Ces dernières années, le ministère de l'Éducation
nationale a engagé des actions et pris des mesures pour favoriser l'égalité
des chances entre garçons et filles/hommes et femmes au sein du système
éducatif français. À cet effet, plusieurs études
ont été effectuées sur la place et la représentation
des femmes dans les programmes et les manuels d'histoire destinés aux
élèves de l'école primaire.
I. Introduction : les femmes et l'histoire
Avant d'aborder l'étude des manuels, il convient de se pencher sur la
place accordée aux femmes dans l'histoire. Dans "Le Destin des femmes
et l'école. Manuels d'histoire et société" (L'Harmattan,
1999), Denise Guillaume constate que l'histoire romancée donne l'image
des rôles sexués alors que l'Histoire racontée ignore la
moitié de l'humanité. En effet, dans un livre au titre éloquent,
"Les Femmes ou les silences de l'Histoire" (Flammarion, 1998), Michelle
Perrot démontre que le silence est l'ordinaire des femmes et qu'il convient
à leur position de second plan, qu'il s'agisse de l'histoire ou des statistiques
qui ont le plus souvent été asexuées. Elle explique que
c'est au XIXe siècle que l'histoire est devenue une discipline officielle
dont les hommes se sont emparés et qui se limitait à la sphère
publique et politique dont les femmes étaient exclues. En France, il
a fallu attendre les années 1970 pour qu'on enregistre les premières
manifestations d'intérêt pour l'histoire des femmes grâce
à une série de facteurs qui ont donné lieu à plusieurs
initiatives, dont la création d'un Centre d'Études féminines
à Aix (1972) et un premier cours sur l'histoire des femmes à Jussieu
(1973). Des groupes se sont ensuite formés ; des séminaires, des
enseignements et des colloques ont été organisés - "
Les femmes et les sciences humaines " à Aix (1975) et " Femmes,
féminisme et recherches " (Toulouse, 1982). On s'est ainsi rendu
compte qu'il y avait une forte demande étudiante qui a conduit à
des maîtrises puis à des thèses. Mais ce mouvement ne semble
guère avoir modifié l'attitude des historiens ni la place des
femmes, à en juger par la recherche et le contenu des manuels scolaires.
Ainsi que le montre Françoise Thébaud dans "Écrire
l'histoire des femmes" (ENS Éditions, 1998), on classe souvent l'histoire
de ces dernières dans l'histoire des mentalités ou l'histoire
sociale. Pourtant, en France comme ailleurs, l'histoire des femmes est bien
vivante et a connu des succès de librairie qui témoignent que
le public est réceptif et que la demande sociale existe. Mais c'est un
domaine qui reste encore marginal. Françoise Thébaud se demande
si le critère de sexe ne risque pas de remplacer celui de classe et s'il
faut une histoire des femmes ou une histoire des relations entre les sexes ou
encore une histoire sociale des femmes ou une histoire des représentations.
Aux incorruptibles de l'histoire au masculin, elle pose le défi suivant
: " Une histoire sans les femmes est-elle aujourd'hui possible? "
II. Travaux publiés sur la représentation des femmes dans les
manuels scolaires
Dans "Papa lit et maman coud. Les manuels scolaires en bleu et rose"
(Denoël/Gonthier, 1979), Annie Decroux-Masson a examiné 42 manuels
de lecture et de grammaire des classes élémentaires qui, conclut-elle,
reprennent tous les stéréotypes relatifs aux divisions sexuées.
Elle constate ainsi qu'il n'existe aucune différence fondamentale entre
l'image de la femme donnée dans les manuels scolaires et celle de la
publicité où elle est représentée en tant qu'objet
; elle ajoute que les manuels scolaires donnent de la femme, de l'homme, du
rapport entre les sexes, une image traditionnelle et ne font pas preuve d'ouverture
d'esprit alors que l'école est un service public et devrait au contraire
contribuer à combattre les inégalités liées au sexe.
Enfin, elle constate que plus les manuels s'adressent à des enfants jeunes,
plus ils contiennent de stéréotypes grossiers. Elle déplore
la conception des auteurs et de leurs éditeurs, ainsi que celle du ministère
de l'Éducation qui se refuse - au nom du libéralisme - à
toute intervention dans ce domaine.
"La représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires"
(La Documentation Française, 1997) est le rapport d'une mission qui avait
été confiée à Simone Rignault et Philippe Richert
dans le but d'évaluer la représentation des deux sexes dans les
outils pédagogiques. Ce rapport note que dans les rares cas où
les femmes y apparaissent, leur présence n'est ni soulignée, ni
valorisée, si ce n'est à travers l'image de leur corps. Leur place
dans la société est réduite à leur rôle de
mère et d'épouse et, dans le monde du travail, elles sont le plus
souvent associées à des métiers traditionnellement féminins
ou non valorisants, ce qui montre qu'on ignore ainsi les changements qui ont
eu lieu ces trente dernières années. On reste donc sur l'impression
que les femmes ne laissent aucune trace dans l'histoire et ne jouent aucun rôle
dans le monde professionnel. Les auteurs du rapport articulent leur conclusion
autour de quatre constats : la marginalisation des femmes, l'omission d'événements
importants touchant ces dernières (droit de vote en 1944), l'omission
de figures féminines importantes et le fait que l'exercice du pouvoir
est presque toujours limité aux hommes. Ainsi, l'image donnée
de la femme ne permet pas aux jeunes filles de trouver dans les manuels des
modèles positifs d'identification : elles ne sont encouragées
à participer ni à la vie économique ni à la vie
politique.
Dans le livre cité plus haut, D. Guillaume analyse les manuels d'histoire
publiés depuis un siècle et montre qu'il existe parfois un décalage
entre les modèles identificatoires proposés aux élèves
et les modèles parentaux qui sont plus diversifiés. Elle analyse
ensuite de nombreux livres en fonction de la manière dont ils présentent
quatre événements qui ont affecté plus particulièrement
les femmes : leur marche du 5 octobre 1789, l'école obligatoire pour
les deux sexes de Jules Ferry, le droit de vote des femmes de 1944 et les femmes
dans la Résistance. Elle déplore le fait qu'aucun manuel ne fait
référence aux femmes pour ces quatre événements
- certains n'en mentionnent que deux au plus - confirmant ainsi que la situation
n'a guère évolué depuis l'étude d'Annie Decroux-Masson
publiée vingt ans plus tôt...
Le rapport de Rignault et Richert résume les contraintes qui pèsent
sur la fabrication des manuels scolaires et nous apprend que les auteurs sont
tenus de se conformer strictement aux programmes nationaux qui doivent paraître
au moins quatorze mois avant la publication des livres. Le ministère
ne peut intervenir que pour interdire des ouvrages contraires à la morale,
à la Constitution et aux lois. Les enseignants sont libres de choisir
les livres qu'ils vont employer dans leurs classes mais, ainsi que le souligne
le rapport, ils sont encore fort peu sensibilisés aux questions de sexisme
et ne repèrent pas toujours les stéréotypes.
III. La représentation des femmes dans les programmes: évolution
des instructions officielles
Les instructions officielles et les programmes d'histoire de l'école
primaire ont toujours reflété la position dominante des historiens
qui accordaient peu de place aux femmes. Dans les Programmes de 1995, on ne
trouve pas une seule référence à ces dernières,
bien que l'on fasse plusieurs fois mention de la sensibilisation au respect
de la personne et aux grands problèmes du monde (dont les droits de l'homme).
Enfin, parmi les personnages et événements historiques cités
comme fondamentaux, seules deux femmes apparaissent : Jeanne d'Arc et Marie
Curie. Même la Synthèse nationale faisant suite à la Consultation
sur les documents d'application des programmes de l'école primaire (B.O.,
29 juin 2000), ne fait aucune référence aux femmes dans la section
d'histoire alors qu'elle a été publiée après la
convention interministérielle Promouvoir l'égalité des
chances entre les filles et les garçons dans le système éducatif
(25 février 2000). Parmi les débats qui ont eu lieu lors de cette
mission, on y trouve, parmi les thèmes " minoritaires sans qu'on
puisse pour autant les ignorer " une question qui a dû être
timidement débattue : " le rôle des femmes n'est-il pas occulté?
". Il faudra attendre les Programmes d'enseignement de l'école primaire
de février 2002 pour que l'on aborde enfin les questions de genre. Pour
le cycle des approfondissements (cycle 3), on mentionne ainsi " mieux comprendre
les différences entre garçons et filles ", " l'esclavage
ou l'inégalité entre les hommes et les femmes " et "
l'inégalité entre l'homme et la femme exclue du vote et inférieure
juridiquement ". Il s'agit bien d'un progrès dans la mesure où
c'est la première fois que l'on trouve des références explicites
aux rapports de sexe dans les programmes de l'école élémentaire.
Toutefois, les noms de personnages historiques à traiter en classe ont
disparu. Dans ce sens, les nouveaux programmes ne vont pas assez loin dans leurs
directives à l'égard des questions de genre.
IV. Actions et mesures pour éliminer les stéréotypes sexistes
dans les manuels
Le rapport de Rignault et Richert précise que des actions visant à
éliminer les stéréotypes de genre ont été
entreprises à différents niveaux.
Dans un premier temps, les initiatives ministérielles seraient la conséquence
des revendications féminines des années 70. C'est ainsi que le
nouveau secrétariat à la Condition féminine de 1981 avait
créé une commission de contrôle chargée d'examiner
les outils pédagogiques pour en éliminer les stéréotypes.
En juillet 1982, le ministère de l'Éducation nationale insistait
sur " une mention destinée à combattre les préjugés
sexistes dans l'ensemble des programmes pour toutes les disciplines et activités
éducatives ainsi que pour tous les niveaux d'enseignement des premier
et second degrés ". D'autres textes ont paru en 1983 contre les
stéréotypes et en faveur de la mixité à tous les
échelons du système éducatif. En 1984, le ministère
a mis en place une Commission de terminologie présidée par Benoîte
Groult dont le rapport de 1986 a conduit à la publication d'une circulaire
demandant aux administrations de veiller à l'usage de termes féminisés
dans les normes, les courriers et divers textes officiels, ainsi que dans tous
les manuels. La même année, le ministère des Droits de la
Femme créait une Commission nationale de relecture des livres scolaires.
Mais ces textes n'ont pas fait l'objet d'un suivi réel, même si
les stéréotypes sexistes les plus évidents ont progressivement
été éliminés.
Dans un deuxième temps, l'action du milieu associatif a été
marquée par la fondation, en 1980, de l'association " Pour une éducation
non-sexiste " qui a ensuite été intégrée aux
divers programmes communautaires pour l'égalité des chances. En
1994, a été formée l'association européenne "
Du côté des filles " qui a analysé les albums illustrés
pour les enfants des petites classes ; ses travaux ont montré que les
stéréotypes sexistes présents dans les images y sont encore
plus forts que dans les livres scolaires. Enfin, l'association La Meute, créée
en 2000, milite férocement contre les stéréotypes sexistes
dans la publicité, contribuant ainsi à créer une prise
de conscience dans le grand public.
Sur un autre plan, la contribution de la recherche universitaire s'est manifestée
dans les années 70 et a donné naissance à l'Association
nationale des études féministes (ANEF) qui regroupe des chercheurs
dont les analyses portent sur la représentation des femmes dans la société.
Cependant, peu de travaux récents ont été consacrés
aux manuels scolaires, à l'exception de ceux de Denise Guillaume, précédemment
cités, ou de Philippe Mang dont l'article " Les manuels d'histoire
ont-ils un genre? " (In Manassein, M. de (dir.). "De l'Égalité
des sexes", CNDP, 1995) concerne l'enseignement secondaire.
Enfin, la lutte contre les stéréotypes sexistes dans les documents
pédagogiques est une préoccupation essentielle de l'Union européenne.
Un rapport intitulé "L'image de la femme dans le contexte de l'enseignement"
(1984) a dressé l'inventaire des stéréotypes existant dans
chaque État membre, défini le modèle type du manuel non-sexiste
et donné des pistes de propositions pour l'avenir. Une résolution
sur l'égalité des chances des filles et des garçons (dont
l'élimination des stéréotypes dans les manuels scolaires)
a été adoptée en 1985 par les ministres de l'Éducation.
Depuis 1995, plusieurs textes ont été publiés par le Conseil
des Communautés dans le cadre de la lutte contre les stéréotypes
sexistes et on a créé le programme Teacher Education NETwork (TENET)
qui est destiné à la formation des enseignants en matière
de promotion de l'égalité des chances.
Conclusion
Le rapport de Rignault et Richert formulait des recommandations précises
à l'encontre de plusieurs entités : le ministère de l'Éducation
nationale qui devrait agir sur la conception des programmes, la formation des
enseignants, les structures administratives pour rééquilibrer
le nombre d'hommes et de femmes dans les instances de décision, l'information
et la recherche, le niveau financier, le Service des Droits des Femmes, toutes
les administrations qui doivent veiller à l'élimination des stéréotypes
sexistes, et les éditeurs et auteurs de livres scolaires.
L'an 2000 semble avoir marqué une légère avancée
dans la prise de conscience concernant les stéréotypes de genre
et la discrimination sexuelle au sein du système éducatif, qu'il
s'agisse de la convention interministérielle pour promouvoir les femmes,
de la Synthèse nationale, et des directives adressées aux personnels
sur la mixité et l'égalité sociale (B.O., 2 novembre 2000).
Cependant, ce n'est que dans les instructions officielles de février
2002 que l'on trouve des références explicites favorisant la sensibilisation
des élèves aux inégalités de genre. Il s'agit maintenant
de savoir si ces instructions auront des retombées visibles dans les
nouveaux manuels d'histoire. Si l'on considère que l'école est
l'instrument de reproduction des classes sociales, et donc de la société
en général, il faudra attendre longtemps avant que les femmes
figurent en bonne place dans les manuels. Ne faudrait-il pas, à l'instar
de ce qui a été fait en politique, user de discrimination positive
et accorder une place plus importante aux femmes dans ces ouvrages? Ce serait
peut-être là un moyen de ralentir chez les enfants l'apparition
de préjugés sexistes et de compenser l'image renvoyée par
la publicité et les médias dont ils sont victimes au quotidien.
En devançant l'évolution des mentalités qui a toujours
été très lente, l'école se trouverait ainsi dans
une position avant-gardiste par rapport aux pratiques de la société.
Mais on ne change pas les mentalités et les attitudes par décret.
Il est essentiel de sensibiliser les parents à l'égalité
de traitement entre garçons et filles par le biais des associations de
parents d'élèves ou de campagnes nationales. Il faut également
sensibiliser les enseignants en créant dans les IUFM des modules obligatoires
concernant le repérage des stéréotypes sexistes dans les
outils pédagogiques, leur attitude en classe à l'égard
des élèves des deux sexes et leurs décisions d'orientation.
Il faut également persuader le ministère de l'Éducation
nationale de prendre des mesures efficaces et de mettre en place un suivi afin
de garantir leur application. Mais, avant tout, il faut réussir à
convaincre les jeunes filles et les femmes de leur potentiel et de leurs possibilités
pour qu'elles retrouvent l'assurance que la société leur a dérobée
dès leur enfance.
|