Améliorer la connaissance des pratiques et des représentations
des enseignants de l'école primaire quant à leur rôle dans
le champ de l'éducation à la santé (ES), identifier les
résistances individuelles et structurelles ainsi que les besoins en terme
de partenariat et de formation constituent des objectifs importants de la recherche
en ES. Depuis de nombreuses années, les données issues des différents
champs de la santé publique plaident pour le développement de
la prévention, basé notamment sur l'éducation à
la santé (Plan National d'Education pour la Santé, 2001). En effet,
il ne suffit pas de consacrer des moyens toujours plus importants aux services
de soins pour améliorer la santé d'une population, il faut aussi
mettre en uvre des stratégies de prévention et plus généralement
promouvoir la santé (Haut Comité de Santé Publique, 1996).
Cependant, pour qu'une politique de promotion de la santé soit efficace,
il n'est d'autre alternative que l'adhésion des citoyens, leur implication
en tant que parties prenantes. Dans ce contexte, l'éducation des personnes
se révèle être un enjeu capital ; en complémentarité
avec d'autres acteurs, le système éducatif a un rôle déterminant
à jouer. A travers les programmes scolaires et plusieurs textes officiels
(voir réf. dans Larue & coll., 2000), l'éducation à
la santé (ES) prend une place significative parmi les missions assignées
au système scolaire. Cette étape politique est essentielle mais
les acteurs de l'ES sont bien placés pour savoir qu'un texte prescriptif
ne suffit pas à induire de nouvelles pratiques pédagogiques! Si
les personnels de santé sont aujourd'hui largement concernés,
la situation des enseignants est plus contrastée (Jourdan, 1990 ; St-Leger,
1998). La formation des professeurs dans ce domaine constitue donc un enjeu
capital, une priorité sur laquelle s'accorde l'ensemble des experts (
Piette, 1999 ; St-Leger, 1999 ; Kealey , 2000). Approfondir la connaissance
des pratiques des enseignants et identifier leurs représentations quant
à leur rôle constitue un objectif important de la recherche en
ES.
Notons cependant qu'aujourd'hui, les obstacles conceptuels ou politiques à
la mise en uvre d'une vraie promotion de la santé en milieu scolaire
sont partiellement levés. Certes, beaucoup reste à faire pour
une large diffusion d'outils adaptés à la spécificité
française, mais le principal problème demeure celui de la généralisation.
En effet, de nombreuses initiatives, particulièrement pertinentes, voient
le jour dans des établissements mais force est de constater que les écoles,
collèges et lycées impliqués restent peu nombreux. Par
ailleurs, les partenaires de l'Education Nationale (services de l'état,
réseau CFES et assurance maladie, associations) rencontrent des difficultés
dans la mise en uvre de projets durables avec les établissements.
Identifier les obstacles à une généralisation des programmes
de promotion de la santé dans les écoles, les collèges
et les lycées est donc une autre tâche importante.
Enfin, même si l'accent est mis sur l'ES dans les programmes de l'école
primaire, l'idée selon laquelle c'est à ce niveau que la prévention
est la plus efficace est encore peu partagée (Jourdan & Victor, 1998,
Collet & Berger, 1995). La spécificité de la prévention
des conduites à risques chez les jeunes nécessite de focaliser
l'action avant la période de l'adolescence qui se caractérise
par des conduites de prise de risques, de transgression d'interdits, une appétence
forte pour les attributs adultes (dont la consommation d'alcool et de tabac)
et l'importance de l'intégration au groupe des pairs. L'idée selon
laquelle c'est pendant l'enfance (avant l'apparition des conduites à
risques) que peuvent être acquis les comportements positifs vis-à-vis
de la santé a mené à assigner à l'école une
mission de prévention. Des leçons de morale sur l'hygiène,
la tuberculose ou l'alcoolisme de la fin du siècle dernier à l'intégration
de l'ES dans les programmes de 1995 (Ministère de l'Education Nationale,
1995), l'école primaire a toujours été un des principaux
lieux de prévention. Pourtant la bibliographie fait état d'études
essentiellement axées sur le second degré, un travail spécifique
sur l'école primaire peut permettre d'obtenir des éléments
quant à la mise en uvre de stratégies de prévention
précoce et plus généralement de construction des compétences
conduisant à la construction d'un concept de santé positif chez
les enfants.
C'est à partir de ces constats que l'Institut Universitaire de Formation
de Maîtres d'Auvergne et le service d'Epidémiologie, Economie de
la Santé et Prévention du CHU de Clermont-Ferrand ont réalisé
une enquête par questionnaire sur un échantillon représentatif
des enseignants du primaire de la région Auvergne. Cette étude
avait pour objectifs :
- d'évaluer les pratiques en ES déclarées par les enseignants,
- de mettre en évidence leurs représentations quant à leur
rôle dans l'ES de leurs élèves
- de situer les obstacles à leur implication dans des projets de prévention,
- de proposer des moyens de dépasser les obstacles rencontrés
en terme d'organisation, d'information, de formation (en direction de l'Education
Nationale, des services de l'Etat, du réseau CFES, des Caisses d'Assurance
Maladie et des associations).
Cette étude a été réalisée dans le cadre
des priorités de la politique régionale de santé publique
de la région Auvergne, en particulier du Programme Régional de
Santé " Alcool " dont le pilotage de l'axe " prévention
en direction des jeunes " a été confié aux structures
de l'Education Nationale.
Méthode
L'étude a consisté à interroger par courrier en avril 2001,
avec rappel, un échantillon représentatif des enseignants du primaire
par un questionnaire portant sur l'année scolaire 2000-2001.
Echantillonnage
La base de données sur laquelle a été effectué le
tirage au sort correspondait à la liste des écoles de la région
et a été fournie par les services statistiques des inspections
académiques de chaque département. Le sondage réalisé
était un sondage en grappes, où tous les maîtres d'une école
tirée au sort étaient interrogés. Le pourcentage d'écoles
tirées au sort s'élevait à 10 % du nombre total des écoles
de la région. Les écoles classées en ZEP/REP et celles
en RPI ne représentant qu'un faible pourcentage des écoles auvergnates,
nous avons tiré au sort deux fois plus de ces écoles, afin d'avoir
un nombre suffisant de réponses pour les analyses statistiques.
Analyse statistique
Les données ont tout d'abord été étudiées
de manière univariée, (test du Khi2 pour les comparaisons de pourcentages,
et analyse de la variance ou test non paramétrique test H de Kruskal-Wallis)
pour les comparaisons de moyennes. Le coefficient de corrélation de Pearson
a été calculé pour mesurer le lien entre les variables
quantitatives. Une analyse multivariée a été effectuée
afin d'expliquer les scores d'intérêt et de compétence pour
l'ES, à l'aide de régressions linéaires multiples. Une
valeur de p<0,2 a été retenue pour identifier les variables
à introduire dans les modèles. Les logiciels Epi Info 6.0 ®
et Statview F 4.5 ® ont été utilisés.
Résultats
Les données permettent de réaliser une photographie des pratiques
en ES des enseignants du premier degré de la région Auvergne.
La majorité des enseignants (plus de deux sur trois) déclarent
mettre en place un travail en ES. Mais 92% des enseignants interrogés
estiment que l'éducation à la santé est constitutive de
leur mission. L'approche est massivement thématique puisque seul un enseignant
sur trois déclare poursuivre des objectifs d'éducation globale.
Cette ES est essentiellement limitée à des séquences pédagogiques
puisqu'elle n'est intégrée à un projet que dans 20% des
cas. Le démarrage du travail est en général conditionné
non par une démarche collective ou un événement extérieur
mais par une décision individuelle de l'enseignant en référence
aux programmes scolaires. Une fois sur trois, le maître a fait appel à
des partenaires, il s'agit principalement des infirmières et médecins
du service de promotion de la santé en faveur des élèves
(SPSFE) c'est à dire aux équipes de " santé scolaire
". Les parents ne sont cités comme partenaires de l'action que par
une très faible minorité de maîtres (7%), cette absence
des parents sur un domaine pour lequel la complémentarité école/famille
est fondamentale, n'est pas spécifique à l'ES. Aujourd'hui, le
développement du partenariat avec les familles représente un enjeu
important dans l'évolution du métier d'enseignant.
Ces éléments doivent être complétés par l'étude
des obstacles cités par les enseignants qui ne pratiquent pas l'ES. Pour
eux, l'obstacle le plus important est le manque de temps, puis viennent les
manques de formation, de matériel et d'informations mais aussi la difficulté
à trouver des personnes-ressources à contacter. Ces éléments
permettent de situer la nature des actions potentiellement efficaces pour une
généralisation de la prise en compte de l'ES par les maîtres
: (1) la question du manque de temps est directement liée à une
représentation de l'ES comme une discipline supplémentaire. Donner
aux enseignants les moyens de considérer l'ES comme étant liée
à des attitudes, des modes d'organisation de la vie à l'école
et s'exprimant dans des activités éducatives " classiques
" à travers les séquences de français, d'éducation
physique, d'éducation civique, de sciences de la vie
est un moyen
de dépasser ce premier obstacle. De plus, leur permettre de percevoir
qu'ils font déjà de l'ES " sans le savoir " est un moyen
de les rassurer sur la nature de ce qui est attendu d'eux. (2) La mise en uvre
de formations adaptées intégrant à la fois un travail sur
les représentations de la santé, le rôle éducatif
du maître, les questions liées au partenariat mais aussi la présentation
de documents pédagogiques, l'apport d'expériences et la rencontre
avec les partenaires locaux peut permettre aux enseignants de se sentir "
autorisés " à investir un domaine souvent perçu comme
relevant du médical.
Les facteurs, tant liés aux enseignants eux-mêmes qu'aux caractéristiques
des écoles sont peu nombreux à influencer les pratiques. Travailler
en ES n'est pas l'apanage de telle ou telle catégorie d'enseignants puisqu'on
n'observe pas d'effet de l'âge, du sexe ou du statut de l'école.
Seuls deux facteurs conditionnent de façon significative les pratiques
en ES. Il s'agit d'une part de la formation des maîtres et d'autre part,
de l'appartenance de l'école à un réseau regroupant plusieurs
établissements scolaires (Zones ou Réseaux d'Education Prioritaire
en milieu urbain et le Regroupement Pédagogique Intercommunal en milieu
rural). Les enseignants ayant reçu une formation en ES ont plus travaillé
sur l'ES que leurs collègues. En outre, une influence de la formation
sur la représentation de l'ES par les enseignants a été
montrée. Il s'agit du facteur qui pèse le plus significativement
sur la pratique et le sentiment de compétence.
Conclusion
Les facteurs qui conditionnent les pratiques sont (1) le fait d'avoir bénéficié
d'une formation et (2) le fait de travailler dans des écoles regroupées
en réseau. Une politique efficace doit donc viser à développer
la formation en ES et à soutenir et accompagner les dynamiques collectives
au sein des écoles. De plus, les résultats soulignent le lien
existant entre pratiques et représentations des enseignants. A notre
sens le principal obstacle à la généralisation de la prise
en compte de l'ES n'est pas de nature technique (manque d'outils, contacts difficiles
avec les partenaires
) mais est bien liée à l'idée
que les acteurs se font de leur mission.
Des acteurs sont à mobiliser : d'une part les structures de formation
des enseignants (IUFM) et d'autre part les acteurs internes de l'accompagnement
des écoles au premier rang desquelles les équipes de circonscription
(inspecteurs, conseillers pédagogiques) et du SPSFE (infirmières,
médecins) dont la mission de conseil technique vient d'être réaffirmée
récemment (Ministère de l'éducation nationale, 2001). Les
enseignants montrent une forte attente vis-à-vis des partenaires externes
à l'école : aide à l'élaboration de projets et interventions
en classe pour amorcer le travail et conduire l'enseignant à se sentir
mieux assuré mais aussi parce que l'intervention d'un partenaire au cur
d'un projet de classe est un temps fort important pour la motivation des enfants.
Le professionnel de la prévention n'est pas là pour " faire
" de l'ES mais pour apporter son expertise, assurer le lien et soutenir
l'action des enseignants par sa compétence spécifique.
Références :
1- Berger (D), Collet (R),"Les représentations du Sida chez les
enfants", Le journal du Sida, n° 104, 1998
2- Jourdan (D), La formation des enseignants en éducation à la
santé dans les écoles normales, DU santé et éducation,
1990
3- Jourdan (D) et Victor (P), La formation des enseignants du primaire en éducation
à la santé dans les IUFM : enjeux et obstacles Recherche et formation,
28, 29-46 1998.
4- Jourdan (D), de Peretti (C), Victor (P), Motta (D), Berger (D), Cogerino
(G) et Marzin (P), Etat des lieux des formations en éducation à
la santé proposées dans les instituts universitaires de formation
des maîtres (IUFM) in " L'éducation pour la santé "
sous la direction de J. Billon, Presses Universitaires du Septentrion, Lille
2002
5- Larue (R), Fortin (J) et Michard (JL) Ecole et santé : le pari de
l'éducation. Hachette éducation 2000
6- Piette (D) & al., Tracking down the ENHPS successes for sustainable development
and dissemination, The EVA2 project, Final report, ULB, Bruxelles, 1999, 65
p.
7- Saint-Leger (L), Australian teachers' understandings of the health promoting
school concept and the implications for the development of school health, Health
promotion international, 1998, 223-235.
8- Saint-Leger (L), Health promotion in schools. In : The evidence of health
promotion effectiveness - Shaping public health in a new Europe. Part two :
evidence book. A report for the European Commission by the International Union
for Health Promotion and Education, 1999, pp. 110-133
9- Kealey (KA), Peterson (AV), Gaul (MA), Dinh (KT) Teacher training as a behavior
change process : principles and results from a longitudinal study, Health education
and behavior, 27(1), 2000 64-81.
Contacts :
Didier Jourdan, MCU, IUFM d'Auvergne, djourdan@auvergne.iufm.fr
Dominique Berger, Psychologue, IUFM d'auvergne, bergerdomi@wanadoo.fr
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