La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs et instrumentalisation des apprentissages. Quels bénéfices et quelles limites ?


Titre : LES USAGES EXPERTS DE LA MESSAGERIE ELECTRONIQUE DANS LA CLASSE
Auteurs : CARON Christian, TECNE-Lyon

Texte :
Cette étude vient à la suite d'une recherche qui a porté sur les pratiques ordinaires des maîtres du premier degré : http://www.inrp.fr/Tecne/Rech40126/Rap_Tecne_Caron01.pdf. Il nous a semblé intéressant de nous pencher, cette fois, sur les usages experts de la messagerie électronique. Il ne s'agit bien évidemment pas de proposer le transfert d'une expertise, voire d'innovations qui réussissent dans un contexte particulier et une dynamique générée par quelques enseignants atypiques, mais de tenter de cerner les apports de l'outil en termes de modification, voire d'enrichissement de la nature et de la perception des tâches et des rapports entre les différents acteurs de la classe. Il nous apparaît également important de préciser que les compétences des enseignants du premier degré ne s'inscrivent pas dans des pôles diamétralement opposés, qui relèveraient d'un côté, de pratiques ordinaires et de l'autre, de pratiques expertes. Ces compétences s'inscrivent dans un continuum, dont il est intéressant d'étudier les deux extrémités sans négliger, pour autant, les différentes étapes par lesquelles passe l'expertise pédagogique, tantôt en phase de développement, tantôt en phase d'inertie, voire de régression. Ces différents moments de la vie du pédagogue méritent d'être étudiés et mis en relation avec le développement des nouvelles technologies et, de manière plus large, avec la conception mouvante du rôle de l'école dans notre société. En ce qui concerne cette étude, nous souhaitons, dans un premier temps, nous limiter au repérage et à la compréhension des pratiques expertes d'enseignants. Dans un deuxième temps, il s'agit d'observer, en situation écologique, comment l'usage de l'outil interfère dans l'espace éducatif . Problématique, hypothèses, cadre de référence, méthodologie, bibliographie et annexes sont consultables sur le site de la recherche "le multimédia à l'école primaire" : http://www.inrp.fr/Tecne/Rech40126/rap_tecne_caron02.pdf

Les entretiens : la flexibilité
Les modalités d'apprentissage varient en fonction de la situation et de l'objectif du moment à atteindre, tantôt un apprentissage systématique est mis en place, tantôt ce sont des relations plus constructivistes qui sont privilégiées. Cette flexibilité touche les préparations qui ne sont pas arrêtées et qui définissent plus une piste de réflexion qu'un cadre rigide sécurisant. Les maîtres concernés utilisent beaucoup d'outils mais en construisent aussi lorsque ceux qu'ils possèdent ne correspondent pas ou plus à leurs attentes. Ces productions restent le plus souvent inachevées, par manque de temps, ce qui ne contribue pas à leur reconnaissance institutionnelle. Néanmoins, ces enseignants acquièrent un statut d'auteur ce qui, nous le verrons par la suite, est une caractéristique de leur identité professionnelle. Les projets sont majoritairement centrés sur les besoins des enfants. Comme les préparations, ils balisent un chemin mais l'opportunité d'emprunter une autre voie n'est jamais exclue. La flexibilité concerne aussi bien les préparations et les projets que la pratique professionnelle, qui est considérée comme en permanente évolution.

Une collaboration inter/intraclasses suscitée et (largement encouragée) par l'enseignant
Nous entendons par travail coopératif, la définition qu'en donne Chantal d'Halluin, (laboratoire Trigone CUEEP-USTL) : "Le travail coopératif implique une division du travail où chacun est responsable d'une partie du travail, alors que la collaboration implique un engagement mutuel des personnes à un effort coordonné pour accomplir le travail". L'utilisation de la messagerie conduit les enseignants à faire travailler davantage les élèves en groupes. Ce travail de groupe nécessite la mise en œuvre d'une collaboration, c'est-à-dire une situation où des personnes communiquent en utilisant des formes d'interactions qui peuvent conduire à la stimulation de mécanismes d'apprentissage. Ce travail par groupes résulte de deux types de contraintes. La première est d'ordre matériel : nombre de postes dans la classe et nombre de postes connectés. La seconde est d'ordre pédagogique : c'est dans la plupart des cas (situation voulue par le maître) la classe qui parle. Il y a donc obligation d'arriver à un consensus. Tous les éléments d'une situation collaborative sont ainsi rassemblés : la symétrie tout d'abord : similitude de statut social, tous les membres peuvent accomplir les mêmes actions, utiliser les mêmes outils ; similitude des capacités générales ; l'objectif commun et le but partagé ensuite et la division "spontanée" du travail avec recherche d'interdépendance ; répartition évolutive des rôles pour finir. On assiste parallèlement à la mise en place de ce type d'activité à la mise en œuvre de l'enseignement mutuel. Cette forme d'enseignement est, de manière générale, largement utilisée par les enseignants. Ici la performance de l'élève est, non plus axée sur une connaissance scolaire, mais sur un savoir-faire par rapport à la machine. Les interactions qui se prolongent, via le tutorat et le co apprentissage, sont ainsi largement encouragées par l'enseignant. La collaboration prend le pas sur la coopération dans la mesure où les rôles ne sont pas fixés, une fois pour toutes, mais subissent une évolution au fil des situations problèmes rencontrées.

Des rythmes et des temps différents : temps du maître, temps de l'institution et temps de la classe
Le temps du maître, pionnier ou innovant, n'est pas celui de l'institution. Il est, le plus souvent, en décalage par rapport aux exigences et recommandations de cette dernière. Ce décalage porte sur plusieurs aspects. Ce que peut proposer l'institution, en termes de formation, lui paraît le plus souvent inadapté, car répondant à une demande qui n'est pas toujours formulée par les enseignants. L'inertie du système, ainsi que sa lenteur, sont soulignées. Les stages, trop rares, proposés par l'éducation nationale, manquant de souplesse et proposant toujours les mêmes modalités de formation, c'est vers les collègues passionnés, comme eux, que les maîtres se tournent . Le temps professionnel et le temps privé ne font alors qu'un. L'investissement personnel est sans commune mesure avec ce que l'on peut trouver chez la majorité des autres enseignants. Ainsi congés et temps de repos sont-ils consacrés à la découverte de nouvelles sources réutilisables dans l'espace de la classe. Les modalités de formation qui leur sont proposées, décalées dans le temps par rapport à leurs besoins, ne correspondant qu'à une exigence moyenne en matière d'expertise pédagogique, le plus souvent organisées sur le mode frontal, font que ces maîtres pratiquent la co formation et l'auto formation. On retrouve cette absence de concordance avec ce que le maître peut proposer, au sein de sa classe, comme activités. Le plus souvent, il précède les directives ministérielles. Ainsi, les compétences mentionnées dans le B2i sont selon lui, déjà mises en œuvre et parfois, à un seuil, que n'envisage pas le texte officiel. Nous reviendrons sur cet aspect dans la deuxième partie de l'étude. Les enfants établissant un autre rapport aux savoirs, il est utile d'anticiper pour les préparer à retrouver des modes de fonctionnement plus traditionnels. Le temps du maître n'est pas le seul à être en décalage, le droit à des temps et des rythmes différents d'apprentissage, pour les élèves, est reconnu. Au temps rythmé par l'institution et ses écrits, s'oppose le temps de la classe qui prend en compte, en premier, non pas le programme mais les besoins et les projets en cours. Ainsi le temps scolaire n'est-il plus découpé en fonction du nombre d'heures allouées par jour/matière mais peut être distendu en fonction des besoins. L'outil messagerie électronique est appelé à la rescousse pour s'affranchir des contraintes temporelles de la classe (les six heures par jour). L'activité proposée aux élèves prend en compte les possibilités offertes par l'outil. Ainsi temps synchrone et asynchrone font-ils leur apparition. L'asynchrone : une réponse attendue en un temps donné mais une réponse à sa juste place. Le synchrone : la possibilité d'échanger en un temps extrêmement réduit, presque en simultané. La gestion du temps des autres, et notamment, des partenaires que sont les aides éducateurs, est, pour finir, également différente. Différente, dans la mesure où ce qui leur est donné à faire, vient s'emboîter parfaitement avec les activités principales d'enseignement qui restent réservées à l'enseignant. On assiste ainsi à une utilisation plus rationnelle du temps de l'aide éducateur. Le temps de ces enseignants est un temps plus dense et moins rigide que celui que propose l'institution, il s'ensuit un décalage, qui, nous le verrons plus loin, expose les maîtres, dans tous les sens du terme. L'alibi du programme n'est plus de mise et c'est l'enfant et ses compétences qui sont au centre du système éducatif, comme l'a voulu, la loi d'orientation de 1989.

Un décalage par rapport aux valeurs et exigences de l'institution
Ce décalage, nous le verrons au chapitre suivant, conduit à une prise de risques. Le maître novateur s'expose et il n'a pas toujours un texte officiel, une note de service ou une communication adéquate pour se protéger des regards inquisiteurs que l'institution ou ses partenaires pourraient porter sur ses activités. Ces enseignants sont en décalage par rapport aux évaluations traditionnelles mais ont des difficultés à proposer un autre type d'évaluation, qui correspondrait davantage à leurs pratiques. Ils ressentent la nécessité de sortir du cadre étroit de la classe. Les nouvelles technologies sont un outil extrêmement puissant et finalement peu onéreux pour y arriver. Ainsi la possibilité pour des élèves de CM1 de commander à distance la production d'images, à l'autre bout du monde, est particulièrement intéressante à signaler. Le regard n'est pas seulement critique sur leurs pratiques dans un souci de perfectionnement, il porte aussi sur le fonctionnement général de l'école, sur les outils qu'elle propose. Ils ont conscience que le discours institutionnel est parfois trompeur et ne correspond pas toujours à la réalité du terrain. Ils vont jusqu'à émettre des critiques sur les modes de fonctionnement de leurs collègues. Cette manière de dire est peu coutumière du milieu de l'Education nationale où, traditionnellement, la solidarité est de mise. Ce côté transgressif peut être retrouvé, notamment en ce qui concerne la prise de risques. Le décalage n'est pas seulement temporel, il l'est aussi en ce qui concerne les valeurs. L'esprit critique est de mise, tant du point de vue des évaluations que propose le système, que de l'enfermement des élèves qu'il autorise. Un enfermement, dans le statut d'élève dépendant, qui rivalise avec l'enfermement physique dans la structure classe. Cependant, force est de constater que ces enseignants, à aucun moment, ne proposent une autre forme de suivi de l'évolution des compétences et du comportement de leurs élèves. Les tentatives pour passer de l'espace scolaire à l'espace éducatif ne sont d'ailleurs pas très nombreuses.

Une prise de risques
Le maître pionnier est en avance, le plus souvent, par rapport aux recommandations de l'institution sur l'usage d'un nouvel outil. Ce décalage, dans le temps, conduit à une prise de risques, dans la mesure où, l'enseignant peut se retrouver dans une situation d'incompréhension, vis-à-vis de sa hiérarchie, faute de textes adaptés et faute d'un regard qui privilégierait les mêmes aspects de l'enseignement que lui. Il y a, pour certains, risques à ne pas être dans la norme. La transgression de la règle, si elle n'est pas recherchée, est considérée par beaucoup, comme utile. C'est alors un regard critique qui porte, non seulement sur ses propres pratiques, mais aussi sur celles que le système souhaiterait voir se mettre en place. Cette prise de risques existe également vis-à-vis des partenaires privilégiés de l'école : les parents. Ces derniers ont parfois encore une vision traditionnelle de ce que peut et doit faire un bon maître dans sa classe et s'accommodent très mal des libertés dont bénéficient les élèves. Cette incompréhension peut aller jusqu'à la crainte, notamment lors des tentatives de passage par l'enseignant de l'espace scolaire à l'espace éducatif. Institution, parents d'élèves, collectivités locales parfois, les regards inquisiteurs ne manquent pas dès qu'on touche à l'espace de l'école. Mais la prise de risques ne concerne pas seulement ce que pourrait penser tel ou tel partenaire, elle concerne aussi l'activité en classe et la nature des supports proposés aux élèves. Là, Il n'y a plus seulement prise de risques mais problème clairement soulevé. La prise de risques ne concerne pas seulement le maître. Ce dernier accepte également que ses élèves se retrouvent face à des situations complexes et difficiles à gérer. Le maître s'expose tout en exposant ses élèves. La plupart du temps, en effet, les situations problèmes, mises en place pour les élèves, permettent l'acquisition d'une compétence, l'élève mobilisant des connaissances antérieures, le maître, ses pairs et des sources variées d'informations pour régler le blocage savamment orchestré par l'enseignant. À jouer l'authenticité en situation réelle de communication, des situations largement non prévues peuvent surgir. L'absence de déterminisme des TICE, les mêmes causes ne produisant pas systématiquement les mêmes effets, est un facteur qui renforce cette situation. En effet, être bloqué face à la technique devant ses élèves est une aventure dans laquelle peu d'enseignants souhaitent s'engager. Il en va de même pour le fait d'accepter, qu'à certains moments et pour certaines activités, l'élève soit amené à avoir plus de connaissances que le maître.

Des représentations explicitées des rapports maîtres/élèves et du rapport aux savoirs
L'enseignant se présente, pour certaines activités et dans certaines situations, comme un médiateur, ce qui ne veut pas dire, qu'à d'autres moments, il ne puisse pas exercer pleinement une fonction de transmission des connaissances. Une certaine souplesse existe entre les différentes fonctions, qu'il occupe au sein de la classe, et dans le déroulement de la journée. L'hétérogénéité des élèves apparaît comme normale. À la différence de niveau des apprenants correspond, très logiquement, une diversification des activités. S'il occupe volontiers une place de médiateur auprès des enfants, c'est que la représentation du rapport aux savoirs du maître pionnier diffère de celle d'un maître qui aurait des pratiques plus ordinaires. Si son rapport aux savoirs diffère, il en est de même pour son rapport à l'information. L'évaluation pose problème à ces maîtres car elle leur apparaît réductrice. Ils peuvent difficilement proposer une autre forme de contrôle de l'acquisition des savoirs. En contrepartie, ils estiment que l'enseignant peut ne pas être le seul évaluateur mais que l'évaluation peut provenir des pairs ou d'un adulte extérieur à la classe. Elle nécessite une compétence peu usitée à l'école primaire : la décentration. La marge de liberté laissée aux enfants est généralement beaucoup plus grande d'autant plus que le souci de développer l'autonomie des élèves est omniprésent. Cette marge de liberté, on la retrouve dans le fonctionnement de l'école maternelle, ce fonctionnement est présenté par beaucoup d'enseignants comme abandonné trop tôt au profit de la mise en place de champs disciplinaires, qui enferment plus qu'ils ne libèrent. Ces maîtres disent accepter volontiers que les enfants puissent aller plus loin que ce qu'ils ont proposé, au départ, même si leur préparation n'encadre pas ce " dépassement. " La gestion des informations apparaît, pour beaucoup, désormais, une compétence à acquérir. Des stratégies sont mises en place. Le rôle de l'enseignant, notamment celui de cycle 3, est d'intégrer dans sa progression, cette fonction de sélection de l'information. De manière générale, l'enseignant, avec un grand E, est perçu comme quelqu'un qui monopolise trop la parole et qui s'accapare trop l'acte d'enseigner, dans la mesure où il ne peut s'empêcher d'intervenir, dès qu'une situation échappe plus de trois minutes à son contrôle.

Une approche pragmatique de la communication
Tout commence par une approche quantitative, pour qu'il y ait un minimum d'échanges de messages et que ces échanges perdurent, la notion de volume est interpellée. L'outil n'est pas seulement utilisé dans sa fonction messagerie mais le texte qu'il génère devient un écrit de la classe et par là, un support authentique de lecture. L'outil messagerie est utilisé dans quelques-unes de ses fonctions avancées : temps contraint, fichiers associés, explicitation des procédures, identification des destinataires et des destinateurs, archivage des messages, carnet d'adresses. Il renvoie aussi à l'utilisation d'autres outils technologiques (du mél vers le Web) en fonction du projet, de la demande du maître et des besoins de la classe. La fonction communicative et explicative du message (et donc de l'écrit) est soulignée. Cette fonction est habituellement peu mise en valeur, nous semble-t-il, au cycle 2. La motivation à écrire et pour écrire est largement plébiscitée. Le potentiel de l'outil renforce cette même production, dans la mesure où l'aspect rapidité des échanges est souligné par une utilisation intensive. Une communication qui se veut efficace ne doit pas se diluer dans le temps et les interactions entre deux classes distantes doivent s'enchaîner. Cela, l'outil le permet. Ainsi qualitatif et quantitatif se rejoignent-ils. L'authenticité est privilégiée et l'utilisation de la messagerie ne fait que renforcer cet aspect. Cette volonté de placer la communication dans une situation la plus authentique possible, c'est-à-dire un écrit qui s'inscrit dans une réelle démarche de connaissances et qui se veut fonctionnel, ne lèse, en aucun cas, les aspects plus techniques de l'apprentissage de l'écrit et de l'oral en classe. La grammaire, le vocabulaire et la conjugaison sont interpellés mais pour une conséquence identifiée, celle d'une émission la plus claire et la plus explicite possible du message. L'outil permet une communication rapide et différée (asynchrone). Les maîtres jouent sur cette fonctionnalité particulière et nouvelle. La nécessité de bien se faire comprendre, en un temps relativement court, avec la certitude d'avoir un retour rapide, est un facteur extrêmement motivant pour la production de textes. Ces communications asynchrones, dans la mesure où elles sont nombreuses (cf. la notion de volume), génèrent de multiples interactions au sein et à l'extérieur de la classe. Ce ne sont plus un ou deux partenaires qui sont identifiés mais un nombre n, avec pour chaque partenaire, une communication de nature différente. On passe ainsi des écrits scolaires à des écrits sociaux multiples. Ces écrits sociaux rendent explicites et justifient aux yeux des élèves le recours à la grammaire, au vocabulaire et à la conjugaison. Si la situation de communication authentique est en place, reste néanmoins à inventer les scénarios d'usage permettant la mise en place de réels apprentissages construits.

Des choix et des pratiques réfléchis
" Des mots pour le dire " telle pourrait être l'expression qui caractérise les maîtres interviewés. Il y a presque toujours, dans leur discours, une analyse de pratique. L'outil informatique n'est jamais sollicité pour être utilisé isolément, mais s'inscrit dans un projet au même titre que d'autres outils, moins teintés de modernité. La pédagogie de projet, souvent en œuvre, gomme les cloisonnements disciplinaires, elle présente, en contrepartie, la difficulté de ne pouvoir être évaluée facilement. Dans tous les cas, ce qui est privilégié est l'authenticité des situations. Toute production écrite a une fonction précise. Cette explicitation des pratiques s'accompagne d'un retour réflexif et d'un souhait de les mettre à distance. Les maîtres ont conscience de la nécessité de renouveler les activités régulièrement. La personnalisation des savoirs est accrue par une utilisation ciblée de l'outil. La question, que se posent souvent les enseignants sur l'efficacité de regrouper les postes ensemble ou de les laisser séparément dans chaque classe de l'école, n'est plus de mise. Pour un apprentissage systématique des notions de base, la salle informatique est utilisée, l'enseignement est alors frontal. Pour une communication authentique et une intégration de l'outil dans la séance, c'est le ou les ordinateurs, en fond de classe, qui est/sont privilégié(s). Néanmoins, le jugement n'est pas toujours aussi radical et le regroupement des postes dans un seul espace apparaît parfois, comme une étape, qu'il faudra nécessairement dépasser. Ces positions, assez volontaires, sur l'organisation de l'espace ou des espaces informatiques sont appliquées aux fonctions proposées par l'outil. Les avantages et limites des fonctions de l'outil sont soulignés, exemple du correcteur orthographique. Les potentialités et le traitement, qu'on peut en faire en classe, sont mis en valeur : exemple de l'archivage des données. Ces maîtres ne font pas " informatique " mais utilisent les outils informatiques. L'usage en est ainsi banalisé. L'ordinateur est allumé dès le matin, au moment où l'on écrit la date au tableau et où, pour certains… on branche la cafetière électrique. Cette banalisation facilite la coexistence des outils technologiques avec des méthodes plus traditionnelles, qui gardent, dans la plupart des situations, toute leur pertinence. Ce souci permanent d'amélioration est une composante essentielle de leur fonctionnement. L'intégration de l'outil technologique, dans leurs pratiques, est effective et ne bouleverse pas des modes de fonctionnement déjà bien ancrés et l'utilisation d'autres outils, elle les souligne, voire les décuple. L'outil, lié aux nouvelles technologies, remplace un outil technologique plus ancien à la seule condition d'être plus efficace. Il apparaît alors comme un catalyseur de pratiques : il accélère le processus sans y participer.

Des pratiques ordinaires…
L'école demeure le lieu incontournable de toutes les activités d'apprentissage. Pour certains, il est encore difficile d'arriver à utiliser l'outil comme moyen d'acquérir les compétences, telles qu'elles sont décrites dans les textes officiels. Le recours à un traitement papier du texte et à une gestion traditionnelle de la trace se retrouve chez un assez grand nombre de maîtres. Ces derniers ont beaucoup de difficultés à laisser un élève, saisir directement son texte sur le clavier. Aucune explication n'est apportée à cette manière de faire. Ils partagent également, avec les maîtres moins expérimentés en matière d'utilisation des TICE, le souci de ne laisser sortir de la classe que des écrits propres. On constate parfois une dérive techniciste : la passion et l'investissement de l'enseignant le conduisent alors à proposer des projets plus liés à ses préoccupations du moment qu'à celles de ses élèves. Ces mêmes maîtres, qui conçoivent facilement qu'au sein de la classe, des échanges puissent avoir lieu sans leur contrôle, que des actions puissent être mises en œuvre sans les avoir impulsées, éprouvent une certaine difficulté à accepter qu'une activité, initiée dans le cadre scolaire, puisse se prolonger dans le cadre familial, sans qu'il puisse avoir un droit de regard. Cette attitude interroge les représentations qu'ont les maîtres de leur fonction et de la position et du discours qu'il est nécessaire d'avoir, dans notre société, en tant qu'enseignant. Le regard, porté sur les documents qui sortent de la classe, sur la manière de les saisir dans un premier temps, se rapproche quelque peu de cette attitude. Le document de travail ne peut exister hors les murs de l'institution et le produit sortant doit nécessairement présenter un aspect fini. La gestion de la trace écrite est source d'interrogation chez ces enseignants, partagés comme ils sont, entre une vision claire de ce qu'ils pourraient faire à l'aide des nouvelles technologies et leur vision encore parfois très proche de pratiques datées et plus classiques. Quelquefois, des stratégies, que l'on retrouve largement dans les pratiques ordinaires (CARON, 2001), apparaissent. Le lion est fait du mouton assimilé, disait Paul Valéry.

L' identité professionnelle
À travers l'ensemble des entretiens, se dessine l'identité professionnelle des enseignants ayant une pratique experte de l'outil, et pouvant être considérés comme pionniers ou innovants. Cette identité professionnelle repose sur plusieurs aspects que nous avons déjà abordés. Il nous semble que ces maîtres ont davantage d'exigences, vis-à-vis de l'institution, qu'ils considèrent comme n'étant pas assez rapide pour s'adapter aux besoins des élèves et aux besoins de ceux qui les enseignent. Cette lenteur favorise la mise en place de conditions différentes de formation (la co et l'auto formation sur le temps personnel) et de production d'outils (statut d'auteur). Une certaine fierté caractérise ces maîtres, même si la reconnaissance de l'institution tarde à venir, ils ont le sentiment d'être des pionniers et de rencontrer ainsi les inévitables difficultés liées à ce statut. Le côté transgressif de leur personnalité apparaît parfois. Se sentant différents, ils ont conscience que leurs élèves, le long de leur scolarité, peuvent rencontrer d'autres modalités d'enseignement et tentent de les y préparer.

Discussion et perspective
Tout pourrait paraître idyllique chez ces maîtres si le chercheur se contentait de se limiter aux entretiens. En effet, on peut se poser la question sur la nature des réponses que les interviewés pensent devoir apporter aux sollicitations du chercheur. Des interprétations sont néanmoins possibles, qu'il nous faut éclairer à la lumière de ceux, qui après avoir parlé dans le cadre de l'entretien, ne se sont plus manifestés lorsqu'ils ont été sollicités pour des observations de séances.. Rien ne prouve, faute d'une évaluation adaptée, que les élèves apprennent mieux mais leur rapport, à l'enseignant, aux savoirs et à l'école, est différent. Il nous semble intéressant dans le cadre de cette étude, de ne retenir que les aspects de la pratique du maître, qui nous paraissent directement liés à l'utilisation de l'outil technologique. Ainsi les notions de rythmes et de temps différents, l'approche pragmatique de la communication ainsi que la notion de prise de risques seront privilégiées dans la seconde partie de cette étude.

L'observation en classe
La messagerie électronique, dans les deux situations de classe qui ont été analysées, facilite les échanges entre enfants, en leur permettant de se rencontrer sur le terrain du consensus. Obligation est faite aux élèves de se mettre d'accord, puisque le plus souvent, une seule réponse est permise et que cette réponse doit passer par un canal unique : le message électronique. Non seulement, l'élève est obligé d'écouter le partenaire, de se projeter, voire de se décentrer, mais la situation de classe, dans laquelle l'outil est utilisé, facilite une modalité de travail encore peu usitée dans l'enseignement du premier degré : la collaboration. Véhiculant le discours des élèves à l'extérieur, l'outil rend caduque le contrat didactique puisque ce qui est émis ne rentre pas forcément dans le cadre de ce qui est attendu par un maître, traditionnellement attentif, à construire le reste du sens à partir des bribes d'information que l'élève se fait, consciemment ou inconsciemment, le devoir de lui fournir. L'évaluation extérieure par des pairs ou un adulte extérieur ou une machine, ne peut avoir les yeux de Chimène. L'explication, voire dans certains cas, l'argumentation, deviennent ainsi nécessaires, sans pour autant que les compétences utiles à leur mise en œuvre, ne soient structurées voire approfondies. L'outil technologique, utilisé dans un cadre relativement novateur, rend l'implicite des situations plus visible et donc davantage compréhensible par un enseignant attentif. Il est à noter que l'acquisition de compétences technologiques se fait la plupart du temps dans le cadre d'une démarche empirique. C'est là, nous semble-t-il, un parti pris discutable, des confusions perdurent chez les élèves entre les fonctions des différents outils. Il n'est pas sûr que l'enfant sorti du cadre de la classe et de son effet catalysant puisse retrouver les compétences développées dans un contexte étranger dont l'ensemble des variables ne serait pas identifié. Ainsi et en contradiction avec ce qui avait été avancé dans le cadre des entretiens, les compétences du B2i donne, en surface, l'impression d'être travaillées, mais en réalité, rien ne semble acquis. On remarque que seules les spécificités de l'outil qui permettent de valoriser une pédagogie active sont utilisées ; celles qui sont utilisées ne sont pas explicitées. On laisse alors les élèves construire des représentations parfois erronées et l'attitude de l'enseignant peut être interprétée, par les élèves, comme une validation de ces représentations. Pour terminer, on constate que, certes, l'outil place les élèves en situation de développer des compétences mais qu'il n'apporte rien de particulier à l'enrichissement et à la structuration de ces compétences, faute d'une réflexion nourrie et adaptée des maîtres.

Conclusion
Cette étude va se nourrir d'autres observations et notamment d'observations de classes scolarisant des enfants handicapés. Il nous semble, en effet, que si les maîtres ayant des pratiques expertes et utilisant un outil technologique communicant ré interrogent la position du maître dans la classe et la relation aux savoirs des enfants, l'enseignement spécialisé apporte un éclairage particulier. Nous avons souligné les aspects de gestion du temps, de communication pragmatique et de prise de risques car ces aspects nous semblent caractériser l'enseignant pionnier. Dans le cadre d'une recherche de plus grande ampleur, nous travaillerons également sur l'utilisation de l'Internet en classe et notamment la navigation sur des sites en situation de face à face pédagogique. Nous avons tenté, dans le cadre de la présente étude, de montrer les limites de l'usage de l'outil et les limites de l'enseignement par des maîtres pionniers. Certes, le faible nombre de maîtres interrogés n'a pas la prétention de fournir un panel représentatif de ce que sont ces enseignants mais il pose néanmoins un certain nombre de problèmes. L'arrivée, en 2003, dans toutes les écoles du brevet informatique et Internet va nous permettre, de regarder à nouveau l'ensemble de ces pratiques à la lumière d'une prescription qui présente, à nos yeux, des implicites, sources de confusions, tant du point de vue de la posture de l'apprenant que de celle de l'enseignant.


Menu