La 6ème Biennale |
Titre : | Analyse des résistances et des difficultés rencontrées à la suite de l'introduction des innovations dans l'enseignement primaire et secondaire : Le cas des devoirs interdisciplinaires dans l'enseignement en Grèce |
Auteurs : | KASSOTAKIS Michel / POLYMEROPOULOU Zoé |
Texte : |
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En 1994, on a introduit dans le système éducatif grec et plus
précisément à l'Ecole Primaire et au Gymnase (premier cycle
du secondaire) une innovation, connue sous le nom "travaux synthetiques-créatifs-T.S.C
" (synthetiques dimiourgikes ergasies). Cette nouveauté faisait
partie d'un ensemble de mesures proposées par l'Institut Pédagogique
(I.P.) de Grèce dans le but de diminuer l'utilisation des méthodes
passives d'enseignement et la mémorisation des connaissances par les
élèves. Elle visait, de plus, à valoriser la participation
active des enseignés dans le processus d'apprentissage et à développer
chez eux la capacité créative et l'esprit critique ( I.P. 1994,1996) . Les mesures concernant les T.S.C. prévoyaient que chaque élève devait traiter de manière créative et systématique, au cour de l'année scolaire, un sujet correspondant à ses intérêts personnels et déposer à la fin de l'année soit un "mémoire" soit un dossier relatif au thème traité ou un autre type de travail (par ex :une collection, une construction, une production artistique, etc). Chaque élève pouvait soit proposer lui-même à l'enseignant respectif le thème qui l'intéressait, soit en choisir un parmi ceux qui étaient suggérés par les enseignants. L'élaboration du travail choisi se faisait sous l'encadrement d'un enseignant spécialisé à la matière choisie et la note obtenue contribuait, positivement seulement, à la performance générale de l'élève. L'aide offerte par l'enseignant ne devait pas restreindre l'initiative et l'effort personnel des élèves. Elle visait à renforcer leur effort, à les encourager et à leur suggérer des sources d'information ou des solutions possibles aux problèmes rencontrés. L'idée sous-jacente dans cette innovation était d'apprendre aux élèves à apprendre, de les aider à découvrir eux-mêmes le savoir et de les déconditionner de la transmission passive des connaissances offertes par les enseignants, situation qui caractérise fortement le système éducatif grec. Par le biais de T.S.C. on cherchait, même, à cultiver chez les élèves l'esprit de coopération, en leur donnant la possibilité d'élaborer des travaux collectifs, et à promouvoir l'approche pluridisciplinaires des matières enseignées en leur demandant d'examiner les thèmes choisis sous plusieurs aspects (Panagiotopoulos, 1997, K.E.E. 1998). Les élèves avaient la possibilité de présenter leur travail dans la classe pour partager leurs expériences avec leurs camarades et pour devenir capables de défendre devant un public leurs points de vue. En outre, on a prévu la possibilité de présenter les T.S.C. à la fin de l'année scolaire lors de l'organisation de fêtes ou d'expositions spéciales dans le cas où les travaux réalisés n'étaient pas seulement de textes. Chaque enseignant pouvait superviser jusqu' à 10 projets de T.S.C. Dans les écoles où le nombre des enseignants ne suffisait pas pour cette tâche on suggérait la forme collective de T.S.C. pour diminuer le nombre nécessaire d'enseignants. Le projet de cette innovation, qui a été combinée avec l'introduction dans l'enseignement grec des méthodes qualitatives pour l'évaluation des élèves (Chaniotakis, 1999), a été annoncé par le Ministère de l' Education à la fin du mois de mai 1994, afin que les divers partenaires sociaux puissent exprimer leur avis. On espérait que ce dialogue pourrait contribuer à l'amélioration du projet et à la réussite de son application. L'annonce du projet a été suivie par des articles de journaux quotidiens et de revues spécialisées, par des rapports et des commentaires divers, favorables et défavorables vis à vis des mesures proposées. Un comité d'experts, qui a été constitué de nouveau auprès de l'I.P., a analysé tous les commentaires et les suggestions faites pour les changements proposés et il a formulé sa proposition finale pour le Ministre de l'Education. Les instances politiques du Ministère de l'Education ont décidé que l'innovation en question soit appliquée au niveau national à partir de l'année 1994-95, sans une application-pilote préalable, comme il était suggéré par le groupe d'experts de l'I.P. La publication du Décret Présidentiel concernant la mise en uvre de T.S.C. et de l'évaluation qualitative des élèves a été retardé pour des raisons bureaucratiques et organisationnelles, ce qui a eu des effets non favorables pour le déroulement de l'action en question. Un groupe qui se composait d'enseignants du primaire et du secondaire, de conseillers scolaires et de membres de l'I.P. a été constitué auprès de cet Institut. Sa mission était de préparer les conseils pédagogiques et techniques nécessaires pour l'application de l'innovation et d'élaborer le matériel approprié. Le même groupe était chargé d'informer les Conseillers Scolaires et les Directeurs Administratifs de toutes les régions de Grèce, afin qu'ils puissent ensuite guider les enseignants de leur région et, avec leur aide, informer les élèves et leurs parents sur la modification souhaitée. Pour ce but des séminaires ont été organisés à Athènes et dans d'autres villes de Grèce. L'application de l'innovation n'avait pas l'accord des Unions Syndicalistes des Enseignants qui ont exploité l'occasion pour demander la satisfactions des diverses demandes concernant les salaires et les conditions du travail des enseignants. Cette opposition ne créait pas des conditions favorables pour la réussite du changement poursuivi, vu la forte influence que les Unions Syndicalistes exercent sur les enseignants en Grèce. L'application du changement examiné s'est heurté à de fortes réactions de la part des enseignants. C'est à cause de ces réactions que les responsables politiques pour l'Education ont modifié le projet initial et ils ont décidé que l'application de T.S.C. soit facultative dans l'ensemble des écoles durant l'année scolaire 1994-95. En même temps, on a fixé, avec l'accord des représentants des Unions Syndicalistes, un nombre d'écoles dans lesquelles l'application de T.S.C. se continuerait obligatoirement à partir de la prochaine année 1995-96. Dans le cadre de cette perspective le groupe de pilotage de l'I.P. a demandé aux Conseillers Scolaires, aux Administrateurs Régionaux et aux Directeurs des écoles concernées de rédiger et d'envoyer à l'I.P. des rapports sur le processus de la mise en uvre de l'innovation et sur les problèmes rencontrés. En plus, un questionnaire a été rempli par tous les Directeurs des écoles impliquées. Le groupe de pilotage a analysé ces documents et en s' y appuyant il a amélioré la procédure de mise en uvre de l'innovation, ainsi que les documents envoyés aux enseignants. Cependant, les changements survenus au niveau du Conseil Administratif de l'I. P. en mai 1995, le découragement des promoteurs de cette innovation, l'inexistence de volonté politique de poursuivre avec fermeté la mise en ouvre des changements en question et surtout le manque d'appui de la part des représentants des enseignants ont fait que l'effort de faire introduire une nouveauté importante dans le système éducatif grec a été affaibli et progressivement est devenu inactif. Croyant qu'il vaut la peine d'examiner les causes pour lesquelles la mise en oeuvre de cette innovation a été conduite à l'échec, on a voulu chercher pourquoi les enseignants ont résisté aux changements mentionnés plus hauts et essayer de donner une explication à cet insuccès. Notre enquête concerne les enseignants du secondaire et s'appuie sur une seconde lecture de rapports envoyés à l'époque de la mise en oeuvre de T.S.C. par 80 Conseillers Scolaires et 1500 Directeurs des Gymnases, environ. On a étudié l'ensemble des rapports des Conseillers Scolaires et un échantillon représentatif des rapports envoyés par les Directeurs. En plus, on a consulté un petit nombre (26) de questionnaires remplis par les Directeurs. C'étaient les seuls questionnaires qu'on a réussi à trouver, tandis que le reste a été, peut être, détruit ente temps. Heureusement, quelques données provenant de l'analyse initiale d'une grande partie de questionnaires étaient à notre disposition. Les informations tirées des sources précédentes ont été complétées par des discussions avec certains enseignants et Directeurs des écoles à cette époque. On doit y rajouter notre expérience personnelle comme membres du groupe de pilotage de cette innovation, ainsi que les entretiens que nous avons fait avec d'autres membres de ce groupe. Des analyses ci-dessus résulte que la forte majorité des personnes examinées reconnaissent l'utilité pédagogique des T.S.C. tout autant que les répercussions positives qu'ils puissent avoir sur l'apprentissage et l'acte didactique en général. Cet avis positif vis à vis de l'essence des mesures en question se trouve en désaccord avec l'échec final de leur application, ce qui nous oriente à chercher ailleurs les causes de leur insuccès. Il mérite, encore, de noter que d'après la plus grande partie (64%) des Directeurs, ayant envoyé des rapports en 1994-95, l'application de T.S.C. avait commencé à se réaliser dans leurs écoles. Du dépouillement initial des questionnaires résulte, aussi, que 58%, environ, des Gymnases appliquaient en 1994-95 les T.S.C.- 37% de ces Gymnases appliquaient l'innovation totalement, alors que 21% l'appliquaient de manière partielle. Les raisons évoquées par le reste des écoles qui ne suivaient pas le Décret Présidentiel (409/95) concernant les T.S.C. ainsi que par quelques enseignants qui travaillaient dans les écoles où ce Décret était partiellement appliqué sont, d' après les documents étudiés, les suivantes : · La décision négative prise par l'Union des Enseignants du Secondaire (OLME) pour l'application des T.S.C. ne permettait pas aux enseignants de travailler pour mettre en uvre cette innovation, bien que certains la considéraient juste et utile pour leurs élèves et pour l'amélioration de l' enseignement en général. · La législation concernant l'innovation a été mise au point tardivement et à cause de ce retard les enseignants n'avaient pas de temps suffisant pour préparer son démarrage. · Les moyens disponibles (financiers, techniques, documentation etc.) n'étaient pas suffisants pour l'application efficace des mesures proposées. · Les enseignants ne se sentaient ni prêts, ni formés pour la tâche demandée et, le plus important, ils considéraient que les changements proposés par le Ministère augmenteraient leur travail, sans aucune récompense ni au niveau de leur salaires, ni au niveau de la diminution de leur horaire d'enseignement. On constate, d'une manière générale, un manque de motivation de la part des enseignants, situation aggravée par le fait que les modifications suggérées provenaient des autorités politiques et pas de la base du corps enseignant. Ce caractère de top-down du changement poursuivi renforçait les revendications syndicalistes des enseignants qui, profitant de l'occasion, demandaient l'amélioration de leur rémunération et la satisfaction d'autres requêtes. La volonté instable du Ministère et ses reculs consécutifs à la pression des enseignants ont renforcé, au lieu de diminuer, leurs résistances, parce qu'ils leur ont donné l'impression que plus on résiste plus les chances d'obtenir satisfaction augmentent. · Bon nombre de directeurs d'écoles et de conseillers citent parmi les causes de résistance le manque de temps pour "monitoring" de T.S.C., la surcharge des enseignants et des élèves, ainsi que d'autres problèmes concernant les conditions du travail des enseignants (p.ex. certains enseignants n'habitaient pas à l'endroit où se trouvait leur école. Leur déplacement quotidien diminuait encore davantage le temps disponible pour la coopération avec leurs élèves, etc). · On trouve, aussi, dans les rapports analysés des querelles concernant l'orientation et l'idéologie générale du système, centré sur la transmission des connaissances, ce qui n'était pas compatible avec l'esprit de nouvelles mesures. Il en est de même pour les programmes scolaires et les manuels utilisés considérés comme périmés et non adaptés aux évolutions contemporaines. · La formation pédagogique nécessaire pour comprendre les objectifs et les fonctions de T.S.C. faisait défaut chez beaucoup d'enseignants, étant donné qu'en Grèce bon nombre de ceux qui enseignent au secondaire n'ont pas suivi pendant leur formation initiale des cours de psychopédagogie et de méthodologie didactique. C'est pour cela que certains supposent que beaucoup de ces professeurs enseignent et évaluent leurs élèves suivant le modèle des maîtres qu' ils avaient pendant leur scolarité (Kazamias et Kassotakis, 1995). Dans un tel contexte, il semble possible que l'insuffisance de la formation nécessaire provoquait chez les enseignants une sorte d'incertitude et une hostilité face aux changements qui risquaient de perturber leur routine et de bouleverser ce qu' ils ont appris à faire dans l'école longtemps. La combinaison des T.S.C. avec d'autres mesures (introduction des méthodes qualitatives pour l'évaluation des élèves, etc.) accentuait, peut être, l'incertitude et la peur devant les changements, surtout chez eux qui ne disposaient pas de la formation appropriée pour les appliquer. · Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des facteurs politiques. En Grèce, les partis politiques utilisent souvent le domaine de l'éducation comme un champ de leur confrontation, dans laquelle s'impliquent les syndicalistes alliés à chaque parti. Cette partialité exagérée en Grèce pendant les dernières décennies empêche, à notre avis, le progrès de l'éducation et il sacrifie souvent des initiatives visant à sa modernisation et à son développement. Ce facteur était très souvent souligné lors de nos discussions avec des enseignants, des Directeurs des écoles et des Conseillers Scolaires. Prenant comme exemple l'insuccès d'introduire dans l'enseignement grec l'innovation concernant les T.S.C. on peut exprimer quelques réflexions sur le processus d'application des innovations dans l'enseignement. On sait qu' il n'est pas possible de généraliser les constatations résultées de cas examiné. Il est bien connu que l'innovation repose sur un enjeu politique et idéologique et reflète la culture de chaque pays, sa tradition, ses orientations éducatives et l'organisation de son système d'enseignement. On restera, donc, à une problématique très générale, laquelle nous pouvons approfondir pendant la présentation orale de cet exposé. Tous les efforts novateurs proposés par les décideurs politiques et les autorités de haut niveau ont peu de chances de réussite s' il n'y a pas un minimum de consensus politique, une implication aux processus des acteurs éducatifs et un accord parmi ceux qui sont convoqués de les mettre en vigueur. Le désaccord politique, transféré au champ scolaire par l'intermédiaire des syndicalistes alliés aux différentes partis, et l'utilisation des innovations comme moyen de pression au gouvernement pour la résolution d'autres problèmes conduisent souvent l'effort de changement à l'échec. Afin que ce consensus et accord se réalisent, une période de préparation et de négociation, souvent longue, est jugée indispensable. Le remaniement du gouvernement au niveau des Ministres et des instances éducatives n'assure guerre cette condition (Kazamias-Kassotakis,1983). Il en est de même quand les décideurs politiques se précipitent de faire des changements dans de court délai parce qu' ils ne restent pas longtemps au pouvoir. Le manque, aussi, de volonté ferme et le revirement d'opinion des responsables en éducation renforcent, au lieu de diminuer, la résistance face au changement. Des difficultés et des retards bureaucratiques causent souvent des problèmes considérables à la mise en route des innovations. Ceci dit, il est évident que plusieurs paramètres, à savoir toutes les composantes d'un système éducatif, doivent être pris en compte afin que la programmation atteigne son but. La motivation, aussi, de ceux qui sont appelés à réaliser le changement et son articulation adéquate avec la politique éducative générale et le fonctionnement du système dans son ensemble sont des aspects non négligeables pour la réussite d'une innovation. Enfin, le problème de la formation du personnel, qui est appelé à appliquer une innovation, n'est pas une affaire simple:le manque de formation ad hoc crée une conduite étrange face au changement et provoque des résistances pour son adoption. Références bibliographiques Chaniotakis N. (1999), L'évaluation descriptive des élèves
à l'Ecole Primaire Grecque, Université de Crète (Thèse
de doctorat non publiée). |