L'objectif des recherches en référence visait à mettre
en lumière les sources d'influence contribuant au processus de construction
des représentations socioprofessionnelles du métier d'éducateur
spécialisé, chez des élèves en formation, à
Toulouse.
Bases épistémologiques et théoriques :
Concept psychosocial par excellence, les représentations sociales sont
une forme de contenu qui met en relation un sujet, avec un autre sujet, dans
un contexte donné, autour d'un objet précis. En ce sens, elles
s'assimilent à de véritables "principes générateurs
de prises de position ". Ainsi, la relation plus ou moins familière
que l'individu entretient avec l'objet de représentation en détermine
la nature : dès lors qu'elle émerge d'un contexte professionnel
ou formatif, elle ne découle plus du savoir de sens commun, dépendant
étroitement des nomes et pratiques s'y exerçant. Les représentations
sociales prennent un caractère professionnel affirmé, pour correspondre
à un "ensemble de cognitions descriptives, évaluatrices et
prescriptives " significatives de l'activité professionnelle. Appliquée
au champ de la formation, les représentations deviennent socioprofessionnelles
: "C'est un ensemble d'informations se référant à
un rôle professionnel, et comportant des schèmes qui expriment
une pratique. En ce sens, elles précèdent l'action professionnelle
et expriment les reconstructions que le sujet effectue à partir d'éléments
connus à un moment de la formation. Les représentations socioprofessionnelles
correspondent au premier degré d'engagement du sujet dans le champ professionnel."
Objet des représentations : les éducateurs spécialisés
L'éducateur spécialisé , technicien de la relation d'aide,
intervient dans et par l'événement quotidien. Accompagnant des
publics très diversifiés, pouvant mener son action au sein d'environnements
multiples, ce travailleur social (s')adapte constamment son action aux données
du terrain, en vue de développer, révéler l'autonomisation
des usagers. Il serait présomptueux d'avancer une définition plus
précise, succincte et claire. L'éducateur agit sur un domaine
d'intervention mal défini, surplombant une pluralité de champs
pouvant être le propre d'autres professions du secteur. La multiplicité
des situations éducatives qu'il rencontre, le modèle social en
perdition (chômage, précarités
) auquel il est amené
à se référer, l'évolution constante de la société
autant d'ingrédients participant du flou identitaire qui frappe cette
profession de plein fouet. La question récurrente : "
spécialisé
en quoi ?" n'est-elle pas significative ?
La formation d'éducateur spécialisé :
Les modalités d'accès, l'organisation matérielle, les orientations
générales et les contenus sont régis par décret
. Je ne porterai l'accent que sur deux principes fondamentaux : l'alternance
stages/cours, et des possibilités de bénéficier d'allégement
de formation théorique et/ou pratique en fonction de l'expérience
professionnelle antérieure (diplôme de moniteur éducateur)
ou du niveau de formation initiale. Ainsi, les élèves peuvent,
selon le cas, effectuer leur formation en 1, 2 ou 3 ans.
Comment les éducateurs spécialisés en formation se
représentent-ils leur futur métier ?
Méthodologie (population, questionnaires, ALCESTE )
Un questionnaire a été élaboré, s'intéressant
aux caractéristiques socioprofessionnelles des interrogés, à
l'approche psychopédagogique de l'école et aux conceptions du
futur métier. 86 élèves éducateurs en fin de cursus
ont participé, émanant des trois centres de formation toulousains
(IRFCES, CEMEA, ORFEA ). Les données ainsi recueillies ont été
analysées grâce à un logiciel statistique (Alceste ) qui
permet de réaliser une analyse multidimensionnelle et d'obtenir des profils
types.
Résultats de l'analyse
Nous avons obtenu 4 classes de discours, correspondant à des tendances
de représentations. En apposant les caractéristiques socioprofessionnelles
des élèves, les écoles de formation et les prises de positions,
nous avons observé :
1. "L'éducateur spécialisé idéaliste"
: discours très humaniste où l'idéal, l'engagement
moral s'imposent sur la logique d'action. Les élèves qui adhèrent
le plus à cette classe n'ont développé leur pratique qu'au
travers des stages de formation et suivent leur cursus de formation en 3 ans.
Ils appartiennent à l'école A où l'approche psychopédagogique
privilégie la participation, la coopération et la réflexion
personnelle. Le métier est abordé dans sa globalité et
son évolution liée aux mutations sociales.
2. "L'éducateur spécialisé efficace" :
prises de positions relevant l'aspect pratique, concret et fonctionnel du métier,
l'éthique s'effaçant devant la pratique concrète. Les titulaires
du diplôme de moniteur éducateur se rattachent à cette catégorie.
3. "L'éducateur spécialisé traditionnel" :
conception traditionnelle du métier (action en milieu fermé,
soin auprès d'adultes handicapés mentaux), précise et claire.
Les élèves ayant suivi une formation post baccalauréat
en rapport avec la formation d'éducateur spécialisé se
rapportent à ce discours. Ils effectuent leur formation en 2 ans à
l'école B qui insiste sur l'autonomie et la responsabilisation personnelle
dans le suivi de la formation. L'articulation stage/cours est sensiblement appréciée.
4. "L'éducateur spécialisé revendicatif
"
: définition très floue du métier, exprimant un positionnement
revendicatif, révélant une affirmation identitaire militante,
en qualifiant le métier par tout ce qu'il n'est pas. Les élèves
susceptibles de partager ce point de vue sont en formation continue à
l'école C, n'ont pas suivi de formation post baccalauréat et effectuent
leur cursus en 1 an (titulaires du diplôme de moniteur éducateur).
Ils valorisent l'écoute, le suivi et la disponibilité de leurs
formateurs.
Conclusions
Cette étude a clairement établi un lien entre les caractéristiques
socioprofessionnelles des sujets, leur école d'appartenance et les contenus
de leurs discours. Ainsi, plus l'élève aurait une connaissance
pratique du secteur préalablement à la formation, plus il développerait
des représentations ayant des schèmes liés à la
technicité de l'action, à la recherche d'efficacité, tout
en s'éloignant des réflexions idéologiques. De plus, selon
le lieu de formation, il développerait des conceptions corrélées
à une "culture d'école". Ces deux facteurs donc ont
bel et bien un impact efficient sur l'élaboration des représentations
socioprofessionnelles.
Les représentations socioprofessionnelles : comment les situer par
rapport aux représentations professionnelles ? aux représentations
sociales ?
Pour répondre à cette question, il fallait avant tout faire émerger
des représentations sociales (RS) et professionnelles (RP) du métier,
puis se focaliser sur la place des représentations socioprofessionnelles
(RSP). Une étude comparative et descriptive a été mise
en uvre, en partant du postulat de départ que les formés
n'ayant aucune pratique antérieure se rapprocheraient plus des position
des comptables. Ainsi, l'effet de l'expérience antérieure s'imposerait
sur l'effet formation.
Méthodologie (population, ISA)
97 personnes ont participé, partagées en trois échantillons
(38 comptables, 37 éducateurs spécialisés en activité,
22 élèves éducateurs de 3ème année). La méthode
d'Induction par Scénario Ambigu (dite ISA), instaurée par Pascal
MOLINER , a été notre outil de recueil des données et a
permis d'aborder la structure des représentations et l'organisation de
ses contenus sous la forme noyau central / système périphérique.
Résultats et interprétations (distinctions et points communs
RP / RS)
La superposition des RS et de RP a mis distinctement en exergue deux logiques
antagonistes et propres à chaque type de représentations : l'une,
institutionnelle, fondée sur la loi et la citoyenneté (RP), où
l'éducateur la pose en repère essentiel pour avoir une action
éducative efficace. L'autre s'inscrit dans un cadre affectif, basé
sur le devoir humaniste et moral (RS) où l'éducateur est comme
doté d'un don particulier : il a la vocation et agit au nom de la charité
sociale. D'autre part, les RS et les RP n'ont qu'un seul et unique élément
significatif en commun : le contact avec les personnes handicapées mentales.
Un autre critère de distinction RS / RP se trouve aussi dans la composition
quantitative des éléments constituant les noyaux centraux : pour
les RP, il est polysémique, définissant la diversité du
public et conférant une place prépondérante à la
citoyenneté. En revanche, les RS gravitent autour d'un noyau central
sec où figure un seul item (en l'occurrence, celui relatif aux personnes
handicapées mentales, comme si cet élément était
indissociable du métier d'éducateur spécialisé).
Position des RSP par rapport aux RS et RP (méthode, résultats)
Pour incorporer les RSP à cette première analyse, les résultats
de la recherche précédente ont été réemployés.
Ensuite, afin de poser l'attention sur le facteur lié à l'expérience
antérieure, deux types de RSP ont été isolés, en
scindant équitablement l'échantillon d'élèves retenu
: le premier sous-groupe se composait des élèves sans pratique
antérieure, le second rassemblant les titulaires du diplôme de
moniteur éducateur.
Nous avons alors considéré deux noyaux centraux polysémiques,
quasi similaires, s'articulant autour des items liés à l'accompagnement
des personnes en difficultés socio-éducatives, de la citoyenneté,
de la vocation, de la maturité, de la sociabilité et la forte
implication personnelle. Autrement dit, les RSP s'organisent de la même
manière, quelque soit le vécu des élèves dans le
secteur médico-social (pas d'influence directe du facteur). En se focalisant
d'autre part sur les éléments moins saillants, mais ayant un caractère
de pertinence pour ces représentations (éléments dits du
système périphérique), tous les élèves développent
des conceptions traditionnelles du métier et s'accordent sur le fait
qu'être éducateur spécialisé n'est pas abordable
à tous. Cependant, les RSP issues de ceux non titulaires du diplôme
du moniteur éducateur se spécifient par le besoin exprimé
de reconnaissance sociale, tandis que les autres s'attachent à la loi
et la théorie. Par rapport à des objectifs de formation, les premiers
s'inscriraient alors dans une recherche de construction identitaire (portée
sociale de l'action), tandis que le second s'interrogeraient sur les supports
de l'action (outils). Nous pouvons donc avancer l'idée que l'expérience
professionnelle antérieure peut activer, voir accélérer
le processus de construction des représentations dans sa fonction identitaire.
Comparaison RSP/ RS / RP :
Les élèves, quelque soit leur vécu antérieur dans
le secteur, développent des conceptions qui se rapprochent effectivement
plus de leur futurs pairs que de celles des comptables. Du point de vue de la
structure des représentations, les éléments s'organisent
de manière sensiblement identique (richesse du noyau central). De plus,
les élèves ont plus d'éléments en commun avec les
RP qu'avec les RS. Dans la comparaison avec les RS et RP, le postulat de départ
est réfuté (effet de la formation s'impose sur l'effet du vécu
antérieur). En revanche, entre les élèves, il y a bien
une influence notoire de la pratique préalable sur le déclenchement
de la fonction identitaire des représentations.
Conclusion générale :
Ainsi, le processus de construction des représentation socioprofessionnelles
subit l'influence :
- d'un "effet école" : Même s'il y existe un programme
national de référence, le mode de transmission des contenus, l'organisation
matérielle et l'approche psychopédagogique sont automatiquement
appropriés par l'institution formatrice qui a sa propre culture (manière
de faire). Le sens des représentations sera alors inévitablement
modifié d'une structure à l'autre (signification des représentations).
- d'un "effet acquis antérieurs" : Les conceptions divergeront
selon le degré d'engagement professionnel préalable, plus il sera
affirmé, plus l'élève se positionnera sur les moyens (théoriques,
techniques) d'optimisation de sa pratique (activation des fonctions prescriptive
et d'orientation des conduites des RP) ; à contrario, un élève
au stade de la découverte s'interrogera d'abord sur le sens de son action,
en terme d'attentes sociales et de reconnaissance, l'idéalisant en fonction
de l'image qu'il a de ses futurs pairs (activation de la fonction identitaire).
- D'un "effet stages" : Mettant concrètement l'élève
en situation professionnelle, il ne se contente plus uniquement d'une projection
vers ce vers qu'il tend à devenir, il est acteur. Il prend position non
plus sur la base d'une connaissance commune, mais à partir d'un vécu
technique (développement de la fonction prescriptive des RP). Plus il
multipliera les expériences de terrain, plus son degré d'engagement
dans le champ sera fort, plus il se professionnalisera et élaborera des
conceptions qui se détacheront des individus extérieurs.
Mots clefs : représentations (sociales, socioprofessionnelles,
professionnelles), éducateurs spécialisés, méthode
d'Induction par Scénario Ambigu, questionnaire, Alceste.
Bibliographie :
M. BATAILLE et al. "Représentations sociales, représentations
professionnelles, système d'activité professionnelle", 1997.
J.F. BLIN "Représentations, Identités et Pratiques Professionnelles
des enseignants. Le cas de l'enseignement agricole.", thèse de Doctorat
NR, sous la direction de M. BATAILLE, Université Toulouse le Mirail,
1994.
W. DOISE "Les représentations sociales", in R. GHIGLIONE, C.
BONNET, J.F. RICHARD "Traité de psychologie cognitive", Paris,
Dunod, 1990.
B. FRAYSSE "Evaluation des représentations socioprofessionnelles
des élèves-ingénieurs ; étude diachronique comparative
sur trois départements de l'INSA de Toulouse", thèse de Doctorat
en Sciences de l'Education, 1989.
D. JODELET "Les représentations sociales", Paris, Presses Universitaires
de France, 1989.
P.MOLINER "Image et représentations sociales ; de la théorie
des représentations à l'étude des images sociales",
Presses Universitaires de Grenoble, Vies Sociales, 1996.
S. MOSCOVICI et al. "Psychologie Sociale", Puf Fondamental, 1961.
M. REINERT "Une méthode de Classification Hiérarchique Descendante
: application lexicale par contexte", Les cahiers de l'analyse des données,
1983.
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