La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Politiques éducatives : initiatives institutionnelles et/ou initiatives d'acteurs ?


Titre : LA MISSION D'INSERTION DES ELEVES : UNE FORMATION NECESSAIRE
Auteurs : BIENAIME Dominique Bienaimé ; PAVIET-SALOMON Odile

Texte :
Depuis la loi Jospin c'est à dire depuis plus de 10 ans, les enseignants ont trois missions principales :instruire (transmettre des savoirs), enseigner des comportements et des savoir faire, et insérer. Les deux dernières missions sont liées, compte-tenu des évolutions sociétales et des exigences de l'emploi. Ce sont aussi les plus fréquemment ignorées.

Si l'apprentissage de comportements et attitudes collectives (sommairement, la socialisation) est de mieux en mieux accepté (ne serait-ce que pour des raisons de confort professionnel dans les établissements scolaires) la mission d'insertion est encore non seulement sous estimée, mais méconnue. Nombre de jeunes enseignants, voire de stagiaires IUFM ignorent (ou disent ignorer, ou estiment ne pas devoir prendre en compte) la mission d'insertion des enseignants. Nous utilisons ici le terme d'insertion car il est employé dans les textes officiels. Mais ce qui est visé dans notre propos, c'est l'intégration, c'est à dire le fait d'exercer une tâche qui ait une véritable utilité sociale (et non de fournir à quelqu'un qui n'en a pas une activité qui n'est pas indispensable à la société, ou l'inscrire dans un parcours d'attente plus ou moins pertinent. Nous pouvons aussi nous référer à la définition de l'insertion de J.M. Barbier (1991) : " insérer, c'est permettre à un agent d'entrer ou d'occuper une position dans un champ d'activité dans lequel jusqu'alors, il n'était pas présent ". Or n'est-ce pas à terme, le but de l'école, permettre aux jeunes qu'elle a formés d'exercer une activité professionnelle ?

Compte-tenu du contexte socio-économique actuel, en quoi l'école peut-elle participer à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes ? On peut distinguer plusieurs niveaux : l'intériorisation de normes sociales et d'habitudes comportementales, qui contribueront à leur socialisation ; l'aide à l'élaboration d'un projet personnel qui donne sens aux demandes de l'institution scolaire ; l'apport de savoirs qui permettront la construction de compétences professionnelles en accord avec les réalités de l'emploi. C'est principalement du troisième point qu'il sera question ici. Nous dirons simplement que l'intériorisation de comportements devrait davantage prendre en compte non seulement les " civilités " (en référence à l'incivilité si souvent décriée) mais aussi les " compétences d'insertion " favorisant un accès durable à l'emploi (savoir travailler en équipe, communiquer, prendre des initiatives, etc.). L'aide à la construction de projet est en passe d'entrer dans les mœurs enseignantes, même s'il serait nécessaire de s'entendre sur la notion. Nous nous intéresserons donc plus particulièrement à la construction, durant le parcours scolaire, de compétences professionnelles. Celle-ci nécessite à la fois la prise en compte de ce problème par les enseignants et une connaissance du monde du travail (et donc de l'entreprise) auquel ils doivent préparer les élèves.

Or la formation des enseignants, qu'elle soit initiale ou continue, est essentiellement disciplinaire, c'est à dire centrée sur une connaissance approfondie et sans doute trop vaste du domaine qui le leur, et la didactique correspondante. Or les connaissances s'accroissent trop vite pour espérer que quiconque puisse les emmagasiner toutes, en l'espace d'un an et avec quelques piqûres de rappel. On pourrait donc imaginer des modes de formation qui plus que l'accumulation de savoirs favoriseraient l'accès à l'information et le partage des compétences, et laisseraient la place à d'autres domaines. Certains IUFM s'intéressent aux conditions d'apprentissage selon la spécificité des publics, au vécu des stagiaires dans les classes et les établissements, à la gestion de groupes ou de conflits… Mais ces enseignements (que l'on pourrait qualifier rapidement de psycho-sociologiques) restent inégalement répartis selon les centres de formation et les corps (professeurs d'enseignement général ou professionnel, enseignants de collèges et lycée ou de lycées professionnels, Conseillers Principaux d'Education…). Ce qui accessoirement, pose la question de la notion d'équipe éducative interdisciplinaire : pourquoi les champs du comportement, de la socialisation, et de l'insertion, ne devraient-ils concerner que certaines catégories de personnels ?

En ce qui concerne la connaissance de l'entreprise et du monde du travail, des expériences existent dans différentes académies. Mais elles restent marginales et surtout ne sont pas intégrées dans les programmes de formation. Ainsi dans l'académie de Lyon seuls les personnels volontaires sont formés. En formation continue des stages d'une semaine avec une immersion de 3 jours en entreprise ont été proposés durant plusieurs années. Actuellement les actions ont évolué et concernent surtout des opérations de partenariat entre établissements et entreprises pour les établissements volontaires. En formation initiale des stages de 3 jours ont été proposés aux stagiaires IUFM au titre des modules communs. Cette expérience n'a duré que trois années, elle ne concernait qu'un seul centre (il en existe 3 à Lyon, tous les personnels n'y avaient donc pas accès), et se déroulait sur la base du volontariat. Par la suite un poste a été créé à mi-temps mais il n'est pas certain qu'il soit maintenu l'an prochain. La collègue reste pourtant dépendante du bon vouloir des responsables disciplinaires : certains personnels bénéficient d'une formation à la connaissance de l'entreprise de 2 à 3 jours, d'autres doivent se contenter d'une 1/2 journée… Dans ces conditions, comment espérer que les nouveaux enseignants prennent conscience de cette mission d'insertion qui est la leur ? Or c'est parce qu'eux-mêmes auront pu faire évoluer leurs représentations qu'ils seront à même d'aider les élèves à concevoir leur scolarité comme élément d'un parcours global, ayant une visée d'intégration sociale, et non comme une obligation plus ou moins utile et agréable.

Il nous semble donc indispensable, non seulement pour répondre aux textes officiels mais aussi pour faire face à la réalité économique (dont l'école n'est pas un artefact. Ou le contraire) que la connaissance de l'entreprise devienne partie intégrante des programmes de formation, initiale et continue, des personnels éducatifs. C'est un fait avéré, l'ère du plein emploi est bel et bien terminée, les emplois atypiques se développent, le lien salarial est devenu instable, les modes d'organisation du travail et d'accès à l'emploi ont changé.

Le dispositif que nous proposons est la conjonction de différentes expériences : insertion de personnes en recherche d'emploi, formation d'enseignants et d'enseignants stagiaires, formation de formateurs. Tous les dispositifs expérimentés mettent en exergue la nécessité de diversifier les représentations mentales, guides du comportement : Représentations du travail, de l'emploi, des secteurs d'activité et des métiers, mais aussi représentation de soi et représentation de soi en situation professionnelle. Dans le cas des personnels éducatifs cette diversification devrait s'effectuer sur trois champs :
- Représentations des missions de l'école et de ses différents personnels.
- Représentations de l'insertion sociale et professionnelle, en lien avec la notion de
parcours scolaire.
- Représentations des secteurs d'activité, des métiers, de l'emploi, des entreprises.

Nous avons exposé lors de communications précédentes nos méthodes et outils pour diversifier les représentations. La dimension temporelle, les pratiques langagières et le travail de groupe sont des éléments essentiels de ce processus. Mais chaque public nécessité une ingénierie spécifique. Les enseignants se caractérisent par les points suivants :

- Une identité professionnelle et un esprit de corps très fort, et pourtant en partie obsolètes dans le contexte socio-professionnel actuel (nous sommes dans une période de mutation sociale, et non de crise ponctuelle).

- Une certaine indétermination par rapport à leurs fonctions et à leurs missions : certes des textes existent, mais chacun " demeure maître dans sa classe ", selon le statut en vigueur.
- Une sécurité de l'emploi qui peut être un frein à la nécessaire évolution des pratiques.

En ce qui concerne la formation continue, les expériences que nous avons évoquées (stages avec immersion dans l'entreprise, actions de partenariat) doivent être poursuivies et améliorées. La question sensible est de savoir comment y faire participer un plus grand nombre d'enseignants et d'autres personnels éducatifs (le préalable étant qu'ils se sentent concernés). L'expérience montre que le volontarisme de certains chefs d'établissements n'est pas forcément une solution. Faut-il rendre ces formations obligatoires, au risque de devoir faire face à des stagiaires désabusés et peu motivés ? Faut-il les intégrer dans les plans académiques de formation comme stages " à public désigné " ? Deux risques sont à prévoir dans ce cas. Le premier est que les premiers " désignés " soient les professeurs de lycée professionnel et les professeurs de technologie. Le deuxième est qu'une partie de ces personnels ait déjà participé à des actions de ce type. Il conviendra alors de revoir totalement les contenus et les modes de transmission. L'enjeu est important : l'école ne serait plus seulement un lieu d'acquisition de savoirs mais un lieu préparation à la vie en société dans toutes ses dimensions.

En formation initiale sont concernés des enseignants ou CPE stagiaires qui partagent leur temps entre le centre de formation et une pratique de terrain (en situation de face à face pédagogique) qui varie selon les sections (certains à mi-temps, d'autres par périodes groupées). Dans quelques disciplines un stage en entreprise est prévu, mais la visée d'insertion n'est pas forcément présente dans ces actions. C'est plutôt l'aide à la construction du projet de l'élève qui est mise en avant, dans une perspective de parcours scolaire et non d'intégration professionnelle. Le dispositif doit donc s'adapter à l'existant. C'est pourquoi nous l'avons agencé sous forme modulaire. Par ailleurs dans la mesure où les représentations constituent le processus cognitif privilégié de ce travail, la dimension temporelle est essentielle. Il ne s'agit pas de fournir aux stagiaires des connaissances théoriques et livresques, mais de les amener à intégrer dans leurs préoccupations la mission d'insertion de l'école en favorisant l'expression et la diversification de leurs représentations. Il n'existe pas de bonnes et de mauvaises représentations, de représentations " justes " ou " fausses ". Chacun doit s'approprier une connaissance du monde du travail et de l'entreprise qu'il pourra ensuite intégrer dans ses pratiques pédagogiques et transmettre, dans la durée, aux élèves. L'insertion n'est pas une matière qui se décline en quelques cours, mais une visée d'avenir.


PROPOSITION D'ACTION

OBJECTIF GENERAL
Permettre à des enseignants en formation d'intégrer la notion d'insertion dans leur formation initiale afin qu'ils soient en capacité d'aider des élèves qui souhaitent quitter le statut d'élève pour celui de travailleur, à partir dans les meilleures conditions possibles.

OBJECTIFS
- Mieux connaître le contexte de l'insertion professionnelle.
- Savoir construire des outils et des méthodes pédagogiques en lien avec la notion d'insertion professionnelle
- Etudier et mettre en œuvre en fonction du contexte les différents dispositifs d'apprentissage.
- Prendre conscience du rôle particulier de l'écoute avec ce type d'élèves.
- Connaître les difficultés des élèves qui souhaitent quitter le système scolaire pour aller travailler
- Identifier toutes les dimensions - explicites et implicites - de la notion de projet professionnel.
- Clarifier les différentes formes de statuts possibles dans le cadre de l'emploi (contrats aidés, aides possibles…)

CONTENU DE LA FORMATION

MODULE 1 : LE CONTEXTE DE L'INSERTION
Durée : 18 heures

Contexte économique
· Le contexte économique actuel en matière de travail et d'emploi.
· La notion d'exclusion économique et sociale.
· Les effets de l'exclusion sur l'économie nationale (et l'émergence de publics dits d'insertion).
· De l'exclusion à l'intégration : quelques pistes.
Contexte institutionnel
· Les institutions liées à l'insertion : évolution d'une situation socio-économique.
· Les services publics de l'emploi : historique, rôle et fonctionnement.
· Les services sociaux et le secteur associatif.
· Les dispositifs de l'insertion

MODULE 2 : PASSER D'UNE LOGIQUE D'ENSEIGNEMENT A UNE LOGIQUE D'INSERTION
Durée : 18 heures
· Un outil d'insertion : le bilan.
· Le projet : de l'élaboration à la réalisation.
· Le processus d'élaboration de projet.
· Les étapes de la démarche et les seuils dans l'élaboration de projet.

MODULE 3 : LE PROJET PROFESSIONNEL

Durée 18 heures· Spécificités de la notion.
· Les dérives de projet.
· Les représentations : un incontournable à l'élaboration du projet professionnel .
· Le temps et l'espace dans le projet.

MODULE 4 : LES DISPOSITIFS D'APPRENTISSAGE ET LES OUTILS ET METHODES PEDAGOGIQUES A UTILISER AVEC DES ELEVES SOUHAITANT UNE INSERTION PROFESSIONNELLE
Durée : 18 heures
· L'apprentissage chez les adolescents
· L'apprentissage chez les adultes.
· Réussir et comprendre.

MODULE 5 : (RE)MOTIVER, (RE)DYNAMISER UN ELEVE EN SITUATION D'INSERTION
Durée : 6 heures· Les grands courants de la motivation.
· De la motivation à l'intégration.

MODULE 6 : L'EVALUATION DANS LES FORMATIONS D'INSERTION
Durée : 12 heures
· Formuler et évaluer des objectifs.
· Les niveaux de l'évaluation.
· Les outils de l'évaluation en situation d'insertion.

MODULE 7 : LE ROLE DE L'ECOUTE AVEC DES ELEVES EN INSERTION PROFESSIONNELLE
Durée : 12 heures
· L'écoute et l'expression.
· Les fondements de l'écoute.
· Les limites de l'écoute.
· Auto-formation à l'écoute.

MODULE 8 : LES DIFFERENTES FORMES D'ACTIVITE.
Durée : 12 heures
· Les différentes formes d'activités possibles : typologie, avantages et inconvénients.
· La pluralité des statuts.
· Les aides à l'emploi proposées par le service public de l'emploi

MODULE 9 : L'ENSEIGNANT VISANT A L'INSERTION
Durée : 12 heures
· Les nouveaux rôles de l'enseignant.
· Quels positionnements possibles avec des élèves en insertion ?
· Les méthodes pédagogiques à mettre en œuvre
· Le projet de l'établissement, le projet de l'enseignant et le projet de l'élève
· L'analyse des pratiques : un atout de poids pour l'enseignant


METHODES PEDAGOGIQUES PROPOSEES
· Travaux de groupe.
· Apports théoriques et méthodologiques.
· Mises en situation d'animation.
· Jeux de rôles.
· Travaux de conception.
· Exposés.
· Analyse de la pratique.
· Etudes de cas concrets apportés par les étudiants.

DUREE DE L'ACTION :
126 heures

En dehors de ces modules spécifiques il convient de ne pas oublier que la connaissance concrète du fonctionnement et des exigences d'une entreprise en termes de compétences professionnelles et sociales ne peut se faire que dans des stages en immersion. Certains existent déjà, d'autres doivent être organisés ou approfondis. Leur préparation et leur évaluation s'intégrera différemment dans le programme selon la date et la durée des stages.

CONCLUSION

" L'expérience ne préexiste pas à l'exercice de la fonction ", c'est en ces termes que Philippe Meirieu commençait il y a une dizaine d'années son séminaire auprès de futurs responsables de formation. Il semble que dans le cadre de l'insertion professionnelle des élèves, cet adage doive s'appliquer à la lettre. L'ensemble de ces modules donne sans conteste des éléments indispensables à une insertion réussie des élèves.

Dire que l'enseignement à visée d'insertion ne doit pas être isolé des réalités sociales et économiques implique pour l'enseignant une réelle professionnalité. Il doit obligatoirement dans sa pratique prendre en compte et mettre en lien deux niveaux de réflexion distincts : individuel au travers de la pédagogie ; collectif au travers d'un modèle de société. C'est à un rapprochement entre ces deux logiques que tend notre réflexion : elle s'interroge à la fois sur le " comment faire " et le " pourquoi " en recherchant une visée intégrative. Clarifier son propre projet de formation, accepter d'analyser son parcours professionnel en tant qu'enseignant, le mettre en lien avec une vision du monde, est une condition sine qua non de l'exercice de cette profession. Cette exigence favorise l'instauration d'une distance nécessaire entre les différents projets : celui de l'institution scolaire, celui de l'enseignant, celui du jeune. Ce dernier peut alors être reconnu en tant qu'individu singulier, avec ses représentations, ses attentes, ses projets. Et comme le remarque P. Meirieu, " le pédagogue ne pose pas de préalable, il fait avec (...). Il prend les gens tels qu'ils sont. Parce qu'il sait que c'est le seul moyen pour qu'ils deviennent vraiment ce qu'ils décideront de devenir, et qui lui échappera toujours ". Cette spécificité de l'enseignant favorise une plus grande prise de recul par rapport à la demande institutionnelle et au modèle politique qu'elle développe. En favorisant l'écoute, tant au niveau de la demande institutionnelle que de celle des participants, elle permet de développer les sens (et l'essence) de la formation : écouter et entendre ; aider à voir et à envisager un projet professionnel qui est toujours celui d'une personne ; sentir et prendre en considération la singularité de chacun dans une société dont il est acteur sans en être maître ; trouver une marge de liberté dans un cadre institutionnalisé plutôt rigide, c'est à dire accepter le goût du risque. Enfin, toucher du doigt les difficultés et identifier les exigences collectives pour les mettre en lien avec des parcours individuels dans une visée intégrative.


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