exemple, l'établissement qui se différencie sur plusieurs des réponses est celui qui affiche et met on oeuvre une véritable politique d'évaluation ; effet filière avec des différences de publics, d'ambiance et de pratiques ; enfin, effet enseignant/discipline, quand au sein d'un établissement ou d'une filière un enseignant ou une discipline font l'objet d'appréciations particulières.

    Les discussions permises ou souhaitées autour de l'évaluation
    Aux dires de la majorité des élèves les discussions autour de l'évaluation ne sont pas coutumières en Terminale de Bac. Cependant, là encore, se révèle un effet établissement indéniable.
    Quelques observations méritent d'être soulignées
  • ainsi, dans l'établissement qui afliche une politique d'évaluation et la traduit en organisation, les discussions existent
  •     dans celui qui se satisfait de ses résultats et des habitudes, les élèves sont passivement soumis. Cet établissement est le seul oû, quelle que soit la filière, les avis des élèves sont unanimes pour déplorer ce fait et ne dépendent pas du domaine disciplinaire.
    dans l'établissement qui incite à une certaine planification des contrôles, tout en laissant chaque enseignant s'en saisir, les élèves, qui identifient la marge de liberté dont bénéficient leurs enseignants, déplorent en contre partie que ces choix de planification ne tiennent pas compte de leurs avis.
  •     Les filières se distinguent selon les intérêts prioritairement mis en évidence dans les objets de discussion on S on discute des résultats, des barèmes et des modalités, en Bac techno la planification des épreuves, en filière professionnelle aucun souhait particulier n'est exprimé et les élèves semblent subir sans contestation.
    L'effet enseignant apparaît également lorsqu'on repère qu'un enseignant, intervenant dans deux filières, se distingue de ses collègues par son écoute des souhaits des élèves.

    Une référence implicite forte aux habitudes scolaires d'évaluation
    Une question proposait aux groupes d'élèves d'estimer si les pratiques d'évaluation mises en oeuvre dans leur classe leur paraissaient adaptées à d'autres voies de baccalauréat. Aucune conviction forte ne s'exprime : à l'exception de l'Agronomie où un effet «orientation du diplôme» peut être repéré, le seul facteur apparent de distinction est l'appréciation d'une «différence de niveau» entre les trois voies de Bac, confirmant les hiérarchies sociales bien ancrées entre les divers Baccalauréats. On constate également, notamment dans un établissement qui propose une filière S et des filières Techno, que l'absence de CCF en Bac S induit des réponses fortement liées à cette différence de structure du diplôme. Enfin, dans l'établissement où un cadrage strict de l'évaluation est imposé à toutes les filières, les élèves des classes des trois voies de Bac s'accordent à déclarer -comme leur proviseur- qu'il n'y a pas de différence entre ces diverses filières dans les pratiques d'évaluation.


    Au travers de l'analyse de ces réponses, relativement peu argumentées, il apparaît combien la fonction certificative, dans ses modalités les plus traditionnelles et systématiquement notées D.S., épreuves blanches et contrôles, constitue la référence implicite forte dans l'évocation des pratiques d'évaluation dans les diverses classes de Terminales Bac. Cette fonction qui perdure au travers de tous les parcours scolaires conduisant aux Baccalauréat et crée un véritable habiîtus, renforce son poids en Terminale dans la mesure où elle se calque sur les épreuves du diplôme. Tant du point de vue des enseignants que de celui des élèves, parler d'évaluation se réduit souvent à ne parler que de certification et de préparation au diplôme » En conséquence, le « métier d'élève» en Terminale de Bac se transforme de fait en «métier de candidat », dans la mesure où, quelle que soit la voie d'accès au Bac, les seules pratiques d'évaluation évoquées se focalisent sur les références construites par les épreuves du diplôme ou par la longue tradition scolaire d'évaluation certificative.

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