Depuis l'entrée en vigueur en 1998 de la dernière réforme
du Deug, la réforme " Bayrou ", les étudiants inscrits
en première année d'université bénéficient
de dispositifs d'accompagnement destinés à faciliter leur acculturation
aux études universitaires. Les enseignements de méthodologie du
travail universitaire et le tutorat, en particulier, ont ainsi vocation à
aider les nouveaux bacheliers à mieux appréhender les exigences
du travail requis par les études universitaires. C'est en effet pour
tenter de répondre aux problèmes d'intégration à
l'université, aux difficultés que de nombreux nouveaux inscrits
rencontrent dans l'apprentissage du métier d'étudiant que ces
dispositifs ont été mis en uvre, alors que par ailleurs
le contenu et la finalité des études, d'une part, et les modalités
d'enseignement, d'autre part, n'ont pas été véritablement
modifiés. De ce fait la transition du lycée à l'université
reste délicate pour une bonne partie des bacheliers, en premier lieu
ceux qui sortent des filières technologiques du secondaire. En témoignent
aussi bien la persistance de taux élevés d'abandons et de réorientations
en fin de première année que le temps mis par la majorité
des étudiants pour décrocher le Deug. En effet la durée
moyenne d'obtention est aujourd'hui de 2,6 ans (DPD, 2001) et seulement 45,5%
des étudiants arrivent à obtenir leur Deug en 2 ans, avec des
écarts très importants selon le baccalauréat d'origine
: près de 50% parmi les bacheliers scientifiques et à peine plus
de 17% parmi les bacheliers technologiques.
De fait, pour les étudiants débutants, l'entrée dans les
études universitaires présente de nombreuses difficultés
car il s'agit pour chacun de réussir son affiliation non seulement au
monde universitaire en général mais aussi à une culture
disciplinaire propre à la filière d'études suivie. Si l'apprentissage
réussi du métier d'étudiant requiert la capacité
d'appréhender et de mettre en oeuvre de nouvelles normes et formes de
travail, nous faisons l'hypothèse que certaines d'entre elles sont transversales
aux différentes filières alors que d'autres sont en fait spécifiquement
disciplinaires.
Pour l'étayer nous nous appuierons sur des résultats d'enquêtes
récentes par questionnaire et entretiens que nous avons menées
auprès d'étudiants en première année de Deug en
Droit, Histoire et Sciences, dans plusieurs universités. Le questionnement
portait de manière détaillée sur les pratiques des étudiants
relatives aux enseignements dispensés (assiduité et modalités
de participation aux cours magistraux et aux TD) ainsi que sur leur façon
de conduire leur travail personnel (types d'activités mises en uvre,
intensité et régularité du travail). Les données
recueillies ont été mises en relation avec les résultats
aux examens de fin de première année.
De nécessaires dispositions : assiduité et régularité
Selon nos résultats, pour les débutants assister régulièrement
aux cours et TD inscrits à l'emploi du temps, parait constituer une base
minimale d'engagement dans le travail universitaire. C'est aussi une condition
déterminante de la réussite en fin d'année. Si l'assiduité
aux enseignements ne suffit pas à garantit pas le succès, il paraît
quasiment exclu de pouvoir réussir sans être très assidu.
Il en va de même de la régularité du travail personnel qui
doit être elle aussi la plus constante. Dans note enquête, quelle
que soit la filière, pratiquement neuf étudiants sur dix qui réussissent
à valider tous leurs modules en fin de première année déclaraient
être très assidus en cours et travailler très régulièrement.
Arriver à faire preuve de dispositions nécessaires à un
certain ascétisme studieux témoigne ainsi d'une capacité
à se donner à soi-même des règles de conduite de
son travail que l'université laisse en grande partie à l'appréciation
de chacun. Au-delà il convient que chaque étudiant s'investisse
dans des activités studieuses pertinentes par rapport aux modalités
d'apprentissage et d'évaluation qui prédominent dans la discipline
dans laquelle il est inscrit. Pour devenir étudiant il faut arriver à
déterminer tout autant le type que la quantité de travail intellectuel
à fournir.
La comparaison des pratiques d'études, dans trois disciplines, permet
de montrer comment une partie des étudiants identifient dès la
première année, ce qu'il est utile de mettre en uvre, selon
la filière, pour réussir.
Quelles pratiques disciplinaires pour réussir ?
Que peut-on constater, en premier lieu, lorsque l'on établit une sorte
de palmarès des pratiques de travail des étudiants selon les filières
? Le tableau, ci-dessous, récapitulatif des activités les plus
pratiquées en Droit, Histoire et Sciences montre, tout d'abord, des hiérarchies
disciplinaires relativement contrastées.
Globalement, on observe que les étudiants de Droit privilégient
un investissement de travail dans des activités qui se concentrent sur
l'étude des cours et la préparation des TD, les deux modalités
de travail paraissant relativement articulées entre elles. Ce qui n'est
pas tout à fait le cas pour les étudiants d'Histoire, assez nombreux
eux aussi à préparer les TD, mais qui se singularisent surtout
par un investissement important dans des activités complétant
les cours : lectures personnelles prolongées par la réalisation
de résumés. Les étudiants de Sciences sont nettement moins
investis dans la préparation des TD mais se consacrent plus intensément
au travail réalisé pendant les séances de TD, que beaucoup
vont ré-effectuer ensuite.
Tableau 1. Proportion d'étudiants de 1ère année effectuant
différentes activités de travail (en %)
|
DROIT |
HISTOIRE |
SCIENCES |
Très régulièrement travailler les cours avant les
TD |
53,7 |
24,4 |
14,9 |
Relire ses notes de cours au moins 6 h/semaine |
80,6 |
37,7 |
50 |
Très régulièrement préparer les TD |
67,4 |
51,1 |
22,1 |
Très régulièrement chercher les réponses en
TD |
48,4 |
34,8 |
54,7 |
Régulièrement refaire les travaux réalisés
en TD |
40 |
34,8 |
61,2 |
Régulièrement faire des exercices similaires à ceux
des TD |
10,1 |
35,6 |
48,5 |
Régulièrement compléter sesnotes de cours par des
lectures |
51,5 |
68,8 |
21,1 |
Régulièrement fairedes résumés de lectures |
48 |
71,1 |
46,4 |
Quelle est alors la pertinence de ces choix effectués par les étudiants
débutants des différentes disciplines ? Ces diverses manières
d'orienter son engagement dans le travail personnel ont-elles un impact sur
la réussite en première année de Deug ?
En Droit, apprendre les cours et préparer les TD
En première année de Droit, l'apprentissage régulier
des connaissances dispensées en cours magistraux et la préparation
des TD mobilisent une très large partie des étudiants. Ils sont
en effet beaucoup plus nombreux que dans les autres filières à
consacrer un temps important à un travail sur leurs notes de cours :
plus de 8 sur 10, par exemple, consacrent au moins 6 heures hebdomadaires à
la relecture de leurs notes de cours. L'objectif déclaré est souvent
de mémoriser au mieux les connaissances reçues en cours et , très
souvent, en les apprenant en fait par cur.
Les étudiants de Droit s'investissent par ailleurs beaucoup dans la préparation
des TD. Plus de deux tiers d'entre eux déclarent préparer "
très régulièrement " leurs TD, ce qui leur permet
d'accroître significativement leurs chances de réussite : 36,4%
de ceux qui préparaient " très régulièrement
" les TD, valident tous leurs modules dès la session de juin alors
qu'il n'y en a que 20% parmi ceux qui ne les préparaient que " régulièrement
". Les étudiants irréguliers dans cette activité réduisent
pratiquement à néant leurs chances de réussite en première
année.
Mais on remarque aussi, en Droit, que cette préparation des TD paraît
s'appuyer fortement sur les cours : 53,7% des étudiants déclarent
étudier " très régulièrement " les cours
avant les TD, une proportion beaucoup plus élevée qu'en Histoire
ou en Sciences. Cela paraît se justifier par une forme spécifique
d'articulation entre les enseignements magistraux et les TD. Un exercice typique
des études juridiques, réalisé en TD, le commentaire d'arrêt,
laisse par exemple peu de place à l'improvisation et réclame une
connaissance de la doctrine exposée dans les cours magistraux. La comparaison
des résultats obtenus aux examens permet de montrer la pertinence, en
première année de Droit, d'une pratique très régulière
d'étude des cours avant les TD: 45,8% de ceux qui travaillent très
régulièrement les cours avant les TD arrivent à valider
tous leurs modules à la session de juin alors qu'il n'y en a que 11,7%
parmi ceux qui déclarent simplement une pratique régulière.
Les irréguliers se mettent là encore en situation très
défavorable pour réussir.
En Histoire, compléter les cours
Si globalement, les pratiques de travail des apprentis historiens les rapprochent
davantage des juristes que des scientifiques, dans leur cas ce qui apparaît
le plus significatif c'est leur investissement important dans des activités
de travail que l'on peut qualifier de plus autonomes. En effet, environ 7 sur
10 des étudiants d'Histoire interrogés déclarent compléter
régulièrement leurs notes de cours par des lectures personnelles,
des lectures que beaucoup prolongent par un travail spécifique de réalisation
de fiches de synthèse ou de résumés.
L'importance des lectures autonomes dans les Sciences sociales et humaines,
comme complément indispensable des connaissances exposées dans
les cours, paraît relativement bien perçu par une partie des étudiants
d'Histoire. Ceux qui complètent ainsi régulièrement leurs
cours accroissent leur probabilités de succès aux examens puisque
53,4% d'entre eux réussissent à valider tous leurs modules dès
la session de juin, ce qui n'est le cas que de 16% des étudiants qui
déclarent compléter leurs cours par des lectures autonomes de
façon irrégulière.
Le prolongement de ces lectures par la réalisation de fiches ou de résumés
n'est pas non plus sans incidence sur la réussite. Si ce type d'activité
est en partie liée aux modalités d'évaluation en contrôle
continu (exposé sur un ouvrage ou remise obligatoire d'une ou deux fiches
de lecture en TD) on peut constater que les étudiants d'Histoire se répartissent
en trois groupes, de poids à peu près égal, relativement
à la régularité avec laquelle ils réalisent des
résumés de lecture. En fait seuls les étudiants qui s'y
livrent très régulièrement augmentent significativement
leurs chances de réussite en fin de première année : 55%
des étudiants qui déclarent avoir réalisé très
régulièrement des fiches ou résumés de lecture réussissent
à valider tous leurs modules en fin de première année,
alors qu'il n'y en a qu'environ un tiers parmi ceux qui ne le faisaient que
régulièrement ou irrégulièrement.
Comme en Droit, les pratiques spécifiques du travail en Histoire ne s'avèrent
véritablement pertinentes que lorsqu'elles sont mises en uvre avec
une très grande régularité.
En Sciences, participer activement aux TD et ré-effectuer les exercices
Pour les scientifiques être très assidus en cours
et en TD constitue comme dans les autres disciplines un préalable à
la réussite. En revanche, la préparation des TD, qui joue un rôle
très important en Droit et dans une moindre mesure en Histoire, n'est
pas une activité qui mobilise beaucoup les étudiants de Sciences.
Mais s'ils s'investissent peu pour préparer leurs TD les étudiants
de Sciences paraissent utiliser davantage le travail qui est réalisé
pendant les séances d'enseignement en groupes restreints pour leurs apprentissages.
En effet, c'est en Sciences que les étudiants sont les plus nombreux
à déclarer participer activement aux séances de TD en cherchant
régulièrement des réponses aux questions qui y sont posées,
mais aussi en posant eux-mêmes des questions aux enseignants.
On constate, cependant, que si la grande majorité des scientifiques déclarent
une participation active aux séances de TD, seulement un peu plus de
la moitié s'y montrent très réguliers. Cette différence
d'intensité de l'investissement de travail en TD n'est pas sans effet
sur le niveau de réussite. En effet, parmi les étudiants qui recherchaient
" très régulièrement " les réponses aux
exercices proposés en TD, sept sur dix ont pu valider tous leurs modules
dès la session de juin, alors que le même niveau de réussite
n'est obtenu que par un peu plus de la moitié des étudiants qui
déclarent simplement être réguliers. Pour la minorité
qui ne s'implique qu'irrégulièrement dans le travail réalisé
en TD les chances de réussite sont largement minorées.
Cette participation active aux séances de TD plus marquée chez
les étudiants de Sciences est à mettre en relation avec un type
de travail, beaucoup moins présent dans les deux autres filières,
qui consiste à reprendre ce qui a été effectué pendant
les séances dans le cadre de la conduite de son travail personnel. Cela,
soit en refaisant seul les démonstrations réalisées préalablement
sous la conduite d'un enseignant, soit en s'efforçant d'effectuer des
exercices similaires. Deux tiers déclarent ré-effectuer régulièrement
les démonstrations réalisées en TD et un peu moins de la
moitié s'efforcent de s'entraîner de façon plus poussée
en effectuant des exercices de même nature que ceux qui ont été
travaillés en TD. Les étudiants qui ne s'entraînent qu'irrégulièrement
à refaire les démonstrations ou à en chercher de nouvelles
ont également un peu moins de chances de réussite.
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Devenir étudiant exige de la part de chaque bachelier de savoir mettre
en uvre de nouveaux types d'apprentissage. Certains sont transversaux
aux filières que nous avons étudiées, d'autres sont spécifiques
à telle ou telle. Ainsi dans les trois disciplines comparées,
l'assiduité en cours et la très grande régularité
des investissements de travail sont des facteurs essentiels de réussite.
On constate, d'ailleurs, une certaine homogénéité du comportement
des étudiants puisque que ceux qui se déclarent " très
réguliers " dans telle ou telle pratique de travail le sont aussi,
le plus souvent, sur bien d'autres. A l'inverse, l'irrégularité
ne se limite généralement pas à un seul type d'activité
studieuse. De ce point de vue les étudiants les plus performants paraissent
bien être ceux qui sont en mesure de manifester des dispositions à
cet ascétisme studieux dont les
Mais au-delà, les différences disciplinaires apparaissent fortes.
Dans l'identification des enseignants ne cessent de souligner qu'il est un préalable
à la transformation du lycéen en étudiant. tâches
les plus rentables pour réussir au mieux son entrée dans les études
universitaires, l'investissement des étudiants doit se porter en priorité
sur des pratiques de travail particulières à chaque discipline.
Cela confirme le fractionnement de l'enseignement supérieur universitaire
et l'hétérogénéité de ses curricula. Un tel
constat engage à aller plus avant dans l'investigation et la comparaison
des habitus disciplinaires.
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