La 6ème Biennale |
Titre : | Un demi-siècle d'animation socioculturelle en Espagne : bilan et perspectives |
Auteurs : | UCAR MARTINEZ Xavier (Dr). Dpt. Pedagogia Sistemàtica i Social. Universitat Autònoma de Barcelona. Xavier.ucar@uab.es |
Texte : |
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Il semble que le terme "animation" a été utilisé
pour la première fois en France en 1945, dans un document du Ministère
d'Éducation Nationale. Cette nouvelle dénomination caractérisait
toute une série d'agents sociaux - héritiers du mouvement d'éducation
populaire - qui développaient des actions socio-éducatives et
culturelles avec des personnes, des groupes et des communautés dans leurs
propres domaines territoriaux de la vie quotidienne. En Espagne, il n'existe
aucune preuve documentée de l'appropriation de ces nouvelles pratiques
de la part des agents sociaux jusqu'en 1959. Tout au long de quasiment un demi-siècle
d'histoire de l'animation socioculturelle , on a constaté de nombreux
changements dans la façon de la comprendre et de la pratiquer, ainsi
que dans la considération sociale et académique de l'animation
en tant que pratique de travail communautaire et de discipline éducative.
Ce travail présente une synthèse de la recherche qui analyse, sous une perspective historique et théorique, l'évolution de l'ASC en Espagne au cours des dernières 50 années. L'objectif se centre sur la compréhension de sa situation actuelle en tant que méthodologie de l'intervention socio-éducative en essayant de présenter également quelques tendances prometteuses. 1. LES SOURCES THÉORIQUES ET PRATIQUES DE L'ASC EN ESPAGNE Les premières actions éducatives développées dans
le domaine des communautés furent conçues dans un contexte de
nécessité et comme le résultat de deux processus : l'un,
de reconstruction communautaire et l'autre, de revendication ou de lutte contre
la dictature. Ayant en vue l'un ou l'autre de ces objectifs, des agents sociaux
peu entraînés, dépourvus dans la majorité des cas
d'une formation théorique et technique instrumentale, entreprirent le
travail social communautaire avec de grandes doses d'enthousiasme, de volontarisme
et de confiance en l'avenir. Ce furent les précurseurs des actuels éducateurs
sociaux. Les sources théoriques et pratiques sur lesquelles se fondait
l'ASC procédaient - pendant ces années-là et les deux décennies
suivantes- d'au moins six courants : 1. Le courant culturaliste provenant des pays francophones. C'est de
ceux-ci que procède l'idée selon laquelle la culture pouvait être
un moteur de développement et que l'action socioculturelle était
un instrument approprié pour engendrer des processus d'auto organisation
et de dynamisation de territoires et de communautés- Des noms comme Malraux,
Moulinier, Besnard, Simonot, Poujol, Peuple et Culture, etc. sont déjà
classiques dans notre contexte.. 2. Le courant du travail social -d'origine latino-américaine
- qui considère l'ASC comme une méthodologie de travail communautaire.
Sous cet angle, elle était comprise et interprétée comme
une technologie sociale. E. Ander EGG a dynamisé et inspiré une
bonne partie des travaux de l'ASC développés en Espagne. 3. Le courant de l'éducation populaire et d'adultes, a aussi
une origine latino-américaine.influencé par les idées de
Paulo Freire qui représentait et défendait toute une façon
de faire en matière d'éducation. Les pratiques socioculturelles
spécifiques de ce courant sont critiques, politiques et cherchent à
engendrer des processus consensuels d'émancipation et d'autodétermination
dans les groupes, les communautés et les territoires dans lesquels elles
se produisent. 4. Le courant de l'éducation populaire en Espagne qui, depuis
la fin du 19ème siècle, prétendait démocratiser
la culture et faire participer les jeunes et les adultes à la vie sociale.
Les sociétés ouvrières, les foyers populaires (casas de
Pueblo) et les universités populaires seront, tout au long du 19ème
siècle, un excellent bouillon de culture pour l'apparition de l'ASC à
la moitié du 20ème. 5. Le courant du développement communautaire. Celui-ci est parvenu
en Espagne - influencé par le courant anglo-saxon - pendant la décennie
des 60. Plus en relation d'abord avec le travail social et sociologique qu'avec
un mouvement nettement socio-éducatif, il est interprété
dans notre pays comme l'équivalent anglo-saxon des expériences
et des pratiques des ASC francophones - En Espagne, l'auteur le plus représentatif
de ce courant est M. Marchioni. 6. Le courant de l'éducation pendant le temps libre et de la pédagogie
du loisir. Malgré qu'on puisse suivre la trace de plusieurs expériences
en relation avec l'éducation des loisirs depuis les premières
années du 20è siècle, ce ne sera que pendant les années
60 et surtout pendant la décennie suivante, avec l'arrivée de
la démocratie dans notre pays - que l'on pourra faire l'expérience
d'une véritable croissance. 2. L'ÉVOLUTION ET L'ACTUALITÉ DE L'ASC EN ESPAGNE Au cours des ans, l'ASC a peu à peu évolué vers ses propres
formes spécifiques de comprendre et de développer la pratique
socio-éducative. Il fallait d'abord dépasser une époque
pendant laquelle le manque de définition, l'ambiguïté et
le confusionnisme conceptuel - sans doute le fruit de la diversité des
traditions théoriques et pratiques mentionnées - caractérisaient
la réalité de l'ASC en Espagne. On peut concrétiser cette
évolution à partir d'une série de traits qui identifient
autant ce que fut jadis la méthodologie de l'intervention socio-éducative
que ce qu'elle est devenue actuellement. 2.1. Les années 60 et 70 . Au commencement, l'ASC était interprétée comme une espèce
de religion sociale qui pouvait résoudre de nombreux problèmes
sociaux. Pendant cette période, le militantisme en tant que forme d'adhésion
et la vocation, comme un motif pour l'intervention, caractérisent des
pratiques qui se développent surtout dans un contexte de nécessité
et de manque de liberté. . Par suite de : a) l'hétérogénéité et le
manque de coordination des pratiques d'animation qui se développaient
; b) l'absence de bases théoriques solides et claires qui jetteraient
les fondements des interventions; et c) le manque de préparation technique
des intervenants qui agissaient dans les groupes et les communautés,
il se produit une demande généralisée de fondements scientifiques
et techniques, un éclaircissement théorique et une délimitation
idéologique (Hernandez, 1982:7). . Dans notre pays, le courant théorique et pratique qui provient des
pays francophones se scinde en deux lignes différentes qui obéissent
à deux manières de comprendre la culture. D'une part, l'animation
socioculturelle se base sur une conception anthropologique de la culture et
s'oriente vers le travail socio-éducatif. D'autre part, la gestion culturelle
se base sur un concept de culture comprenant les arts et le patrimoine et qui
se centre sur une action essentiellement culturelle. . Le concept d'éducation populaire, prépondérant dans
la réalité espagnole du travailéducatif en dehors de l'école
jusqu'à la décennie des 60 et qui se fond et se confond avec celui
de l'ASC. . Produit de la tradition culturelle anglo-saxonne, le développement
communautaire est considéré comme une méthodologie de travail
qui remplace celle qui procède des contextes francophones. Tout au long
de ces années, les deux méthodologies - le développement
communautaire et l'ASC - ont coexisté dans le travail social et communautaire
de notre pays sans que les relations entre elles soient très claires.
Toutes deux se centrent sur le travail en groupe et communautaire et toutes
deux poursuivent également la dynamisation, l'auto organisation et l'autogestion
des dits groupes et communautés, mais, en général, les
deux méthodes ont maintenu des circuits séparés aussi bien
en ce qui concerne les publications que les territoires concrets dans lesquels
autant l'une que l'autre ont développé leurs activités.
Dans notre contexte, un lien s'établit rapidement entre l'ASC et l'éducation
pendant le temps libre et la pédagogie du loisir. Il est certain que
pendant les premières années, les décennies 60-70-, les
deux maintiennent des circuits et des publics distincts et particuliers. Les
singularités méthodologiques respectives obéissent, parmi
d'autres facteurs, à des méthodes didactiques différenciées
en fonction des âges des participants, à des activités éducatives
de types différents. Néanmoins, le fait que l'on poursuive et
recherche les mêmes objectifs éducatifs finit par s'imposer. La
différente dénomination obéit davantage à des traditions
formatives et expérimentales qu'à de véritables différences
entre les méthodologies d'intervention socio-éducative. 2.2. Les années 80 . Le panorama de l'intervention socio-éducative dans l'Espagne des années
80 est très varié et hétérogène. Une constellation
d'intervenants agit avec des personnes et des groupes de tous les âges,
surtout en dehors de l'école et aussi bien dans des situations de nécessité
que de liberté. À cette époque, il y avait une grande quantité
d'initiatives d'éducation sociale réparties dans tout l'État,
se caractérisant par leur hétérogénéité
et surtout par l'absence d'un type quelconque de mécanisme régulateur
ou de coordination entre elles. . La décennie des 80 est considérée comme celle de la
consolidation de l'ASC en Espagne en tant que méthodologie d'intervention
socio-éducative. Une consolidation qui a été sans aucun
doute favorisée par le contexte démocratique. À cette époque,
le discours sur l'animation est riche, diversifié et très présent
dans la vie sociale de nombreuses communautés et quartiers de notre pays. . Au cours de ces années, la formation des animateurs socioculturels
est à la charge des organismes corporatifs locaux, essentiellement les
municipalités et les conseils généraux. 2.3. Les années 90 . L'ASC qui, jusqu'à la décennie des 90, avait été
- essentiellement mais pas exclusivement - le patrimoine du volontariat et des
techniciens formés par les administrations locales, s'institutionnalise
en entrant à l'université et elle est constituée comme
une profession socio-éducative. . L'entrée à l'université ne suppose pas l'existence automatique
d'un professionnel de l'ASC, mais d'un éducateur social qui peut développer
des fonctions ou des actions d'animation, d'éducation spécialisée
et d'éducation d'adultes. . Vers le milieu de la décennie des 90, un nouveau professionnel apparaît
sur la scène, spécifiquement dénommé animateur socioculturel.
C'est un titre qui le professionnalise et qui s'obtient après avoir réalisé
deux années du cycle formatif de niveau supérieur en ASC. . En fonction de variables aussi diverses que l'adhésion à une
idéologie, la tradition théorique du contexte professionnel, les
sources théoriques et pratiques disponibles, les pratiques réalisées
et la propre histoire de l'expérience personnelle, les différents
auteurs et pratiques de l'ASC s'adhèrent respectivement aux deux courants
latino-américains, en se polarisant d'une part sur ceux qui défendent
l'exclusivité des interventions technologiques et, d'autre part, sur
ceux qui misent sur l'exclusivité de la praxis critique. . Pendant la décennie des 90, l'orientation critique est majoritaire.
Cette orientation est caractérisée par la recherche de l'émancipation
des communautés à travers des pratiques d'animation démocratiques,
de collaboration et de participation.. . Actuellement, la prétendue antinomie technologie versus praxis critique
semble s'être épuisée dans la propre complexité d'une
réalité socio-éducative qui s'échappe des énoncés
simplistes qui préfèrent des visions homogénéisatrices
et biaisées de la réalité. . Dans le domaine spécifique de la professionnalisation de l'éducation
sociale, l'ASC est de plus en plus considérée comme une méthodologie
transversale d'intervention socio-éducative qui peut être utilisée
aussi bien dans le cadre de l'éducation d'adultes que dans celui de l'éducation
spécialisée, ces dernières faisant aussi partie de l'éducation
sociale. . À la fin de la décennie des 90, le premier Collège professionnel
d'éducatrices et d'éducateurs sociaux de toute l'Espagne est créé
en Catalogne (CEESC). L'association professionnelle d'éducateurs spécialisés
de Catalogne (APESC) joue un rôle important dans la création de
ce collège. Avec un poids spécifique inférieur et bien
moins d'organisation et d'infrastructure, participent aussi à ce processus
des associations d'étudiants d'éducation sociale, des collectifs
d'animateurs socioculturels ainsi que des collectifs d'éducateurs d'adultes.
Ces derniers ont une implication encore plus faible et leur problématique
n'est pas encore résolue : Les animateurs socioculturels peuvent agir
seulement - par impératif légal- dans le domaine de l'éducation
non réglementaire d'adultes, mais pas dans les processus de l'éducation
réglementaire. . Pendant les premières années 2000, on parle peu de l'ASC et
les publications qui utilisent cette terminologie ne sont pas nombreuses. Au
cours des vingt dernières années, on a passé d'un discours
animé, dynamique, plein d'espoir à un discours pratiquement absent.
Les propres administrations publiques semblent, tout au moins en Catalogne,
avoir opté pour le modèle anglo-saxon qui préfère
les terminologies plus reliées au développement communautaire
qu'à l'ASC. Pour synthétiser, on signalera que les années 60-70 constituent une période de multiples influences théoriques et pratiques, lesquelles ont peu à peu configuré le futur de l'ASC. Les années 80 marquent l'étape de sa splendeur : l'animation se consolide en tant qu'intervention socio-éducative et se distingue d'autres interventions comme la gestion culturelle ou des loisirs. Finalement, les années 90 ont marqué l'étape de la professionnalisation et, en conséquence, celle de la normalisation de l'ASC en tant que stratégie méthodologique d'intervention socio-éducative. 4. NOTES FINALES: LE FUTUR DE L'ANIMATION À travers les analyses concernant les sources théoriques et pratiques,
l'évolution historique et la situation de la professionnalisation de
l'ASC en Espagne, on a pu constater les différentes problématiques
présentées en tant que discipline académique et domaine
de la professionnalisation. On observe, entre autres : À tout cela, il faudrait ajouter deux autres considérations pouvant
être la cause, l'effet ou les deux choses à la fois para rapport
à ce que l'on vient d'indiquer : a) À la différence de ce qui s'est produit dans les domaines
de l'éducation spécialisée d'adultes, les associations
et les collectifs d'animateurs socioculturels n'ont pas engendré, dans
l'ensemble de l'Espagne, une organisation et une infrastructure d'état
ou des autonomies suffisantes pour participer -en termes d'égalité
- aux échanges de forces politiques ayant un poids dans le processus
de création du collège professionnel d'éducateurs sociaux.
En conséquence, les discours dominants -face à la problématique
indiquée en relation avec l'éducation d'adultes qui passe aussi
à un second plan - sont ceux de l'éducation spécialisée,
de plus en plus identifiée, notamment dans notre pays, avec l'éducation
sociale. b) On n'a pas crée en Espagne - à la différence de ce
qui se passe dans les autres pays, - des études spécifiques de
second cycle d'ASC. Nous pouvons affirmer que dans notre pays, l'ASC se trouve
actuellement entre un excès de spécificité du loisir et
le manque de spécificité d'une éducation sociale trop centrée,
aussi bien académiquement que professionnellement, sur le plan de la
nécessité et des situations problématiques, aussi bien
personnelles que sociales. De mon point de vue, le futur de l'ASC dans notre pays semble se trouver en
dehors de l'université, concrètement dans le personnage du technicien
supérieur de la formation professionnelle en ASC qui, entre autres facteurs,
est l'unique dépositaire du nom. Je crois que finalement c'est lui qui
sera chargé de maintenir et de développer l'ASC en Espagne. Ceci
pose la question de savoir quelles sont les conséquences du développement
de cette méthodologie de l'intervention socio-éducative : 1. L'ASC doit être de plus en plus considérée comme une
méthodologie transversale de l'intervention ou comme une fonction que
certains professionnels de l'éducation - essentiellement mais pas exclusivement
- peuvent réaliser. Concrètement, les éducateurs et les
pédagogues sociaux de ce secteur mais aussi les psychologues communautaires,
les sociologues et les travailleurs sociaux. 2. En tant que profession et méthodologie de l'intervention socio-éducative,
l'animation socioculturelle mettra de plus en plus l'accent sur le social au
détriment de ce qui spécifiquement éducatif. La formation
initiale des techniciens supérieurs en ASC, qui pallie en bonne partie
les contenus proprement éducatifs, semble souscrire à cette tendance. 3. Il est, semble-t-il, prévisible que pour les interventions spécifiques
de l'ASC, le marché du travail préfère engager des techniciens
supérieurs plutôt que des éducateurs sociaux étant
donné qu'ils sont, malgré leur niveau de formation inférieur,
plus spécialisés et moins chers du point du vue économique. 4. La recherche en ASC se faisant en dehors de l'université, il semble qu'elle est sérieusement compromise. Il faut espérer que les pratiques d'intervention augmentent et s'améliorent, mais il n'est pas évident qu'il y aura une recherche pour les étudier en profondeur et les développer. BIBLIOGRAPHIE CITÉE ET DE RÉFÉRENCE ANDER-EGG (1989) La animación y les animadores. Narcea: Madrid. |