La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : L'EDUCATION A LA SANTE : quelles pratiques à l'école élémentaire ?
Auteurs : VICTOR Patricia IUFM de l'Académie de Rouen/LIREST, ENS de Cachan / BERGER Dominique / JOURDAN Didier IUFM d'Auvergne / MERINI Corinne IUFM de Versailles

Texte :
1. INTRODUCTION

L'éducation à la santé (ES) a pris une place importante dans les missions assignées au système éducatif. Depuis 1998, le Ministère de l'Éducation nationale a marqué la volonté de développer l'ES par plusieurs circulaires incitant les équipes éducatives des écoles et des collèges à s'impliquer davantage dans ce domaine.
Les enjeux de l'ES au sein de l'Ecole sont à mettre en rapport avec l'augmentation des problèmes de santé de la population, et en particulier de la jeunesse, ce qui engendre une sollicitation croissante des systèmes éducatifs. De fait, l'obligation scolaire et la prolongation de la scolarité désignent l'Ecole comme le seul lieu où une éducation à la santé peut s'exercer sur de longues périodes auprès de la totalité d'une classe d'âge.
On sait parallèlement que l'école a une incidence sur la santé et sur ses déterminants (impact des conditions d'apprentissage sur la construction de l'identité et la socialisation…). Ces influences concernent l'ensemble des acteurs impliqués dans l'Institution, des décideurs aux communautés éducatives. Elles contribuent au " programme caché ", c'est à dire à ce qui va être vécu au quotidien et agir implicitement sur les apprentissages, en cohérence ou non avec les finalités, les objectifs et les démarches de l'éducation à la santé à l'école.
Contrairement au concept médical de " l'éducation pour la santé " où la santé est un but en soi, l'Ecole inscrit " l'éducation à la santé " dans un objectif éducationnel où la santé - entendue comme une ressource dont les différentes dimensions (physique, psychologique et sociale) sont intimement liées - peut être un moyen de rendre l'individu acteur et responsable dans une perspective d'éducation à la citoyenneté. Cette approche est nécessairement liée à une évolution du système éducatif vers l'ouverture de l'école, l'implication de l'ensemble des membres de la communauté éducative dans la vie scolaire (conseil d'école) et vers une démarche de projet (projet d'école).
Ces différents éléments définissant un cadre susceptible de permettre la structuration de véritables projets en ES dans les écoles, il nous a semblé important de clarifier l'appropriation de ces évolutions par les acteurs de terrain de l'école élémentaire dont les pratiques pédagogiques en ES sont mal connues.

L'objet de notre travail a donc été d'interroger la manière dont les équipes mettent au point une approche de l'éducation à la santé qui tient compte à la fois des spécificités (contenus, pédagogie) et de l'éthique de l'école primaire, et des éléments apportés par les travaux réalisés dans le domaine de la santé publique sur l'approche communautaire ou l'acquisition des compétences psychosociales (démarches, finalités).

2. METHODOLOGIE

Au-delà d'un état des lieux et à la suite des guides-ressource précédemment réalisés par l'unité " école et santé ", le groupe INRP a tenté de répondre dans le même temps : (1) à la demande d'informations des collègues du premier degré en matière d'éducation à la santé par une diffusion de pratiques innovantes, (2) au besoin de s'interroger sur les conditions de mise en place et de pérennisation d'actions en ES à l'école.
Le recueil de données a été mené en deux temps : un questionnaire distribué dans les académies de Clermont-ferrand, Lyon, Rouen et Versailles (96 retours d'écoles élémentaires) nous a permis de repérer des actions innovantes et d'organiser un second recueil de données à partir d'entretiens semi-directifs (31). L'intention majeure du travail étant d'inciter les maîtres à développer de telles actions en apportant à la fois des idées, des outils et des modes d'organisation transférables, une vingtaine d'actions ont été retenues pour être interrogées et présentées dans le guide ressource.
Les critères qui ont présidé au choix des actions présentées ont été que :
· l'action soit innovante et riche par rapport au modèle d'éducation à la santé précédemment présenté et/ou ;
· le schéma d'action mis en œuvre se retrouvait dans différentes académies, et/ou ;
· l'action présentée pouvait présenter une bonne entrée pour des enseignants désirant aborder ce domaine mais ne sachant comment.
Pour éviter l'écueil du modèle d'action, l'action est reconstruite sous forme de fiches permettant une lecture plus aisée de l'action, à partir des extraits d'interviews des acteurs selon une grille homogène organisée en quatre points :
1. la caractérisation du projet et de ses axes forts qui se déclinent en termes de réussites ou de difficultés ;
2. un schéma synoptique, pour mieux appréhender l'ensemble de l'action ;
3. une " opération guillemets " en 10 points qui formalise l'action à partir du discours des personnes interviewées sans d'autre parti pris que de permettre une présentation synthétique et dynamique des actions ;
4. enfin une phrase de conclusion où l'acteur met en avant ce qui lui semble le plus important à partager avec les enseignants qui ont envie de développer l'ES dans leurs écoles.

Outre le guide ressource, cette recherche sera l'objet d'un rapport de recherche basé sur l'analyse de l'ensemble des données recueillies.

3. RESULTATS

Les premiers résultats obtenus font apparaître une réelle diversité de pratiques tant au niveau des objectifs, de la démarche de conception que de la mise en œuvre. Nous allons tenter de montrer cette diversité au travers de quelques items relevés principalement dans l'ébauche du guide-ressource, c'est à dire plutôt au travers de pratiques innovantes :
- la situation déclenchante ; les actions santé peuvent être inhérentes à des problèmes intra-institutionnels (directives ministérielles liées aux gestes de premiers secours ou aux programmes officiels) ou bien liées à des réalités locales environnementales (problème d'agression sexuelle ou de maltraitance, problèmes quotidiens d'agressivité physique ou verbale, cohabitation d'ethnies et confrontation de modes de vie différents) ;
- les personnes impliquées ; les actions peuvent être impulsées par l'équipe des personnels sanitaires, par l'ensemble de la communauté éducative ou encore par des comités locaux ou municipaux. Dans les zones sensibles, l'implication du coordonnateur est souvent à l'origine d'actions en éducation à la santé. Elles se font également en réponse à des demandes et des besoins exprimés par des enseignants, eux-mêmes sensibilisés par les élèves et s'engageant parfois dans une action que l'on pourrait qualifier de " militante " ;
- les relations mises en place au travers du partenariat institutionnel ou non ; les actions sont souvent l'œuvre d'un ensemble d'acteurs de catégories diversifiées, les équipes médicales scolaires ou municipales y sont particulièrement présentes. Ce " partenariat " peut ne relever que de la prestation de service ou être le résultat d'une véritable réflexion commune.
- les approches au travers des objectifs visés ; les approches sont le plus souvent globales et s'inscrivent dans la continuité sur une année, un cycle ou sur la totalité du cursus primaire dans un esprit curriculaire avec comme toile de fond le développement des compétences psychosociales de l'enfant mais elles peuvent être plus ponctuelles et concerner un acte collectif de solidarité et de citoyenneté ou la prévention primaire autour d'un thème particulier ;
- les contenus; 3 axes majeurs ont été repérés concernant l'ES en lien avec la santé (hygiène de vie, SIDA), l'ES en lien avec l'éducation à la citoyenneté (compétences psychosociales) et l'ES en lien avec l'éducation à l'environnement (sécurité routière, sécurité domestique) ;
- l'ampleur de l'action ; les actions retenues peuvent être aussi bien à l'échelle de la classe qu'à celle de la circonscription en passant par l'école ou un groupement d'écoles.

Ces résultats ne représentent qu'une première approche des éléments constitutifs des pratiques en ES à l'école élémentaire qui sera affinée par une analyse plus complète des données recueillies en particulier les facteurs de pérennité, la prise en compte de la réflexion éthique, les méthodes, les outils utilisés et les effets observés...

4. DISCUSSION ET CONCLUSION

A la lecture de ces résultats, deux points essentiels, moteurs de la mise en œuvre d'actions en ES dans les écoles primaires semblent se dégager : le contexte dans lequel les élèves et les enseignants évoluent, source de situations problématiques obligeant à une remédiation et à une évolution à la fois des objectifs visés et des pratiques éducatives ; la possibilité d'un partenariat potentiel ou proposé, support d'une réflexion et d'une motivation de la part des enseignants.
On peut remarquer que les actions massives impliquant plusieurs classes sont souvent le résultat d'un événement déclencheur (une maltraitance, un fait de violence etc...) ou l'augmentation de la violence ou de l'intolérance au sein de l'école ou du quartier. L'évolution du nombre de classes concernées par le projet est alors généralement liée aux effets bénéfiques ressentis tant au niveau de la relation élève-élève, enseignant-élève qu'au niveau de la communication enseignant-parent mais également parent-enfant. La conviction de la nécessité d'agir pour l'équipe éducative semble renforcer l'attention portée aux continuités à établir entre les différentes disciplines et activités de la classe - les parents - les autres niveaux de classe - entre les intervenants et la classe - enfin avec le " hors l'école " et " l'après école ", pour que les élèves soient réellement au cœur des préoccupations de la communauté scolaire.
Dans ce contexte, on peut noter que les effets attendus se situent moins du côté des connaissances ou de l'appropriation de savoirs que du côté d'un travail sur les comportements et les mises en rapport, rapport de l'élève à son propre corps, rapport à l'autre, à l'avenir, aux adultes, à la nourriture etc... De fait on peut penser que le manque de lisibilité de l'objet santé, érigé en corps constitué de connaissances fait hésiter les enseignants à le mettre en œuvre seuls dans la classe et, parce qu'il s'agit d'une mise en rapports, l'éducation à la santé impose la pluralité et la diversité des situations et des rencontres. Les équipes les ressentent comme potentiellement bénéfiques pour les apprentissages et pour le double rapport à l'école et aux savoirs. C'est à ce titre que les enseignants acceptent l'ouverture à des partenaires et le travail conjoint.
Le schéma le plus fréquemment adopté est un schéma partenarial où l'enseignant se déclare, ou est reconnu comme responsable des continuités à établir. Pour autant ces continuités ne peuvent être établies que si enseignants et partenaires sont parties prenantes des enjeux fondamentaux de leur collaboration, et prennent le soin de clarifier ensemble le(s) objectif(s) commun(s) qui orientera le système d'intervention et justifiera " le minimum d'action commune négociée " caractéristique d'un partenariat.
L'action démarre fréquemment après une analyse de besoins plus ou moins formalisée qui peut se situer de manière volontariste au niveau national pour répondre à un enjeu de santé publique, comme au niveau régional, mais aussi plus localement dans une circonscription, l'établissement ou dans la classe.. Il apparaît que plus l'analyse de besoins est située à un niveau local, mieux elle est partagée, les grands enjeux nationaux nécessitant des réflexions conjointes et un temps d'appropriation.
Ces situations d'ouverture sont plus le fait d'acteurs volontaires, impliqués ayant le goût de l'innovation et de l'échange que des systèmes, ce qui explique la difficulté à développer des actions d'ampleur nationale. Les méthodes mises en œuvre impliquent le plus souvent les élèves dans des réalisations qui peuvent être ambitieuses parfois même médiatisées. Le développement de l'action et sa pérennisation nécessite la présence d'une chaîne de volontés politiques (enseignant, partenaires, chef d'établissement, IEN, voire collectivités locales et associations...) ayant une réelle volonté d'agir. De ce point de vue les ruptures institutionnelles comme : les mouvements de personnel, une consultation nationale, l'abandon d'un plan de formation pour un problème de gestion des stages IUFM, constituent des ruptures potentielles et menacent le développement de l'action, de même d'ailleurs que l'insuffisance de formation initiale des maîtres sur les questions d'éducation à la santé ou le pilotage d'un partenariat.
La présence de ressources locales (IFSI - établissement voisin en projet - équipe médicale investie etc...) semble jouer un rôle majeur dans les mises en place de l'éducation à la santé à l'école élémentaire. De même on peut noter que la préexistence de structures synergiques (REP - ZEP... ) ou l'existence d'écoles polyvalentes (maternelle et élémentaire) jouent un rôle fondamental dans le développement des actions.

En conclusion à cette première analyse, il apparaît que la mise en œuvre de projets ou d'actions en lien avec l'éducation à la santé est principalement conditionnée par l'environnement de l'école. Le rôle fondamental de l'Ecole et des diverses structures satellites serait de permettre à un maximum d'écoles primaires d'être dans des conditions permettant la genèse d'un travail collectif autour de la santé centré sur l'élève, qu'il s'agisse des structures d'encadrement à vocation de sollicitation et de valorisation, des structures de formation sensibilisant les acteurs et accompagnant des projets, ou des partenaires ayant pour souci, par des propositions adaptées, la prise en compte des spécificités de la mission de l'Ecole.

5. BIBLIOGRAPHIE

- Collectif : Education à la santé, rôle et formation des personnels d'éducation, Revue recherche et formation n° 28, INRP, Paris, 1998
- Larue R et coll., Ecole et santé : Le pari de l'éducation, Hachette éducation 2000
- Leselbaum Nelly et coll., La prévention à l'école, guide ressource des actions d'éducation à la santé liées à la prévention des cancers menées dans les lycées et collèges, INRP 1991
- Mérini C. et de Peretti Ch., " Dans quelle position l'Ecole met-elle ses partenaires dans la mise en œuvre d'une action d'éducation à la santé ? " Revue Santé publique, Paris, à paraître
- Zay D., Gonnin-Bolo A., (Dir.). Etablissements et partenariats. Stratégies pour des projets communs, colloque de janvier 1993, Paris, INRP, 1995.


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