Les programmes de formation des enseignants en Europe ont connu au cours de la
période récente de nombreux bouleversements, contrastés ou
convergents selon les pays, qui sont révélateurs de l'évolution
des conceptions et des modèles de l'activité enseignante à
l'uvre dans les politiques et les dispositifs de formation, et qui véhiculent
de nombreux implicites quant à la demande sociale adressée aux enseignants
et au rôle qu'on leur assigne dans des environnements culturels différents.
John Calderhead considère que l'Europe " offre un laboratoire naturel
passionnant pour qui veut explorer les idées, programmes et effets de conceptions
très différentes de la formation des enseignants " (Calderhead,
1997 : 2). Les réformes qu'ont connues les systèmes de formation
des enseignants anglais, écossais et français au cours de la dernière
décennie offre une claire illustration de cet argument. Ces trois pays
ont profondément bouleversé leur système de formation d'enseignants,
chacune visant une professionnalisation accrue de l'activité. Si les objectifs
sont convergents, les méthodes adoptées pour les atteindre le sont
moins: la France a fait le choix d'une formation professionnelle universitaire
de deux années pour tous les enseignants, quand dans le même temps
l'Angleterre a perpétué une formation professionnelle d'une seule
année (PGCE) pour les enseignants du secondaire, mais dont le centre de
gravité est devenu l'établissement scolaire; enfin l'Ecosse a transferée
la formation de tous les enseignants des Colleges d'Education vers les départements
d'éducation des universités, tout en maintenant une place importante
mais non prépondérante aux stages en établissement.
Cette communication s'intéresse à la formation des enseignants du
second degré, et plus précisément aux programmes et dispositifs
de formation des étudiants-enseignants anglais et écossais au cours
de leur année de formation préparatoire à la qualification
professionnelle (PGCE : Postgraduate Certificate in Education) et des enseignants-stagiaires
français au cours de leur seconde année de formation à l'IUFM.
L'objet de cette étude est d'éclairer au niveau macro-éducatif
politique et programmatique- celui des modèles- les systèmes de
formation des enseignants en cours en France et au Royaume-Uni. L'approche comparative
permet d'aborder la question centrale de l'articulation théorie-pratique
en formation des enseignants à la lumière notamment de partenariats
de formation (écoles / institution de formation) et de dispositifs d'encadrement
des stagiaires singuliers mis en uvre dans chacun des modèles.
Nous tenterons de repérer les éléments singuliers permettant
de qualifier chacun de ces modèles.
Le modèle empirique et techniciste anglais : School-based Initial Teacher
Training
La formation des enseignants anglais a évolué au cours des deux
dernières décennies vers un contrôle renforcé de
l'Etat et une désuniversitarisation progressive initiée par les
gouvernements conservateurs dès les années 1980. Elle est devenue
depuis lors un School-based Training, format qui accorde une importance et un
volume horaire accrus à l'expérience pratique en établissement
(24 semaines sur 36). La formation initiale fait donc l'objet d'un partenariat
dans lequel les établissements sont fortement impliqués à
tous les stades de la formation : définition du programme, sélection
des stagiaires, formation et évaluation. Si un tiers de la formation
se déroule dans les départements d'éducation des universités,
l'essentiel de cette formation a trait à l'enseignement de la discipline,
un quart étant consacré à la formation générale.
La spécificité du modèle anglais est de proposer une formation
intégrée et appuyée sur l'expertise praticienne, la formation
générale comme la formation disciplinaire se déroulant
à l'université et dans les établissements scolaires, organisées
par les formateurs universitaires, les coordinateurs de la formation de terrain
(professional mentors, responsables de tous les stagiaires qu'accueille l'établissement)
et les subject mentors (chargés d'accompagner le stagiaire dans la pratique
de l'enseignement de sa discipline).
On a en Angleterre un modèle qui associe singulièrement empirisme,
compagnonnage et normativité. La dimension d'exemplarité propre
au rôle du mentor, qui tend spontanément à promouvoir une
conception artisanale du métier, est pondérée -et d'une
certaine manière contrôlée- par un cahier des charges qui
guide son activité (guidelines for mentors and supervisors) et intègre
les différentes composantes et standards (teachers'skills) qu'il a vocation
à développer et au final à évaluer chez les stagiaires
dont il a la charge. La construction de référentiels de tâches
et de compétences semble a priori s'inscrire dans une démarche
d'harmonisation et d'explicitation des pratiques susceptible d'éloigner
le mentorat d'un modèle artisanal pour l'inscrire dans une logique de
professionnalisation, ces référentiels de standards d'enseignement
participent tout de même d'une conception normative de la formation des
enseignants dans laquelle l'expertise universitaire n'occupe comme nous l'avons
vu qu'une place mineure, et où la formation devient pensée en
référence à ces normes instituées.
Le modèle libéral écossais (Initial Teacher Education)
En Ecosse, la nature moins prescriptive et contraignante des exigences ministérielles
en formation des enseignants laisse aux institutions une autonomie en matière
de contenu et de poids de la formation générale dans l'ensemble
du PGCE. Le GTC (General Teaching Council) organisation professionnelle très
influente, crée en 1966, veille à ce que la formation universitaire
occupe une place importante dans la formation des enseignants. Ainsi, dans un
modèle de formation qui accorde une importance égale à
la formation des enseignants à l'université et sur le terrain,
un tiers de la formation est consacré à des modules de formation
générale.
L'autonomie des universités dans la définition de programmes de
formation qui échappent à une définition rigide, le faible
interventionnisme de l'Etat et l'influence du groupe professionnel dans la régulation
de l'activité enseignante et dans la formation et la reconnaissance de
ses personnels, constituent les premiers indices d'un modèle libéral
de formation des enseignants. Cette nature libérale du modèle
de formation écossais s'exprime également dans le dispositif de
partenariat université/établissements. Une forte tradition de
partenariat existe entre les établissements et les Collèges d'Education
depuis les années 1980, puis depuis le milieu des années 1990
avec les départements d'éducation des universités écossaises.
Cette tradition de partenariat repose sur un principe de complémentarité
et de collégialité entre les établissements, les autorités
éducatives locales et les institutions de formation. Le partenariat entre
l'université et les établissements ne fait pas l'objet d'un accord
officiel, ni d'une répartition des fonds de formation comme c'est le
cas en Angleterre. Le principe de complémentarité et de courtoisie
met l'accent sur un partenariat souple négocié entre établissements,
universités et autorités éducatives locales, permettant
la régulation et l'harmonisation des prestations de chaque partenaire.
Le principe de collégialité se mesure enfin dans les formes d'accueil
et d'encadrement des stagiaires lors de leur formation sur le terrain. Le Regent,
qui est souvent un membre de l'équipe de direction, est chargé
de favoriser l'accueil et l'intégration de tous les stagiaires de l'établissement,
d'organiser leur stage dans le primaire, et de planifier un programme d'enseignement
hebdomadaire sur des aspects transversaux du travail de l'enseignant. Chaque
stagiaire est placé non pas sous la responsabilité exclusive d'un
mentor désigné et formé comme c'est le cas en Angleterre,
mais sous la responsabilité d'un département disciplinaire de
l'établissement Tous les enseignants du département sont chargés
à un moment ou un autre de la supervision et de la formation du stagiaire,
qui observe, intervient et enseigne dans les classes de presque tous les enseignants
du département afin d'être exposé à l'ensemble des
niveaux d'enseignement, de la sixième à la terminale. Cette responsabilité
collégiale dans l'accueil des stagiaires réaffirme la nature libérale
de la formation, au sens où le développement professionnel passe
par l'insertion, l'intégration à un groupe professionnel, et non
seulement par l'attestation d'une activité efficace ou performante.
Le modèle de formation s'appuie sur les principes de responsabilisation
et d'émancipation progressive des stagiaires. Ainsi, chaque aspect de
la formation est structuré de sorte d'impliquer de plus en plus les stagiaires
dans les activités pratiques et d'enseignement en établissement
(un stagiaire peut enseigner jusqu'à 18 heures par semaine en fin de
formation), mais aussi dans des travaux personnels visant à enrichir
leur compréhension des phénomènes éducatifs à
travers des activités de recherche et de réflexion sur les pratiques
Toutefois, l'absence de contractualisation officielle entre les partenaires
génère parfois la juxtaposition d'une formation universitaire
soucieuse de développer une professionnalité enseignante réflexive
et critique, et de pratiques plus artisanales dans les établissements
(Elder & Kwiatkoski, 1993).
Le modèle universitaire et réflexif français
La création des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres
fut l'aboutissement d'un projet de professionnalisation et d'universitarisation
de la formation des enseignants, en réponse à la fois à
une volonté politique et à des urgences conjoncturelles. Le modèle
de formation des enseignants français se distingue donc d'abord par son
caractère universitaire: le cadre de référence de la formation
est l'université. La proportion qui est donnée à celle-ci
(53%) lors de la deuxième année de formation l'atteste . L'importance
accordée aux savoirs légitimés par la recherche sur le
transfert didactique des disciplines et sur les situations d'apprentissage est
plus que dans les deux autres pays manifeste, associée à une confrontation
croissante avec les savoirs issus de la pratique enseignante, que les IUFM,
par les activités de recherche autant que de formation qu'elle abrite,
participe à formaliser.
Le modèle de formation initiale en IUFM privilégie une conception
de l'enseignant expert des situations d'enseignement et d'apprentissage ce qui
implique que la formation des enseignants puisse s'appuyer sur des savoirs rationnels,
formalisés, produits de recherches sur l'activité enseignante
et l'interaction enseignement-apprentissage (Altet, 1994 : 28). L'importance
accordée à la didactique des disciplines en formation, associée
à la volonté de modifier le rapport au savoir des professeurs
stagiaires en formation, indiquent bien que si la maîtrise par l'enseignant
du contenu disciplinaire est essentielle, elle demeure insuffisante pour lui
permettre d'enseigner sa discipline, et qu'une approche réflexive des
situations éducatives est nécessaire à la construction
de compétences professionnelles.
Les logiques qui sous-tendent le modèle de formation initiale des enseignants
apparaissent encore à certains égards contradictoires : d'un cote
la logique du stage en responsabilité, dans laquelle on demande aux futurs
enseignants de savoir enseigner avant même qu'ils n'aient appris à
le faire, sous-entendant que la maîtrise disciplinaire garantit à
elle seule l'aptitude à enseigner ; de l'autre, un modèle de formation
nouveau, réflexif, centré sur l'analyse des pratiques et sur l'implication
du futur enseignant dans sa formation, en plaçant le stagiaire, et son
expérience personnelle de formation, au coeur du dispositif, a travers
notamment l'élaboration d'un mémoire professionnel.
Selon la philosophie sous-jacente de la formation, la responsabilisation pédagogique
immédiate des formés ainsi que l'élaboration du mémoire
professionnel participeraient tout deux, en quelque sorte d'une conception de
la formation initiale du futur enseignant comme transformation, passage, changement
de posture, d'un passage, changement de posture, conception qui s'appuie dans
sa mise en uvre sur un modèle de formation fondé sur le
principe de l'alternance, c'est-à-dire sur un va-et-vient entre les différents
lieux, moments et contenus de formation, modèle qui vise l'enrichissement
des expériences d'apprentissage par leur mise en relation précoce
et quasi-simultanée.
Enfin, Si la place accordée à l'apprentissage en situation est
encore inférieure à celle constatée dans les deux autres
pays, les différences tiennent surtout au fait que les formes d'encadrement
sur le terrain en France sont à la fois plus faiblement structurées
et peu articulées avec la formation reçue à l'IUFM. La
mission des conseillers pédagogiques français demeure opaque et
la formation pratique semble, comme en Ecosse, promouvoir une approche compagnonnique
de l'apprentissage sur le terrain quelque peu en contradiction avec le modèle
de formation universitaire et réflexif promu par les IUFM.
CONCLUSION
Si l'on observe une convergence des modèles vers une importance accrue
de l'apprentissage professionnel en situation de travail, ce choix s'opère
cependant selon des formes différentes dans les trois contextes étudiés.
Elle se fait en Angleterre au prix d'une évacuation progressive de la
dimension universitaire de la formation, d'un partenariat écoles-université
certes renforcé mais pondéré par une standardisation des
compétences supposée compenser l'incertitude de formes d'apprentissage
plus empiriques du métier. La tradition décentralisée du
système anglais semble favoriser la promotion brutale d'un Etat évaluateur
lorsque ce dernier entend exercer un pouvoir sur l'éducation et la formation.
La France et l'Ecosse pérennisent pour leur part le rôle prépondérant
de l'université dans la formation. En accord pour la France avec les
fondements de l'identité des enseignants du secondaire et avec les formes
traditionnelles de régulation de la profession (qui associent l'employeur,
c'est-à-dire l'Etat, les associations de spécialistes et les syndicats),
mais au risque cependant d'une faiblesse structurelle et organisationnelle des
formes d'encadrement sur le terrain. L'université fait figure dans le
contexte écossais de partenaire précieux dans la légitimité
d'une expertise spécifique et la crédibilité sociale de
la profession, en lien avec l'éthique professionnelle d'un corps enseignant
soucieux de préserver son influence dans l'accès à la profession
et la définition des caractéristiques de l'activité et
de la formation, privilégiant tant la systématisation des savoirs
à la base de l'expertise que la collégialité des pratiques
de formation et d'encadrement. A cet égard, l'un des enjeux majeurs des
politiques de formation des enseignants pour l'avenir tient probablement à
l'affermissement des formes de partenariat et de reconnaissance de l'expertise
praticienne.
Références
ALTET M. (1994).- La Formation professionnelle des enseignants. Paris: PUF.
CALDERHEAD J. (1997).- Towards a research base for the development of teacher
education in Europe: the 1996 SERA Lecture, Scottish Educational Review, 29
(1), p. 3-9.
ELDER R. et KWIATKOWSKI H. (1993) Partnership in Initial Teacher Education.
Scottish Education Department/ General teaching Council Research Report.
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