La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : A quoi sert le cahier d'expériences dans un dispositif "La main à la pâte" ? : analyse de son utilisation dans une classe de cycle 3
Auteurs : BRUGUIERE Catherine, LACOTTE Jacqueline / Laboratoire "Culture et Communication" - Université d'Avignon

Texte :
Dans le cadre d'une étude sur les écrits produits dans une classe de cycle 3 lors d'une séquence sur la fossilisation s'inscrivant dans un dispositif "La Main à la Pâte" (Bruguière et Lacotte, 2002), nous avons cherché à comprendre le statut et rôle du cahier d'expériences. Ce cahier, préconisé par le dispositif " La Main à la Pâte ", rompt avec un usage académique de l'écrit scientifique qu'autorisait habituellement l'enseignant dans sa classe. Certes, le recours quasi systématique à ce support, le fait que les écrits consignés ne soient pas évalués et puissent ne pas être très élaborés, lèvent les principaux obstacles dans le passage à l'écriture pour les élèves (Vérin, 1988), mais quel rôle jouent ces écrits dans la construction de connaissances scientifiques par rapport à celui de la médiation enseignante ou d'autres productions écrites?

Le cahier d'expériences est tenu par chacun des élèves de la classe et l'on y trouve à la fois des textes et des schémas ou dessins. Mais d'autres formes décrits ont été pratiquées par les élèves pendant la séquence observée:
- une affiche réalisée en groupe afin de présenter les expériences conçues par les élèves
- des textes insérés dans le cahier de sciences
- un texte "final" qui est destiné à paraître dans le journal scientifique de l'école

L'analyse didactique et celle des éléments récurrents (dates, rubriques, titres…) ainsi que des consignes données oralement par l'enseignant sur l'usage que les élèves doivent faire du cahier d'expériences de tous les cahiers d'expériences de la classe, nous ont permis de repérer ses principales fonctions, dans le cas étudié.

Fonctions du cahier d'expériences :

- Le cahier d'expériences sert de support d'apprentissage à la démarche expérimentale, démarche préconisée par le dispositif " La Main à la pâte ". Ainsi les titres (le plus souvent soulignés dans le cahier) mentionnent les étapes de la méthode expérimentale : depuis la question de départ jusqu'à la réponse proposée, en passant par l'émission d'hypothèses, l'expérience choisie (schéma + description + matériel) et les résultats observés. Au niveau des consignes prononcées par l'enseignant, la logique de démarche expérimentale est aussi largement réactivée. L'enseignant, à divers reprises, pousse les élèves à se référer aux écrits produits au cours des différentes étapes pour qu'ils s'efforcent de les mettre en correspondance, comme par exemple les hypothèses et l'expérience proposée ou encore les résultats de l'expériences et les hypothèses :

- Le cahier d'expériences ne contient pas de façon significative les traces d'une construction cognitive individuelle. Non seulement il n'est pas le reflet du seul cheminement individuel, mais encore il consigne des écrits qui conservent leur référence commune.

- Le cahier d'expériences sert à l'évidence d'aide-mémoire chronologique comme en témoigne l'inscription régulière des dates ainsi que les nombreuses consignes portant sur la nécessité " d'écrire pour se rappeler " en diversifiant s'il le faut les formes d'écrits (textes, dessin, schéma).

Cette fonction d'aide-mémoire chronologique nous semble nécessaire pour la construction d'un raisonnement scientifique, parce qu'elle permet de conserver et de situer dans le temps les étapes accomplies et d'y revenir éventuellement, mais aussi, pour s'interroger sur la différence entre l'échelle " du temps de l'expérimentation " à celle des temps géologiques. Nous avons pu observer, en effet, comment les élèves ont des difficultés à passer d'une échelle à l'autre en conservant le sentiment d'avoir " fabriqué un fossile " en une semaine.

Il apparaît donc que les élèves, même s'ils sont libérés de certaines exigences sur le plan de la forme, sont contraints de s'exprimer dans un cadre précis, codifié par les étapes de la démarche expérimentale. Or si ce schéma est utile en termes de compte rendu, il ne paraît pas fonctionnel lorsqu'il s'agit de construire soi-même une explication. Le cahier d'expériences semble en effet énumérer les différentes étapes d'un raisonnement, sans pour autant constituer le support de la construction de ce raisonnement. Il est indéniable que, pendant toutes ces séances, les élèves développent une intense activité langagière, que ce soit pour émettre des hypothèses, pour proposer des dispositifs expérimentaux, pour discuter leurs propositions respectives ou pour exposer les résultats de leur expérimentation. Mais cette activité, tout en prenant une forme écrite continue au fil des séances dans le cahier d'expériences, est essentiellement appuyée sur des échanges oraux, où l'enseignant joue un rôle important, à la fois dans la gestion du débat collectif et dans les choix d'écriture. Dès lors qu'il s'agit de construire des explications scientifiques d'un phénomène observé et de produire, pour les fixer, un écrit rigoureux, on voit surgir difficultés et obstacles chez les élèves et l'intervention de l'enseignant apparaît comme déterminante dans le travail de formulation.

En conclusion de cette analyse, on pourrait donc dire que les écrits figurant dans le cahier d'expériences utilisé pendant cette séquence sont plutôt juxtaposés qu'organisés et qu'on relève, dans le travail dont ils sont la trace, un certain nombre d'incohérences didactiques qui ne donnent pas lieu à une reprise individuelle. Ainsi utilisé, ce cahier n'a de valeur que comme un élément parmi d'autres dans une "chaîne d'écrits", ou plutôt dans un aller-retour entre des productions personnelles, non soumises au contrôle de l'enseignant et non évaluées, mais fréquemment utilisées comme point d'appui dans la progression du travail en classe, et une production " collective ", largement pilotée par le maître et qui sera autorisée, à terme, à être mémorisée et éventuellement publiée dans le journal scientifique de l'école.

La distinction opérée par A.Vérin (1988) entre "écrits instrumentaux pour soi" et "écrits expositifs pour d'autres" nous semble pas permettre de discriminer les fonctions des différents types d'écrits, dans le cas étudié. Le cahier a bien une fonction "instrumentale pour soi", mais plutôt pour se remémorer les différentes étapes d'une procédure qui s'inspire de la démarche scientifique que pour "agir", au sens de l'expérimentation, puisque dans cette étape, les supports utilisés sont prioritairement les affiches réalisées en groupes.

- Est-il un instrument pour apprendre ? Non, s'il s'agit de la mémorisation des notions scientifiques auxquelles on a abouti, puisque l'élève les prend en note dans son "cahier de sciences".

- Est-il un instrument pour améliorer ses capacités d'écriture ? De toute évidence, non : aucun travail systématique n'a pu être observé dans cette classe pendant la séquence pour inciter les élèves à revenir sur leurs productions individuelles de manière à en améliorer les formulations.

- Aide-t-il à "comprendre" les sciences ? Là encore, nous avons peu observé de moments où du temps est laissé aux élèves pour réfléchir seuls aux étapes de la démarche suivie, pour effectuer une activité métacognitive. Les cahiers d'expériences relevés ne contiennent pas de trace d'une véritable construction cognitive personnelle. Les formules comme "mon hypothèse a marché" ne sont pas, comme on a pu le voir, la conclusion d'un raisonnement mettant en relation prémisse et résultat.

- Quelle est alors la fonction principale du cahier d'expériences ? Il nous semble que deux fonctions apparaissent nettement :

- C'est un support pour l'expression orale individuelle dans la classe. Nous préférons cette formule à celle de "support de communication", car lors des temps de confrontation et de synthèse observés, le recours au texte écrit dans le cahier est premier, mais n'intervient plus une fois que la discussion collective est lancée. Il apparaît donc comme une aide pour présenter aux autres son hypothèse, son projet ou son résultat d'expérience, dans la mesure où la rédaction d'un texte écrit a été l'occasion d'une première formulation qui facilite l'expression orale qui la suit.
- Plus encore, c'est une trace de ce qui s'est fait collectivement dans la classe, mais seulement de ce dont on est parti et de ce à quoi on a abouti. Rien n'est noté des désaccords, des débats. On ne trouve que les conclusions, non argumentées et, comme on l'a vu, la démarcation n'est pas toujours faite entre le discours qui a été produit par l'auteur du cahier et celui qui a été produit collectivement.

Questions vives

On pourrait donc dire que, dans la classe observée, ce support a surtout pour fonction de conférer aux écrits qui y figurent le statut du "provisoire". Il sert tant qu'on cherche. A partir du moment où un travail collectif a abouti à la validation d'un énoncé, on n'utilise plus le cahier d'expériences, mais le cahier de sciences, qui est le support des "écrits expositifs" et des schémas ou dessins réalisés et fournis par l'enseignant.
Par conséquent, quel écrit, produit par qui et dans quelles conditions, aide-t-il à "comprendre" les sciences ? Est-ce vraiment l'écrit qui joue le rôle essentiel ici, n'est-ce pas plutôt l'ensemble considérable des interactions orales présentes tout au long du travail ? Et si les choses se passent ainsi, n'est-ce pas parce que la classe est le plus souvent le lieu de fonctionnement d'un groupe en situation de communication directe, alors que la production d'un écrit est d'abord un acte individuel - même si elle peut être relayée collectivement - et relève d'une communication différée dans l'espace et/ou dans le temps ? Or si l'apprentissage est un acte individuel, donc susceptible de s'appuyer sur de l'écrit produit individuellement, son inscription dans une démarche didactique de type socio-constructiviste suppose le recours majoritaire à l'oral. Nous avons donc pu observer que la médiation exercée par l'enseignant pour obtenir la construction d'un discours scientifique s'exerçait plus visiblement dans les interactions orales précédant la production d'un écrit collectif qu'il puisse valider dans le cahier de sciences, que dans un travail qui s'appuierait systématiquement sur les écrits personnels des élèves, c'est-à-dire ici leur cahier

Références bibliographiques

BRUGUIERE C. et LACOTTE J. (2002). Fonctions du cahier d'expériences et rôle de la médiation enseignante dans un dispositif "La main à la pâte" en cycle 3. A paraître dans Aster, 33. Paris, INRP

VERIN, A (1988). Apprendre à écrire pour apprendre les sciences. Aster, 6, 15-46. Paris : INRP

VESLIN, J. (1988). Quels textes scientifiques espère-t-on voir les élèves écrire , Quelques exemples de l'utilisation d'une modélisation des textes scientifiques dans un contexte d'évaluation formatrice. Aster, 6, 91-128. Paris : INRP

GARCIA-DEBANC, C. (1990). L'élève et la production d'écrits. Centre d'Analyse Syntaxique de l'Université de Metz.


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