La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Le Projet Pluridisciplinaire à Caractère Professionnel (PPCP) : questionnements didactiques et pédagogiques sur un nouveau dispositif d'enseignement pour le lycée professionnel
Auteurs : JOUIN Béatrice / CRINDAL Alain

Texte :
Le PPCP, un nouveau dispositif d'enseignement en lycée professionnel


Le PPCP (Projet Pluridisciplinaire à Caractère Professionnel), a été mis en place dans les lycées professionnels à la rentrée 2000. Ce dispositif concerne les classes de terminale B.E.P. (Brevet d'Enseignement Professionnel), de première et terminale Bac Professionnel, à raison de deux à trois heures hebdomadaires inscrites dans l'emploi du temps obligatoire des élèves. Sous la responsabilité de professeurs de différentes disciplines, il consiste, pour une classe ou des groupes d'élèves d'une classe, à réaliser un produit, bien matériel ou service selon les champs professionnels des élèves.
Il vise  à faire acquérir des savoirs, des savoir-faire et des compétences de plusieurs disciplines au travers d'une réalisation posant des problèmes « inspirés de ceux rencontrés dans les milieux professionnels », le caractère professionnel de la formation est ainsi réaffirmé. L'aspect pluridisciplinaire est doublement préconisé, dans les objectifs et dans la conduite du projet qui doit être assurée conjointement par un professeur d'enseignement général et un professeur d'enseignement professionnel.


La question de la structuration des connaissances et les ambitions de ce dispositif

Le fait que ce dispositif puisse être un intermédiaire entre les cours habituels et les périodes de formation en entreprise devrait lui conférer une capacité à structurer les connaissances et les compétences des élèves.
Pour vérifier cette hypothèse, notre recherche questionne la cohérence entre les trois ambitions du dispositif : projet, pluridisciplinaire et professionnel.

  •   Si le PPCP est un projet, comment se situe-t-il par rapport aux trois approches que nous donnons au projet  :
    - le projet existentiel aux visées identitaires (projet idéal, projet de soi... objet d'orientation) ;
    - le projet méthode aux visées programmatiques (projet d'enseignement, projet pédagogique... objet de motivation) ;
    - le projet opératoire aux visées constructives (projet de réalisation impliquant un collectif, projet de développement de techniques... objet d'expérience).
    A ce sujet, une analyse des instructions officielles montre que ces approches du projet sont soit non distinguées, soit potentiellement conflictuelles :
    - quand il s'agit de « développer la motivation de l'élève et de l'aider à mieux définir son projet professionnel », ce sont à la fois les aspects méthode et existentiels qui sont en jeu,
    - quand il est question de l' « acquisition des savoirs et des savoir-faire des différentes disciplines », la motivation du projet est utilisée pour l'acquisition de connaissances ;
    - quand le projet « consiste en la réalisation totale ou partielle d'un objectif de production ou d'une séquence de service », c'est l'aspect opératoire qui privilégie alors la mise en jeu de compétences professionnelles dans un projet technique.
    Sur ce point, la recherche s'attache à repérer les conditions permettant au dispositif de ne pas apparaître comme un projet alibi, c'est-à-dire une technique professionnelle d'enseignants visant essentiellement à  faire passer des savoirs. Plus particulièrement nous observons dans quelle mesure une scénarisation des activités peut favoriser la mise en projet les élèves et quelles seraient les nouvelles postures exigées de la part des enseignants, des partenaires et des élèves pour que le dispositif soit impliquant.

  •   Si le PPCP a un caractère professionnel, il exige un partenariat intermédiaire entre les professionnels et les enseignants qui doit se distinguer des périodes de formations en entreprises et des projets techniques habituellement réalisés dans l'enseignement professionnel. La recherche tente d'observer comment des activités en milieu scolaire peuvent devenir des expériences partielles mais authentiques de pratiques sociales  ? L'observation des origines et des constructions de savoirs qui sont convoquées par cette confrontation de milieux (connaissances personnelles, savoirs disciplinaires de base, savoir documentaire, savoirs sociaux et savoirs de pairs, savoirs d'expert) révèlera les indicateurs de structuration des compétences professionnelles.

  •   Si le PPCP est pluridisciplinaire, il devrait être l'occasion de mettre en relation des compétences professionnelles avec des éléments du référentiel de chaque discipline. La recherche vise à caractériser la pluridisciplinarité instaurée. Jusqu'à quel point, l'aspect pluridisciplinaire qui prend en compte les disciplines d'enseignement général et d'enseignement professionnel, est-il compatible avec une expérience de caractère professionnel ? Quelle est alors la fonction de l'enseignement général, discipline de cœur ou discipline de service  ?

    Les travaux

    Ils s'appuient sur deux études de cas contrastées, l'une dans une classe de Terminale BEP Comptabilité, l'autre dans une classe de Terminale BEP Métiers de la Mode. Dans la classe de Comptabilité, le projet a consisté à gérer une association organisatrice d'un centre de vacances, et dans la classe de Métiers de la Mode, il s'agissait de proposer des maquettes de collection à des partenaires privés et des compagnies de théâtre.

    Des observations vidéos des activités ont été effectuées dans chaque classe à des moments clefs : première recherche de solutions, analyse critique du travail produit suivant les trois approches (implication dans le projet, pluridisciplinarité, professionnalisme) et remise des travaux aux partenaires professionnels.  Les enregistrements vidéos ont été suivis d'entretiens d'élèves, visant à faire expliciter leur activité et à confronter les interprétations entre pairs (méthode de co-confrontation). Des entretiens avec les professeurs et les partenaires professionnels permettent de compléter le recueil des données.
      

    Premiers résultats

    Les mouvements des savoirs et les compétences en jeu  
    Les deux projets font appel à des savoirs d'origines diverses :
  • des savoirs d'expert (par exemple utilisation de logiciels professionnels et méthodes de saisie dans un cas ; prise en compte de la déformation des tissus et techniques de confection dans l'autre) ;
  • des savoirs documentaires (fichiers, catalogues et sites Internet) ;
  • des savoirs scolaires ou personnels (une élève dessine une silhouette comme elle l'a appris en dessin « le corps mesure neuf têtes » alors qu'une autre « imagine un corps en petit » car elle trouve cela plus facile) ;
  • des savoirs venant des pairs, dans des cas d'entraide ou de conseil venant de personnes d'un même « service » ou d'autres groupes ;
  • des savoirs sociaux (un groupe doit par exemple se représenter une femme de 35-40 ans pour proposer un modèle de vêtement pour cette tranche d'âge).


  • La pluridisciplinarité
    Les situations professionnelles mettent des savoirs scolaires en jeu qui proviennent des disciplines d'enseignement général : français (communication écrite et orale) pour les élèves de Comptabilité, dessin, mathématiques (budget et calcul de coûts de fabrication), sciences physiques (résistance des matériaux à propos de la déformation des tissus et la résistance des fils), français (communication orale lors de la présentation) pour les élèves des Métiers de la Mode. Souvent ces savoirs ont été appris antérieurement et ils sont utilisés au cours du projet d'une manière implicite. Le contexte singulier de chaque PPCP est aussi l'occasion d'en acquérir d'autres : structure et législation d'un centre de vacances dans un cas, utilisation d'Internet dans l'autre. Toutefois la réalité convoquée exige de mettre en œuvre tous ces savoirs dans des chaînes d'activités complexes qui forment la véritable expérience du dispositif.

    Les savoirs et les compétences se déplacent au cours de l'avancée du projet, quand les élèves peuvent passer d'une posture d'élève à celle d'un jeune partenaire avec le professionnel référent. Ainsi, par exemple l'aspect scolaire de la légende figurant sur les croquis de vêtements proposés par un groupe -projet est révélatrice de cette évolution : au départ, une élève affirme qu'il faut écrire les détails sur chaque dessin « pour ne pas oublier ». Après une première rencontre avec le partenaire, les élèves du groupe s'aperçoivent en montrant leurs maquettes qu'elles n'ont rien à dire au partenaire. Finalement, au cours de leur prestation finale, les modèles sont présentés sans légende, et elles se concentrent sur l'argumentaire de leur exposé oral en s'aidant parfois de discrètes fiches résumées.

    Dans les deux cas, la demande d'authenticité est forte de la part des élèves, quand certains demandent à aller visiter le lieu où va se dérouler le centre de vacances qu'ils ont à gérer, ou quand les élèves des Métiers de la Mode préfèrent l'évaluation faite par le partenaire, même si elle peut être sévère et sans appel, à celle de leurs pairs ou de leurs professeurs.

    Scénarisation, variations des projets et réalité du partenariat
    Dans un premier PPCP, une réflexion et scénarisation préalables très
    fortes ont masqué le fait que l'accord entre enseignants et partenaires n'était pas construit pour cette nouvelle activité. Le modèle de projet qui s'est développé s'est progressivement détourné vers celui des anciens PAE (projet d'action éducative). Un des obstacles majeurs constaté a été l'opposition existant entre des enseignants porteurs du projet opératoire à vocation d'expérience face à un enseignant niant l'entrée de la réalité professionnelle au profit de son projet pédagogique. Ainsi l'activité des élèves s'est le plus souvent limitée à des simulations.

    Dans le deuxième PPCP, l'apprentissage progressif d'une rupture des pratiques enseignantes et des pratiques de partenariat s'est effectué dans et par l'action. L'accord sur la scénarisation du dispositif entre professeurs et partenaires s'est fait en transparence avec les élèves et ceux-ci ont pu se projeter sur un contrat d'activités en partageant avec les adultes le risque du projet. Les tuteurs déclarés ont mis en place une série de médiations pour accompagner le PPCP et permettre aux élèves de réagir aux aléas (l'analogie avec la conduite accompagnée en automobile est ici applicable, l'enseignant connaît les règles et les procédures mais c'est l'élève qui tient le volant).

    Discussion

    Ces premiers résultats permettent d'avancer que si une catégorie d'acteurs (enseignants ou partenaires professionnels) maintient un caractère simulé à la situation professionnelle, les élèves ont des difficultés à articuler les connaissances scolaires avec les compétences professionnelles. La cohérence entre les trois aspects, projet, pluridisciplinaire et professionnel est alors mise à mal.
    En revanche, si les enseignants et les partenaires s'accordent sur la mise en projet des élèves à partir de données authentiques, alors le dispositif a sur les connaissances et les compétences des élèves un effet auto-structurant : entre les savoirs convoqués des renforcements et des liens déterminent une nouvelle organisation épistémologique chez le jeune professionnel.



                                                                               Béatrice Jouin, Dr, professeur en lycée professionnel
                                                                               Alain Crindal, Dr, chargé d'études à l'INRP

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