La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : L'écoute d'oeuvre en classe de collège : des représentations à la construction de savoirs esthétiques
Auteurs : TERRIEN Pascal

Texte :
Nous essayerons à travers ce bref exposé de montrer les rapports qui existent entre l'écoute d'œuvre au collège en classe de 6°, les images mentales ( représentations) dues aux émotions que suscite l'œuvre, et l'émergence et la construction de savoirs esthétiques.

Après une description de la nature de cette activité du cours d'éducation musicale et de l'œuvre choisie, nous aborderons la place, le rôle et les liens que peuvent avoir la verbalisation des images mentales avec l'œuvre, puis l'identification de quelques savoirs et leur cheminement vers un discours esthétique.

I. Quelques traits caractéristiques de cette activité pédagogique.

Le cadre et la démarche.

L'activité d'écoute d'œuvre au collège s'inscrit dans le déroulement du cours d'éducation musicale. Propice au réinvestissement des compétences acquises à l'occasion des activités vocales et instrumentales, elle permet de développer les facultés d'attention, de mémorisation, de sensibilité et d'imagination de l'élève-auditeur, contribuant ainsi à la cohérence des différentes activités de la classe.

La démarche généralement adoptée permet d'approcher l'œuvre par une première écoute globale de l'extrait choisi par l'enseignant, suivie d'écoutes fragmentées liées aux objectifs que le professeur désire atteindre et en adéquation avec les réponses des élèves. Cette première écoute privilégie la sensibilité et l'imagination en s'attachant à la globalisation des évènements sonores.

L'enseignant sollicite ainsi l'aspect émotionnel de l'écoute afin de créer les conditions propices à la prise de conscience par les élèves des différents éléments de tensions qu'ils peuvent percevoir dans l'œuvre musicale.

Suite à cette première approche sensible, les élèves proposent des mots ou d'autres modes d'expressions (dessins, gestes, résumés) pour désigner ce qu'ils ont ressenti. Dans le cas de notre étude, nous nous limiterons volontairement à l'expression de mots traduisant les émotions éprouvées. En effet, les travaux sur la perception de R. Francès et ceux sur la psychologie de la musique de M. Imberty ont montré que les méthodes d'induction libre favorisent une grande variété d'associations sémantiques à la musique, et si J. Ribière Raverlat semble relever des limites à cette démarche, elle les situe au niveau des jeunes enfants. Cette approche, comme le souligne dès 1958 J. Bruner, favorise le rattachement des informations recueillies par l'élève à certaines classes d'objets correspondant à des schèmes construits en lui auparavant. Nous observerons combien les étapes suivantes corroborent cela et offrent la possibilité aux élèves de construire des savoirs.

L'œuvre choisie.

Nagoya marimbas de Steve Reich fut composée en 1994 pour deux marimbas. Son écriture très nettement répétitive est basée sur des motifs mélodico-rythmiques répétés sur les deux instruments, avec un décalage d'un temps ou plus, créant "une série de canons à deux parties à l'unisson". Rappelons que Steve Reich est communément classé dans les compositeurs minimalistes et a souvent fait appel aux principes de l'écriture répétive.

Outre le timbre particulier de l'instrument, l'œuvre choisie pour ces caractéristiques d'écriture et de structure laisse entendre un jeu sur les paramètre du son que sont la hauteur, la durée, l'intensité, le timbre et l'espace. Chaque paramètre est en-lui même soumis à des variations importantes qui induisent, comme nous pourrons l'observer, ces fameuses saillances que signale J. Bruner. Celles-ci provoquent des images mentales, conséquences des émotions ressenties à l'audition, et que l'auditeur est invité à verbaliser.

Précédant cette première audition, l'enseignant pose la question : " Qu'évoque pour vous cette écoute ? " (répondez en un mot par image). Les jeunes auditeurs proposeront dans cette étude 97 mots simples. Pour des raisons de méthodologie, nous ne retenons que les premières réponses de chaque élève, ce qui fait déjà un ensemble de 15 mots différents. Nous observons une participation importante du groupe classe, qui n'hésite pas à manifester son approche personnelle de l'œuvre. L'ensemble des réponses correspond à des mots simples, pas de verbes ni d'adjectifs, pas de participes présent. Beaucoup de mots font référence au mouvement (danse, poursuite...), mais aussi à l'exotisme (Afrique, jungle...), ou aux émotions premières (joie).





II. Les images mentales.


Comme nous l'expliquons dans les notes précédentes, nous reprenons le concept d'image mentale au lieu de représentation. En effet, les représentations "désignent la conception que le sujet a d'un objet ou d'un phénomène". Par ailleurs, ces mots sont la traduction verbale d'émotions ressenties à travers l'écoute de cette œuvre. Nous savons aujourd'hui que la verbalisation de ces images mentales est la conséquence d'un processus neurophysiologique lié aux émotions. Que par ailleurs, ce même processus installe un climat affectif pour chaque individu et permet le développement des schèmes de résonances émotionnels qui favorisent l'émergence de mots. Cette activité physiologique induit l'activité psychologique qui permet d'obtenir ces premières réponses, créant ainsi un premier espace d'intersubjectivité. Cependant, remarquons que ces premières réponses font largement appel aux schèmes de tensions/détentes et représentations iconiques et cinétiques.

Pour caractériser ces schèmes, nous avons opérer quelques regroupements de mots (voir le tableau Evocations/images). Dans un précédent travail nous avions pris une entrée par champ lexical, et nous avions constaté un découpage identique et assimilable aux propositions imbertiennes. Remarquons  que le timbre singulier de cet instrument et son origine sont immédiatement traduits dans un champ lexical lié à l'exotisme (Afrique, jungle...). Les rythmes syncopés et le tempo andante (paramètre de la durée) peuvent être associés aux images de danses, et de fête, et ainsi mis dans la catégorie des schèmes de tension/détente.

Cette première approche permet aux élèves de s'approprier l'œuvre. Vygotski parlait d'un processus vivant de naissance de la pensée dans le mot, soulignant ainsi que"l'extériorisation de la pensée pour le sujet n'est que l'autre face de l'intériorisation du mot ". Le processus d'appropriation rend bien compte d'un processus souvent mal décrit par la notion d'intériorisation. D'autre part, Wallon remarquait lui aussi que les émotions peuvent être regardées comme l'origine de la conscience de l'individu et qu'elles " sont le point de départ de sa conscience personnelle par l'intermédiaire du groupe ". Elles lui permettent d'opérer les classements nécessaires à la connaissance des choses et de soi-même. C'est bien cela qui se produit dans l'analyse de cette écoute. L'individu caractérise le lien génétique entre l'affect et l'intellect pour reprendre les mots de Rocheix. Cette verbalisation des affects interpelle ses connaissances et oriente son attention auditive en relevant les moyens musicaux employés dans l'œuvre. Elle lui offre un retour cognitif immédiat dans la communication au groupe et le situe. Ces deux derniers aspects semblent déterminants pour que l'élève poursuive son écoute attentive et constructive de l'œuvre.






III. Vers la construction de savoirs esthétiques

Mis en confiance, les auditeurs sont entrés dans l'œuvre et vont progressivement se l'approprier. Cela passe comme le décrit B.M. Barth par l'installation d'un climat affectif propice aux échanges. Et l'une des meilleures façons pour l'enseignant de l'installer, sera de reconnaître à l'autre sa vision de l'œuvre, d'accepter cette différence d'expression du ressenti des émotions qui se manifeste à travers les mots.

Les écoutes suivantes de l'œuvre sont fragmentées et seront l'objet de construction de savoirs par l'ensemble du groupe en prenant appui sur les connaissances qui émergent spontanément dès la seconde écoute.

Plusieurs observations sont à faire sur cette deuxième période. Premièrement, les élèves répondent après une écoute plus brève (30") à la question suivante : " Quel élément musical est pour vous le plus marquant ? ". Nous savons après étude que le concept "élément musical" n'est pas forcément compris de tous, d'où des non-réponses (3). Cela rappelle que la nature et le sens de la consigne sont des éléments importants pour l'émergence de savoirs. D'autre part, cette seconde écoute met en évidence la place importante qu'occupe le paramètre de la  durée dans cette œuvre (54,8%) loin devant le timbre (19,4%), l'intensité (9,7%), la hauteur et l'espace (6,5%) respectivement. Nous observerons aussi que chacun de ces concepts demandera à être clarifié. Cependant, nous avons pu observer que cela s'était fait assez rapidement par ajustement et autocorrection. Ainsi dans les écoutes suivantes, les notions de tempo et de rythme ont été redéfinies par les élèves eux-mêmes, la correction sur l'instrument aussi. Les élèves avaient remarqué la présence d'une écriture à deux voix et ont souligné l'aspect répétitif de l'œuvre ainsi que l'idée d'une structure en canon.

L'écoute répétée des fragments orientera rapidement l'attention des  élèves sur les hauteurs et sur les intensités à travers l'écriture des motifs mélodiques. Remarquons que dès la seconde audition beaucoup d'éléments caractérisant ce style sont découverts naturellement. Cela permet d'aborder l'aspect esthétique et ce qu'il apporte à la musique actuelle.


Conclusion très provisoire.

Nous avons essayé à travers ces quelques lignes de montrer l'importance des images mentales dans la construction de savoirs esthétiques dans l'activité d'écoute d'une œuvre. C'est en verbalisant leurs images mentales que les élèves mettent un terme au processus d'intériorisation et créent le lien nécessaire au démarrage du processus cognitif. Ce mot est la traduction d'un éprouvé, mais aussi la reconnaissance et l'émergence de savoirs. Ainsi entrés en écoute, les élèves justifient celle-ci techniquement, important leurs savoirs qu'ils mettent en rencontre avec ceux des autres. Par l'interaction des émotions et des savoirs s'opèrent sous la conduite de l'enseignant l'élaboration d'une approche esthétique de l'œuvre.


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