La 6ème Biennale |
Titre : | Apprendre en situation de travail: un miroir aux alouettes? Un mode particulier d'acquisition des compétences en Allemagne |
Auteurs : | LE MOUILLOUR Isabelle Centre de Recherche sur les Professions et l'Enseignement Supérieur (WZI) / Université de Kassel - Mönchebergstr.17 - D-34109 Kassel - E-Mail: LeMouillour@hoc |
Texte : |
---|
Alors que dans les années 70 et 80, formation et activité professionnelles
ont été progressivement séparées l'une de l'autre,
les liens entre " apprendre " et " travailler " font maintenant
l'objet d'une attention particulière plaçant l'individu et ses
compétences au cur du débat sur la société
du savoir et d'une nouvelle culture de l'apprentissage -Lernkultur- (OECD 2001/ABWF
2001). Il est même question en Allemagne d'un changement de paradigme
en matière de formation professionnelle (Bolder 2001) et on assiste à
une renaissance du poste de travail comme lieu d'apprentissage, 30 ans après
le mouvement d'humanisation du travail.
Les espoirs liés à la formation en situation de travail (FEST) reposent sur le postulat d'un meilleur transfert du savoir acquis dans la pratique (par rapport à une qualification réalisée en stage de formation) mais surtout sur le fait que la majorité des activités de FPC ont lieu hors des institutions de formation et aux faiblesses évidentes du système actuel de formation professionnelle continue (FPC). Le système éducatif allemand avec ses nombreux règlements et son orientation unilatérale sur l'input et les programmes d'études ne semble pas être propice à une plus grande ouverture, à une individualisation et à une modularisation ainsi qu'à une orientation sur les résultats plutôt que sur le parcours ou la filière de formation. De plus, le système de formation professionnel dual qui contient des éléments d'apprentissage pratiques réalisés en entreprise arrive à ses limites (par exemple, manque chronique d'entreprises d'accueil). L'apprentissage informel a jusqu'à présent été délaissé par la politique d'éducation, la recherche sur l'éducation et la pratique éducative en Allemagne au profit des formations institutionnalisées tertiaires (BMBF 2001a). Ceci tient sûrement au fait que l'apprentissage informel est lié à toutes sortes d'activités, qui sont plus difficiles à cerner, à modeler et à observer que l'apprentissage dans des institutions conçues pour cette tâche et par là-même peine à s'imposer face à des profils professionnels et des règlements pour les formations et les examens fixés dans leur moindre détail. Cependant la réalité est encore plus complexe. Dans une étude réalisée à l'Université de Kassel, il a été possible de répertorier plus de 30 situations liées à une augmentation des compétences (Frieling/Le Mouillour et al. 2002), et l'importance des modes informels d'apprentissage semble évident au regard du graphique suivant. La nouvelle Lernkultur et l'apprentissage en situation de travail vont ici faire l'objet d'une présentation sous deux angles : le contexte professionnel et de l'organisation du travail et la politique de recherche émergente.
Dans le modèle de capitalisme rhénan, la responsabilité de la formation revient essentiellement à l'employeur qui " consent un effort de formation du salarié en échange de sa fidélité " (Bollérot 2001). Aujourd'hui, l'entreprise n'est plus capable de respecter l'ancien contrat social et de garantir la sécurité de l'emploi à ses salariés. Il se profile ainsi un modèle européen de coresponsabilité associant le salarié et l'employeur dans une communauté d'intérêt à durée variable. Les entreprises allemandes peuvent être pour la plus part comparées à des " High performance work organisations " (OECD 1998). Elles sont caractérisées par sept éléments primordiaux: de nouvelles structures organisationnelles (groupes de travail semi autonomes, réduction du nombre de fonction et des niveaux de management), de nouvelles méthodes de travail plus flexibles et moins hiérarchiques (horaires de travail plus flexibles, job rotation et multi-skilling), de nouvelles pratiques managériales (qualité et amélioration continue), de nouvelles cultures d'entreprise (confiance, participation, autonomie, service et qualité), plus d'investissement dans l'éducation et la formation et une approche plus systématique de la formation et du développement (plans de formation formels et une approche structurée du développement des salariés), de nouvelles techniques de mesure des résultats (indicateurs financiers et non financiers, définition d'objectifs pour les équipes et les individus, système d'information plus ouverts), de nouveaux systèmes de récompense (partage du profit, bonus, schémas de répartition des bénéfices). La concurrence entre les entreprises (Hamel/Prahalad 1994, Porter 1990) et leur capacité innovatrice dépendent avant tout de leurs compétences clés et du savoir de leurs employés. La FPC et le développement des compétences ne peuvent être envisagées qu'en rapport avec leurs environnements économiques et sociales. De même les projets de réorganisation devraient prendre en compte les besoins d'adaptation et d'apprentissage des salariés. Aussi serait-il judicieux de redéfinir le poste de travail en y ajoutant une dimension " apprentissage ", définie en termes de soutien et d'incitation au développement de structures cognitives, émotionnelles et motivantes permettant de résoudre des problèmes actuels, nouveaux ou connus. Dans le secteur de la formation professionnelle, la coopération des partenaires les plus divers et une large palette de modes d'apprentissage doivent être développés, afin que chacun puisse avoir le choix entre différentes options pour son développement personnel et professionnel. En Allemagne, il est possible de résumer ainsi la situation : l'apprentissage prend place pour 30% dans des institutions éducatives et à peine la moitié des adultes peut être incitée à participer à une formation professionnelle, par ailleurs toute personne se retrouve en situation d'apprentissage informel au cours de sa vie privée et professionnelle (BMBF 2001a). Même si un consensus s'est formé pour reconnaître la disparition des frontières entre le travail et l'apprentissage, il reste la question de savoir s'il s'agit pour certaines activités d'acquisition de connaissances professionnelles plutôt de travail ou d'apprentissage. Le décalage entre une approche statistique de ces activités et la perception de la population active est évident si l'on considère les résultats de l'évaluation des quatre formes d'acquisition de connaissances professionnelles présentées dans le graphique suivant (BMBF 2001b).
Dans le cadre d'un management du savoir, la FEST est une sous-catégorie de l'ensemble des processus d'apprentissage. Les tâches elles-mêmes doivent diffuser les connaissances et les techniques propres à leur réalisation. Ce type d'apprentissage apparaît alors comme un apprentissage sommaire qui ne permet pas le développement des compétences professionnelles générales. La définition du poste de travail fait office de filtre, qui délimite ce qui sera appris. Sous un angle plus optimiste, la FEST peut aussi être la voie d'acquisition de compétences professionnelles au-delà des exigences actuelles du poste de travail. Le poste de travail garantit alors l'authenticité du savoir acquis et offre un champ expérimental sans limiter les possibilités d'apprentissage. Dans les organisations modernes, la quantité de savoirs à acquérir semble ne plus être limitée, les sources de savoir très diverses. L'apprenant s'octroie un nouveau rôle : il n'est plus le récepteur passif d'une offre de formation institutionnalisée. Il a besoin pour son travail de connaissances actualisées en permanence. C'est son capital de savoir, défini par ses compétences, son savoir spécialisé et sa pratique qui le rend précieux à l'organisation pour laquelle il travaille. Ce qui rapproche le salarié de la vision européenne résumée ici en quatre mots : employabilité, flexibilité, esprit d'entreprise et égalité. Presque tous les pays sont à la recherche de nouvelles formes plus efficaces pour la maîtrise du changement structurel par une nouvelle compréhension étendue de la formation professionnelle et du développement de compétence professionnels. Qu'en est-il du postulat de la nouvelle Lernkultur? La Lernkultur est, en premier lieu, une nouvelle question centrale de la recherche en Allemagne. Tout comme pour les compétences, il n'en existe pas encore de définition reine. Elle se laisse appréhender au niveau des individus et des organisations au fil de trois dimensions principales: Le comment (c.à.d. les processus d'apprentissage), le où (l'environnement de l'apprentissage) et le quoi (le résultat ou le produit de l'apprentissage, augmentation du niveau de compétences). Cette question s'impose par la fréquence des mécanismes informels d'acquisition des compétences et une tendance à la gestion individualisée et auto-organisée de ces dernières. Elle est aussi une réponse politique aux problèmes du niveau de formation des adultes et du nécessaire renforcement des compétences professionnelles individuelles. Le programme du Ministère fédéral de l'éducation et de la recherche intitulé " culture d'apprentissage - développement de compétence " (2001-2007, environ 17 Mio. € par an) tend à perfectionner les modes et stratégies d'apprentissage continu sur le lieu de travail en mettant l'accent sur la consistance des postes de travail en matière d'apprentissage. Alors que certains pays européens comme la France ou le Royaume-Uni mettent l'accent sur la certification et la validation des compétences (VAE, Skill account), l'approche allemande relève surtout de l'analyse de l'organisation du travail dans une perspective interdisciplinaire (psychologie, sociologie, économie) et une approche très pragmatique. D'où les questions suivantes, qui résument le débat de la recherche : 1. Comment doivent être configurés le poste de travail et son
environnement pour favoriser l'apprentissage? Références bibliographiques |