1. INTRODUCTION
L'éducation à la santé (ES) a pris une place importante
dans les missions assignées au système éducatif. Depuis
1998, le Ministère de l'Éducation nationale a marqué la
volonté de développer l'ES par plusieurs circulaires incitant
les équipes éducatives des écoles et des collèges
à s'impliquer davantage dans ce domaine.
Les enjeux de l'ES au sein de l'Ecole sont à mettre en rapport avec l'augmentation
des problèmes de santé de la population, et en particulier de
la jeunesse, ce qui engendre une sollicitation croissante des systèmes
éducatifs. De fait, l'obligation scolaire et la prolongation de la scolarité
désignent l'Ecole comme le seul lieu où une éducation à
la santé peut s'exercer sur de longues périodes auprès
de la totalité d'une classe d'âge.
On sait parallèlement que l'école a une incidence sur la santé
et sur ses déterminants (impact des conditions d'apprentissage sur la
construction de l'identité et la socialisation
). Ces influences
concernent l'ensemble des acteurs impliqués dans l'Institution, des décideurs
aux communautés éducatives. Elles contribuent au " programme
caché ", c'est à dire à ce qui va être vécu
au quotidien et agir implicitement sur les apprentissages, en cohérence
ou non avec les finalités, les objectifs et les démarches de l'éducation
à la santé à l'école.
Contrairement au concept médical de " l'éducation pour la
santé " où la santé est un but en soi, l'Ecole inscrit
" l'éducation à la santé " dans un objectif éducationnel
où la santé - entendue comme une ressource dont les différentes
dimensions (physique, psychologique et sociale) sont intimement liées
- peut être un moyen de rendre l'individu acteur et responsable dans une
perspective d'éducation à la citoyenneté. Cette approche
est nécessairement liée à une évolution du système
éducatif vers l'ouverture de l'école, l'implication de l'ensemble
des membres de la communauté éducative dans la vie scolaire (conseil
d'école) et vers une démarche de projet (projet d'école).
Ces différents éléments définissant un cadre susceptible
de permettre la structuration de véritables projets en ES dans les écoles,
il nous a semblé important de clarifier l'appropriation de ces évolutions
par les acteurs de terrain de l'école élémentaire dont
les pratiques pédagogiques en ES sont mal connues.
L'objet de notre travail a donc été d'interroger la manière
dont les équipes mettent au point une approche de l'éducation
à la santé qui tient compte à la fois des spécificités
(contenus, pédagogie) et de l'éthique de l'école primaire,
et des éléments apportés par les travaux réalisés
dans le domaine de la santé publique sur l'approche communautaire ou
l'acquisition des compétences psychosociales (démarches, finalités).
2. METHODOLOGIE
Au-delà d'un état des lieux et à la suite des guides-ressource
précédemment réalisés par l'unité "
école et santé ", le groupe INRP a tenté de répondre
dans le même temps : (1) à la demande d'informations des collègues
du premier degré en matière d'éducation à la santé
par une diffusion de pratiques innovantes, (2) au besoin de s'interroger sur
les conditions de mise en place et de pérennisation d'actions en ES à
l'école.
Le recueil de données a été mené en deux temps :
un questionnaire distribué dans les académies de Clermont-ferrand,
Lyon, Rouen et Versailles (96 retours d'écoles élémentaires)
nous a permis de repérer des actions innovantes et d'organiser un second
recueil de données à partir d'entretiens semi-directifs (31).
L'intention majeure du travail étant d'inciter les maîtres à
développer de telles actions en apportant à la fois des idées,
des outils et des modes d'organisation transférables, une vingtaine d'actions
ont été retenues pour être interrogées et présentées
dans le guide ressource.
Les critères qui ont présidé au choix des actions présentées
ont été que :
· l'action soit innovante et riche par rapport au modèle d'éducation
à la santé précédemment présenté et/ou
;
· le schéma d'action mis en uvre se retrouvait dans différentes
académies, et/ou ;
· l'action présentée pouvait présenter une bonne
entrée pour des enseignants désirant aborder ce domaine mais ne
sachant comment.
Pour éviter l'écueil du modèle d'action, l'action est reconstruite
sous forme de fiches permettant une lecture plus aisée de l'action, à
partir des extraits d'interviews des acteurs selon une grille homogène
organisée en quatre points :
1. la caractérisation du projet et de ses axes forts qui se déclinent
en termes de réussites ou de difficultés ;
2. un schéma synoptique, pour mieux appréhender l'ensemble de
l'action ;
3. une " opération guillemets " en 10 points qui formalise
l'action à partir du discours des personnes interviewées sans
d'autre parti pris que de permettre une présentation synthétique
et dynamique des actions ;
4. enfin une phrase de conclusion où l'acteur met en avant ce qui lui
semble le plus important à partager avec les enseignants qui ont envie
de développer l'ES dans leurs écoles.
Outre le guide ressource, cette recherche sera l'objet d'un rapport de recherche
basé sur l'analyse de l'ensemble des données recueillies.
3. RESULTATS
Les premiers résultats obtenus font apparaître une réelle
diversité de pratiques tant au niveau des objectifs, de la démarche
de conception que de la mise en uvre. Nous allons tenter de montrer cette
diversité au travers de quelques items relevés principalement
dans l'ébauche du guide-ressource, c'est à dire plutôt au
travers de pratiques innovantes :
- la situation déclenchante ; les actions santé peuvent être
inhérentes à des problèmes intra-institutionnels (directives
ministérielles liées aux gestes de premiers secours ou aux programmes
officiels) ou bien liées à des réalités locales
environnementales (problème d'agression sexuelle ou de maltraitance,
problèmes quotidiens d'agressivité physique ou verbale, cohabitation
d'ethnies et confrontation de modes de vie différents) ;
- les personnes impliquées ; les actions peuvent être impulsées
par l'équipe des personnels sanitaires, par l'ensemble de la communauté
éducative ou encore par des comités locaux ou municipaux. Dans
les zones sensibles, l'implication du coordonnateur est souvent à l'origine
d'actions en éducation à la santé. Elles se font également
en réponse à des demandes et des besoins exprimés par des
enseignants, eux-mêmes sensibilisés par les élèves
et s'engageant parfois dans une action que l'on pourrait qualifier de "
militante " ;
- les relations mises en place au travers du partenariat institutionnel ou non
; les actions sont souvent l'uvre d'un ensemble d'acteurs de catégories
diversifiées, les équipes médicales scolaires ou municipales
y sont particulièrement présentes. Ce " partenariat "
peut ne relever que de la prestation de service ou être le résultat
d'une véritable réflexion commune.
- les approches au travers des objectifs visés ; les approches sont le
plus souvent globales et s'inscrivent dans la continuité sur une année,
un cycle ou sur la totalité du cursus primaire dans un esprit curriculaire
avec comme toile de fond le développement des compétences psychosociales
de l'enfant mais elles peuvent être plus ponctuelles et concerner un acte
collectif de solidarité et de citoyenneté ou la prévention
primaire autour d'un thème particulier ;
- les contenus; 3 axes majeurs ont été repérés concernant
l'ES en lien avec la santé (hygiène de vie, SIDA), l'ES en lien
avec l'éducation à la citoyenneté (compétences psychosociales)
et l'ES en lien avec l'éducation à l'environnement (sécurité
routière, sécurité domestique) ;
- l'ampleur de l'action ; les actions retenues peuvent être aussi bien
à l'échelle de la classe qu'à celle de la circonscription
en passant par l'école ou un groupement d'écoles.
Ces résultats ne représentent qu'une première approche
des éléments constitutifs des pratiques en ES à l'école
élémentaire qui sera affinée par une analyse plus complète
des données recueillies en particulier les facteurs de pérennité,
la prise en compte de la réflexion éthique, les méthodes,
les outils utilisés et les effets observés...
4. DISCUSSION ET CONCLUSION
A la lecture de ces résultats, deux points essentiels, moteurs de la
mise en uvre d'actions en ES dans les écoles primaires semblent
se dégager : le contexte dans lequel les élèves et les
enseignants évoluent, source de situations problématiques obligeant
à une remédiation et à une évolution à la
fois des objectifs visés et des pratiques éducatives ; la possibilité
d'un partenariat potentiel ou proposé, support d'une réflexion
et d'une motivation de la part des enseignants.
On peut remarquer que les actions massives impliquant plusieurs classes sont
souvent le résultat d'un événement déclencheur (une
maltraitance, un fait de violence etc...) ou l'augmentation de la violence ou
de l'intolérance au sein de l'école ou du quartier. L'évolution
du nombre de classes concernées par le projet est alors généralement
liée aux effets bénéfiques ressentis tant au niveau de
la relation élève-élève, enseignant-élève
qu'au niveau de la communication enseignant-parent mais également parent-enfant.
La conviction de la nécessité d'agir pour l'équipe éducative
semble renforcer l'attention portée aux continuités à établir
entre les différentes disciplines et activités de la classe -
les parents - les autres niveaux de classe - entre les intervenants et la classe
- enfin avec le " hors l'école " et " l'après école
", pour que les élèves soient réellement au cur
des préoccupations de la communauté scolaire.
Dans ce contexte, on peut noter que les effets attendus se situent moins du
côté des connaissances ou de l'appropriation de savoirs que du
côté d'un travail sur les comportements et les mises en rapport,
rapport de l'élève à son propre corps, rapport à
l'autre, à l'avenir, aux adultes, à la nourriture etc... De fait
on peut penser que le manque de lisibilité de l'objet santé, érigé
en corps constitué de connaissances fait hésiter les enseignants
à le mettre en uvre seuls dans la classe et, parce qu'il s'agit
d'une mise en rapports, l'éducation à la santé impose la
pluralité et la diversité des situations et des rencontres. Les
équipes les ressentent comme potentiellement bénéfiques
pour les apprentissages et pour le double rapport à l'école et
aux savoirs. C'est à ce titre que les enseignants acceptent l'ouverture
à des partenaires et le travail conjoint.
Le schéma le plus fréquemment adopté est un schéma
partenarial où l'enseignant se déclare, ou est reconnu comme responsable
des continuités à établir. Pour autant ces continuités
ne peuvent être établies que si enseignants et partenaires sont
parties prenantes des enjeux fondamentaux de leur collaboration, et prennent
le soin de clarifier ensemble le(s) objectif(s) commun(s) qui orientera le système
d'intervention et justifiera " le minimum d'action commune négociée
" caractéristique d'un partenariat.
L'action démarre fréquemment après une analyse de besoins
plus ou moins formalisée qui peut se situer de manière volontariste
au niveau national pour répondre à un enjeu de santé publique,
comme au niveau régional, mais aussi plus localement dans une circonscription,
l'établissement ou dans la classe.. Il apparaît que plus l'analyse
de besoins est située à un niveau local, mieux elle est partagée,
les grands enjeux nationaux nécessitant des réflexions conjointes
et un temps d'appropriation.
Ces situations d'ouverture sont plus le fait d'acteurs volontaires, impliqués
ayant le goût de l'innovation et de l'échange que des systèmes,
ce qui explique la difficulté à développer des actions
d'ampleur nationale. Les méthodes mises en uvre impliquent le plus
souvent les élèves dans des réalisations qui peuvent être
ambitieuses parfois même médiatisées. Le développement
de l'action et sa pérennisation nécessite la présence d'une
chaîne de volontés politiques (enseignant, partenaires, chef d'établissement,
IEN, voire collectivités locales et associations...) ayant une réelle
volonté d'agir. De ce point de vue les ruptures institutionnelles comme
: les mouvements de personnel, une consultation nationale, l'abandon d'un plan
de formation pour un problème de gestion des stages IUFM, constituent
des ruptures potentielles et menacent le développement de l'action, de
même d'ailleurs que l'insuffisance de formation initiale des maîtres
sur les questions d'éducation à la santé ou le pilotage
d'un partenariat.
La présence de ressources locales (IFSI - établissement voisin
en projet - équipe médicale investie etc...) semble jouer un rôle
majeur dans les mises en place de l'éducation à la santé
à l'école élémentaire. De même on peut noter
que la préexistence de structures synergiques (REP - ZEP... ) ou l'existence
d'écoles polyvalentes (maternelle et élémentaire) jouent
un rôle fondamental dans le développement des actions.
En conclusion à cette première analyse, il apparaît que
la mise en uvre de projets ou d'actions en lien avec l'éducation
à la santé est principalement conditionnée par l'environnement
de l'école. Le rôle fondamental de l'Ecole et des diverses structures
satellites serait de permettre à un maximum d'écoles primaires
d'être dans des conditions permettant la genèse d'un travail collectif
autour de la santé centré sur l'élève, qu'il s'agisse
des structures d'encadrement à vocation de sollicitation et de valorisation,
des structures de formation sensibilisant les acteurs et accompagnant des projets,
ou des partenaires ayant pour souci, par des propositions adaptées, la
prise en compte des spécificités de la mission de l'Ecole.
5. BIBLIOGRAPHIE
- Collectif : Education à la santé, rôle et formation des
personnels d'éducation, Revue recherche et formation n° 28, INRP,
Paris, 1998
- Larue R et coll., Ecole et santé : Le pari de l'éducation, Hachette
éducation 2000
- Leselbaum Nelly et coll., La prévention à l'école, guide
ressource des actions d'éducation à la santé liées
à la prévention des cancers menées dans les lycées
et collèges, INRP 1991
- Mérini C. et de Peretti Ch., " Dans quelle position l'Ecole met-elle
ses partenaires dans la mise en uvre d'une action d'éducation à
la santé ? " Revue Santé publique, Paris, à paraître
- Zay D., Gonnin-Bolo A., (Dir.). Etablissements et partenariats. Stratégies
pour des projets communs, colloque de janvier 1993, Paris, INRP, 1995.
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