La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Dispositions de directions d'établissement scolaire québécoises vis-à-vis d'une réforme et stratégies de changement utilisées
Auteurs : CORRIVEAU Lise / BRASSARD André / FORTIN Régent / GÉLINAS Arthur / SAVOIE-ZAJC Lorraine

Texte :
Le but de cette communication est de faire état des dispositions de directions d'établissement scolaire québécoises de l'ordre d'enseignement primaire vis-à-vis d'une réforme du curriculum et des stratégies de changement utilisées pour la mettre en œuvre. Ainsi, en relation avec les représentations que se font les directions d'établissement de la situation de changement vécue, nous cherchons à identifier et à différencier les stratégies que ces dernières utilisent pour faire face au changement demandé.

Le contexte de la recherche est la réforme de l'éducation, imposée par le Gouvernement du Québec depuis l'automne 1997, et qui vise la réussite de tous les élèves. La fusion des commissions scolaires, la décentralisation des pouvoirs des commissions scolaires vers leurs établissements et la réforme du curriculum en constituent les trois principaux volets qui provoquent, dans la majorité des milieux, une réorganisation des structures, une remise en question des pratiques pédagogiques et le développement d'une nouvelle culture collégiale et professionnelle. Les résultats présentés ici se limitent à ceux recueillis à l'ordre d'enseignement primaire et concernent uniquement la réforme du curriculum. Cette réforme dont la mise en application a débuté à l'automne 2000, exige donc une transformation profonde des pratiques éducatives dans les ordres d'enseignement primaire et secondaire du Québec. Programmes d'études axés sur le développement des compétences (transversales et disciplinaires), évaluation des compétences, ordres d'enseignement découpés en cycles d'apprentissage, pédagogie par projets, approche socio-constructiviste, gestion collégiale, etc., tout un défi à relever pour les directeurs d'établissement qui font face à un changement majeur des mentalités et des représentations des activités éducatives des divers acteurs et intervenants de leur milieu.

Les aspects méthodologiques
La cueillette des informations s'est déroulée sur une période d'environ quatre à cinq mois à la fin de l'année 2000 et au début de l'année 2001 sous la forme d'entrevues semi-structurées effectuées auprès de 68  directeurs d'établissement oeuvrant dans les différentes régions du Québec. Il faut spécifier qu'à cette période, la réforme du curriculum était en vigueur depuis quatre à six mois pour le premier cycle du primaire (depuis septembre 2000), soit pour les classes de maternelle, de première et de deuxième année.  Vingt-neuf répondants (29) de notre échantillon sont des directeurs ou directrices de l'ordre primaire d'enseignement. À l'hiver 2000, nous avions effectué un sondage auprès des directeurs d'établissement scolaire francophones des ordres primaires et secondaire d'enseignement du Québec. Les répondants étaient invités à nous indiquer sous pli séparé s'ils acceptaient de participer à la deuxième phase de notre recherche en nous recevant en entrevue. Plus de 250 directeurs ont donné une réponse positive. À peu près la moitié des 68 entrevues ont été effectuées auprès de ces personnes. Chaque chercheur devait trouver 7 autres répondants pour compléter son ensemble de 14 entrevues.

Analyse des résultats
En fonction des attitudes des directeurs d'établissement scolaire québécois de l'ordre de l'enseignement primaire vis-à-vis de la réforme du curriculum et de l'appréciation qu'ils en font, l'analyse des résultats permet, dans un premier temps, de dégager trois profils de répondants que nous nommerons: les «adeptes», les «convertis» et les «inquiets».

Le groupe des «adeptes» (partisans convaincus) rassemble 12 répondants.  Ces derniers s'identifient clairement à la réforme qui, pour eux, s'inscrit dans la continuité de la vision de l'éducation développée depuis plusieurs années, de leur vision personnelle et de certaines pratiques déjà observées au Québec dans divers milieux. En ce sens, la réforme ne constitue pas pour eux un changement radical. Ainsi, un directeur dira : «...ça fait longtemps, fin des années '67, début des années '70, on avait cette vision là où on travaillait plus par projet, on voulait être des animateurs de classe, ...on ne voulait pas être des enseignants.... J'ai l'impression que maintenant, c'est plus raffiné.» «La réforme fait juste positionner ce qui était déjà latent ou en activité dans certains milieux depuis 1980. Ça fait que pour moi, ce n'est pas vraiment une réforme, c'est juste le gros bon sens». D'autres, parmi ce groupe, vont plutôt faire référence à la pédagogie déjà en place dans leur milieu : «La réforme n'a fait qu'encourager ce qui se faisait déjà, à préciser certaines façons de faire.» Une autre dira : «C'est une belle réforme qui est globale. La réforme va dans le sens de ce que je croyais, je suis bien contente.»

Le groupe des «convertis» (personnes qui ont changé d'opinion ou de conduite), constitué de 12 répondants, accueille aussi favorablement la réforme. Malgré certaines critiques formulées à l'égard du rythme rapide d'implantation et de l'évaluation des apprentissages qui n'était pas encore au point, ces directeurs reconnaissent qu'il s'agit là d'une transformation profonde de leur vision et des pratiques éducatives qu'ils apprécient: «Moi, quand j'ai lu ça pour la première fois, je me suis dit ¨Enfin, il y a quelqu'un qui a été capable d'écrire les vraies affaires...¨ Ça va nous demander des chambardements majeurs dans nos façons de voir et de penser, ce n'est pas évident.» dira l'un d'eux. «Au niveau de l'approche pédagogique, du questionnement des profs, moi je pense que c'est bienvenu, il fallait qu'on fasse des changements... Ça me satisfait des changements comme ça, parce que je trouve que ça fait avancer tout le monde.» dira un autre.

Enfin, un dernier groupe (5 répondants) est surnommé les «inquiets». Même s'ils adhèrent globalement à la réforme du curriculum, ces répondants sont tourmentés quant à l'ampleur et à la difficulté de la tâche à accomplir. Ils font part de leurs réticences et soulèvent un ensemble de questionnements et d'embûches pouvant, à leur avis, compromettre la mise en œuvre de la réforme et sa réussite. Les enjeux de la réforme, le manque de ressources nécessaires à son implantation, sa complexité, constituent les principaux éléments de leur discours. «C'est sûr qu'on a besoin de changements, c'est sûr qu'il y a une application qui va être obligatoire...Je n'ai pas l'impression que l'école a plus de chance de réussir sa mission qu'auparavant.» commente l'un d'eux. Un autre considère la réforme comme une révolution «qui à long terme va donner des bons résultats». Il reproche toutefois le fait que «le Ministère ait donné la responsabilité aux écoles d'assumer le curriculum, sans donner de ressources.» Un autre évoque la complexité de la réforme : «L'enseignement par projet, les compétences à évaluer, c'est d'une complexité énorme. Même si c'est ce à quoi je crois, moi, c'est tellement présenté de façon complexe que, dans cinq ans, j'ai hâte de voir si ça ne sera pas comme il y a quelques années, avec l'arrivée de l'audio-visuel qui n'est pas vraiment entré dans les écoles...» Enfin, un autre dénonce le battage fait autour du changement des stratégies pédagogiques : «Je trouve qu'on est très arrogant avec le corps enseignant en disant qu'on va bouleverser les méthodes pédagogiques et les stratégies pédagogiques comme si tous les enseignants, depuis les 20 dernières années ne s'étaient pas adaptés aux enfants, à la façon qu'ils ont d'apprendre....» Cette personne considère également que ce changement  n'apportera rien si on ne fait pas un changement au niveau de la société. «Ça fait que, en quelque part, c'est voué à l'échec.»

Ces propos sont révélateurs. Ils dénotent clairement des dispositions qui peuvent varier en raison d'expériences professionnelles et de représentations particulières à chacun. Ces dispositions ont-elles un impact sur les stratégies utilisées et sur la qualité de l'appropriation de la réforme par les différents milieux? Peut-on, sur la base des diverses dispositions regroupées, identifier et différencier des scénarios utilisés pour faire face au changement demandé?

Un premier ensemble de stratégies mises en place par les directeurs d'établissement concerne la phase d'apprivoisement du changement ou de préparation au changement (Morrissette, 2000). Dans un premier temps, plusieurs directeurs parmi les trois groupes ont fait part de leur cheminement pour mieux clarifier et s'approprier le contenu de la réforme, façonner leur vision pour ensuite la partager avec les enseignants et les parents : lecture sur la réforme, quête d'informations sur les pratiques ayant cours dans d'autres milieux, nombreuses sessions de formation suivies à la commission scolaire, à leur association professionnelle, à leur école lors de la formation des enseignants. Cet apprivoisement de la réforme les ont outillés adéquatement pour ensuite mieux préparer les enseignants et les parents au changement. Quelques-uns se sont ainsi impliqués directement dans la formation offerte aux enseignants et aux parents, en assumant ce rôle seul, avec d'autres directeurs ou accompagnée d'un spécialiste. «Ça nous a plongé dans la réforme» dira l'un d'eux. Deux directeurs, l'un dans le groupe des «convertis» et l'autre dans le groupe des «inquiets», ont toutefois formulé quelques réticences à jouer ce rôle : «Ce n'était pas dans mon mandat d'être formateur d'enseignants, mais la commission scolaire nous le demande».

Un deuxième ensemble de stratégies concernent plus particulièrement la phase d'appropriation du changement ou de la mise à l'essai progressive (Morrissette, 2000). C'est à ce stade que l'on observe le plus de disparités entre les groupes. C'est chez les «adeptes» et les «convertis» que l'on observe la plus grande variété de moyens et de ressources mis à la disposition du personnel et des parents pour s'approprier le changement : dégagement de budget, formation d'une équipe d'implantation de la réforme, réorganisation de l'horaire-élève permettant de libérer les enseignants d'un même cycle sur leur temps de travail, modification du calendrier scolaire pour permettre à l'équipe-école de travailler ensemble, etc., bref, l'établissement d'une infrastructure permettant aux personnes concernées de travailler en collaboration et de questionner leurs pratiques actuelles et futures. Identifier des leaders dans l'école, c'est-à-dire des enseignants qui sont plus avancés dans l'application de la réforme afin qu'ils puissent aider les autres, a également été mentionné à quelques reprises par des répondants de ces deux groupes. Chez les «inquiets», très peu d'interventions permettant l'appropriation du changement ont été évoquées. «Quand je n'ai pas les outils, je fais ce que je peux avec ce que j'ai» nous confiera l'un d'eux.

Tout au long des étapes d'apprivoisement et d'appropriation de la réforme, les directeurs des trois groupes disent se préoccuper grandement du climat de travail. Des comportements d'écoute, de soutien, de réconfort et d'encouragements font partie du rôle qu'ils s'attribuent. De façon plus explicite, plusieurs disent jouer des rôles de leader pédagogique, d'animateur, de facilitateur, et même de décanteur pour calmer les gens. Ce dernier rôle semble particulièrement présent chez les directeurs «inquiets» : «J'ai dit aux enseignants, on se calme, notre bulletin il est correct, les parents l'aiment.» «Mon rôle a été plus de calmer, de diminuer les appréhensions des gens par rapport à la réforme...Pour moi, préserver le climat c'est primordial... Quand ils s'énervent , je les calme puis quand je stresse, ils me calment...» Le respect du rythme de chacun, à cet égard, a été clairement mentionné par les directeurs des trois groupes. Malgré le fait que la réforme soit imposée, les «adeptes» de la réforme et les «convertis» insistent pour que le rythme de chacun soit respecté : «J'ai offert une autre tâche aux enseignants qui ne sont pas prêts à commencer la réforme»; «Quand on essaie d'amener quelque chose de nouveau, il faut que les enseignants le comprennent. Il faut savoir prendre le temps». Pour leur part, les «inquiets» évoquent également le respect du rythme; cependant, il semble davantage lié à celui du directeur ou à l'obligation de procéder à la réforme : «Je vais tranquillement parce que pour faire passer ce message-là, il faut que je sois persuadé» nous a confié l'un d'eux. «Les enseignants, même ceux qui sont près de la retraite, vont devoir comprendre qu'ils ne peuvent pas s'asseoir, je n'ai pas le choix, moi, le ministre a dit ¨tu l'appliques la réforme!¨» nous dira un autre.

  Conclusion
Malgré le caractère obligatoire de la réforme du curriculum, les transformations majeures qu'elle exige de la plupart des milieux scolaires et des difficultés qui l'accompagne, il appert que les stratégies de changement utilisées principalement par les directeurs des groupes des «adeptes» et des «convertis» semblent inviter les divers intervenants à s'approprier et à réaliser avec succès la réforme du curriculum. Même si les données recueillies ne permettent pas d'en évaluer les impacts, l'enthousiasme franc des directeurs vis-à-vis de la réforme, la création d'un climat de travail positif, de confiance, de sécurité et de coopération et le respect du rythme des différentes personnes constituent des éléments pouvant inciter l'ensemble des personnes impliquées à développer, à leur tour, des dispositions favorables vis-à-vis du changement et à se mobiliser pour, ensemble, avancer vers la réussite de tous les élèves. Pour ce faire, il faudra se donner le temps!

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