La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : Faire (aussi) des sciences en CLIS 1 (Classe d'Intégration Scolaire)
Auteurs : AURAC-PEYRONNET Emmanuèle / MARTINET Pierre / PEYRONNET Alain / TORREGROSA Éric / TRESSOL Jean-François

Texte :
    On le sait, l'enseignement des sciences passe mal. Malgré les efforts et appels à mieux faire, les résultats ne suivent guère. Cela tient du paradoxe quand la société se scientifise de plus en plus. Mais il y a plus embarrassant encore. Pendant que des enfants ont du mal à profiter d'un savoir dominant, d'autres n'y ont toujours pas accès. La pensée scientifique, osons le dire, n'entre quasiment jamais dans les classes dites d'intégration scolaire. Caricatures et a priori pèsent lourdement, dehors comme dedans. Les maîtres spécialisés ont beau signaler que les troubles ne se résument pas en termes de diminution, rien n'y fait.
Peut-on parler déjà de didactique avec des apprenants de CL.I.S.
    La circulaire du 18 novembre 1991 précise les objectifs, l'organisation et le fonctionnement des classes d'intégration scolaire. Elle a récemment été complétée par celle du 30 avril 2002, un autre texte est prochainement attendu. Ces directives particulières rappellent que le public n'est pas ordinaire. On trouve dans ces classes des enfants en grande difficulté d'apprentissage. Ils présentent un handicap intellectuel "reconnu" mais compatible avec la vie de l'école. Ceux-ci doivent notamment être capables d'assumer des "contraintes et exigences minimales", surtout de comportement et de communication. De fait, l'effectif est limité à douze mais peut fluctuer au cours de la journée selon les participations hors CL.I.S.
Le maître doit créer les conditions optimales pour un suivi total ou partiel de "cursus scolaire ordinaire". À cet effet il élabore pour chacun un projet individualisé associant les différents partenaires. On trouve les structures médico-éducatives, le secrétaire de CCPE, la famille, l'équipe pédagogique. L'élève reste au centre du système et participe autant que faire se peut à son intégration. Il bénéficie, dans la mesure du possible, de temps d'enseignement dans les autres classes de l'établissement. Reste que le parcours doit toujours être réajusté parce que ces apprenants ne sont pas tout à fait comme les autres.
    Pour autant, ces jeunes manifestent une curiosité qui patiente aussi d'être accompagnée. Cela suppose, de la part du professionnel de l'éducation, de concilier adaptation et dépassement. Il convient d'une part d'ajuster des démarches et des contenus sans jamais sous-estimer les limites en capacités de l'élève. Il faut, d'autre part, que les tremplins proposés ne fassent jamais perdre de vue l'infranchissable de certains obstacles. On retrouve le fameux pari d'éducabilité... et l'obligation de compétences avérées.
Comment impulser une didactique des sciences avec des apprenants de CL.I.S.
    La voie retenue ici est celle de l'équipe et de la recherche-action. Des acteurs scolaires du Puy de Dôme (maîtres spécialisés, formateurs IUFM et Inspecteurs de l'Éducation Nationale) travaillent à un même projet. L'ambition est de promouvoir dans les classes d'intégration scolaire un véritable éveil scientifique. Dit autrement, ce groupe de professionnels refuse que l'enseignement des sciences en CL.I.S.1 se limite à des activités sporadiques sur des questions décousues. L'élève doit être davantage sollicité dans ses préoccupations. Il faut que le "faire" soit également plus finalisé. Quant auxtraces, elle ne peuvent se limiter à donner le change.
    Les recherches sur l'apprentissage sont alors instructives. Elles montrent que les concepts et les méthodes ne s'acquièrent jamais par transmission directe. Il s'avère en effet que chez l'élève un certain nombre de questions, de références et de pratiques préexistent à la situation scolaire. Autrement dit, quelque chose de structuré est précocement dans la place. L'appropriation des connaissances procède d'une activité d'élaboration où l'apprenant confronte le nouveau contenu avec l'ancien. Bref, s'il produit de nouvelles signification, ce sera pour répondre plus efficacement à ses interrogations.
Maîtriser les processus en jeux et parvenir à interférer significativement avec ce "déjà là" conceptuel nécessite un renouvellement dans les théories. Il faut disposer d'un modèle permettant de réellement prendre en compte l'univers des têtes. Celui-ci doit permettre de rencontrer son public, d'aborder de nouvelles questions, d'interpréter autrement les situations, de résoudre davantage de problèmes... Des didacticiens genevois ont relevé le pari dès 1987 et ont depuis convaincu de nombreux collègues.
Quel modèle d'apprentissage privilégier avec des apprenants de CL.I.S.
    À l'exception de certaines tendances cognitives, l'apprentissage n'apparaît pas comme une préoccupation majeure chez les chercheurs. On lui préfère la construction "naturelle" du savoir, le fonctionnement social ou encore les processus de développement généraux. Or, dans l'apprendre rien n'est désolidarisé, ces trois types de paramètres sont toujours en interaction. De plus, on ne saurait glisser pour les mécanismes en jeu sur la réalité d'une interdépendance. Ceux-ci demeurent tributaires des conditions et successions des environnements dans lesquels ils ont émergé au cours de l'histoire du sujet.
Pour combler ces insuffisances, le Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences (Genève) propose un modèle dit allostérique. Ce dernier tente d'allier "interaction" et "élaboration" mais aussi "intégration" et "interférence". Le point de vue est que les apprentissages doivent être liés à l'ensemble de leurs éléments, en réponse à un questionnement spécifique. Pour permettre de construire efficacement des concepts, il faut par ailleurs faciliter une véritable transformation de la structure mentale. De multiples éclairages sur les interrelations sous-jacentes et l'utilité du changement sont de plus nécessaires.
    Ce regard renouvelé permet de décoder autrement les processus regroupés sous les termes de comprendre et d'apprendre. Il les considère comme des entités de type systémique et multistratifié. Il met en avant les boucles d'autorégulation et les niveaux d'intégration. Parallèlement, il pointe et explicite les divers obstacles. Il montre que l'apprentissage réussi est une transformation des conceptions. Il propose de recourir à un environnement facilitateur, c'est-à-dire que concernant, interactif et structurant.
Quelles orientations et outils ont été retenues avec ces apprenants de CL.I.S.
    L'expérience conduite depuis l'année scolaire 1999-2000 laisse entrevoir des résultats prometteurs. Dix enseignants volontaires de CL.I.S. 1 ont déjà bénéficié d'une formation à ce modèle d'apprentissage allostérique. Ils savent qu'être en grande difficulté d'apprentissage ne doit pas confiner dans le concret, en interdisant a priori tout accès à l'abstraction. Ils ont appris à mieux organiser les conditions qui aident l'apprenant à dépasser son cadre de questionnement, sa façon de raisonner, ses références. L'enfant y est enfin rendu acteur et auteur, et donc réellement placé au centre des apprentissages.
L'effort a porté essentiellement sur trois axesconceptualisation, expérimentation et argumentation. Pour le premier, on recourt à deux domaines particulièrement accrocheursl'astronomie et la biologie. L'idée est d'ouvrir à la maîtrise de certains concepts (digestion, Monde ...). Pour le suivant, on incite à la confrontation de deux mondesla magie et la chimie. Le but est d'apprendre à questionner (tour et expérience en vidéo) afin de reproduire et mieux comprendre. Pour le dernier, on s'appuie sur un roman en prise sur l'astronomie et la biologie. La volonté est de favoriser l'autonomie de pensée en créant un espace de parole acheminant au débat d'idées. L'ensemble constitue l'atelier «- comment
L'idée force est que pour agir sur des constructions de réalité "primaire" (conceptions initiales), il faut tenir compte de leur ancrage affectif. La consistance dont elles héritent est en effet difficile à compenser. Des contenus de réalité "secondaire" (nouvelles représentations) doivent bénéficier pour y parvenir d'un renforcement les rendant plus familiers. Dit autrement, ceux-ci doivent présenter un fort taux de résonance intime. De là notre attention à leurs centres d'intérêtla compréhension des origines et des principes de la vie, l'exploration spatiale ainsi que l'univers magique.

Quels prélèvements pour quels usages chez ces apprenants de CL.I.S.
    Recueillir des "visions individuelles" ne va jamais de soi. Cela requiert des outils spécifiques. Ils doivent être adaptés aux champs notionnels anticipés par l'enseignant et aux caractéristiques de son public. Pour des enfants de CL.I.S.les concepts de Monde et de digestion sont interpellés à partir de plusieurs fiches diagnostic. Deux séries ont été utilisées (quatre en biologie, six en astronomie). Les premières (silhouettes humaines -et profilont permis de distinguer trois conceptions du digérer (localisation, diffusion, organique). Les suivantes (Terre-ciel-fusée et trajectoires d'objets) ont facilité la reconnaissance de trois modèles cosmo-planétaires (plan-disque, sphère clivée, boule non gravitationnelle).
Un prélèvement sur les images du magicien, du savant, et de l'extraterrestre a également été effectué. Les enfants ont dessiné chaque personnage et commenté individuellement leurs productions. Si le premier est parfaitement identifié, il n'en va pas de même pour le suivant, lequel se retrouve associé à du savon. Quant au dernier, son profil est chargé de toute la palette télévisuelle de notre époque. Prendre en compte toutes ces conceptions signifie en informer et s'en instruire pour accompagner. Un retour anonymé est donc proposé. Ces explications sont complétées par une présentation individuelle donnant lieu à une confrontation des points de vue.
Favoriser régulièrement cette mise en débat aide à gagner en décentration (préalable à l'argumentation constructive). Il faut aussi proposer diverses activités ayant un lien avec les écueils à dépasser (surface terrestre plane, ingestion d'aliments sans sortie, images de substitution...). Elles sont accompagnées par un traitement spécifique de ce qui limite la compréhension (fiches remédiation, résolution active d'énigmes, discussion ciblée d'arguments). On articule des situations d'investigation (collectives ou par petits groupes) et des moments de structuration (pour soi).
Quels résultats sont obtenus avec ces apprenants de CL.I.S.
    Il va sans dire qu'une expérience de cette nature doit convaincre non seulement par ses ambitions mais aussi par ces effets. On ne saurait donc faire l'économie de l'analyse comparée (groupe témoin/groupe expérimental) pas plus que des nombres qui l'étayent. Nous avons prélevé les conceptions à deux périodes de l'année (octobre et fin mai). Précisons que seuls les enseignants "impliqués" ont suivi une formation. Cela permet de confronter les diagnostics des populations CL.I.S.de suivre les évolutions respectives, de quantifier des différences. Pour l'heure seuls les résultats de biologie et d'astronomie sont intégralement traités. À ce jour deux cents élèves environ témoignent déjà d'un gain significatif.
Les profils des groupes ("impliqué" et témoin) sont au départ assez similaires (connaissances, localisation, fonctionnement). En revanche, les évolutions sur 8 mois montrent une différence indéniable. Le phénomène de l'excrétion, lequel a fait l'objet d'un travail de remédiation (tuyau à deux bouts), est intégré par un élève sur deux. Cela retentit favorablement sur l'identification et la compréhension du rôle de deux organes (estomac et intestins). Le concept de monde, qui a été repris à partir de fiches spécifiques (rotondité), est transformé chez trois élèves sur quatre (en sphère et boule). De fait, la nature de l'espace en a été transformée (tout autour et non plus en plafond hémisphérique).
Du côté de la démarche expérimentale, les rencontres du magicien et du savant ont permis de s'approprier des automatismes d'apprentis-chercheurs (manipulation, problématisation 1, investigation, argumentation, structuration, problématisation 2...). Parallèlement, le rapprochement du terrien Joackim et du voyageur Mika (
Le petit frère tombé du ciel, J.invite au débat d'idées. Les compétences évoluent souvent en trois phasesoser parler, situer son idée par rapport à celles qui circulent, utiliser ce qui est dit comme base de réflexion pour un dialogue raisonné.
Que conclure
    Ce que beaucoup croient déterminé par l'étiologie peut évoluer grâce à une pédagogie du passage. Pour promouvoir cette dernière deux dérapages sont d'emblée à combattre. Il faut 1°)la dénaturation de la différence en particularité susceptible de justifier quelque éducation à part, 2°)l'image du maître spécialisé comme missionnaire laïc au profit du professionnel conciliant adaptation et dépassement. Le modèle allostérique de l'apprendre peut aider à aller dans ce sens. Il modifie la posture enseignante en insistant sur l'importance d'un environnement stimulant pour l'élève. Ce changement de perspective permet de rendre à la fois acteur et auteur dans sa formation. Sept conditions sont au moins réclamées. Ce sont 1°)recentrer sur ce qu'est et connaît déjà l'apprenant, 2°)partir de ce qui le touche, le concerne directement, 3°)faire confronter activement les visions individuelles, 4°)créer des outils spécifiques tout en disposant de ressources suffisantes, 5en périodes de confort des paramètres déstabilisants, 6°)des niveaux différents dans la formulation de concepts, 7°)favoriser la mise en œuvre d'un savoir sur le savoir.



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