La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Quel sens les savoirs de la pratique donnent-ils à la formation ?


Titre : Travailler avec des partenaires : une nouvelle forme de professionnalité enseignante
Auteurs : COMTE Daniel

Texte :
On ne saurait parler des enseignants, des nouveaux besoins de formation qui font émergence ces dernières années sans porter d'abord un regard sur le système éducatif lui-même.
Dans un premier temps, une courte plongée dans le temps qui nous autorisera à faire l'hypothèse d'une irréversible ouverture de l'école ; ensuite un point de vue focalisé sur l'apprenant et la profusion d'activités à caractère éducatif qu'il peut subir comme un gavage ; enfin le postulat d'une porosité plus grande du système.
Ces trois axes (école-société, enfant-activités éducatives, système et porosité ) déterminent comme point de convergence une formation des enseignants qui développerait chez eux des capacités à travailler avec des partenaires.


Un lent mais irréversible mouvement d'ouverture de l'école

Depuis deux décennies, nous assistons à un mouvement lent mais irréversible d'ouverture de l'école sur la société.
Si l'implantation du collège unique décidée par R. Haby en 1975 a tardé à voir le jour dans les faits, les établissements se sont peu à peu modifié, malgré une résistance du système qui, par ailleurs, ouvrait de nouvelles filières.
Les projets ont commencé à voir le jour dans les écoles, collèges et lycées et l'appui sur des compétences extérieures a nécessité qu'on entrouvre un peu plus les portes de l'établissement. Invités depuis peu à s'intéresser à la chose scolaire, les parents d'élèves voient généralement d'un bon œil l'entrée d'intervenants culturels, artistiques et sportifs, auprès des enseignants.
Bien sûr des mouvements de résistance des instituteurs s'organisent, ces derniers clamant la perte de leur polyvalence et le danger de voir leurs fonctions réduites à l'enseignement des math et du français ; quelques autres accueillent très favorablement cette perspective en s'y impliquant sans limite.

Une nécessaire maîtrise de l'ouverture :
L'ouverture de l'école se fait déjà par les savoirs. Les savoirs enseignés sont issus soit de savoirs savants disponibles et vulgarisés dans nos médias soit de pratiques sociales de références en acte dans notre société.
Lorsque le processus d'apprentissage se limite à la relation professeur-élève, le premier étant la figure emblématique du savoir, la dimension humaine est absente. D'où l'importance de l'effet-maître, ses intérêts et ses limites.
Or, si l'on veut que se construisent dans nos écoles de futurs citoyens, aptes à communiquer avec d'autres, à argumenter un point de vue, à négocier, si l'éducation ambitionne de fonder une société riche de partages, de confrontations au sein d'un tissu social vivant et actif, alors, dès le plus jeune âge, les élèves doivent vivre des expériences au cours desquelles leurs professeurs seront aussi des acteurs sociaux en situation de partage et de négociation avec d'autres professionnels.
Mais alors qu'est-ce qui peut préserver l'établissement scolaire d'une dérive vers le " champ de foire " ou le marché du relativisme où tout se vaut ?
Comment préserver la valeur cardinale du savoir, clef de voûte de l'enseignement tout en socialisant l'ensemble des acteurs éducatifs, élèves compris, dans un bain citoyen ?

En deux siècles, l'école républicaine a montré son expertise sur le premier volet de notre question problématique (la transmission du savoir)
Quant à une hypothétique immersion citoyenne, une expertise grandeur nature en quelque sorte, sauf aménagement aussi utopique qu'irréalisable, elle réduirait à néant les critiques de ceux qui font remarquer que l'école n'étant pas un lieu démocratique, l'éducation civique est du domaine de l'artifice.


Des activités : le passage du quantitatif à la recherche de pertinence

Inexorablement, la marche en avant se poursuit. L'intérêt éducatif gagne la société et c'est un foisonnement désordonné d'activités péri- et extra-scolaires qui occupent les enfants et adolescents hors temps scolaire. Dans certaines familles, ces jeunes ont des emplois du temps plus chargés le mercredi que les autres jours de la semaine. Dans le même temps, d'autres errent dans la cité, sur les chemins vicinaux également, sans aucune perspective.
Les inégalités sociales déterminent-elles des inégalités d'accès à la culture et aux loisirs ?
Sans aucun doute ; pourtant la somme d'enrichissements que devraient apporter les activités péri-scolaires n'apparaît ni dans l'intérêt des élèves ni dans leur réussite scolaire. Si la théorie bourdieusienne de la reproduction est encore vérifiable, des individualités déjouent les lois déterministes qu'on a pensé " naturelles " dans la sélection scolaire.
La profusion d'activités, quelle qu'en soit l'origine - associative, familiale, institutionnelle - ne garantit en rien un investissement plus important de l'enfant, du jeune.
L'enfant face à l'activité doit se trouver en situation de projet au sens où Vassilef l'entend.
Dans tout projet, il y a deux concepts : le pro-jet au sens de projection et le projet lui-même.

Le Pro-jet (la projection) :
La projection, c'est l'action de prendre quelque chose en soi et de le jeter devant soi, d'apporter dans la réalité de l'environnement proche une part de son désir. C'est l'extériorisation d'un système de valeurs auto-finalisé : donner du sens à ses actes (actions, paroles, pensées) à partir de ses propres valeurs et conceptions. C'est une démarche qui fonde l'autonomie.
A l'inverse, un jeune qui s'engagerait dans des activités pour simplement meubler son temps ou répondre au désir d'autres que lui (parents, éducateurs ..) entrerait dans un système d'adaptation, que Vassilef qualifie alors d'intériorisation d'un système de valeurs hétéro-finalisé.
Le Pro-jet est une action indissociable de la personne qui le réalise, c'est la dimension spatiale du projet, celle qui se réalise dans le présent, l'ici et maintenant tandis que le projet l'inscrit dans l'ailleurs et le plus tard.

Le Projet :
C'est le produit de la projection ; il peut être distingué de son auteur parce qu'il est le résultat d'une action, un produit, et parce qu'il se situe dans le futur.
Pro-jet et projet sont deux concepts complémentaires : le second donne sa signification sociale à la projection, celle-ci inscrivant le projet dans une recherche d'authenticité et dans un processus d'autonomisation.

La recherche de pertinence est donc à chercher du côté de l'authenticité : moins on est déterminé par un environnement, plus on est authentique.
Néanmoins force est de reconnaître à quel point nos histoires de vie, nos idéologies, les institutions qui structurent notre personnalité profonde sont fortes et prégnantes : ce sont là, déterminants structurels, cousins proches de nos habitus contre lesquels nous nous échinerions à lutter. Etre authentique, c'est peut-être alors assumer ces déterminants structurels pour mieux dépasser les déterminants conjoncturels pour choisir librement nos stratégies.
L'enfant est donc acteur de ses propres apprentissages. Le milieu familial, social, le réseau de sociabilité sont des facteurs éminemment déterminants.
L'intra muros scolaire demeurerait donc le lieu où l'élève serait le moins sujet aux inégalités d'accès à la culture et à l'éducation.

A ouvrir l'école à des partenaires extérieurs, aux familles d'abord, aux associations, aux politiques et aux entreprises ensuite, ne risque-t-on pas d'y faire entrer les déterminants de la discrimination scolaire ?
Comment les écoles alternatives québécoises surmontent-elles cette difficulté ?
Par ailleurs, laisser les seuls " héritiers ", au sens bourdieusiens du terme, bénéficier hors de l'école de ces temps sociaux de discussion, de prise de parole et de position, de conflits d'idées avec un monde aux antipodes des métiers de l'école, n'est-ce pas encore creuser les écarts ?
Situation aporétique qui condamne l'éducateur à la cécité ou à la folie ?

Reprenant R. Bourdoncle , je dirai que l'enseignant est sommé de s'engager sur la voie de la professionnalisation au risque de s'enliser dans celle de la prolétarisation.
Etre professionnel, c'est être en capacité d'affronter des situations de doute et d'incertitude, c'est aussi travailler avec d'autres professionnels, c'est enfin être reconnu par un ordre supérieur et/ou adhérer à une charte ou un code déontologique.
S'il manque à la profession enseignante les codifications que les professions de santé et de droit ont déjà formalisé, elle n'est pas dépourvue d'éthique.


D'un système protégé à un système poreux

L'institution au plus haut niveau modélise ce que pourrait être l'enseignement sur le terrain. La co-ministérialité (Education Nationale et Jeunesse-Sports, Education Nationale et Culture) puis l'inter-ministérialité (Education Nationale, Jeunesse-Sports, Culture et Ville) invitent les acteurs de terrain à travailler avec leurs homologues des ministères concernés et les associatifs proches des jeunes.
Prenant en compte le temps de l'enfant, à l'école et hors les murs, les institutionnels ont une triple visée :
- la cohérence des apprentissages, quel que soit le moment de la semaine, l'adulte formateur..
- un effet positif sur les capacités du jeune à mettre un sens global dans une auto-éducation qui complète l'éducation scolaire
- l'égalité de tous dans l'accès à la culture, aux loisirs et aux sports.
C'est par le Contrat Educatif Local (CEL) que ces visées sont poursuivies.

L'ouverture du monde scolaire se fait concomittamment par la hiérarchie institutionnelle et par le contexte environnemental des établissements scolaires.
Pendant que les ministères s'associent pour mettre en cohérence les différents temps éducatifs de l'enfant, le système scolaire se laisse imprégner d'influences extérieures ; d'abord des intervenants ponctuels sur des domaines spécifiques (musique, éducation à la santé, théâtre, E.P.S.), ensuite des transversalités autour de projets qui impliquent des associations du quartier, des parents d'élèves, des collectivités locales, parfois des entreprises.
Le champ de l'éducation déborde largement le cadre scolaire. Plus d'une centaine de villes éducatrices sont répertoriées sur le site de la DIV , les villes ayant clairement affiché une politique éducative oeuvrant tout aussi bien en direction des écoles primaires que des établissements de second degré.
C'est un double mouvement descendant et horizontal qui traverse l'école. Il est porteur d'espoir d'embellies pour le futur autant que de danger.
Travailler avec d'autres, d'horizons différents, ne s'improvise pas : des compétences nouvelles sont nécessaires : une formation adaptée pourrait permettre que les enseignants les acquièrent.
L'objectif qui fait lien de sens entre les activités conduites avec des équipes mixtes d'enseignants et de non-enseignants et les apprentissages scolaires, est l'édification du citoyen.
Cela consiste à mettre tout en œuvre pour que l'enfant-élève (du dedans et du dehors) se construise comme :
- un être cultivé,
- un individu éclairé, au sens critique aiguisé
- un humain dans une communauté où il sera en capacité de communiquer, d'entendre et d'être entendu et d'entrer dans les inévitables rapports de force que sont les relations humaines.

Une formation en phase avec l'évolution de la professionnalité enseignante

Etre enseignant aujourd'hui exige de nouvelles compétences ; déjà repéré comme éducateur et non plus chargé de la seule instruction des élèves, puis devant cumuler les qualités d'un travailleur social, d'un technicien, d'un maître instruit , il se voit désormais intégré dans des groupes de pilotage d'actions éducatives, partenaire parmi d'autres.
A-t-il jamais été formé à cette nouvelle face de sa professionnalité ?
La mise en place de Projet Educatifs Globaux contractualisés dans des CEL et concernant l'enfant en tant que personne s'est articulée soit autour de projets d'école, soit autour de lieux scolaires, soit autour de l'implication d'enseignants ou de membres de l'équipe éducative.
Comment ces derniers peuvent-ils s'associer avec succès au travail d'un groupe parmi lesquels se trouvent de nombreux professionnels formés à la communication et au travail partenarial ?
Les Ceméa, dans l'association du Languedoc-Roussillon, ont perçu cette impérieuse nécessité.
Des actions ciblées puis une entrée négociée dans la formation initiale, à l'IUFM de Montpellier sont en préparation.
Nul doute qu'y seront abordés des questions touchant aux rapports de force et de pouvoir, qu'une éthique de la discussion, au sens d'Habermas, sera développée lors de la formation, l'éthique relationnelle équilibrant le poids de la parole.
Du travail en commun au véritable partenariat, il y a un saut qualitatif qu'une clarification des concepts permet de mieux appréhender.
Ainsi peut-on recenser des coopérations où des participants travaillent avec d'autres vers une action commune sans engagements réciproques : la finalisation est souvent une réalisation, médiatisation d'un projet d'établissement : techniciens, plasticiens, enseignants ont pu coopérer à la préparation de la mise en scène finale (journée portes ouvertes, investissement d'un espace théâtral ..) sans que les trois parties aient été impliquées dès le démarrage du projet.
A l'opposé, des partenaires dans une action, un projet commun fixent ensemble les objectifs visés, chacun usant de sa propre stratégie pour les atteindre. Il y a négociation sur les visées mais également sur les valeurs fondatrices. La diversité des acteurs est un atout et une difficulté. Une fois les objectifs clarifiés, les compétences de chaque partie sont mises en avant et le partage des missions, des rôles, des tâches est objet de débat .
Des valeurs éthiques balisent ces discussions ; la parole, son poids, son respect, son authenticité et l'écoute doivent être favorisés au détriment d'intérêts partisans et d'arguments d'autorité.
Le rapport de force existe, il n'est pas à éviter mais à prendre en compte, à canaliser dans une éthique relationnelle .
Une formation des enseignants à la communication, à la négociation et une réaffirmation des valeurs humanistes et non marchandes de l'école sont à élaborer.

Comment la formation à la démarche partenariale s'envisage-t-elle à l'IUFM de Montpellier ?
Précisons d'emblée qu'elle n'est qu'à l'état de projet en négociation.
D'abord, une conférence de sensibilisation en direction des PE et PLC en formation a été ouverte à ceux qui sont inscrits dans des actions partenariales. Ce fut le 25 avril à l'IUFM de Montpellier.
Ensuite, un module de formation initiale ébauché pour l'heure dans ses grandes directions seulement :
- un travail sur les représentations des stagiaires en matière de partenariat
- une clarification du concept : éclairage historique et champs de validité actuels
- des publics différents dont les logiques peuvent être éloignées des logiques de l'enseignant
- de nouveaux rôles à tenir, face à des adultes issus de mondes associatif, politique, institutionnel.
- ce qui donne sens au partenariat lors de stratégies et de logiques concurrentes : les objectifs et les valeurs.
- les compétences souhaitées pour une efficacité du partenariat : décentration de son point de vue, écoute des autres, solidarité, partage, exigence forte sur les finalités et les valeurs.


Pour conclure

Et non pour clore ce qui n'est encore que balbutiement, il reste à ajouter que dans un monde riche de sa complexité et en perpétuel mouvement, toute instance, toute structure qui négligerait de remettre en question ses propres engagements se retrouverait marginalisée, repoussée à la périphérie du système au sein duquel elle est censée être en interaction constante avec les autres éléments.
De la même façon que fonder des actions à venir sur ses représentations - celles-ci bâties sur l'expérience et donc le passé - conduit à une rapide obsolescence des savoirs engagés, une formation initiale en décalage avec le phénomène d'ouverture de l'école par les effets conjugués des directives institutionnelles et du contexte environnemental de celle-ci , préparerait des enseignants à un métier fictif loin des réalités du terrain.


Daniel COMTE
Politiques Educatives et Communication
Ceméa LR
Doctorant chargé d'enseignement
Université Montpellier III


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