La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : Dynamique de la formation professionnelle des éducateurs spécialisés : Processus de construction des représentations socioprofessionnelles du futur métier
Auteurs : CAMMAS Sylvie, Doctorante en Sciences de l'Education, Laboratoire R.E.P.E.R.E., Université Toulouse le Mirail.

Texte :
L'objectif des recherches en référence visait à mettre en lumière les sources d'influence contribuant au processus de construction des représentations socioprofessionnelles du métier d'éducateur spécialisé, chez des élèves en formation, à Toulouse.

Bases épistémologiques et théoriques :
Concept psychosocial par excellence, les représentations sociales sont une forme de contenu qui met en relation un sujet, avec un autre sujet, dans un contexte donné, autour d'un objet précis. En ce sens, elles s'assimilent à de véritables "principes générateurs de prises de position ". Ainsi, la relation plus ou moins familière que l'individu entretient avec l'objet de représentation en détermine la nature : dès lors qu'elle émerge d'un contexte professionnel ou formatif, elle ne découle plus du savoir de sens commun, dépendant étroitement des nomes et pratiques s'y exerçant. Les représentations sociales prennent un caractère professionnel affirmé, pour correspondre à un "ensemble de cognitions descriptives, évaluatrices et prescriptives " significatives de l'activité professionnelle. Appliquée au champ de la formation, les représentations deviennent socioprofessionnelles : "C'est un ensemble d'informations se référant à un rôle professionnel, et comportant des schèmes qui expriment une pratique. En ce sens, elles précèdent l'action professionnelle et expriment les reconstructions que le sujet effectue à partir d'éléments connus à un moment de la formation. Les représentations socioprofessionnelles correspondent au premier degré d'engagement du sujet dans le champ professionnel."

Objet des représentations : les éducateurs spécialisés
L'éducateur spécialisé , technicien de la relation d'aide, intervient dans et par l'événement quotidien. Accompagnant des publics très diversifiés, pouvant mener son action au sein d'environnements multiples, ce travailleur social (s')adapte constamment son action aux données du terrain, en vue de développer, révéler l'autonomisation des usagers. Il serait présomptueux d'avancer une définition plus précise, succincte et claire. L'éducateur agit sur un domaine d'intervention mal défini, surplombant une pluralité de champs pouvant être le propre d'autres professions du secteur. La multiplicité des situations éducatives qu'il rencontre, le modèle social en perdition (chômage, précarités…) auquel il est amené à se référer, l'évolution constante de la société… autant d'ingrédients participant du flou identitaire qui frappe cette profession de plein fouet. La question récurrente : "…spécialisé en quoi ?" n'est-elle pas significative ?

La formation d'éducateur spécialisé :
Les modalités d'accès, l'organisation matérielle, les orientations générales et les contenus sont régis par décret . Je ne porterai l'accent que sur deux principes fondamentaux : l'alternance stages/cours, et des possibilités de bénéficier d'allégement de formation théorique et/ou pratique en fonction de l'expérience professionnelle antérieure (diplôme de moniteur éducateur) ou du niveau de formation initiale. Ainsi, les élèves peuvent, selon le cas, effectuer leur formation en 1, 2 ou 3 ans.

Comment les éducateurs spécialisés en formation se représentent-ils leur futur métier ?
Méthodologie (population, questionnaires, ALCESTE )
Un questionnaire a été élaboré, s'intéressant aux caractéristiques socioprofessionnelles des interrogés, à l'approche psychopédagogique de l'école et aux conceptions du futur métier. 86 élèves éducateurs en fin de cursus ont participé, émanant des trois centres de formation toulousains (IRFCES, CEMEA, ORFEA ). Les données ainsi recueillies ont été analysées grâce à un logiciel statistique (Alceste ) qui permet de réaliser une analyse multidimensionnelle et d'obtenir des profils types.
Résultats de l'analyse
Nous avons obtenu 4 classes de discours, correspondant à des tendances de représentations. En apposant les caractéristiques socioprofessionnelles des élèves, les écoles de formation et les prises de positions, nous avons observé :
1. "L'éducateur spécialisé idéaliste" : discours très humaniste où l'idéal, l'engagement moral s'imposent sur la logique d'action. Les élèves qui adhèrent le plus à cette classe n'ont développé leur pratique qu'au travers des stages de formation et suivent leur cursus de formation en 3 ans. Ils appartiennent à l'école A où l'approche psychopédagogique privilégie la participation, la coopération et la réflexion personnelle. Le métier est abordé dans sa globalité et son évolution liée aux mutations sociales.
2. "L'éducateur spécialisé efficace" : prises de positions relevant l'aspect pratique, concret et fonctionnel du métier, l'éthique s'effaçant devant la pratique concrète. Les titulaires du diplôme de moniteur éducateur se rattachent à cette catégorie.
3. "L'éducateur spécialisé traditionnel" : conception traditionnelle du métier (action en milieu fermé, soin auprès d'adultes handicapés mentaux), précise et claire. Les élèves ayant suivi une formation post baccalauréat en rapport avec la formation d'éducateur spécialisé se rapportent à ce discours. Ils effectuent leur formation en 2 ans à l'école B qui insiste sur l'autonomie et la responsabilisation personnelle dans le suivi de la formation. L'articulation stage/cours est sensiblement appréciée.
4. "L'éducateur spécialisé revendicatif…" : définition très floue du métier, exprimant un positionnement revendicatif, révélant une affirmation identitaire militante, en qualifiant le métier par tout ce qu'il n'est pas. Les élèves susceptibles de partager ce point de vue sont en formation continue à l'école C, n'ont pas suivi de formation post baccalauréat et effectuent leur cursus en 1 an (titulaires du diplôme de moniteur éducateur). Ils valorisent l'écoute, le suivi et la disponibilité de leurs formateurs.

Conclusions
Cette étude a clairement établi un lien entre les caractéristiques socioprofessionnelles des sujets, leur école d'appartenance et les contenus de leurs discours. Ainsi, plus l'élève aurait une connaissance pratique du secteur préalablement à la formation, plus il développerait des représentations ayant des schèmes liés à la technicité de l'action, à la recherche d'efficacité, tout en s'éloignant des réflexions idéologiques. De plus, selon le lieu de formation, il développerait des conceptions corrélées à une "culture d'école". Ces deux facteurs donc ont bel et bien un impact efficient sur l'élaboration des représentations socioprofessionnelles.

Les représentations socioprofessionnelles : comment les situer par rapport aux représentations professionnelles ? aux représentations sociales ?
Pour répondre à cette question, il fallait avant tout faire émerger des représentations sociales (RS) et professionnelles (RP) du métier, puis se focaliser sur la place des représentations socioprofessionnelles (RSP). Une étude comparative et descriptive a été mise en œuvre, en partant du postulat de départ que les formés n'ayant aucune pratique antérieure se rapprocheraient plus des position des comptables. Ainsi, l'effet de l'expérience antérieure s'imposerait sur l'effet formation.
Méthodologie (population, ISA)
97 personnes ont participé, partagées en trois échantillons (38 comptables, 37 éducateurs spécialisés en activité, 22 élèves éducateurs de 3ème année). La méthode d'Induction par Scénario Ambigu (dite ISA), instaurée par Pascal MOLINER , a été notre outil de recueil des données et a permis d'aborder la structure des représentations et l'organisation de ses contenus sous la forme noyau central / système périphérique.
Résultats et interprétations (distinctions et points communs RP / RS)
La superposition des RS et de RP a mis distinctement en exergue deux logiques antagonistes et propres à chaque type de représentations : l'une, institutionnelle, fondée sur la loi et la citoyenneté (RP), où l'éducateur la pose en repère essentiel pour avoir une action éducative efficace. L'autre s'inscrit dans un cadre affectif, basé sur le devoir humaniste et moral (RS) où l'éducateur est comme doté d'un don particulier : il a la vocation et agit au nom de la charité sociale. D'autre part, les RS et les RP n'ont qu'un seul et unique élément significatif en commun : le contact avec les personnes handicapées mentales. Un autre critère de distinction RS / RP se trouve aussi dans la composition quantitative des éléments constituant les noyaux centraux : pour les RP, il est polysémique, définissant la diversité du public et conférant une place prépondérante à la citoyenneté. En revanche, les RS gravitent autour d'un noyau central sec où figure un seul item (en l'occurrence, celui relatif aux personnes handicapées mentales, comme si cet élément était indissociable du métier d'éducateur spécialisé).
Position des RSP par rapport aux RS et RP (méthode, résultats)
Pour incorporer les RSP à cette première analyse, les résultats de la recherche précédente ont été réemployés. Ensuite, afin de poser l'attention sur le facteur lié à l'expérience antérieure, deux types de RSP ont été isolés, en scindant équitablement l'échantillon d'élèves retenu : le premier sous-groupe se composait des élèves sans pratique antérieure, le second rassemblant les titulaires du diplôme de moniteur éducateur.
Nous avons alors considéré deux noyaux centraux polysémiques, quasi similaires, s'articulant autour des items liés à l'accompagnement des personnes en difficultés socio-éducatives, de la citoyenneté, de la vocation, de la maturité, de la sociabilité et la forte implication personnelle. Autrement dit, les RSP s'organisent de la même manière, quelque soit le vécu des élèves dans le secteur médico-social (pas d'influence directe du facteur). En se focalisant d'autre part sur les éléments moins saillants, mais ayant un caractère de pertinence pour ces représentations (éléments dits du système périphérique), tous les élèves développent des conceptions traditionnelles du métier et s'accordent sur le fait qu'être éducateur spécialisé n'est pas abordable à tous. Cependant, les RSP issues de ceux non titulaires du diplôme du moniteur éducateur se spécifient par le besoin exprimé de reconnaissance sociale, tandis que les autres s'attachent à la loi et la théorie. Par rapport à des objectifs de formation, les premiers s'inscriraient alors dans une recherche de construction identitaire (portée sociale de l'action), tandis que le second s'interrogeraient sur les supports de l'action (outils). Nous pouvons donc avancer l'idée que l'expérience professionnelle antérieure peut activer, voir accélérer le processus de construction des représentations dans sa fonction identitaire.
Comparaison RSP/ RS / RP :
Les élèves, quelque soit leur vécu antérieur dans le secteur, développent des conceptions qui se rapprochent effectivement plus de leur futurs pairs que de celles des comptables. Du point de vue de la structure des représentations, les éléments s'organisent de manière sensiblement identique (richesse du noyau central). De plus, les élèves ont plus d'éléments en commun avec les RP qu'avec les RS. Dans la comparaison avec les RS et RP, le postulat de départ est réfuté (effet de la formation s'impose sur l'effet du vécu antérieur). En revanche, entre les élèves, il y a bien une influence notoire de la pratique préalable sur le déclenchement de la fonction identitaire des représentations.

Conclusion générale :
Ainsi, le processus de construction des représentation socioprofessionnelles subit l'influence :
- d'un "effet école" : Même s'il y existe un programme national de référence, le mode de transmission des contenus, l'organisation matérielle et l'approche psychopédagogique sont automatiquement appropriés par l'institution formatrice qui a sa propre culture (manière de faire). Le sens des représentations sera alors inévitablement modifié d'une structure à l'autre (signification des représentations).
- d'un "effet acquis antérieurs" : Les conceptions divergeront selon le degré d'engagement professionnel préalable, plus il sera affirmé, plus l'élève se positionnera sur les moyens (théoriques, techniques) d'optimisation de sa pratique (activation des fonctions prescriptive et d'orientation des conduites des RP) ; à contrario, un élève au stade de la découverte s'interrogera d'abord sur le sens de son action, en terme d'attentes sociales et de reconnaissance, l'idéalisant en fonction de l'image qu'il a de ses futurs pairs (activation de la fonction identitaire).
- D'un "effet stages" : Mettant concrètement l'élève en situation professionnelle, il ne se contente plus uniquement d'une projection vers ce vers qu'il tend à devenir, il est acteur. Il prend position non plus sur la base d'une connaissance commune, mais à partir d'un vécu technique (développement de la fonction prescriptive des RP). Plus il multipliera les expériences de terrain, plus son degré d'engagement dans le champ sera fort, plus il se professionnalisera et élaborera des conceptions qui se détacheront des individus extérieurs.

Mots clefs : représentations (sociales, socioprofessionnelles, professionnelles), éducateurs spécialisés, méthode d'Induction par Scénario Ambigu, questionnaire, Alceste.

Bibliographie :
M. BATAILLE et al. "Représentations sociales, représentations professionnelles, système d'activité professionnelle", 1997.
J.F. BLIN "Représentations, Identités et Pratiques Professionnelles des enseignants. Le cas de l'enseignement agricole.", thèse de Doctorat NR, sous la direction de M. BATAILLE, Université Toulouse le Mirail, 1994.
W. DOISE "Les représentations sociales", in R. GHIGLIONE, C. BONNET, J.F. RICHARD "Traité de psychologie cognitive", Paris, Dunod, 1990.
B. FRAYSSE "Evaluation des représentations socioprofessionnelles des élèves-ingénieurs ; étude diachronique comparative sur trois départements de l'INSA de Toulouse", thèse de Doctorat en Sciences de l'Education, 1989.
D. JODELET "Les représentations sociales", Paris, Presses Universitaires de France, 1989.
P.MOLINER "Image et représentations sociales ; de la théorie des représentations à l'étude des images sociales", Presses Universitaires de Grenoble, Vies Sociales, 1996.
S. MOSCOVICI et al. "Psychologie Sociale", Puf Fondamental, 1961.
M. REINERT "Une méthode de Classification Hiérarchique Descendante : application lexicale par contexte", Les cahiers de l'analyse des données, 1983.


Menu