La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Quel sens les savoirs de la pratique donnent-ils à la formation ?


Titre : Les éléments clefs d'une démarche d'ingénierie des dispositifs de formation rurale à l'international
Auteurs : DEBOUVRY Pierre, MARAGNANI Alain

Texte :

1/ NOUVELLES DEMANDES - NOUVELLES NOTIONS
Dans les années 80, les experts et formateurs engagés dans l'élaboration de programmes ou la formation de formateurs de l'enseignement agricole de différents pays d'Afrique utilisèrent des méthodes d'intervention liées à la " pédagogie par objectifs ". Elles furent progressivement complétées (1989-1991) par des démarches " d'ingénierie de formation " qui permettaient de prendre en compte, dans la mise en place de formations rénovées, des nécessaires liaisons entre les réalités du monde rural, les évolutions des activités en milieu rural,.
Dans la réflexion sur l'adaptation des appareils nationaux de formation agricole et rurale, la prise en compte de la dimension nationale et de masse des effectifs à former suite aux répercussions des évolutions démographiques, émergea à partir de 1990 avec les travaux réalisés par un bureau d'études à la demande soit de la Banque Mondiale, soit de la FAO. Ils permirent de prendre pleinement conscience de la crise profonde des appareils africains de formation agricole (jusqu'alors essentiellement centrés sur les besoins en personnel des fonctions publiques) et de la nécessité de les reconstruire en les recentrant sur les producteurs et productrices ruraux en prenant en compte la dimension quantitative de la question.
Le document " Initiation à l'ingénierie de formation pour le développement " réalisé en 1996, sur des financements du ministère de la Coopération et du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, utilisé pour la conduite de séminaires pour des formateurs et des responsables de services de formation au Burkina Faso, au Cambodge, au Sénégal et en France, l'étude " Bilan et perspectives des actions d'ingénierie des dispositifs de formation à l'international " réalisée à la demande de la DGER et l'organisation des Journées d'études DGER / Agropolis à partir de 1995 contribuèrent à l'émergence de la notion " d'ingénierie des dispositifs de formation ". Celle-ci intègre à la fois la dimension " macro " (appareil national) et la dimension " micro " (dispositif local) dans une démarche générale où la formation est reliée aux évolutions économiques, démographiques et sociales générales, aux caractéristiques des métiers et des activités en milieu rural et aux interventions des différents acteurs du milieu rural dans la conduite d'un projet de développement.
La commande (1999) du ministère de l'Agriculture et de l'Elevage de Côte d'Ivoire pour la restauration de son appareil éducatif agricole, sur financement FAC, Banque Mondiale et Fonds Fiduciaires Français, faite à un consortium d'établissement d'enseignement supérieur agronomique , fut l'occasion d'accélérer la réflexion méthodologique.
Ces évolutions ont abouti à la mise en place d'un groupe de travail MAE / MAP " Ingénierie des dispositifs de formation à l'international " (2000) chargé d'élaborer des propositions de structuration de l'expertise française à l'international. Le sous-groupe chargé de l'élaboration d'un mémento a identifié trois éléments clefs structurant la démarche d'ingénierie de dispositifs de formation à l'international :
1. Une logique de préparation à des activités professionnelles ;
2. Une logique de projet ;
3. Une logique sociale.

2/ UNE LOGIQUE DE PREPARATION A DES ACTIVITES PROFESSIONNELLES
La situation économique et sociale du secteur agricole et agroalimentaire de très nombreux pays connaît des évolutions rapides liées à une urbanisation accélérée entraînant l'allongement des circuits commerciaux et une transformation plus élaborée des produits alimentaires, une exigence accrue des consommateurs sur la qualité des produits alimentaires (goût, présentation, hygiène, conservation), une prise en compte des problèmes environnementaux qui exige que la production agricole soit plus économe en ressources et plus soucieuse de ses conséquences sur l'environnement. Dans l'ensemble des pays, les évolutions du secteur agricole et agroalimentaire se sont encore accélérées avec la globalisation de l'activité économique à l'échelle mondiale, la restructuration des économies de nombreux pays sur les bases d'une économie de marché largement ouverte aux échanges internationaux, la privatisation des secteurs parapublics, la diminution des interventions de l'Etat, la suppression progressive de certaines barrières tarifaires ou réglementaires…
Dans les pays du sud, cette situation est encore accentuée par la forte poussée démographique entraînant une montée des densités de population, générant une obsolescence des systèmes de production, une crise environnementale et un grave problème d'insertion professionnelle des jeunes générations de plus en plus nombreuses.
Par l'amélioration des compétences des personnes, la formation professionnelle contribue à l'augmentation de la productivité du secteur agricole tant en termes de sol, de travail que de capital. C'est pourquoi la mise en place d'une formation professionnelle tournée vers l'emploi, les métiers, les activités professionnelles, et vers la création de compétences est une exigence dans les pays en développement. D'autant plus que se développe la prise de conscience que la formation a un coût économique et que les crédits de formation ne sont pas illimités, et qu'il y nécessité de trouver rapidement des solutions adaptées aux enjeux du développement.
Dans des pays où les formations sont amenées à connaître des évolutions extrêmement rapides, une approche de la formation à partir des activités professionnelles et des connaissances pré acquises selon une démarche d'ingénierie de formation, et non à partir des contenus scientifiques, apparaît nécessaire pour mener efficacement la conception d'actions de formation adaptées aux besoins de la société rurale et, en tout premier lieu, pour les agriculteurs et agricultrices.

3/ UNE LOGIQUE DE PROJET
L'élaboration d'une action de formation s'inscrit dans une logique de " projet ". Le projet détermine les perspectives d'un futur plus ou moins lointain : à long terme dans le cas d'un dispositif d'enseignement agricole qui doit permettre de préparer et perfectionner les ressources humaines du secteur agricole, à plus court terme dans le cas de la réalisation de projets de développement local. Dans un cas comme dans l'autre, la formation participe à l'atteinte d'objectifs économiques, sociaux, culturels d'avenir et son organisation est dépendante de ce futur envisagé et prévisible (public de la formation, moyens à mettre en œuvre, rapidité de réalisation…).
En faisant intervenir de multiples disciplines et opérateurs, un projet d'action de formation doit être rigoureusement monté (objectifs, contenus, programmation, budget, financement) et programmé dans le temps en étapes successives : étude du contexte général, analyse prospective de l'environnement économique, social, culturel, analyse des caractéristiques des activités professionnelles et des possibilités d'emploi, analyse des besoins de formation des différents acteurs du développement rural, élaboration d'un plan de formation et sa réalisation, évaluation des résultats de l'action de formation afin de savoir si les objectifs ont été atteints et à quel coût pour la collectivité et les individus.
La préparation et la mise en œuvre d'une action de formation exigent une démarche dans laquelle les différents acteurs concernés interviennent dans la démarche elle même et la question est alors de faire concilier ces démarches sociales, constructives, nécessairement itératives et souples, avec la rigueur d'un exercice de programmation.

4/ UNE LOGIQUE SOCIALE
La conception d'une action de formation est aussi une ingénierie sociale car elle participe au développement des capacités de diagnostic, d'organisation, de négociation et d'évaluation des acteurs locaux pour favoriser le développement et la pérennité des initiatives . Dans la construction ou la rénovation d'un dispositif de formation rurale l'accent doit être mis sur la question : Avec qui et comment le projet va-t-il être réalisé ? Quels acteurs vont être mobilisés et comment ? Qui sont les bénéficiaires et comment vont-ils être associés à sa mise en œuvre ? Comment les personnels du dispositif seront-ils également associés à sa mise en œuvre ? Comment participer à la construction des besoins de formation des différents acteurs ? Avec qui et comment la démarche de formation va-t-elle être construite ? Avec qui et comment les programmes vont-ils être élaborés ? Comment les personnels vont-ils être formés ?
La conception d'une action de formation en milieu rural se caractérise par l'ampleur des acteurs concernés par ce type de projet mais aussi par la complexité des situations sociales qui font intervenir un grand nombre de facteurs. Chacun des acteurs, par leurs positions dans le projet, a des objectifs, des centres d'intérêt, des points de vue, des représentations, des contraintes qui différent, voire qui sont contradictoires !
De plus, il ne s'agit pas de réaliser directement les actions en assignant un rôle à chacun des acteurs, mais de créer les conditions, de mobiliser les moyens, d'assurer l'appui logistique et l'assistance méthodologique qui permettront aux acteurs eux-mêmes de préciser leurs objectifs et leur rôle dans le déroulement du projet de formation, c'est à dire qui leur permette d'organiser les règles sociales nécessaires à la bonne marche du projet, assurant ainsi de répondre aux besoins de formation et de former les acteurs dans la conduite même de l'action.

5/ EN CONCLUSION
La conception et la conduite d'une action de formation exigent de combiner tout à la fois des méthodes (par exemple : des méthodes de diagnostic des besoins de formation, d'analyse des activités professionnelles, mais aussi des méthodes pédagogiques adaptées), des pratiques (la conduite de l'analyse des besoins de formation avec le public considéré, les pratiques de gestion des ressources humaines ou des pratiques pédagogiques), des connaissances (économiques, sociales, culturelles, pédagogiques), une organisation sociale (des entreprises, des établissements de formation, des administrations...), des moyens (humains, matériels, financiers), des textes de référence (lois, arrêtés, règlements, organisant les recrutements, la formation, les conditions de la certification).
Ces différents éléments sont également organisés dans le temps en étapes successives mais leur mise en œuvre exige également une structuration sociale particulière au pilotage du projet (chef de projet, équipe de projet, groupe de pilotage, organisation de l'information et de la négociation entre acteurs, ) qui vont permettre d'avancer dans la réalisation du projet par compromis progressifs entre les acteurs.

Mot clefs : formation professionnelle, milieu rural, ingénierie des dispositifs de formation.


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