La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Politiques éducatives : initiatives institutionnelles et/ou initiatives d'acteurs ?


Titre : PROJET INSTITUTIONNEL ET RECHERCHE-ACTION, DEUX OUTILS POUR UNE PRATIQUE EDUCATIVE
Auteurs : LEVENE Thérèse, Attachée d'enseignement et de recherche / VERSPIEREN Marie-Renée, Département des Sciences de l'Education - Université des Sciences et Technol

Texte :

A partir d'une enquête menée par Th. Levené, dans le cadre d'une recherche sur les pratiques éducatives des agents éducatifs en établissements médico-sociaux , nous avons mis en évidence dans le discours de ces agents deux explications possibles au constat que nous avions fait de l'incapacité du projet institutionnel à poser des repères, à fixer des objectifs : d'une part le peu de place faite, dans les propos recueillis, aux moyens financiers, humains et organisationnels que suppose la réalisation d'un projet, d'autre part l'absences de références scientifiques qui pourraient rassembler un travailleur collectif chargé d'impliquer les usagers dans un processus de (trans)formation sociale.

Afin de ne pas isoler la pratique éducative des autres pratiques de transformation réalisées par les hommes vivant en société, nous nous référerons à la théorie de la praxis retenant ses deux aspects généraux, "l'action par laquelle l'homme transforme la nature au profit de ses besoins" et "l'action des hommes sur eux-mêmes". Dès lors nous interpellions la recherche-action de type stratégique, qui se réfère à la même théorie de la praxis, en considérant ici cette démarche de recherche particulière comme un processus constitutif d'une pratique éducative.
Et cette pratique éducative, nous l'analyserons comme n'importe quel procès de travail. Considérant le travail social comme un processus de transformation sociale, nous l'étudierons comme tel, c'est à dire considérant son objet, le public, (les usagers, les bénéficiaires, les demandeurs d'aide..) et le processus dans lequel il se trouve pris. Nous focaliserons notre contribution sur les résultats de l'enquête citée relatifs à la question du projet institutionnel. Grâce au dépouillement de l'enquête menée, nous sommes en mesure d'avancer que, si des projets existent, les praticiens ne peuvent en transmettre les contenus…, ou encore qu'à la lecture des contenus exprimés, les projets institutionnels ne sont pas opérationalisables : ils ne définissent pas de conduites à tenir, de buts à atteindre, de pratiques à développer, de valeurs à faire partager, de contrôle à rendre, d'évaluation à effectuer. Ils ne prennent pas sens pour les opérateurs que sont les éducateurs.

Ces constats nous font prendre le risque, dans notre communication, de proposer une grille de construction de projet institutionnel. Cette grille a été élaborée grâce aux données recueillies et questionnées, et trouve par ailleurs une illustration par le biais d'une relecture d'une recherche-action de type stratégique menée par M-R Verspieren dans le cadre d'un Institut de Réeducation Psychothérapeutique.
Dès lors, notre communication adoptera le plan suivant : l'exposé, dans un premier temps, des éléments constitutifs d'un projet institutionnel sera confronté, dans un second temps, à la recherche-action menée. Nous retrouvons ici les deux termes de la 6ème biennale, connaître (le projet institutionnel) et agir (par le biais de la recherche-action).

Première partie : ce qu'est un projet institutionnel.

Nous considérons la pratique de construction de projets comme une pratique constitutive du processus éducatif . "Au départ de tout projet, dit J.Rouzel, dans Le travail de l'éducateur spécialisé , il y a la mise en évidence d'une situation sur laquelle on veut agir. Soit un dysfonctionnement soit une nécessité nouvelle. Tout projet s'élabore dans un contexte donné".
L'analyse du contexte, c'est à dire de la situation objective des usagers dans la division du travail constituera donc l'objet sur lequel la pratique de construction du projet "travaille" .

Tout projet s'appuie sur une analyse des besoins qui consiste en une analyse scientifique de l'organisation sociale et précisément de la place qu'y occupent, dans les rapports sociaux les destinataires du projet : conditions sociales et économiques d'existence, parcours scolaire, professionnel, diagnostics posés par les différentes instances habilitées autant d'indices qui permettront d'évaluer les capacités de l'usager.

Cette analyse doit être confrontée à une enquête auprès des publics concernés. En effet l'écart entre la demande exprimée et les besoins mis en évidence par l'analyse scientifique, les besoins objectifs, rend compte de l'état de conscience des usagers.
La considération de l'état de conscience des destinataires du projet est indispensable afin de prévoir des étapes de sensibilisation et d'appropriation du projet par ceux-ci.
Cette sensibilisation et cette appropriation seront non seulement des étapes incontournables mais au cœur du processus de transformation, la condition même du changement, nous y reviendrons dans les partie concernant "les acteurs" et "les finalités".

Les finalités ou les résultats escomptés
"Le projet vise à l'autonomie" , énoncé vague et qui ne traduit pas ni une dynamique, un processus ni une finalité.
Pourquoi un projet est-il mis en place ? Quelles sont les finalités du processus éducatif, du processus d'aide ?
C'est sans doute le moment critique dans l'élaboration d'un projet où il faut faire un travail sans cesse à renouveler , de définitions, de recherche d'étayage théorique, d'affirmation de références conceptuelles servant le positionnement éducatif, l'implication et l'engagement de l'éducateur. Travail non seulement à renouveler mais à préciser, avec l'expérience, les échecs, les embûches, les rencontres.
Il s'agit d'un travail de production de connaissances, une des dimensions de la recherche action. Le pourquoi en effet mobilise les références théoriques philosophiques et pédagogiques. Le pourquoi pousse les acteurs du projet à prendre position.
Pour J. Rouzel cette question amène les acteurs du projet à "situer leur projet dans une relation à la personne prise en charge" .
Nous dirons que cette prise de position est prise de position critique,
- par rapport au contexte, telle que l'analyse des besoins l'a défini,
- par rapport à la place occupée objectivement par l'usager dans les rapports sociaux, et
- par rapport la place qui lui est réservée à l'avenir, c'est à dire tenir compte du déterminisme qui pèse objectivement sur l'usager (et l'éducateur..) et des possibilités, des possibles qui s'offre à l'usager soutenu, accompagné par l'éducateur pour contrarier ce déterminisme.
C'est le moment, dit Rouzel, pour l'éducateur de se demander ce qu'il veut à cet autre dont on lui a confié la charge d'éducation. Nous préférons : pour cet autre, avec cet autre, pour que d'usager il devienne "agent social ", qu'il trouve sa place de producteur dans les rapports sociaux de production, à partir de capacités transformées et de besoins conscientisés si ce n'est satisfaits.

Les moyens du projet, la place de l'activité
Les moyens choisis concourront à la transformation de l'usager, produiront l'usager autonome, c'est à dire le citoyen, l'ouvrier, l'employé, la mère de famille, l'étudiant, le professeur, l'homme ou la femme utile à la société.
Ces moyens s'inscriront dans des étapes qui elles-mêmes baliseront le parcours jusqu'à la transformation visée, le relais pouvant être pris par d'autres structures.
Ces moyens supportent et constituent l'acte éducatif.
Nous avons défini l'activité éducative comme étant une "pratique particulière, insérée dans la pratique globale des hommes historiquement développée" , elle est donc source de transformation.
La pratique éducative "contribue à la production de l'homme social à partir de son être biologique (et de son être social antérieur) et à la reproduction (re-production) de la société par l'intermédiaire de la production de l'homme, dans des conditions sociales et historiques données"
La pratique éducative, à l'instar de la formation, participe à l'effort d'une société sur elle-même : "Elle intervient au niveau de la production de produits (moyens de production, biens de consommation) car elle transmet les techniques et les connaissances permettant de les améliorer et de les multiplier.
Elle intervient aussi au niveau de la création d'œuvres (institutions, objets) car elle transmet et produit aussi des manières d'être, de penser, d'agir.
Elle intervient enfin au niveau des rapports sociaux par la transmission de normes, de modèles sociaux."
Nombre d'éducateurs interrogés présentent les supports de leur pratique comme étant des activités sportives, artistiques, manuelles. De façon générale, le support est une activité choisie ou maîtrisée par l'éducateur quelque soit l'enfant. L'activité apparaît le plus souvent comme activité d'animation ou activité occupationnelle . Elle a valeur pédagogique quand il s'agit "d'amener l'enfant à utiliser selon son rythme et ses besoins les richesses qui demeurent en lui ". Mais sans but , l'activité s'inscrit dans une perspective de valeur d'usage, c'est à dire de développement de capacités, qu'en est-il de son autre dimension, sa valeur d'échange qui inscrit l'activité dans sa dimension sociale, c'est à dire productive. ?
Amener l'enfant à utiliser selon son rythme et ses besoins les richesses qui demeurent en lui, sans doute mais ce pari ne peut être gagné que si les activités qui lui sont proposées et le produit de ces activités sont reconnus, valorisés au-delà du groupe et de la famille, et si les acquis produits par l'activité sont transposables à d'autres domaines pour s'insérer dans la société, la modifier, la construire… ainsi il ne s'agit pas seulement d'amener l'enfant à utiliser les richesses qui demeurent en lui mais l'amener, à les transférer, à les mettre au service de la production de ses conditions d'existence.
Les œuvres effectuées en institution ne sont-elles pas le plus souvent entassées dans un placard avant d'être jetées à la poubelle? Les activités sportives ou artistiques ne sont elles pas organisées à l'intérieur de l'établissement sans qu'aucune compétition, exposition ne viennent leur accorder quelque valeur? Les mesures d'insertion offrent-elles la possibilité de transférer les compétences acquises ?
L'homme se fait et se transforme en transformant le monde.
La seule référence au "lien social" risquerait de faire de l'acte éducatif une activité occupationnelle ou de "gardiennage", comme l'exprimait un éducateur interrogé.
Le projet ne peut faire l'économie d'une définition de ses moyens ou supports qui définissent à leur tour la pratique éducative.

Les acteurs du projet et leurs rapports
Le porteur ou les porteurs du projet, poussés par des convictions vont tenter à partir de constats, d'hypothèses, de mettre en place un dispositif, un service, un projet à court terme. Une équipe, des partenaires, des "bénéficiaires" seront "entraînés" dans ce projet, tous devront être informés, sensibilisés, associés, impliqués. La démarche requiert une stratégie spécifique selon le type de projet, selon le contexte, les partenaires.
Si l'activité est la pierre d'achoppement de la pratique, la place des éducateurs et des usagers est la pierre d'achoppement de la mise en place et de l'évaluation du projet
Qu'en est-il de la représentation des personnels dans les conseils d'administration, de la mise en place des conseils d'établissements ? Espaces de coopération, organes de contre-pouvoir, espaces d'innovation…
L'enquête déjà citée fait état de 6 praticiens sur 552 interrogés (dont 3 exerçant une fonction de direction) qui déclarent siéger au conseil d'administration avec voix consultative…
22% des éducateurs interrogés déclarent l'existence d'un conseil d'établissement dans leur institution. Dans le meilleur des cas la présence des usagers est estimée influente, ceux-ci y auraient une voix consultative et seraient représentés par leurs parents .
48% des praticiens déclarent l'existence de réunions de régulation collective, la plupart de ces réunions semblent cependant être organisées pour les jeunes majeurs ou les usagers les plus âgés et leur fréquence demeure assez faible : dans plus de la moitié des cas elles ont lieu une à deux fois par an.
Daniel Roquefort relève une pratique, semble-t-il généralisée, de réunions de synthèse basée sur un principe constant : l'absence de l'enfant. S'il dénonce ce mode de faire en contradiction avec une pratique éducative qui se dote d'outils psychanalytiques, nous sommes en mesure également de relever les mêmes contradictions dans un dynamique de transformation .
Qu'en est-il de la consultation des praticiens, du contrôle de l'exécution des décisions prises? Relevons encore un chiffre qui illustre nos propos : 17% des praticiens donnent leur avis sur le budget de l'établissement : la totalité des directeurs ( qui représentent 2% des praticiens), 58% des chefs de services et 13% des éducateurs….
Autrement dit qu'en est-il de la démocratie dans les institutions ?
L'institution a ses rouages, dit Rouzel , "il faut les investir pour qu'il y ait de la vie". Je dirais, il faut s'en emparer et y associer les usagers pour que le projet soit celui des usagers et que l'institution leur revienne. Freinet voulait rendre l'école aux enfants….
Les usagers doivent être mis en capacité de prendre conscience de leurs besoins objectifs et donc de trouver les réponses. La recherche-action participe-t-elle à une forme de réponse possible ? La suite du texte nous aidera à répondre à cette question.

Seconde partie : la recherche-action de type stratégique au service de l'élaboration d'un projet institutionnel.

L'Institut de Rééducation Psychothérapeutique (IRP) dont il est question ici se situe dans le Nord de la France et existait depuis bientôt dix ans lorsque Trigone a été contacté. L'équipe de direction et l'équipe éducative souhaitaient dans un premier temps analyser et formaliser les pratiques et les résultats des différentes composantes et services de l'IRP. Cependant, dans un second temps, par le biais d'une recherche-action, un projet institutionnel a vu le jour...

Présentation de la " première généralité "

Le travail de la définition de la première généralité a été fait en commun, avec la participation d'une quinzaine de salariés de l'Irp. Elle est donc le fruit de constats, d'expériences quotidiennes ainsi que des réflexions qui ont été menées à partir de l'analyse de pratiques. D'ailleurs, l'hypothèse centrale est une mise en mot d'un malaise plus ou moins bien exprimé lors de cette 1ère phase du travail d'analyse de pratiques, à savoir l'identité de l'Irp. Qu'est-ce qu'un Irp en général, en France ? Qu'est-ce que celui-ci, riche de ses 10 années d'ancienneté, a de particulier ? Comment est-il perçu par l'extérieur, que cet extérieur soit son organisme de tutelle, ses financeurs ou ses partenaires ? Selon les participants, nombre de ses interrogations proviennent du constat suivant : les enfants et adolescents accueillis par l'Irp présentent des " troubles de comportements ". Cette notion est vague et source de confusion : elle se contente de constater un fait.

L'hypothèse centrale a été formulée ainsi : "Notre Irp répond aux besoins d'un public qui n'a plus de place actuellement ailleurs. Ses diverses composantes ne sont ni connues ni reconnues par l'extérieur. " L'action centrale explicitement visée était une action en direction de l'extérieur " pour améliorer la lisibilité de l'Irp et, par conséquent, le fait que les adolescents lui seront envoyés avec une meilleure connaissance de ce qu' il est capable de faire pour eux ".

Il est clair qu'ainsi exprimées, ces hypothèses (de recherche et d'action) ne sont pas opérationnelles. C'est pourquoi il s'est révélé nécessaire de la décliner en 4 sous-hypothèses :

1. " Les partenaires envoient les jeunes adolescents à l'Irp par défaut et non par reconnaissance du travail effectué par cet institut. "
Cette sous-hypothèse est tournée directement vers la Commission Départementale de l'Education Spécialisée, CDES, instance qui envoie les jeunes à l'Irp, et qui est source de nombreuses interrogations : au fond, qu'est-ce qui fait qu'un jeune arrive à l'Irp plutôt qu'ailleurs ? Qu'est-ce qui motive un membre de la CDES de cette orientation-ci ou de cette orientation-là ? La méconnaissance réciproque du fonctionnement de l'un et de l'autre engendre fantasmes et procès d'intention. Aller à la rencontre des membres de la CDES ne peut être que bénéfique pour les salariés de l'Irp. Quelle que soit leur opinion au début de la recherche-action, elle évoluera au fil des rencontres.
Si on se réfère à la première partie de cette contribution, on peut se demander si cette sous-hypothèse n'est pas une sorte d'analyse de besoins. Besoins institutionnels et politiques de la Cdes, certes, et non besoins des publics accueillis, mais les questions posés aux salariés de la Cdes donnent des clés aux salariés de l'Irp pour mieux comprendre leur contexte, leur environnement socio-politique.
En ce qui concerne la CDES, les éducateurs disent qu'elle leur apparaît comme " une instance mystérieuse " où il ne convient pas " d'aller mettre son nez ". Que ce soit réel ou fantasmé, le décideur reste inaccessible pour l'éducateur de base. " On a eu un peu peur d'aller voir ces gens " reconnaissent-ils d'un commun accord. Cela n'empêche que l'intention d'aller à la rencontre de cette institution a eu des effets positifs : les éducateurs se sont renseignés sur cette instance et sur ses modes de fonctionnement, ils ont également demandé d'aller plus souvent parler à l'extérieur de l'Irp, bref ils ont négocié de nouvelles délégations. Autrement dit, ils se sont davantage ancrés dans leur contexte, en tant que professionnel et en tant que salarié d'une institution. On revient ici à ce qui était dit plus haut : un changement a pu intervenir car les éducateurs ont investi l'organisation sociale grâce à la remise en question de la place qu'ils occupent ou, plus exactement qu'on leur faisait occuper. " je n'avais pas assez travaillé mes délégations " avoue le chef de service lors de l'évaluation de la recherche-action...

2. Au fond qu'est-ce qui différencie un Irp d'un autre centre d'hébergement ? C'est le " p " de psychothérapeutique qui est ici interrogé. La réponse se formule ainsi : " Notre Irp est un lieu qui permet aussi aux jeunes de dire et d'agir leurs symptômes ".
La question sous-jacente est celle du soin. Qui, quoi, dans un Irp, " soigne " les " troubles de comportements " des enfants et adolescents. Est-ce que ce rôle n'est dévolu qu'aux psychiatres et psychologues, ou est-ce que les éducateurs, voire le personnel technique, est également une source de mieux être, d'équilibre, pour les jeunes ? " Peut-être que les partenaires institutionnels s'imaginent que les psy sont sur le terrain, qu'ils sont là avec les éducateurs et les ado en permanence ?".
Cette interrogation a été reprise à plusieurs reprises dans ce groupe de travail : " Est-ce que tous les éducateurs sont d'accord pour concevoir qu'une partie de leur travail consiste, ici, à porter le jeune vers une consultation psy ? "
Au-delà de cette remise en question, des constats et d'autres questions, plus larges, émergent : " on n'a pas encore réussi à établir bien le lien entre éducatif, pédagogique et thérapeutique. Le lien est plus compliqué avec l'aspect thérapeutique. On voudrait plus d'information sur le côté thérapeutique de la prise en charge de la psy pour le gamin. Elle travaille beaucoup sur l'admission, mais après, au quotidien, qu'est-ce qui est fait ? ". Nous retrouvons ici, pour le coup très opérationnalisées, les questions qui étaient posées dans la première partie de cette communication : quelles sont les finalités du processus de prise en charge de l'adolescent confié à l'Irp ? Le " pourquoi " est-ce ainsi et non autrement pousse les acteurs du projet à prendre position, et les oblige à s'entendre entre professionnels différents. S'ils arrivent à établir le lien entre l'éducatif et le pédagogique, pourquoi n'arrivent-ils pas à l'établir entre les thérapeutes ? Est-ce plus compliqué parce qu'on touche à l'aspect " soin " ? Est-ce dû à la personnalité des psy ? à leurs fonctions ? ou plutôt à leur mode de fonctionnement ? C'est bien tout l'aspect du travail collectif au sein d'un établissement qui est souligné ici, dans cet irp-ci, mais des questions plus générales, au sein de la mise en place d'un partenariat hors établissement, par exemple, sont possibles.
Le défi est le suivant : construire un collectif, tout en ayant des actions spécifiques vis à vis d'un public commun. Indépendamment des enjeux institutionnels et des jeux de pouvoir, pour parvenir à un partenariat effectif entre les acteurs concernés, un véritable travail de découverte de l'autre, de co-formation s'avère indispensable, sur le plan des procédures décisionnelles, administratives et financières. Pour réaliser ceci, des lieux, des financements, des temps spécifiques sont à rechercher. On aborde dès lors les moyens du projet (cf 1ère partie)

3. L'interne est un aspect de la spécificité de l'Irp, mais l'externe a un rôle non négligeable à jouer : que ce soit l'école, les centres sociaux et sportifs, les lieux d'accueil pour un stage...etc...l'environnement compte, et compte d'autant plus que les jeunes sont en internat complet. " Un jeune de l'Irp se socialise entre autre moyen par le biais d'activités extérieures à l'institut. Or il semble que les lieux d'accueil potentiels se restreignent ".
Aller vers l'extérieur est une chose, faire venir l'extérieur à l'Irp en est une autre. Pourquoi donc les sorties sont de plus en plus difficiles ? Pourquoi les sorties culturelles sont perçues par les autres membres de l'équipe comme étant " du temps perdu " ? Pourquoi les gens sont de plus en plus réticents à l'accueil des jeunes ? sont autant de questions qui s'est posé ce duo composé d'une éducatrice ayant particulièrement en charge les relations avec les lieux de stage potentiels et les écoles, et d'une des institutrices de l'Irp.
On s'aperçoit à quel point il a été difficile de faire admettre, entre collègues, des conceptions différentes concernant les sorties culturelles, par exemple. Ces activités externes commençaient justes à être perçues différemment par les collègues à la fin de la recherche-action. Avant, l'idée qui était dans l'air (mais non exprimée), c'était " si on sort de l'Irp, c'est un échappatoire ! ". Actuellement, il y a davantage de respect pour ces activités, les collègues commencent à reconnaître qu'une activité extérieure à l'Irp, peut être également de l'apprentissage. " Maintenant, les collègues conçoivent que l'on regarde un film et que l'on apprenne quelque chose. On peut faire quelque chose de ludique et être dans l'apprentissage...C'est nouveau, ici ! ", conclue non sans ironie cette éducatrice. Cet exemple se situe du côté d'une évolution de représentation, évolution qui rapproche des membres épars d'un collectif.
Un autre objectif a été atteint, qui découle directement du premier : : c'est la mise en place de contrats passés avec chaque jeune par rapport à son projet. Le temps de classe et les temps d'atelier ont été réorganisés pour qu'un jeune puisse choisir son activité en fonction de son projet, ce qui lui évite de percevoir ces activités comme une contrainte supplémentaire. Cette innovation a été conçue par la sous-équipe préoccupée par la socialisation à l'interne et à l'externe des jeunes de l'Irp, avec la complicité d'autres membres éducatifs, à partir du constat suivant : puisqu'il est possible de monter avec quelques jeunes des projets réalisés au sein de l'établissement pour les valoriser hors de l'établissement, il doit être possible également de monter le projet de chaque jeune concernant ses temps d'occupation et ses temps de travail au sein de l'Irp. Les contrats "favorisent un travail plus en profondeur sur des mécanismes de réflexion. Il y a une démarche de raisonnement qui est acquise. Si un jeune veut modifier quelque chose dans son contrat, il sait qu'il ne suffit plus de dire " je n'en ai plus envie ". Il y a un chemin à suivre pour que ce désir de changement aboutisse. Il en parle à son référent, qui en parle à la réunion, et une décision est prise après discussion, et le jeune demande ce qui a été décidé : il est obligé de suivre son idée pendant tout un temps. Cela les oblige à se projeter sur une période plus longue, et de mettre de la distance lorsqu'ils ont envie de tout casser, de tout arrêter. Ils deviennent capables de différer ".
Les contrats obligent les jeunes à clarifier ce qu'ils veulent et pourquoi ils le veulent. Il y a une logique au contrat qu'il leur faut respecter. Leurs demandes sont de plus en plus justifiées. C'est l'adolescent qui anticipe sur les solutions possibles. Si leur demande est incomplète, ils sont amenés à se reposer des questions et à trouver des formes de solutions acceptables pour eux et pour l'équipe éducative. Et quand ils sont dans quelque chose de sérieux (comme les contrats), ils le font sérieusement, en français correct, pas en argot du quartier, ils mettent les formes, et cela les oblige à quitter le ressenti immédiat pour prendre du recul.
" Cela les rapproche du monde du pré-stage ", affirme une des initiatrices du projet, en concluant son évaluation.
Nous nous situons bien, dans ce paragraphe, dans les moyens du projet qui concourent à la transformation de l'usager …Il reste à aborder maintenant les rapports que les acteurs entretiennent entre eux…

4. " En dégageant les agents éducatifs d'un certain nombre de charges administratives, les services techniques de l'Irp participent également aux aspects éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques de l'Irp tout entier ". En fait, être comptable à l'Irp, est-ce le même métier qu'être comptable dans une petite PME ? Que fait exactement la secrétaire de direction : ce que lui demande le directeur ou ce qu'exige le bon fonctionnement du service ? Et le directeur, au fond, participe-t-il encore autrement qu'administrativement aux fonctions générales de l'Irp ?
Ces questions amènent une réflexion sur l'exercice du pouvoir au sein de l'Irp, et ont entraîné une prise de conscience de la part des représentants du personnel quant à leurs manières d'assurer leur rôle : " on commence à mieux savoir ce que notre rôle nous impose et nous permet de réaliser, et on commence à représenter pas mal de choses... " Il était temps car " ce secteur, qui a connu sa période de gloire dans les années 60 à 80 est en train de faire sa mutation. " Gageons qu'elle ne sera pas la même si les salariés et si tous les acteurs se sentent concernés par cette mutation, et ne la subisse pas de plein fouet.
Il serait également possible d'évoquer, à ce point de nos propos, nombre d'actions prévues pour raviver la flamme des délégués… qui n'ont pas vu le jour !. Il s'agissait de faire le point sur les différentes instances composant l'Irp, de réactualiser les rôles de chacun, et de créer le conseil d'Etablissement. Mais déjà " les instances existantes ne jouent pas leur rôle " rappelle une éducatrice...Oui, nous sommes bien là dans l'analyse des rapports que les différents acteurs du projet établissent entre eux. Œuvrer à un processus de transformation, y participer, cela passe notamment par la modification du rapport entre les "bénéficiaires" et les institutions sociales : c'est pour le travailleur social s'inscrire en position de "conscientisation et de solidarisation des groupes concernés" et (re)donner aux usagers "la capacité réelle à faire leur histoire et notamment celle des institutions qui ponctuent leur vie.. Ils doivent pouvoir les reprendre et les transformer" .

Ce cadre hypothétique élaboré en commun montre en quoi la recherche-action répond aux soucis énoncés plus haut de mise en œuvre d'un projet : mener une recherche-action, c'est constituer un collectif qui agit en fonction de finalités posées par des actes de recherche, c'est se donner les moyens de le faire, et d'évaluer les résultats obtenus lors de séances d'analyse et d'évaluation institutionnalisées. Mais, de plus, la recherche-action s'inscrit dans un contexte qui se précise aux yeux des participants.

Conclusion.
A l'issue de ce travail de mise en relation d'une grille de lecture du projet institutionnel dans son acception la plus finalisée avec une recherche-action terminée, il est temps de revenir maintenant sur notre constat de départ, à savoir : les éducateurs interrogés par Th. Levené sont dans l'incapacité de nommer le projet institutionnel non pas parce qu'il n'y en a pas, mais parce qu'il n'est pas opérationnalisé dans ses moyens, et parce qu'il n'est pas conceptualisé, théorisé.

Notre objectif est de montrer en quoi la constitution d'un collectif autour d'une recherche-action permet à ses différents membres de tendre vers cette conceptualisation. Il n'est pas de notre propos de nier la division du travail dans la société, ni les oppositions traditionnelles entre la théorie et la pratique, les responsables et les exécutants, les chercheurs et les praticiens, mais nos expériences analysées ont tendance à prouver qu'il est possible, à certaines conditions, de mêler chercheurs et praticiens, responsables et exécutants, théorie et pratique. "Au cœur de la réflexion sur la R-A, on trouve cette question : quelles conditions doivent être remplies pour que des gens différents (du point de vue notamment de leur formation, de leur activité professionnelle et de leur insertion institutionnelle) puissent participer sur un pied d'égalité à une démarche où se conjugent la recherche et l'action ?"

Si collectif il y a, la saisie du problème, dans ses axes essentiels et ses ramifications multiples, est l'œuvre du groupe entier, et provient du travail de celui-ci sur les perceptions des divers aspects qu'il revêt. Autrement dit, chacun a une vision tronquée de la réalité, et le travail du groupe consiste à reconnaître ce qui a été perçu par les uns et non par les autres, et à en faire une synthèse valable pour tous les membres. Quand le problème est clairement identifié, l'action se met en route et revient, à des moments déterminés d'avance, sur ce qui a été fait et sur ce qui reste à faire. En déterminant les valeurs partagées entre professionnels, institutionnels et chercheurs, en analysant le champ d'action possible, le(s) rapport(s) de forces existant(s), il convient alors de se prononcer sur la faisabilité ou non de la recherche-action, comme il convient de se prononcer sur la faisabilité ou non du projet institutionnel. C'est en ce sens que ces deux concepts sont liés pour une pratique éducative différente.


Menu