La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : L'accompagnement réflexif en dyade : potentiel et limites

Auteurs : DUMOULIN, Marie-Josée, GARANT, Céline et BEAUCHESNE, André / (Université de Sherbrooke)

Texte :

Contexte de la recherche

Pour Schön (1994), le processus d'amélioration de la pratique enseignante, comme celui de toutes les professions, ne dépend pas uniquement de l'appropriation d'une base de savoir, mais s'exerce aussi et surtout à travers une réflexion du praticien sur sa propre expérience. Dans le domaine de la formation universitaire pratique des enseignants des ordres du primaire et du secondaire, en dépit des nombreux efforts des dernières années, la valorisation du développement d'une réflexion sur la pratique s'appuie sur des fondements conceptuels encore peu explicites. Quelques cadres de référence, enrichis par la pratique, peuvent toutefois servir d'inspiration pour guider certaines initiatives (Gudmundsdottir, 1990).

Dans le cadre d'une recherche collaborative triennale financée par le Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada (1998-2001), nous avons cherché, entre autres, à définir un modèle d'accompagnement réflexif de stagiaires. Lors de la phase I, nous avons investigué les conceptions d'enseignants accompagnateurs expérimentés à propos de l'accompagnement réflexif et de la réflexion qu'il suscite. Nos analyses ont révélé, entre autres, qu'un accompagnement réussi ferait appel à certains principes d'action d'où émerge un paradoxe particulier, présentant un défi pour la pratique d'accompagnement : en effet, dans le but de susciter la réflexion, il est convenu de valoriser la délibération et l'expérimentation de la personne stagiaire, mais jusqu'à quel point cet encouragement à l'exploration de la pratique enseignante ne doit-il pas être adjoint d'une opinion professionnelle de l'expert qui accompagne ? Autrement dit, comment se situer dans l'équilibre entre ouverture et orientation, entre laisser expérimenter et conseiller?

Au cours de la phase II, nous nous sommes intéressés aux pratiques réelles d'accompagnement dit réflexif de ces enseignants accompagnateurs. Ainsi, ces pratiques, mises en œuvre dans le souci de développer et soutenir des capacités réflexives chez les personnes stagiaires accompagnées, ont été abordées sous l'angle de la question suivante : au regard de l'équilibre précédemment soulevé, quels sont les éléments caractéristiques de ces pratiques d'accompagnement dit réflexif ?

Problématique

L'intérêt pour le développement de capacités réflexives sur la pratique concerne autant les caractéristiques de l'apprentissage de l'enseignement que le développement des compétences pédagogiques. L'enseignement est une pratique complexe (Doyle 86, 90) et son apprentissage est déterminé à la fois par une diversité de sources d'influence (Beauchesne, 1995; Nault, 93), par des antécédents qui marquent positivement ou négativement le rapport de l'apprenant aux savoirs professionnels (Wideen, Smith et Moon, 98) et par une certaine évolution des préoccupations de ce dernier (Fuller, 69 ; Fuller et Bown, 1975 ; Kagan, 92). En outre, la volonté de l'apprenant de réussir son programme de formation se manifeste par une tentative de répondre aux attentes des personnes ayant une fonction dans l'évaluation de la compétence: c'est ce qu'on appelle le phénomène de socialisation aux attentes (Beauchesne, 95). Dans un tel contexte, comment aider les stagiaires à développer une réflexion susceptible de leur permettre de tirer profit des situations d'apprentissage de l'enseignement ?

Susciter la réflexion apparaît comme un moyen d'opérationnaliser une révision de sa pratique pédagogique (Dewey, 1933). Or, certaines sources d'apprentissage seraient plus prometteuses que d'autres, notamment la situation de la classe elle-même, les pairs et les personnes qui accompagnent (Nault, 1993). À cet égard, plusieurs écrits sur la supervision montrent que dans toutes les situations offrant de bonnes possibilités de développement, les accompagnateurs jouent un rôle de médiation entre l'apprenant et sa situation (Acheson et Gall, 1993). Cette fonction de médiation serait particulièrement bénéfique entre personnes de différents niveaux d'expérience et lorsqu'elle permet, entre autres, une délibération sur des idées novatrices et un soutien à des expérimentations dans la pratique (Borko et Livingston, 1989; Chastko, 1993). Toutefois, peu d'indications viennent préciser de telles pratiques d'accompagnement.

L'intérêt pour l'élaboration d'un modèle d'accompagnement visant à développer une réflexion sur la pratique nous a conduits, par ailleurs, à considérer un éventail de dispositifs d'aide à l'apprentissage de l'enseignement et ce, à différentes étapes du processus de formation initiale et pratique: nous n'abordons, ici, que l'accompagnement réflexif en dyade dans le cadre d'un retour sur une activité d'enseignement, et que nous avons a priori défini comme étant une démarche d'analyse médiée par une personne ressource expérimentée en vue d'aider la personne stagiaire à déterminer comment et pourquoi une intervention a ou n'a pas été efficace et satisfaisante pour résoudre un problème de la pratique professionnelle.

Méthodologie

L'objet de cette étude exige l'expertise de praticiens en situation d'accompagnement. En ce sens, l'approche collaborative de recherche, qui mise sur l'engagement partagé des acteurs, des orientations communes et des retombées significatives pour chacun (Beauchesne et Hensler, 1998), s'est avérée une approche méthodologique intéressante. Les données recueillies au cours de la phase II, et qui concerne plus particulièrement ce texte, proviennent de sept entrevues réalisées entre des enseignants expérimentés et leur stagiaire, à propos d'une leçon donnée par la personne stagiaire. Ces entrevues furent enregistrées, transcrites, découpées en unités thématiques (sortes de chapitres marquant les étapes de chaque entretien) et en unité de sens par la suite. Ces unités de sens isolent, d'une part, les stratégies d'accompagnement (stratégies réflexives) mises en œuvre et, d'autre part, les activités réflexives suscitées chez les stagiaires.

Parmi les stratégies réflexives d'accompagnement, nous avons porté une attention particulière à celles ayant une forme interrogative, ce type de stratégie présentant une occurrence particulièrement élevée par rapport aux autres. Le traitement des données s'inspire étroitement de la théorisation ancrée (Glaser et Strauss, 1967), mais de nombreuses adaptations ont permis d'investiguer le corpus en accord avec les questions de recherche. Ainsi, l'analyse des questions formulées par les accompagnateurs s'est effectuée en deux temps : 1) D'abord, nous avons tenté de percevoir les intentions des personnes accompagnatrices, car au-delà du souci de développer une capacité réflexive sur la pratique chez le stagiaire, il existe aussi la conception de chaque accompagnateur à l'égard d'une pratique jugée satisfaisante et appropriée dans le contexte donné et de la manière par laquelle on peut aider l'apprenant à développer un tel type de pratique. Cette première étape a permis de dégager du corpus de questions trois logiques d'intervention; 2) Ensuite, nous avons découpé l'ensemble du corpus en séquences, chacune initiée par une question de l'accompagnateur, que nous avons regroupé selon l'une ou l'autre des trois logiques de questionnement. Ces séquences permettent un regard sur les activités réflexives qui semblent avoir été suscitées chez les personnes stagiaires.

Résultats

Lors de la phase I, les enseignants accompagnateurs ont maintes fois exprimé leur conviction à l'effet que le développement de capacités réflexives sur la pratique passait par une habileté à questionner l'apprenant : les questions "appelleraient" la réflexion des stagiaires. En ce sens, les données présentent une cohérence entre ce principe d'accompagnement réflexif et les pratiques réelles mises en oeuvre puisque les occurrences des questions dépassent de loin celles de chacune des autres stratégies réflexives . En outre, entre ouverture et orientation, les questions posées ont guidé à divers degrés, tantôt par l'objet qu'elles introduisent, tantôt par le type de délibération qu'elles induisent, la nature et le déroulement des échanges, de même que les activités réflexives des personnes stagiaires.

Une première catégorie de questions s'inscrit dans une logique de compréhension : l'enseignant expérimenté est à la quête d'informations. En plus de préciser son approche, l'accompagnateur fait s'exprimer, apprécier ou justifier la personne stagiaire, favorisant chez elle différents degrés d'introspection : "Comment s'est passée ta leçon?"; "Jusqu'où, pour toi, faut-il qu'un élève se rende pour qu'il se fasse mettre en dehors de la classe ?". Mis à part l'introduction d'un objet de délibération, peu d'éléments orientent la suite de l'entretien, de sorte que ces questions semblent offrir beaucoup d'ouverture à la réflexion de la personne stagiaire. Une deuxième catégorie présente une logique de démonstration. Ici, l'accompagnateur insuffle plus clairement une orientation à l'entretien par des questions qui tendent à susciter des constats ou des prises de conscience chez la personne stagiaire. Plusieurs moyens (évoquer ou faire évoquer des faits, soumettre son appréciation, confronter la perception de la personne stagiaire) sont mis à profit pour "montrer" un aspect jugé pertinent de l'apprentissage de l'enseignement : "As-tu remarqué quel genre d'exemples William te donnait tout le temps?"; "Donnais-tu assez de temps pour qu'ils se mettent à la tâche?". Finalement, la dernière catégorie de questions concerne une logique d'incitation. Il s'agit moins de susciter une prise de conscience que d'être tourné vers l'action. Le comment marque beaucoup les questions formulées : "De quelle façon tu pourrais poursuivre?" "Est-ce qu'il y aurait moyen de raccourcir ce temps-là?". En outre, le caractère orientant des questions d'incitation s'avère assez large : tantôt l'accompagnateur sollicite la créativité, tantôt il favorise une déduction, tantôt il propose directement une solution.

Globalement, le questionnement constitue une stratégie très prometteuse pour soutenir l'apprentissage de l'enseignement. Quant aux types de questions formulées, l'apparente neutralité de certaines d'entre elles cache parfois un fort potentiel à orienter la réflexion de l'apprenant. Et bien que les questions de compréhension aient suscité des échanges plus soutenus que les autres types de questions, les occurrences d'activités réflexives chez les personnes stagiaires se sont avérées plus élevées dans les logiques démonstratives et incitatives : ainsi, orienter n'évacuerait pas nécessairement la réflexion.

Références bibliographiques


Acheson, K.A. et Gall, M.D. (1993). La Supervision Pédagogique. Montréal: Logiques.

Beauchesne, A. (1995). Savoir pratique de l'apprentissage de l'enseignement dans l'expérience de
formation initiale d'une apprenante stratégique. Thèse de doctorat, Université de Montréal, Montréal, Québec.

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Borko, H. et Livingston, C. (1989). Cognition and Improvisation: Differences in Mathematics
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Chastko, A. M. (1993). Field Experiences in Secondary Teacher Education: Qualitative Differences
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Dewey, J. (1933). How we think: A restatement of the relation of reflective thinking to the educative
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Doyle, W. (1986). Classroom organization and management. In M.C. Wittrock (dir.), Handbook of
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Fuller, F.F. (1969). Concerns of teachers : A developmental conceptualization. American Educational
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Glaser, B.G. et Strauss, A.L. (1967). The Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative
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Nault, T. (1993). Étude exploratoire de l'insertion professionnelle des enseignants débutants au niveau
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Schön , D.A. (1994). Le praticien réflexif, à la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel. Montréal : Logiques.

Wideen, M., Mayer-Smith, J. et Moon, B. (1998). A Critical Analysis of the Research on Learning to
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