La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Les interventions sociales et les familles : injonction ou implication ?


Titre : Etude " d'actes éducatifs " parentaux envers de jeunes enfants
Auteurs : DOUCET-DAHLGREN Anne-Marie

Texte :
Eduquer un enfant requiert de la part du parent non seulement des qualités affectives mais aussi des qualités exigeant une attention et des soins particuliers. Ces aptitudes parentales se traduisent sur le plan des comportements par un savoir-faire avec l'enfant que nous pouvons entrevoir lors de la mise en œuvre de pratiques éducatives quotidiennes. Ce savoir-faire qui est le produit d'une part de qualités personnelles et d'autre part de la relation instaurée entre le parent et l'enfant, rassemble des pratiques comportant une dimension privée (de l'ordre de l'individuel) et une dimension collective (conduites propres à une époque ou une culture). En d'autres termes, la famille quelle que soit sa constellation est amenée à remplir des nombreuses fonctions et plus particulièrement celle d'élever leur enfant mais aussi celle d'être garante de leur éducation (Durning, 1995). De nombreuses études se sont ainsi attachées à décrire les spécificités du milieu familial et ciblent généralement les répercussions des facteurs environnementaux sur le développement socio-cognitif d'enfants fréquentant les institutions préscolaires (à partir de trois ou quatre ans) et scolaires. Notre étude rejoint ce mouvement, à une spécificité près qui est celle de l'âge des enfants de notre étude. Nous avons en effet centré notre analyse sur de très jeunes enfants, mettant ainsi l'accent sur l'importance des premières expériences éducatives au sein de la famille avant l'intégration de l'enfant dans le système scolaire.
Notre question est alors de savoir si certains actes détiendraient plus que d'autres une spécificité éducative et quelles en seraient leur nature et leur répercussion dans une perspective interactionnelle. Nous signifions par là-même notre intérêt de comprendre la constitution des démarches éducatives entreprises par les parents et de spécifier en quoi les apports maternels et paternels peuvent être formateurs et complémentaires. Le sujet de notre recherche se situe au cœur des problématiques considérant l'éducation comme un processus d'influence mutuelle (Kellerhals & Montandon, 1991, pp. 14-15) qui est repérable par des stratégies intégrées dans les contenus et formes de transmission et par la division du travail qu'il implique au sein et en dehors de la famille. Ces auteurs distinguent quatre composantes de ce processus éducatif : les objectifs ou finalités des parents, leurs techniques pédagogiques, les rôles éducatifs et la coordination entre les différents acteurs de l'éducation. L'éducation recouvre alors quatre domaines principaux se déterminant de la façon suivante : l'acquisition d'aptitudes nécessaires pour participer à la production sociale par le biais de savoirs, l'intériorisation de croyances et de valeurs cimentant l'action sociale à travers la morale, l'acquisition des normes et des rites régulant les relations interpersonnelles (se faisant lors de techniques d'interaction) et le maniement des signes et des symboles de l'identité sociale au moyen de marqueurs d'identité.
De ce point de vue, nous nous situons dans une perspective interactionniste donnant la primauté aux interactions sociales dans l'éducation de l'enfant, celle-là même qui se concrétise par l'élaboration d'actes relevant du domaine des pratiques éducatives mises en œuvre par chacun des partenaires parentaux envers l'enfant. Or l'enfant n'est précisément pas une " cire molle " mais un être qui agit, réagit et sa personnalité a des effets directs sur les parents et leurs actions. Cet aspect laisse entrevoir que les effets de l'éducation ne sont pas d'emblée en correspondance avec les intentions éducatives parentales. Il est, par conséquent, nécessaire de cerner comment les parents se laissent guider par les émotions et la sensibilité propres à leur enfant. Wallon dit à ce propos : " Pourtant, dans la mesure où l'enfant ne peut être qu'orienté vers le milieu humain et technique d'où dépendent à tout instant sa subsistance et son existence, ils (stades de développement) portent déjà le reflet des relations auxquelles la parole et le don d'imaginer les choses servent d'instrument indispensable dans les relations humaines " (Wallon, 1941 pp. 14-15). Il se trouve que les actes éducatifs parentaux sont caractérisés par des actions gestuelles et verbales plus ou moins prédominantes au fur et à mesure que l'enfant grandit. Ce qui demande à l'adulte d'essayer dans la mesure du possible d'ajuster son comportement aux besoins spécifiques de l'enfant qui dès son plus jeune âge est membre à part entière d'une culture donnée, culture dont il apprend selon ses potentialités à discerner les traits spécifiques. L'adulte, pour sa part, tout en étant présent au côté de l'enfant est attentif à ses besoins et interprète, selon ses propres représentations, les actions engagées. Il construit ou adapte pour l'enfant des situations afin que celui-ci puisse agir en adéquation avec les comportements sociaux et les valeurs en vigueur.
A la lumière de ces considérations, le choix d'une démarche méthodologique adaptée aux deux situations choisies s'est révélé primordial. Notre point de départ concernant le choix des deux situations éducatives a été de déterminer l'espace au sein duquel les faits peuvent se trouver (Van Manen, 1990). La validité de la recherche est en effet liée aux possibilités du chercheur à saisir les phénomènes ciblant l'objet de l'étude. Ce sont par conséquent deux situations éducatives particulières se déroulant au domicile des parents qui ont été retenues. Ce choix ne s'est pas fait sans poser un certain nombre de questions. Après avoir déterminé le contexte dans lequel ces actes éducatifs se produisent, il s'agissait de trouver les séquences où se produisent des actes dont la nature est éducative entre l'enfant et le parent. Les parents doivent être en mesure d'exprimer leurs intentions et valeurs lorsqu'ils agissent envers leur enfant.
Nous inspirant de différents apports de méthodes d'observation, notre attention s'est portée sur des situations éducatives où il serait possible d'observer les actes éducatifs parentaux dans un cadre familier et sans y apporter de modification. Les mères et les pères ont été libres de s'organiser entre eux et d'agir avec leur enfant comme ils le souhaitaient autour de deux situations désignées préalablement. Les parents ont dans un premier temps confirmé qu'ils partageaient fréquemment des moments de jeu avec leur enfant et qu'ils avaient pour habitude de prendre un repas en commun avec celui-ci. Si tel n'avait pas été le cas, les situations observées auraient été artificielles autant pour l'enfant que pour le parent. Ne sachant ni sous quelle condition ni à quel moment le déroulement d'un acte éducatif va avoir lieu, notre présence dans les familles a été conséquente afin de repérer les formes que prennent les actes éducatifs. Il est ainsi devenu essentiel de laisser les parents prendre les initiatives une fois la rencontre fixée afin de nous indiquer les voies que ces derniers et nous-mêmes empruntons pour mener à bien notre étude. Une fois la consigne passée, les parents ont dû trouver l'art et la manière de participer avec leur enfant à la recherche, de clarifier le rythme et leurs capacités à agir devant nous et à prendre soin de leur enfant durant notre présence.
Notre première démarche a été de nous intéresser aux activités de l'enfant et au type de demande formulé envers le parent. En effet, nous nous sommes centrée sur les séquences de jonction où le parent réagit et agit en fonction de la demande de l'enfant. C'est à cet instant précis que nous pouvons saisir si le parent ajuste son comportement à la demande de l'enfant et s'il y a engagement de la part de ce dernier. Les différentes dimensions prennent alors une signification pour les partenaires de l'interaction. L'adulte répond à l'enfant en agissant et émet des réactions chargées d'affects et de valeurs. Cela sous-entend que " le parent modifie son activité en fonction de la demande de l'enfant, que cette modification est adéquate à la demande de l'enfant et que la même réponse est donnée régulièrement à des demandes identiques " (Pêcheux, 1990, p. 568).
Une fois le recueil de donnée achevé, nous disposions de bandes vidéo d'environ une heure chacune des situations de jeu et de repas de l'enfant avec chacun des parents. Chacun ayant été observé avec sa mère et avec son père, nous obtenons un ensemble de 1843 observations de situations interactives qui constituent la base de notre analyse. Chaque observation a été décomposée selon 24 variables, ce qui donne un total d'environ 43000 données. Nous pressentions de fait la difficulté de traiter ces données appliquant de grands nombres. Ceci est d'autant plus vrai que l'objectif de cette recherche est d'identifier les différentes composantes d'actes éducatifs effectués par les parents lors d'interaction avec leur enfant. Et qui plus est, il s'agit de qualifier la nature de certaines d'entre elles se présentant comme principales et possédant des similitudes afin de savoir de quelle structure elles relèvent. Notre démarche s'inscrit donc dans un double mouvement où nous devons examiner dans un premier temps des caractéristiques des situations et de ses acteurs pour ensuite nous intéresser aux différentes variables décrivant les conduites des mêmes acteurs. Pour ce faire, nous avons eu recours à la démarche statistique et avons utilisé deux logiciels (SIMCA et LE SPHINX). C'est ce qui nous a permis d'élaborer une méthode permettant d'atteindre le but recherché. En bref, nous avons procédé à une analyse statistique descriptive consistant à construire des indicateurs qui résument ou synthétisent l'information contenue dans les tableaux de données (que nous proposons de visualiser lors de la présentation de la communication). Plusieurs sortes d'analyse ont été réalisées : la première est celle des " tris à plat " où nous avons considéré les variables prises isolément ; la seconde étant celle des " tris croisés " où nous avons pris les variables deux à deux et avons ainsi opéré des croisements. Notre objectif n'est pas, par conséquent, de rendre compte d'une analyse de chaque cas individuel selon le sexe, la situation, l'âge etc. mais de mettre en commun les principaux traits apparaissant lors de l'analyse pour ensuite pouvoir généraliser certaines structures des actes éducatifs. Les particularités de tel enfant, tel sexe sont certes intéressantes mais ne ciblent pas directement l'objet de la recherche ; la tâche serait d'autant plus complexifiée que nous nous trouvons confrontée à une quantité très importante de données. A l'analyse des résultats obtenus à l'aide de ces différents outils, nous constatons que parmi les composantes comportementales des parents, des traits spécifiques se détachent, annonçant l'existence de différences en ce qui concerne les structurations des actes éducatifs observés. En effet, lorsque nous avons opéré une analyse transversale des tableaux de caractéristiques, un certain nombre de structures ont été relevées. Parmi celles-ci, nous avons fait le choix de ne retenir que les trois principales qui, pour notre recherche, méritent une attention particulière. La première structure dévoile des actes essentiellement basés sur la " coopération ", la seconde fait apparaître des actes composés prioritairement de " sollicitation " et la troisième retient des actes centrés principalement sur " l'imitation ".

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