Le concept d'autorégulation de l'apprentissage (self-regulated learning)
est né des travaux sur la métacognition. Plus précisément,
ce paradigme s'est défini comme objectif l'analyse de l'aspect exécutif
de la métacognition : le contrôle actif, la régulation et
l'orchestration des processus cognitifs en vue de la réalisation d'un
objectif déterminé (Flavell, 1976 ; Royer, Cisero et Carlo, 1993
; Noël, Romainville et Wolfs, 1995 ; Lafortune & St-Pierre, 1996).
Un élément clé du processus d'autorégulation se
situe dans les stratégies d'autorégulation cognitive (voir notamment
Boekaerts, 1996 ; Pintrich, 1999). Elles consistent en des stratégies
de gestion de son propre répertoire de stratégies cognitives (spécifiques
ou transversales) et de connaissances déclaratives et procédurales
(spécifiques à la discipline scolaire ou à l'activité
concernée). L'individu qui est capable de stratégies d'autorégulation
cognitive peut sélectionner les procédures les plus efficaces
(dans la perspective d'atteindre l'objectif déterminé), les contrôler
et les réajuster si nécessaire.
Notre examen de la littérature nous permet d'en définir trois
types (Pintrich & De Groot, 1990 ; Boekaerts, 1996) :
- Anticipation : sur base de l'analyse de la tâche, la détermination
de l'objectif permet d'activer les éléments déclaratifs,
procéduraux et stratégiques (ainsi que motivationnels,
).
Elle facilite la planification des procédures et stratégies à
entreprendre afin de compléter cet objectif. Il s'agit d'une phase de
prise de décision, soit d'anticipation.
- Contrôle : un processus d'auto-surveillance (monitoring) est réalisé
pour contrôler le cours de l'action et évaluer ses résultats
en rapport à l'objectif fixé. Le sujet observe son comportement
et compare les résultats obtenus aux objectifs. Le monitoring donne principalement
l'alerte en cas de chute d'attention et d'écartement de la poursuite
de l'objectif.
- Ajustement : en fonction des informations récoltées par la stratégie
de contrôle, l'individu décide de maintenir, d'interrompre ou de
modifier son action, afin de (re)positionner son comportement en ligne de l'objectif.
Cette stratégie permet également à l'individu d'ajuster
son répertoire de connaissances et stratégies stockées
en mémoire à long terme (modification en fonction des résultats
observés).
Schunk & Zimmerman (1998) décrivent le caractère circulaire
de ces éléments (voir figure 1). Le fonctionnement des trois stratégies
se produit selon un phénomène de régulation basé
sur les boucles de rétroaction, tel le fonctionnement du thermostat.
Face à la constatation que les résultats obtenus ne sont pas suffisants
à l'atteinte de l'objectif, l'individu doit programmer un nouveau plan
d'action et/ou réévaluer son objectif. Ainsi, l'objectif, qui
constitue fondamentalement un élément décisionnel préalable
à l'action, est continuellement ajusté en cours d'action.
Figure 1 : phases cycliques de l'autorégulation (inspiré de Schunk
& Zimmerman, 1998, p.3)
La capacité de l'élève à autoréguler son
apprentissage prend tout sens à l'école secondaire et universitaire
(choix des programmes, demande d'autonomie dans le travail dans des projets
à moyens et longs termes,
). Cependant, c'est selon nous dès
l'enseignement primaire que ces compétences doivent se construire et
donc être stimulées.
Notre recherche doctorale vise dans un premier temps à identifier les
compétences relatives aux stratégies d'autorégulation cognitive
d'enfant de fin d'enseignement primaire (10-11 ans), afin d'élaborer
dans un second temps des programmes d'intervention pédagogique visant
le développement de ces capacités.
Nous avons posé l'étude de ces compétences dans le domaine
scolaire des résolutions de problèmes mathématiques, que
nous caractérisons par trois éléments (voir notamment Poirier-Proulx,
1992) :
· l'existence d'un écart ou d'une distance entre une situation
présente (jugée insatisfaisante) et une situation désirée
(ou but à atteindre) ;
· l'absence d'évidence du chemin menant à la suppression
ou à la réduction de cet écart (qui exige dès lors
une démarche cognitive active d'élaboration et de vérifications
d'hypothèses sur la nature de cet écart et sur les moyens de le
réduire) ;
· l'existence d'une subjectivité : une même situation est
un problème pour un élève et une application ou reproduction
pour un autre.
Deux enjeux fondamentaux se posent dans notre perspective. Le premier enjeu
est de mettre en évidence le bénéfice de l'utilisation
de stratégies d'autorégulation cognitive dans le contexte scolaire.
Dans ce cas précis, il s'agit de mettre en évidence l'impact de
cette utilisation sur la performance scolaire dans ces activités précitées.
Le second enjeu est d'identifier les mécanismes d'autorégulation
mis en uvre par des enfants de 10-11 ans.
Une première étude, menée en mai 2001, a mis en évidence
des lacunes flagrantes quant aux stratégies d'autorégulation cognitive
d'enfants en difficultés dans les apprentissages mathématiques
(Focant, à paraître) . En résumé, ces enfants ont
démontré une incapacité à s'engager dans des activités
d'anticipation (et surtout de planification), spontanément comme sous
l'incitation explicite de l'adulte (incapacité d'inhibition de l'action).
La stratégie de contrôle s'est révélée différente
en fonction du contenu sur lequel elle porte : le contrôle des calculs
réalisés est possible pour une partie des enfants (spontanément
ou sous l'incitation de l'adulte selon les sujets), le contrôle du choix
des procédures appliquées n'est jamais réalisé avec
rigueur. Il apparaît également que ces éléments se
répètent dans un même problème de manière
cyclique. Il semble donc que ces enfants en difficultés d'apprentissages
sont incapables de mettre en uvre la plupart des stratégies d'autorégulation
cognitive.
Une deuxième étude a permis de récolter des données
d'un échantillon de quarante-deux enfants tout-venant. Chaque enfant
a été évalué précisément sur ses capacités
de détermination de l'objectif, de planification, de contrôle,
et de résolution de problèmes (performance globale) dans le cadre
de problèmes scolaires arithmétiques de complexité diverse.
Les analyses (en cours) permettront d'évaluer l'impact des stratégies
d'autorégulation cognitive sur une performance standardisée en
résolution de problèmes. Mais, de manière plus intéressante
en terme d'individualisation, des analyses permettront d'établir des
profils de contrôle, et d'évaluer leur efficacité/inefficacité
en rapport à la performance. Il apparaît en effet que les enfants
utilisent des manières de contrôler qui leur sont propres, et que
des profils de contrôle différents se révèlent aussi
efficaces les uns que les autres. Il convient donc de prendre conscience de
ces différences et de stimuler divers profils de contrôle afin
que chaque enfant puisse déterminer celui qui lui convient le mieux en
rapport à ses caractéristiques personnelles.
Références bibliographiques :
Boekaerts, M. (1996). Self-Regulated Learning at the jonction of Cognition and
Motivation. European Psychologist, 1 (2), 100-112.
Flavell, J.H. (1976). Metacognitive aspects of problem solving. In L.B. Renick
(Ed.), The nature of intelligence. Hillsdale : Lawrence Erlbaum.
Focant, J. (à paraître). Résolution de problèmes
et autorégulation chez l'enfant de 10 ans. In S. Schmidt & C. Mary
(Eds.), La spécificité de l'enseignement des mathématiques
en adaptation scolaire. Québec (Canada) : Modulo.
Lafortune, L. & St Pierre, L. (1996). L'affectivité et la métacognition
dans la classe. Montréal: Logiques.
Noël, B.; Romainville, M. & Wolfs, J.L. (1995). La métacognition
: facettes et pertinence du concept en éducation. Revue française
de pédagogie, 112, 47-56.
Pintrich, P.R. & De Groot, E.V. (1990). Motivational and self-regulated
learning components of classroom academic performance. Journal of Educational
Psychology, 82, 33-40.
Pintrich, P.R. (1999). The role of motivation in promoting and sustaining self-regulated
learning. International Journal of Educational Research, 31, 459-470.
Poirier-Proulx, L. (1999). La résolution de problèmes en enseignement
: cadre référentiel et outils de formation. Paris : De Boeck.
Royer, J.M.; Cisero, C.A. & Carlo, M.S. (1993). Techniques and procedures
for assessing cognitive skills. Review of Educational Research, 63 (2), 201-243.
Schunk, D.H. & Zimmerman, B.J. (1998). Self-regulated learning : From teaching
to self-reflective practice. New-York : Guilford.
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