La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Nouvelles compétences et nouveaux apprentissages ? dont le sous-groupe 'philo'


Titre : Pratiques de travail étudiant et réussite en première année de DEUG
Auteurs : BOYER Régine / CORIDIAN Charles

Texte :
Depuis l'entrée en vigueur en 1998 de la dernière réforme du Deug, la réforme " Bayrou ", les étudiants inscrits en première année d'université bénéficient de dispositifs d'accompagnement destinés à faciliter leur acculturation aux études universitaires. Les enseignements de méthodologie du travail universitaire et le tutorat, en particulier, ont ainsi vocation à aider les nouveaux bacheliers à mieux appréhender les exigences du travail requis par les études universitaires. C'est en effet pour tenter de répondre aux problèmes d'intégration à l'université, aux difficultés que de nombreux nouveaux inscrits rencontrent dans l'apprentissage du métier d'étudiant que ces dispositifs ont été mis en œuvre, alors que par ailleurs le contenu et la finalité des études, d'une part, et les modalités d'enseignement, d'autre part, n'ont pas été véritablement modifiés. De ce fait la transition du lycée à l'université reste délicate pour une bonne partie des bacheliers, en premier lieu ceux qui sortent des filières technologiques du secondaire. En témoignent aussi bien la persistance de taux élevés d'abandons et de réorientations en fin de première année que le temps mis par la majorité des étudiants pour décrocher le Deug. En effet la durée moyenne d'obtention est aujourd'hui de 2,6 ans (DPD, 2001) et seulement 45,5% des étudiants arrivent à obtenir leur Deug en 2 ans, avec des écarts très importants selon le baccalauréat d'origine : près de 50% parmi les bacheliers scientifiques et à peine plus de 17% parmi les bacheliers technologiques. De fait, pour les étudiants débutants, l'entrée dans les études universitaires présente de nombreuses difficultés car il s'agit pour chacun de réussir son affiliation non seulement au monde universitaire en général mais aussi à une culture disciplinaire propre à la filière d'études suivie. Si l'apprentissage réussi du métier d'étudiant requiert la capacité d'appréhender et de mettre en oeuvre de nouvelles normes et formes de travail, nous faisons l'hypothèse que certaines d'entre elles sont transversales aux différentes filières alors que d'autres sont en fait spécifiquement disciplinaires.
Pour l'étayer nous nous appuierons sur des résultats d'enquêtes récentes par questionnaire et entretiens que nous avons menées auprès d'étudiants en première année de Deug en Droit, Histoire et Sciences, dans plusieurs universités. Le questionnement portait de manière détaillée sur les pratiques des étudiants relatives aux enseignements dispensés (assiduité et modalités de participation aux cours magistraux et aux TD) ainsi que sur leur façon de conduire leur travail personnel (types d'activités mises en œuvre, intensité et régularité du travail). Les données recueillies ont été mises en relation avec les résultats aux examens de fin de première année.

De nécessaires dispositions : assiduité et régularité

Selon nos résultats, pour les débutants assister régulièrement aux cours et TD inscrits à l'emploi du temps, parait constituer une base minimale d'engagement dans le travail universitaire. C'est aussi une condition déterminante de la réussite en fin d'année. Si l'assiduité aux enseignements ne suffit pas à garantit pas le succès, il paraît quasiment exclu de pouvoir réussir sans être très assidu. Il en va de même de la régularité du travail personnel qui doit être elle aussi la plus constante. Dans note enquête, quelle que soit la filière, pratiquement neuf étudiants sur dix qui réussissent à valider tous leurs modules en fin de première année déclaraient être très assidus en cours et travailler très régulièrement.
Arriver à faire preuve de dispositions nécessaires à un certain ascétisme studieux témoigne ainsi d'une capacité à se donner à soi-même des règles de conduite de son travail que l'université laisse en grande partie à l'appréciation de chacun. Au-delà il convient que chaque étudiant s'investisse dans des activités studieuses pertinentes par rapport aux modalités d'apprentissage et d'évaluation qui prédominent dans la discipline dans laquelle il est inscrit. Pour devenir étudiant il faut arriver à déterminer tout autant le type que la quantité de travail intellectuel à fournir.
La comparaison des pratiques d'études, dans trois disciplines, permet de montrer comment une partie des étudiants identifient dès la première année, ce qu'il est utile de mettre en œuvre, selon la filière, pour réussir.


Quelles pratiques disciplinaires pour réussir ?

Que peut-on constater, en premier lieu, lorsque l'on établit une sorte de palmarès des pratiques de travail des étudiants selon les filières ? Le tableau, ci-dessous, récapitulatif des activités les plus pratiquées en Droit, Histoire et Sciences montre, tout d'abord, des hiérarchies disciplinaires relativement contrastées.
Globalement, on observe que les étudiants de Droit privilégient un investissement de travail dans des activités qui se concentrent sur l'étude des cours et la préparation des TD, les deux modalités de travail paraissant relativement articulées entre elles. Ce qui n'est pas tout à fait le cas pour les étudiants d'Histoire, assez nombreux eux aussi à préparer les TD, mais qui se singularisent surtout par un investissement important dans des activités complétant les cours : lectures personnelles prolongées par la réalisation de résumés. Les étudiants de Sciences sont nettement moins investis dans la préparation des TD mais se consacrent plus intensément au travail réalisé pendant les séances de TD, que beaucoup vont ré-effectuer ensuite.

Tableau 1. Proportion d'étudiants de 1ère année effectuant différentes activités de travail (en %)

  DROIT HISTOIRE SCIENCES
Très régulièrement travailler les cours avant les TD 53,7 24,4 14,9
Relire ses notes de cours au moins 6 h/semaine 80,6 37,7 50
Très régulièrement préparer les TD 67,4 51,1 22,1
Très régulièrement chercher les réponses en TD 48,4 34,8 54,7
Régulièrement refaire les travaux réalisés en TD 40 34,8 61,2
Régulièrement faire des exercices similaires à ceux des TD 10,1 35,6 48,5
Régulièrement compléter sesnotes de cours par des lectures 51,5 68,8 21,1
Régulièrement fairedes résumés de lectures 48 71,1 46,4

Quelle est alors la pertinence de ces choix effectués par les étudiants débutants des différentes disciplines ? Ces diverses manières d'orienter son engagement dans le travail personnel ont-elles un impact sur la réussite en première année de Deug ?

En Droit, apprendre les cours et préparer les TD

En première année de Droit, l'apprentissage régulier des connaissances dispensées en cours magistraux et la préparation des TD mobilisent une très large partie des étudiants. Ils sont en effet beaucoup plus nombreux que dans les autres filières à consacrer un temps important à un travail sur leurs notes de cours : plus de 8 sur 10, par exemple, consacrent au moins 6 heures hebdomadaires à la relecture de leurs notes de cours. L'objectif déclaré est souvent de mémoriser au mieux les connaissances reçues en cours et , très souvent, en les apprenant en fait par cœur.
Les étudiants de Droit s'investissent par ailleurs beaucoup dans la préparation des TD. Plus de deux tiers d'entre eux déclarent préparer " très régulièrement " leurs TD, ce qui leur permet d'accroître significativement leurs chances de réussite : 36,4% de ceux qui préparaient " très régulièrement " les TD, valident tous leurs modules dès la session de juin alors qu'il n'y en a que 20% parmi ceux qui ne les préparaient que " régulièrement ". Les étudiants irréguliers dans cette activité réduisent pratiquement à néant leurs chances de réussite en première année.
Mais on remarque aussi, en Droit, que cette préparation des TD paraît s'appuyer fortement sur les cours : 53,7% des étudiants déclarent étudier " très régulièrement " les cours avant les TD, une proportion beaucoup plus élevée qu'en Histoire ou en Sciences. Cela paraît se justifier par une forme spécifique d'articulation entre les enseignements magistraux et les TD. Un exercice typique des études juridiques, réalisé en TD, le commentaire d'arrêt, laisse par exemple peu de place à l'improvisation et réclame une connaissance de la doctrine exposée dans les cours magistraux. La comparaison des résultats obtenus aux examens permet de montrer la pertinence, en première année de Droit, d'une pratique très régulière d'étude des cours avant les TD: 45,8% de ceux qui travaillent très régulièrement les cours avant les TD arrivent à valider tous leurs modules à la session de juin alors qu'il n'y en a que 11,7% parmi ceux qui déclarent simplement une pratique régulière. Les irréguliers se mettent là encore en situation très défavorable pour réussir.

En Histoire, compléter les cours

Si globalement, les pratiques de travail des apprentis historiens les rapprochent davantage des juristes que des scientifiques, dans leur cas ce qui apparaît le plus significatif c'est leur investissement important dans des activités de travail que l'on peut qualifier de plus autonomes. En effet, environ 7 sur 10 des étudiants d'Histoire interrogés déclarent compléter régulièrement leurs notes de cours par des lectures personnelles, des lectures que beaucoup prolongent par un travail spécifique de réalisation de fiches de synthèse ou de résumés.
L'importance des lectures autonomes dans les Sciences sociales et humaines, comme complément indispensable des connaissances exposées dans les cours, paraît relativement bien perçu par une partie des étudiants d'Histoire. Ceux qui complètent ainsi régulièrement leurs cours accroissent leur probabilités de succès aux examens puisque 53,4% d'entre eux réussissent à valider tous leurs modules dès la session de juin, ce qui n'est le cas que de 16% des étudiants qui déclarent compléter leurs cours par des lectures autonomes de façon irrégulière.
Le prolongement de ces lectures par la réalisation de fiches ou de résumés n'est pas non plus sans incidence sur la réussite. Si ce type d'activité est en partie liée aux modalités d'évaluation en contrôle continu (exposé sur un ouvrage ou remise obligatoire d'une ou deux fiches de lecture en TD) on peut constater que les étudiants d'Histoire se répartissent en trois groupes, de poids à peu près égal, relativement à la régularité avec laquelle ils réalisent des résumés de lecture. En fait seuls les étudiants qui s'y livrent très régulièrement augmentent significativement leurs chances de réussite en fin de première année : 55% des étudiants qui déclarent avoir réalisé très régulièrement des fiches ou résumés de lecture réussissent à valider tous leurs modules en fin de première année, alors qu'il n'y en a qu'environ un tiers parmi ceux qui ne le faisaient que régulièrement ou irrégulièrement.
Comme en Droit, les pratiques spécifiques du travail en Histoire ne s'avèrent véritablement pertinentes que lorsqu'elles sont mises en œuvre avec une très grande régularité.


En Sciences, participer activement aux TD et ré-effectuer les exercices

Pour les scientifiques être très assidus en cours et en TD constitue comme dans les autres disciplines un préalable à la réussite. En revanche, la préparation des TD, qui joue un rôle très important en Droit et dans une moindre mesure en Histoire, n'est pas une activité qui mobilise beaucoup les étudiants de Sciences.
Mais s'ils s'investissent peu pour préparer leurs TD les étudiants de Sciences paraissent utiliser davantage le travail qui est réalisé pendant les séances d'enseignement en groupes restreints pour leurs apprentissages. En effet, c'est en Sciences que les étudiants sont les plus nombreux à déclarer participer activement aux séances de TD en cherchant régulièrement des réponses aux questions qui y sont posées, mais aussi en posant eux-mêmes des questions aux enseignants.
On constate, cependant, que si la grande majorité des scientifiques déclarent une participation active aux séances de TD, seulement un peu plus de la moitié s'y montrent très réguliers. Cette différence d'intensité de l'investissement de travail en TD n'est pas sans effet sur le niveau de réussite. En effet, parmi les étudiants qui recherchaient " très régulièrement " les réponses aux exercices proposés en TD, sept sur dix ont pu valider tous leurs modules dès la session de juin, alors que le même niveau de réussite n'est obtenu que par un peu plus de la moitié des étudiants qui déclarent simplement être réguliers. Pour la minorité qui ne s'implique qu'irrégulièrement dans le travail réalisé en TD les chances de réussite sont largement minorées.
Cette participation active aux séances de TD plus marquée chez les étudiants de Sciences est à mettre en relation avec un type de travail, beaucoup moins présent dans les deux autres filières, qui consiste à reprendre ce qui a été effectué pendant les séances dans le cadre de la conduite de son travail personnel. Cela, soit en refaisant seul les démonstrations réalisées préalablement sous la conduite d'un enseignant, soit en s'efforçant d'effectuer des exercices similaires. Deux tiers déclarent ré-effectuer régulièrement les démonstrations réalisées en TD et un peu moins de la moitié s'efforcent de s'entraîner de façon plus poussée en effectuant des exercices de même nature que ceux qui ont été travaillés en TD. Les étudiants qui ne s'entraînent qu'irrégulièrement à refaire les démonstrations ou à en chercher de nouvelles ont également un peu moins de chances de réussite.
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Devenir étudiant exige de la part de chaque bachelier de savoir mettre en œuvre de nouveaux types d'apprentissage. Certains sont transversaux aux filières que nous avons étudiées, d'autres sont spécifiques à telle ou telle. Ainsi dans les trois disciplines comparées, l'assiduité en cours et la très grande régularité des investissements de travail sont des facteurs essentiels de réussite. On constate, d'ailleurs, une certaine homogénéité du comportement des étudiants puisque que ceux qui se déclarent " très réguliers " dans telle ou telle pratique de travail le sont aussi, le plus souvent, sur bien d'autres. A l'inverse, l'irrégularité ne se limite généralement pas à un seul type d'activité studieuse. De ce point de vue les étudiants les plus performants paraissent bien être ceux qui sont en mesure de manifester des dispositions à cet ascétisme studieux dont les
Mais au-delà, les différences disciplinaires apparaissent fortes. Dans l'identification des enseignants ne cessent de souligner qu'il est un préalable à la transformation du lycéen en étudiant. tâches les plus rentables pour réussir au mieux son entrée dans les études universitaires, l'investissement des étudiants doit se porter en priorité sur des pratiques de travail particulières à chaque discipline. Cela confirme le fractionnement de l'enseignement supérieur universitaire et l'hétérogénéité de ses curricula. Un tel constat engage à aller plus avant dans l'investigation et la comparaison des habitus disciplinaires.


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