La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : Théorie et pratique dans l'action enseignante : comment des études universitaires ont changé ma pratique de classe ?
Auteurs : M. HAMON Marcelin Professeur des écoles à Val de Reuil.

Texte :
Pour réfléchir au problème du connaître et de l'agir, je me baserai sur mon expérience d'enseignant et d'étudiant. Je souhaiterais examiner comment ma pratique professionnelle de professeur des écoles a été changée par des études en sciences de l'éducation. De mon point de vue actuel, j'entends ce changement comme positif. Partant d'une pratique traditionnelle contenant des aspects plus contemporains, il me semble maintenant être plus attentif à l'élève en tant que sujet apprenant.

Dans un premier temps, je souhaiterais lister ce qui est déterminant pour l'agir pédagogique car je pense que la représentation que l'on se fait du métier est plus déterminante que des recommandations hiérarchiques, par exemple. Ce que l'on a connu en tant qu'élève est sans doute essentiel. La vingtaine d'années passée "à bénéficier" d'un enseignement frontal laisse son empreinte, crée des façons de penser ou d'agir
La formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, vient modifier les représentations et les pratiques. La formation initiale est souvent taxée d'inadaptation car elle relèverait d'un discours théorique. Pour ceux qui adhèrent à ces propos deux façons de voir les choses s'offrent à eux : une adhésion intellectuelle qui reste sans effet mais qui pourra nourrir la réflexion ; un refus pour cause d'inadaptation au réel de la pratique à l'aulne de laquelle tout devrait se mesurer. Dans les deux cas, la pratique de classe reste inchangée. En ce qui concerne la formation continue, le peu d'intérêt que lui portent les enseignants doublé d'impressions pointillistes qu'elle laisse, permet de douter des changements de pratique induits. Seuls les enseignants déjà sensibilisés au thème pourront en tirer profit. Je les conçois plutôt comme des informations. Les stages de formation continue plus longs permettent de mettre à plat des pratiques par le dialogue et de construire d'autres pratiques. Mais de retour en classe et passé le moment de l'engouement pour cette "nouvelle façon de faire", alors même que surgissent les premiers problèmes (liés à l'application d'un discours) il est fort à parier que les pratiques précédentes vont reprendre place, tout simplement parce qu'il n'y a plus de retour institutionnel (Conseiller, formateur, iufm), et que les routines rassurent.
Les manuels constituent une source d'incitation importante. Cependant quelques problèmes se posent. Ils sont élaborés sur des principes théoriques que les praticiens n'ont pas toujours le temps de déceler. Alors la mise en pratique ne correspond pas toujours aux intentions des auteurs. Soit, il faut que les enseignants s'approprient les méthodes faites par d'autres mais dans un projet cohérent qui n'est pas toujours aisé de mettre en œuvre compte tenu des diverses variables du réel. En somme, même si des manuels sont intéressants dans leurs conceptions et sources de renouvellement des pratiques, ils risquent fort d'être phagocytés par une pratique plus traditionnelle. Il va sans dire que nous n'évoquons pas les impératifs de vente et de rentabilité.
L'imitation est le dernier point que je souhaiterais évoquer. En arrivant dans une école on est bien obligé de "se couler" dans le moule. De part la légitime volonté de s'intégrer dans un groupe constitué ou la naissance de relation de sympathie. Petit à petit on s'aperçoit qu'il y a une homogénéisation des pratiques. Cela n'est pas forcément négatif (découverte de pratiques différentes, nécessaire cohérence face aux enfants, bénéfice de l'expérience des plus anciens), mais encore une fois on risque une persistance des pratiques existantes. Cette force de conformation aux plus nombreux me semble particulièrement forte dans l'optique d'une socialisation professionnelle, parfois renforcée par la pression plus ou moins visible des parents.
Ces différents éléments se croisent, s'entrechoquent, interfèrent avec ce qu'est l'enseignant et les situations qu'il vit, les rencontres qu'il fait pour donner naissance à une pratique en actes. Ces quatre points (mais il y en a d'autres) ont en commun d'être extérieur à l'enseignant, de lui être imposés plus ou moins consciemment. Ce qui ne veut pas dire que ce soit totalement négatif, mais on peut s'interroger sur la portée réelle, sur la pratique de classe des ces différents discours théoriques ou pratiques. Quoi qu'il en soit, ces différents éléments déterminent l'action. Ce qui pose problème, c'est lorsque les enseignants agissent sans en avoir conscience et qu'ils mettent en avant un bon sens naturel ou une évidence qui va de soi. En fait, on peut penser que l'enseignant est, qu'il le veuille ou non, influencé. Alors autant en être conscient et connaître ses sources d'influence. Cela permet d'être plus libre et plus ouvert à l'évolution.


Partant de ces constats, je souhaiterais analyser en quoi la rédaction d'un mémoire de DEA en Sciences de l'Éducation a changé ma pratique et essayer de comprendre pourquoi. En effet, on pourrait croire que les Sciences de l'Éducation bien éloignées de la pratique ne sont qu'un argument pour amateur de théorie.
Tout d'abord la formation reçue en licence semble confirmer ce pronostic puisqu'elle a été pour moi de type informationnel : j'ai appris des choses mais cela encore une fois est resté extérieur et les changements ont été marginaux. Les éléments théoriques ont été ici compris mais n'ont pas fondamentalement changé, dans la pratique, ma façon de faire : mes connaissances théoriques étaient activées à l'université alors qu'en classe les vieux schèmes d'action reprenaient le dessus. L'insuffisance des liens entre les deux mais aussi le manque de questionnement ou d'implication expliquent cette disjonction.
Le mémoire de maîtrise amorçait un changement qui n'a fait que s'accentuer par la suite. Nous emprunterons nos références théoriques à deux champs tout d'abord sociologique avec L'homme pluriel de B. Lahire puis didactique avec un ouvrage collectif Passages à l'écriture de Delamotte, Gippet, Jorro, Penloup. De la sociologie de l'action, je retiendrai que les déterminants de l'action mais aussi les modèles de l'incorporation s'originent dans des sources diverses. De la didactique de l'écriture, je retiendrai l'idée que l'écrit est un médiateur qui permet de faire débattre théorie et pratique.
Listons brièvement quelques changements significatifs : en ce qui concerne la conduite de classe, je laisse beaucoup plus la parole aux élèves facilitant ainsi les interactions. Je prends plus en compte le niveau de l'élève dans une approche empathique. Je tente de mettre en avant une pédagogie à la mesure des élèves sans empiéter sur leur autonomie. Je suis davantage à l'écoute et j'essaie de faciliter la coopération entre élèves plutôt que d'imposer à partir de mon statut.
Réfléchissons maintenant à la façon dont un travail universitaire a pu modifier une pratique professionnelle ? Tout d'abord le sujet de ce mémoire (l'enseignement de l'oral) venait d'un intérêt personnel et d'interrogations diffuses qui se sont formalisées dans ce travail. Les problématiques envisagées s'originaient dans une pratique de classe quotidienne, dans des observations mais aussi dans le mémoire de maîtrise. Le but d'un DEA est de commencer la formation du futur doctorant, en cela le DEA pourrait écarter de la pratique pour installer dans une approche plus théorique ou critique. Or, ma position de praticien et la méthodologie choisie (essais en classe) m'ont poussés à articuler référence et pratique. Il est vrai que cela a parfois joué en défaveur du travail universitaire. En fait, j'ai cherché ce que proposaient les chercheurs et didacticiens. C'est dire que mes lectures n'étaient pas neutres mais automatiquement orientées, directement référées. Ce furent des moments difficiles car des choix s'imposaient. Sur quels critères, moi praticien, puis-je dire que tel ou tel chercheur est dans le vrai ou plutôt qu'il peut m'apporter des éléments de réflexion ? Il s'agissait de me confronter, de discuter avec ces auteurs pour trouver une position tenable. Il ne me fallait pas naïvement adhérer à telle ou telle théorie mais reconstruire une nouvelle façon de voir, de comprendre ces problèmes à partir de ce que je vivais et de ce que je suis. Dés lors la théorie n'est plus externe mais intériorisée, élément vivant de mon identité professionnelle comme système de compréhension du réel, enrichisseur de mon répertoire de schèmes de pensées intériorisés. Ces schèmes de pensées ont pu être intériorisés grâce à trois dispositifs différents : les séminaires ateliers, l'écriture et corollairement une pratique réflexive.
Les séminaires ateliers ont pour but d'exposer l'avancée du travail de recherche. Je devais donc expliquer ma démarche à d'autres étudiants. Lors de ces échanges, les étudiants non-spécialistes de la question me renvoyaient des interrogations réelles me conduisant à me justifier face à eux, à réorganiser ma pensée, à accepter de revenir sur des égarements que j'avais parfois pressentis mais que par commodité je n'avais pas questionnés. Bref, j'étais en train de clarifier ma pensée en construisant une identité professionnelle basée sur la réflexivité. Le fait de dire, de formuler, d'être entendu conforte et facilite l'intégration.
L'écriture du mémoire, exercice risqué car impliqué est une expérience singulière ou je me suis confronté soit aux autres (les auteurs de références, l'analyse des pratiques) soit également à moi-même. Ce mémoire est le reflet parfois difficile à soutenir de mes lacunes scripturales d'une part mais aussi de certaines incohérences dans ma pensée d'autre part. Cependant le fait de l'assumer, avec toutes ces parts d'ombre m'a conduit à être (momentanément ?) en accord avec cet écrit. Il n'est pas seulement une réponse attendue par …, mais aussi ma réponse actuelle compte tenu de mon cheminement. C'est ainsi que j'ai en partie évité l'écueil d'un discours impersonnel et qui n'aurait donc eu aucune incidence sur mes pratiques. D'un point de vue matériel, la mise en forme écrite impose et facilite la réflexion. Gravé, le texte incite au retour, à la modification en un mot permet de se relire, de se confronter à soi-même. La forme scripturale permet alors de mieux conceptualiser.
L'enregistrement vidéo ou audio des séances est formateur. Même s'il est difficile de se regarder ou de s'entendre cela permet de mieux prendre de la distance d'essayer de comprendre ce qui s'est passé, en activant diverses grilles de lecture, afin de comprendre laquelle est la plus adéquate dans cette situation. Cela invite à multiplier les angles de lecture (interaction entre élèves ou avec le maître, discours tenu, progression de la pensée, paroles non entendues en situation). Sans épuiser la richesse du réel cette vision des choses m'a permis cependant de complexifier mes représentations. Bien sûr, les situations ne sont pas les mêmes et les chances de vivre la même chose sont bien minces, il n'empêche que s'exercer à vouloir comprendre et examiner les possibles permet d'enrichir sa réflexion hors situation mais on peut raisonnablement penser que ce procédé améliore les prises de décision en situation.
Le troisième point lié aux deux précédents mérite un développement. C'est la pratique réflexive. Les séminaires ateliers et l'écriture sont des moyens de l'activité réflexive sur une pratique même s'il s'agit dans notre cas d'une optique universitaire. Voyons maintenant ce que peut-être la réflexion dans l'action qui bien qu'étroitement articulée à l'activité réflexive telle qu'on l'a précédemment décrite s'en distingue néanmoins. Plus inconfortable que l'activité réflexive hors classe, plus pressante, elle est le lot commun de l'enseignant. Elle a à voir avec le choix dans l'urgence, en situation. Elle nécessite en temps réel l'analyse de la situation et le choix d'une réponse (en fonction de l'objectif visé) dans un éventail de possibles. Elle relève de l'activation des grilles de lecture de la réalité de la classe. Les grilles ont été construites à travers les différents filtres déjà évoqués, mais aussi dans la réflexion sur l'action. Parfois encore incertaines car récentes ces grilles s'activent au détour d'une réflexion d'enfant ou de la perception d'une situation. Elles rassurent le praticien réflexif qui a besoin de faire et de se voir faire dans la cohérence. Sachant qu'il peut puiser dans un éventail d'outils conceptuels pour analyser et rebondir alors il peut cheminer plus sereinement avec les élèves. Selon le résultat, la lecture sera renforcée ou nuancée. Le moment qui suit l'action est important. Il permet de faire le bilan de ce que l'on a expérimenté, de jauger nos réponses dans l'action, de relativiser nos échecs ou réussites. L'idéal serait d'en parler avec un collègue, dans mon cas encore une fois c'est le travail d'écriture qui m'a permis cette mise à distance. Il pouvait s'en suivre des modifications de mes grilles d'analyses. C'est en cela que je pense que les schèmes de pensée et d'action sont liés puisque construits dans une réflexion sur l'action, ils réorganisent les préparations de classe et le faire en classe. L'absence de référence (ou grille de lecture construite) laisse place au pilotage aveugle de la classe dans le sens où c'est la tradition ou les idées allant dangereusement de soi qui prennent alors la place laissée libre. Cela semble faire écho à une pratique professionnelle ancrée dans une praxis telle qu'Imbert la définit (2000). En effet, ce qui est mis en avant c'est la singularité, l'interaction, l'infinitude et donc l'ouverture.


En somme, l'étude des Sciences de l'Éducation a changé ma vision des choses par une pratique réflexive. Alors, je ne peux plus enseigner de la même façon. J'ai renforcé mon image dans une identité professionnelle centrée sur l'apprentissage. Les moyens de mise en œuvre de la réflexivité sont : l'écriture du mémoire, la confrontation à d'autres étudiants, l'implication et la mise en place d'un dialogue entre théorie et pratique. Loin de penser la suprématie de la théorie sur la pratique (ou l'inverse), ce parcours m'a permis de mieux comprendre les liens entre les deux comme dialogue. La compréhension du réel nécessite la constitution de grilles de lecture par le praticien, grilles qui se constituent dans des allers-retours entre théorie et pratique. Faute de quoi, submergé par le réel, on se trouve dans l'injonction d'agir sans comprendre et par réflexe sécuritaire, on reprend les pratiques plus traditionnelles (encore une fois pas toujours négatives). Si ces grilles de lectures ne sont pas construites mais imposées on risque ce que les enseignants connaissent bien concernant leurs élèves, la juxtaposition de deux pensées parfois contradictoires. Ce parcours bien que singulier, me permet mutatis mutandis de réaffirmer l'intérêt de la pratique réflexive et des apports de la théorie pour aller vers une professionnalisation des enseignants.


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