La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : L'insertion objet de demande ou d'assignation ? Décrochage : comment raccrocher ?


Titre : Réussite à l'école et identités des élèves déficients visuels : contribution à l'étude de l'" identité scolaire "
Auteurs : ISSAIEVA-NAHRA Elisabeth, Laboratoire des Sciences de l'Education, Grenoble 2

Texte :

Problématique
Avec l'entrée à l'école commence une étape importante dans la construction identitaire de l'enfant. Dans un milieu élargi, à travers un ensemble de rapports nouveaux (à l'objet scolaire, à l'enseignant et aux pairs), l'élève construit des connaissances à la fois sur le monde extérieur et sur lui-même (Charlot, 1997). Aussi, il élabore des représentations de lui-même différenciées (Monteil, 1993). Avec l'extension des relations et l'émergence de nouvelles expériences (positives ou négatives), le sujet réajuste ses représentations et procède à leur reconstruction. Ainsi, se mettent en place son identité scolaire et d'autres identités sociales (en référence à des milieux, groupes d'appartenance, catégories). Mais, ce processus de construction de soi est lent et peut subir de multiples vicissitudes. L'apprentissage touche toute la personne de l'élève : un certain nombre de travaux ont montré que le fait de réussir ou échouer à l'école peut avoir un impact important sur la construction des images de soi (Compas, 1991 ; Perron, 1991 ; Harter, 1998). Les difficultés scolaires sont souvent liées à une image négative de soi, tandis que la réussite est plutôt associée à une image positive de soi. Pour Meyer (1987) ces variations peuvent diffuser sur la représentation que l'élève possède globalement de lui-même. Gilly et al. (1972) ont mis en évidence que les élèves réussissant bien à l'école se font d'eux-mêmes des images (propre et sociales) très unifiées, alors que les images de soi des élèves en difficultés scolaires sont plutôt diversifiées (en dysharmonie). Par ailleurs, d'autres études (Ravaud et Ville, 1985 ; Terrein, 1988) sur les représentations sociales des adultes handicapés physiques ont montré que les expériences antérieures (de réussite ou d'échec) affectent les images qu'ils se font d'eux-mêmes : la réussite familiale et professionnelle apparaît comme un facteur pour " surmonter le handicap ". En s'appuyant sur ces données, la recherche présentée tente de saisir quelques aspects de l'identité scolaire du sujet, lorsque celui-ci est l'élève déficient visuel. L'intérêt du travail se porte essentiellement sur des dimensions fondamentales de l'identité : image de soi scolaire, image propre et images sociales. Peu de travaux existent sur le développement personnel du sujet déficient visuel : ils ont principalement étudié le rôle des rapports familiaux pendant l'enfance (Fraiberg, 1978). Pour Harrisson-Covello et Lairy (1985), il n'existe pas de type de personnalité " aveugle " : les effets de la privation sensorielle sur le développement personnel sont difficilement définissables, car une multitude d'éléments entrent en jeu (pratiques éducatives, attitudes familiales, regard d'autrui). Néanmoins, nous pensons que le processus identitaire chez le sujet non-voyant peut avoir ses particularités. Sa quête d'identité ne passera pas par la recherche et l'affirmation de la différence, puisqu'elle existe déjà et l'exclut des autres : il revendiquera plutôt sa similitude en essayant de " combler le handicap " (Kastersztein, 1984). Cependant, l'ambition de cette recherche est plus modeste. Il ne s'agit pas de montrer de quelle manière et sous quelle influence le déficient visuel structure son identité et " surmonte son handicap " tout au long de sa vie, mais d'identifier le rôle de l'école dans sa construction identitaire. A cet effet plusieurs investigations ont été réalisées. L'objectif d'un premier travail a été de déterminer l'impact du degré de réussite scolaire sur l'image de soi scolaire, ainsi que sur d'autres représentations de soi. Deux études distinctes ont été menées grâce à deux techniques d'investigation qui nous ont permis d'appréhender diverses images de soi chez les sujets déficients visuels. D'une part, nous avons essayé de montrer comment diffèrent en fonction de la réussite scolaire six dimensions du " soi " (soi scolaire, soi physique, soi social, valeur personnelle, comportement, soi sportif) et leurs interrelations. D'autre part, (toujours en fonction de la réussite scolaire) nous avons tenté de mettre en évidence dans quelle mesure varient cinq profils d'images de soi (une image propre et quatre images sociales), ainsi que leurs rapports. La deuxième investigation s'est intéressée aux liens qui peuvent exister entre les représentations que les enseignants (de français et de mathématiques) ont des élèves et les différentes images que ces derniers se font d'eux-mêmes. Et une troisième recherche a étudié l'évolution temporelle de différents aspects de l'identité scolaire des élèves non-voyants.

Méthodologie
Sujets
L'échantillon de cette étude est issu d'une population d'élèves atteints de cécité ou d'amblyopie, scolarisés en institution spécialisée dans la région parisienne. Il faut préciser que l'apparition de leur handicap est de naissance ou acquise (avant six ans). Aussi, les élèves retenus ne présentent pas un autre trouble de type neurologique ou sensoriel, ont une fréquentation scolaire régulière. Les élèves sont âgés de dix à quinze ans et sont repartis sur quatre niveaux scolaires : cours moyen, sixième, cinquième et quatrième. Nous pensons que dans ces tranches d'âge et scolarisés déjà depuis quelques années, les enfants ont pu élaborer des représentations diverses d'eux-mêmes parmi lesquelles celles en tant qu'élève. Par rapport aux scores obtenus aux tests d'acquisitions scolaires en français et mathématiques (supérieurs ou inférieurs à la médiane) les sujets sont séparés de façon dichotomique dans deux groupes : ceux qui réussissent bien et ceux qui réussissent moins bien. Ainsi, tous âges et niveau scolaire confondus, l'échantillon comprend 50 élèves, 25 " bons " et 25 " moins performants ", dont 26 filles et 24 garçons.

Instruments
Pour saisir l'image de soi scolaire, le choix s'est porté sur le questionnaire SPP (Self Perception Profile for Children) mis au point par Harter (1982) et qui a fait l'objet d'une validation et adaptation francophone (Pierrehumbert et al. , 1987). Ce questionnaire d'évaluation de soi est composé de 30 items regroupés par cinq, formant ainsi six échelles distinctes qui permettent d'appréhender les images de soi de l'enfant relatives aux six domaines : scolaire (compétences cognitives), social (rapports avec les autres), sportif (compétences sportives), apparence physique (image corporelle), conduite (en référence aux attentes sociales à l'égard du comportement) et valeur propre (représentation générale de soi ). Pour chaque échelle on peut calculer un score qui correspond à la moyenne des notes attribuées aux items constituant l'échelle (la notation se fait sur 4 points, de 1 à 4, le 4 représente le choix le plus favorable du point de vue de l'image de soi). Cet outil d'investigation a permis de comparer et d'étudier les rapports entre six " sois partiels " (images de soi, relatives aux différents domaines) de deux catégories d'élèves (bons et moins performants). Ce premier questionnaire est accompagné d'un deuxième, destiné aux enseignants et qui permet de recueillir leurs représentations de l'enfant. D'autre part, pour cerner les images sociales, nous avons utilisé le dispositif mis en place par Gilly et al. (1972). Il s'agit, de demander à l'élève de donner son appréciation (sur une échelle en 11 points, allant de 0 à 10) sur 12 caractéristiques personnelles (la plupart liées au domaine scolaire), à partir de sa propre position et en se plaçant du point de vue de l'enseignant, de ses camarades, de sa mère, de son père. Ainsi, l'élève va présenter cinq profils d'images de soi : image sociale maître, image sociale camarade, image sociale mère, image sociale père et image propre. On peut calculer cinq scores, chacun correspondant à la moyenne des réponses aux 12 questions formant un profil. Avec ce deuxième outil d'investigation nous avons pu étudier et comparer les cinq profils d'images de soi des élèves " bons " et " moins performants ". L'enquête par ces trois questionnaires a été effectuée individuellement par nous-mêmes en dehors du temps scolaire, au sein de l'institution spécialisée. Les informations collectées ont été soumises à des analyses quantitatives et ont fait l'objet de plusieurs études comparatives.

Résultats
Nous présentons ici les résultats concernant deux études. En ce qui concerne l'étude des différentes dimensions du " soi ", des analyses comparatives ont permis de vérifier notre hypothèse : l'image de soi en tant qu'élève, ainsi que les images relatives à d'autres domaines (relations sociales, compétences sportives, l'apparence physique et l'image globale de soi) varient selon la réussite en faveur des " bons " élèves. Ces derniers ont tendance à donner d'eux-mêmes des représentations plutôt homogènes et unies, alors que celles des élèves " moins performants " présentent une nette hétérogénéité et sont non seulement moins favorables, mais aussi assez diversifiées. Par contre, notre seconde étude visant à montrer la contribution du facteur " réussite scolaire " sur la formation des images sociales chez le sujet déficient visuel n'a permis de vérifier qu'en partie notre hypothèse. On remarque que parmi les cinq types d'images celles qui différencient les deux groupes d'élèves d'une manière significative sont l'image sociale-enseignant et l'image propre. D'une certaine manière les travaux de Perron (1991) pourraient nous permettre d'expliquer ces derniers résultats. Pour l'élève, c'est le regard ou le jugement du maître qui représente pour lui sa réussite ou échec scolaire. Donc, lorsque l'écolier est amené à s'évaluer sur ses compétences cognitives en se plaçant du point de vue du maître ou de son propre point de vue, il donnera en effet de lui-même des images de soi à forte valence scolaire, autrement dit, il présentera des images de soi scolaires. Or, notre première investigation a déjà montré que ces dernières sont fort dépendantes de la réussite. L'étude des interrelations entre les images (sociales et propre) des deux catégories d'élèves (bons et moins performants) a révélé l'existence d'un certain degré d'accord aussi bien pour les uns, que pour les autres. A noter cependant que, les images des élèves " moins performants " sont toutes interdépendantes. Ces élèves ont des représentations non seulement cohérentes, mais aussi plus unies que celles des " bons " élèves. Il faut tout de même souligner que, les " moins performants " se représentent beaucoup plus favorablement par le biais des images sociales parentales, que par le biais de l'image sociale-enseignant et l'image propre. Les études réalisées ont révélé que le facteur " réussite scolaire " affecte la construction de l'identité scolaire de l'élève déficient visuel, cependant elles ont un pouvoir explicatif limité : l'ensemble de toute notre recherche permettra de mieux saisir l'importance de l'école dans la construction identitaire. A préciser aussi que, ce travail ne fournit pas d'explications quant à la manière, dont l'identité scolaire se construit. Pour ce faire, il faudra procéder à des investigations plus fines, où seront aussi pris en compte d'autres facteurs provenant du milieu scolaire et extra-scolaire.

Bibliographie
Charlot, B. (1997). Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie, Anthropos, Paris.
Compas, Y.(1991). Représentation de soi et réussite scolaire, in Les représentations de soi. Développement, dynamiques, conflits, Perron, P. (Ed.), Privat, Toulouse, p. 89-118.
Fraiberg, S. (1978). Insights from the blind, Basic Books, New York.
Gilly, M., Lecour, M. & Meyer, R. (1972). Image propre, images sociales et statut scolaire : étude comparative chez des élèves de CM2, Bulletin de Psychologie, 310, p. 792-806.
Harrisson-Covello, A. & Lairy, G.C. (1985). L'enfant aveugle et amblyope congénital, in Traité de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, Lebovici, S., Diatkine, R. & Soulé, M. (Eds.), PUF, Paris, p. 597-623.
Harter, S. (1982). The perceived competence scale for Children, Child Development, 53, p. 87-97.
Harter, S. (1998). Comprendre l'estime de soi de l'enfant et de l'adolescent : considérations historiques, théoriques et méthodologiques, in Estime de soi. Perspectives développementales, Bolognini, M. & Prêteur, Y. (Eds.), Delachaux et Niestlé, Paris, p. 57-81.
Kastersztein, J. (1984). L'hétérogénéité sociale : produit de la différence et/ou de la similitude, Bulletin de Psychologie, 365, p. 507-513.
Meyer, R. (1987). Image de soi et statut scolaire. Influence de déterminants familiaux et scolaires chez les élèves de cours moyen, Bulletin de Psychologie, 382, p. 933-941.
Monteil, J.M. (1993). Soi et le contexte, Armand Colin, Paris.
Perron, R. (1991). Les représentations de soi. Développement, dynamiques, conflits, Privat, Toulouse.
Pierrehumbert, B., Plancherel, B. & Jankech-Carretta, C. (1987). Image de soi et perception de compétences propres chez l'enfant, Revue de Psychologie Appliquée, 37 (4), p. 359-377.
Ravaud, J.F. & Ville, I. (1985). Représentation sociale des personnes handicapées physiques. " Surmonter son handicap " : effet de la situation familiale et du revenu, International Journal of Rehabilitation Research, 8 (3), p. 291-302.
Terrein, A. (1988). Image de soi et handicap physique, Le Journal des Psychologues, 59, p. 37-38.


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