La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Citoyenneté, valeurs et violence. Ethique et médiation : sont-elles au coeur des problématiques d'éducation ?


Titre : Vers une interprétation phénoménologique de la violence à l'école. Réflexions sur les possibilités éthiques de l'école aujourd'hui
Auteurs : Luis Flores-González
/ Professeur de Philosophie de la Faculté des Sciences de l'Education
/ Pontificia Universidad Católica de Chile

Texte :
Introduction
Il s'agit dans cet exposé de discuter le problème des défis éthiques de l'éducation au moment où de profonds changements bouleversent notre culture occidentale. Actuellement, l'école peut-être comme jamais auparavant a du prendre en charge une infinité de tâches, qui ont apparemment été laissées de côté par la famille et la société dans son ensemble. Ce déplacement de "responsabilités", dans un contexte caractérisé par un développement hyperbolique des technologies dans le champ des communications et de la connaissance, a entraîné comme conséquence un autre déplacement, celui d'une des préoccupations fondamentales de l'éducation : la mission d'humaniser.
Toutefois, l'école n'est pas reconnue par l'autre, ni par elle-même probablement, comme un lieu privilégié de formation des personnes et des valeurs. Le sens de l'école est devenu flou. L'idée de promouvoir un savoir compréhensif des choses ou de former aux valeurs, semble faire contraste avec les exigences institutionnelles, de plus en plus urgentes, d'insertion des jeunes dans le monde technique et professionnel. Les finalités de l'éducation sont finalement trop limitées, comme le signalent les standards des "meilleurs" collèges du pays.
A quoi correspond le monde de la violence ?
Deux distinctions préliminaires sont ici fondamentales. La première concerne la notion de "monde". Le monde social et le monde tout court ne sont pas synonymes. Si le premier semble se présenter avec une certaine autonomie et comme une indication d'un ensemble de représentations sociales, dans laquelle la vision du monde se configure à partir de l'ordre socioculturel d'une société, le second "monde comme phénomène" fait allusion plutôt à un "horizon" de signification plus complexe et de sens concret vécu. D'après Ricœur, l'idée d'horizon ne signifie nullement une ligne déjà faite, a priori et pour toujours. Au contraire, on pourrait dire - en suivant le titre d'une de ses oeuvres les plus classiques (Les conflits des interprétations) - qu'il y un conflit permanent d'horizon, c'est-à-dire des horizons toujours en fuite, et continuellement en train de se refaire. Le monde phénoménologique est au fond le croisement des horizons. Je cite Ricœur :"Horizon ne veut pas dire seulement fusion des horizons, au sens de Gadamer que j'assume, mais aussi fuite d'horizons, inachèvement".
Nous tenterons d'approcher la réciprocité entre phénomène social et l'horizon du phénomène de la violence. Les phénomènes sociaux ne coïncident pas nécessairement ou du moins ne disent pas au même sens que les phénomènes au sens phénoménologique.
La notion de monde comme phénomène fait allusion tout d'abord à l'idée de manifestation, révélation, présence de signification, de temporalité, d'ouverture expériencielle et existentielle des sujets qui "vivent" cette expérience. Par contre, les phénomènes sociaux font allusion au "monde des faits". Les faits correspondent rigoureusement au domaine empirique. Les phénomènes sociaux renvoient donc à un ordre observable, vérifiable et mesurable. L'expérience de vivre dans un monde qui se dissout et s'atomise de plus en plus, qui contraste avec l'idée de vivre dans une société globalisée, ne pourrait être mesurée qu'à partir d'une enquête d'opinion. Dans ce sens, la mission de la phénoménologie consiste à recueillir la richesse de l'expérience humaine et de la présenter hors du réductionnisme du paradigme empirique.
Le problème de la violence est évident, mais la question de fond reste en suspend. Ce qui s'explique par le fait que la violence est perçue uniquement comme un phénomène social. Le titre du Journal La Libre Belgique "La violence à l'école est maîtrisée" est ici très représentatif (Cf. mardi 5 mars 2002).
Alors que la problématique consiste à poser la question du sens et le "message" pas encore explicite, où en train de l'être comme représentation de l'expérience existentielle vécue.
Nous avons décidé comme stratégie de ne pas donner une définition à priori de la violence dans le contexte de notre projet, car l'intérêt est de découvrir la manière avec laquelle elle se représente et se manifeste. Donc, ce n'est pas de la violence en soi qu'il s'agit mais de la violence dans un "con-texte", qui comme toujours fait appel à un "texte" et donc à une certaine herméneutique.
Par ailleurs, nous avons choisi un milieu très précis, celui de l'école. L'espace de l'école est depuis toujours un espace de controverse. Il s'agit du lieu par excellence de l'instruction, de l'adaptation sociale, etc., mais en même temps l'école montre aussi une dé-formation et une réduction de la connaissance à la maîtrise de certaines habilités. L'école est trop souvent le lieu de la punition et de la surveillance comme l'avait remarqué il y a déjà longtemps Michel Foucault.
Cependant, dans ce bref exposé, nous avons décidé de ne pas parler directement de M. Foucault, car ses analyses - pertinentes - nous mènent à la question de la violence de l'école comme institution de pouvoir, au lieu d'approfondir la question de la violence à l'école et de sa relation avec la convivialité humaine. Autrement dit, au lieu de partir de la structure pour arriver à l'idée de violence symbolique, comme l'a déjà fait P. Bourdieu dans son travail dédié à la reproduction sociale de l'école, nous sommes partis de l'expérience des jeunes. Cette expérience est recueillie par le récit de son expérience scolaire et de son analyse à partir de "L'entretien compréhensif" de J. C. Kaufmann .
La globalisation de la société contemporaine semble être un idéal qui, fondé seulement sur des aspects du développement technique du monde, comme par exemple le développement des relations économiques entre les pays, et le développement des technologies de la communication, ne permet pas de répondre à ce que E. Fromm appelait les besoins fondamentaux de l'homme. La violence est toujours une usurpation mais aussi une réclamation : on veut dire quelque chose, en utilisant le langage de la force dans l'impossibilité de recourir à la parole. Si au moment de faire l'histoire symbolique de la violence nous constatons qu'elle apparaît liée au sacré, elle se présente dorénavant comme une expérience défaite et de négation. Le mépris de l'homme avec "l'autre homme" a généré un monde fracturé, dispersé, anonyme. Le problème de la violence n'est pas en premier lieu un "fait" visible mais proprement une expression d'un problème éthique-existentiel qui fait référence au "lieu" (ethos) que nous occupons maintenant dans le monde et à la manière dont nous le re-signifions.
La violence sans un sens apparent, et sans une motivation claire, nous renvoie à la question du signifié de "l'autre" comme sujet. En effet, la tâche infinie de reconnaissance de l'autre nous semble une tâche avortée quand je détruis l'autre non seulement physiquement mais aussi quand je casse (je romps, j'insulte, je tague, etc.) l'espace en commun qui nous héberge. Par conséquent, la discussion que nous proposons ici est de s'approcher des nouvelles prémisses anthropologiques nécessaires pour le sens de l'école au-delà de sa finalité de promotion sociale et de qualification. Nous voudrions donc situer le phénomène de la violence comme expression d'une perte de sens de l'école qui tend à "reproduire" le vide existentiel de nous mêmes.

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