Il est de plus en plus question, dans les textes de l'Education nationale relatif
à la formation des enseignants, de l'analyse des pratiques.
Ainsi dans le premier degré, le "Référentiel des compétences
professionnelles du Professeur des Ecoles stagiaire en fin de formation initiale"
stipule, entre autres :
"C'est un enjeu fondamental de la formation initiale que de s'attacher
à développer chez tous les futurs enseignants à la fois
les capacités à analyser et à évaluer sa pratique
professionnelle et le goût de poursuivre sa propre formation. Ceci implique
que l'acquisition des compétences professionnelles se fasse selon des
modalités qui permettent au stagiaire de prendre le recul nécessaire
à l'analyse de son activité (analyse de son action, analyse du
public destinataire, analyse du contexte dan lequel se situe l'action). (
)
Il doit avoir été mis en situation d'analyser sa pratique individuellement
et collectivement."
Plus récemment, la circulaire du 27-7-01 sur "L'accompagnement de
l'entrée dans le métier et formation continue" évoque
celle-ci comme une "démarche à privilégier",
"nécessitant une organisation particulière : étalement
dans le temps, groupes restreints et travail de proximité", "faisant
appel à de fortes compétences et ne devant pas être confondue
avec de simples échanges de pratiques".
Dans les textes officiels l'analyse de la ou des pratique(s) apparaît
comme polysémique et polymorphe allant de l'entretien individuel aux
groupes d'analyse et traitant d'objets aussi divers que : une situation didactique
et/ou éducative observée in situ ou vidéoscopée,
l'étude de cas, la gestion d'incidents critiques, le traitement de conflits
(socio)cognitifs, le public destinataire et le contexte dans lequel se situe
l'action, une pratique voire l'activité professionnelle
Nous nous intéresserons ici à l'analyse des pratiques professionnelles
(prises au sens large) en groupes restreints et plus particulièrement
à la formation de formateurs à cette "pratique de l'analyse",
partant du constat que l'écueil majeur rencontré aujourd'hui par
l'institution pour déployer de tels dispositifs est la pénurie
de formateurs ayant les compétences requises. Ainsi nous approcherons
un dispositif de formation de formateurs développé depuis quelques
années dans l'académie de Montpellier sous l'appellation de Groupes
de Formation à l'Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP) et inscrits
dans les plans de formation de niveau départemental ou académique.
Examinons ce dispositif de formation-action inspiré de divers concepts
et approches existants, croisés avec des apports de la Pédagogie
Institutionnelle : les Groupes d'Entraînement à l'Analyse de Situations
Educatives (GEASE), les Groupes Balint enseignants, les Groupes d'Approfondissement
Personnel (GAP), les Groupes de Soutien au Soutien GSAS).
Des fondements théoriques
Ceux qui sous-tendent les GFAPP sont ancrés sur des théories et
des paradigmes complémentaires, à savoir :
- le constructivisme : le sujet construit lui-même son savoir, ses schèmes,
ses réalités à partir d'un "déjà-là"
;
- le socioconstructivisme : le sujet se forme avec et/ou contre les autres ;
- la multiréférentialité : tout acte pédagogique
ou de formation est constitué d'objets (théoriques et pratiques)
pluriels et souvent hétérogènes ;
- l'interactionnisme ou la systémique : les personnes, les choses, les
phénomènes, les groupes interagissent ;
- l'approche compréhensive : si l'on fait référence à
l'épistémologie des méthodes qualitatives , cette approche
se caractérise par la complexité , la recherche de sens et la
prise en considération des intentions, des motivations, des attentes,
des raisonnements, des croyances et des valeurs des acteurs.
- l'analyse de l'activité : distincte, selon l'ergonomie et la psychologie
du travail , de la tâche, l'activité réelle sera abordée,
avec les acteurs, de manière clinique et en tant qu'objet "subjectivé"
intégrant le réalisé et le non réalisé.
Des objectifs :
Les GFAPP dont le principe majeur est celui d'une formation à l'analyse
par l'analyse, ont une double visée avec des objectifs en inter-action
:
Dans un premier temps il s'agira de :
. Permettre de s'entraîner, de se former à l'A.P.P.
. Aider un acteur-professionnel impliqué (l'exposant) à y voir
clair dans une situation évoquée : donner plus d'intelligibilité
à un vécu, le sien, sans pour autant lui apporter des réponses
ni des conseils. De fait le groupe est au service de celui qui (s')expose ;
. Construire des "contre-schèmes de vigilance et d'anticipation"
;
. Permettre à d'autres acteurs non-impliqués (les participants)
:
- d'analyser la situation,
- de mieux appréhender des situations analogues vécues personnellement,
- de se préparer (former) à des situations semblables à
venir.
. Permettre de comprendre par homomorphisme d'autres situations professionnelles
(niveau adultes ou enfants/adolescents)
Dans un deuxième temps il s'agira de permettre à des formateurs
de se former à la mise en uvre et à l'animation de Groupes
d'Analyse de Pratiques Professionnelles (GAPP, sans le F) à destination
d'enseignants débutants ou non dans le métier et ce par l'analyse,
en position "meta", du dispositif et de son fonctionnement. Cette
posture est accompagnée par une démarche de production écrite
de savoirs partagés favorisant une prise de recul complémentaire
ainsi qu'une formalisation de pensées pouvant être mutualisée.
A noter qu'un GFAPP n'est pas un groupe de thérapie basé sur la
dynamique de groupe, encore moins un "groupe psy" ni un groupe de
parole libre ; ce n'est pas non plus un groupe d'échange de pratiques
ni un groupe de résolution de problèmes, ce qui en exclut le jugement
et le conseil donné. A noter également trois conditions nécessaires
au bon fonctionnement d'un tel dispositif : le volontariat, l'assiduité
et la confidentialité.
Une démarche groupale
Mais comment analyser et permettre d'analyser en groupe des pratiques professionnelles
dans le milieu enseignant ? Fort d'expériences diverses, c'est au croisement
de celles-ci que j'ai été amené à développer
des GFAPP dans le cadre institutionnel de l'Education nationale.
J'en présenterai ici le cadre général :
Un GFAPP repose sur :
- Six à huit séances de trois heures chacune dans l'année.
- Chaque séance est cadrée, délimitée par le temps
(minuté), des phases, le contenu (situation professionnelle, éducative
ou de formation) ainsi que des règles de prise de parole et de respect
des participants et du fonctionnement.
- Chaque séance se déroule en six phases successives :
1. le rituel de démarrage : rappel des principes et du fonctionnement
du GFAPP (0-5 minutes) et choix de la situation qui sera exposée ;
2. le temps de l'exposé d'une situation par un exposant volontaire (10-15
minutes).;
3. le temps des questions des participants (15-45 minutes) pour recueillir plus
d'éléments d'information sur la situation ;
4. le temps démission d'hypothèses pour aider à analyser,
tenter de comprendre la situation ou à induire la recherche du modifiable,
toujours sur l'amont de la situation (15-45 minutes) ;
5. la conclusion par l'exposant, s'il le souhaite (0-5 minutes) ;
6. l'analyse du fonctionnement, sans retour sur la situation exposée
(5-30 minutes).
- Une animation-régulation par un animateur compétent et volontaire
(lors des premières séances, le formateur pilote du dispositif).
Des constats
Au terme de sept ans d'expérience dans le premier degré, avec
des GFAPP réunissant, toujours sur la base d'inscriptions volontaires,
soit des groupes uni-catégoriels (des conseillers pédagogiques
de circonscription -CPC-, des enseignants spécialisés -maîtres
"E" et "G"-, des enseigannts en formation CAPSAIS), soit
des groupes pluri-catégoriels (CPC et coordonnateurs REP, CPC, Maîtres
formateurs et Directeurs d'écoles d'application) quelques constats peuvent
être opérés :
- bien qu'ouverte à un large public (d'un ou plusieurs départements)
il y a peu de candidatures à cette formation de type accompagnante ;
- le système institutionnel et/ou administratif ne facilite pas le regroupement
régulier de personnels dispersés sur plusieurs territoires (circonscriptions,
départements) sans parler de la quasi impossibilité de remplacer
des enseignants chargés de classes ;
- le manque de formateurs formés à l'analyse de pratiques en groupe
ne permet pas la multiplication, voire le démarrage de GFAPP ;
- des participants à des GFAPP ont dû faire face à des freins,
parfois à des "remarques" de leurs supérieurs hiérarchiques
ou de pairs : "Vous me direz de quoi vous parlez dans vos groupes",
"Vous n'irez pas à la réunion de votre GFAPP ; vous irez
me remplacer à telle réunion", "C'est une secte",
"Ce sont des gens qui se réunissent pour parloter"
- une inspection académique n'a pas retenu le projet de GFAPP déposé
au plan départemental de formation par des CPC ne voyant pas l'intérêt
d'un tel dispositif ;
+ les participants demandent généralement à pouvoir participer
deux à trois ans à un GFAPP avant de prendre en pleine responsabilité
un groupe de GAPP pour enseignants ;
+ des participants ont initié dans leurs circonscription, quand ils en
ont eu l'accord, des GAPP dont le fonctionnement du dispositif a alimenté
la formation "meta" en GFAPP ;
+ les bilans écrits à l'issue de chaque année font systématiquement
apparaître des constats d'évolutions de l'identité et des
pratiques professionnelles y compris personnelles ;
+ il ne suffit pas d'avoir intégré et d'être en accord avec
les cadres théorique et méthodologique du GFAPP pour que "ça
fonctionne" et une formation de formateurs s'avère nécessaire
autour des compétences et postures indispensables à l'animateur
et aux participants.
Des effets
Partant du postulat que les "protagonistes ne sont pas de simples agents
porteurs de structures, mais des producteurs actifs du social, donc des dépositaires
d'un savoir important qu'il s'agit de saisir de l'intérieur" et
prenant appui sur l'épistémologie des "méthodes qualitatives",
j'ai entrepris une première série d'entrevues semi-dirigées
sur la base de l'entretien compréhensif ainsi qu'un recueil d'informations
par questionnaire ouvert afin d'obtenir puis analyser des données basées
sur le "fait humain" dans la perspective de développer avec
plus d'efficience la formation de formateurs à la pratique de l'analyse
de pratiques en groupes.
De ce premier travail il ressort un certain nombre d'effets produits par la
participation à un GFAPP ; j'en signifierai ici quelques uns :
- le développement de la compétence à écouter l'autre
;
- l'entraînement à la rigueur de penser dans un laps de temps déterminé
pour aller à l'essentiel ;
- la capacité de prendre du recul et de mettre à distance des
situations difficiles voire conflictuelles ;
- le besoin, dans des réunions de travail entre adultes, de mettre en
place un cadre organisationnel et d'expliciter des règles simples notamment
pour la régulation de la parole ;
- le souci d'éviter de donner des conseils mais plutôt de "tenir
conseil" ;
- la volonté d'aider l'autre à analyser sa pratique plutôt
que de l'analyser pour lui ;
- la recherche de compréhension, de prise de conscience multiréférentielles
remplaçant une posture basée sur le principe de la causalité
linéaire ;
- la satisfaction d'être davantage en congruence avec des valeurs humanistes
prenant en compte et respectant l'humain qui habite tout professionnel ;
- accepter de travailler, d'analyser, de penser dans la durée avant de
décider ;
- élaborer des "outils" et une démarche inspirés
du GFAPP dans le cadre des visites formatives effectuées auprès
de stagiaires en formation initiale ;
- adopter le précepte disant "apprends lui à pêcher
plutôt que de lui donner le poisson" ;
- accepter sa "non toute puissance" professionnelle et le doute ;
- éviter les travers de la relation duelle en introduisant du tiers et
du temps ;
- entrer dans une posture de praticien réflexif ;
- et même : "Avec mes propres enfants à la maison, dès
qu'il y a problème j'adopte une posture d'analyse, y compris en utilisant
des éléments de la méthodologie du GFAPP : questions, hypothèses
".
Il ressort également un certain nombre de paramètres qu'il conviendrait
de prendre en compte pour la formation à l'analyse de pratiques dont
:
- L'espace-lieu où se réunit le GFAPP, volontairement et symboliquement
"retiré" et "neutre" ;
- Le cadre de fonctionnement lui aussi à dimension fortement symbolique,
régulateur et régulé, institué et instituant ;
- La méthodologie mise en uvre, évolutive grâce à
la phase "meta" et qui contribue à du professionnalisme dans
ce dispositif particulier de formation ;
- La convivialité organisée avec petites collations à disposition
des participants sachant que le temps d'analyse (d'une heure trente à
deux heures trente) n'est jamais interrompu ;
- La rigueur de l'animation qui garantit sécurité des personnes
et souplesse de fonctionnement ;
- Le rituel de fonctionnement qui facilite la présence intellectuelle
de chacun et rassure quant au déroulement de chaque séance d'analyse
;
- L'objet de l'analyse qui est toujours une situation professionnelle mettant
en jeu (en "je") des professionnels. C'est une situation qui est analysée
et non une personne ;
- Le partage des rôles qui permet à chacun de pouvoir être
au-delà de participant, et à son gré, exposant, animateur,
observateur du dispositif ce qui permet d'aborder l'analyse sous différents
angles ;
- La liberté de chacun de pouvoir ou non prendre la parole pour exposer
un vécu ou pour questionner, émettre des hypothèses ; la
liberté de pouvoir ou non devenir animateur du GFAPP ;
- La neutralité dans les postures et paroles des participants ;
- La mise en écrit de la réflexion individuelle et/ou collective
quant à l'analyse du dispositif ;
- L'approche multiréférentielle qui ouvre toujours à de
nouveaux horizons professionnels ;
- La, les compétence(s) de l'animateur qui ne sont pas uniquement techniques,
mécanistes mais plutôt relevant de l'humain et de ce que Gilles
FERRY nomme "le modèle d'affranchissement"
-
Des perspectives
Si les GFAPP apparaissent comme l'une des réponses aux besoins de formation
de formateurs à l'analyse de pratiques en groupe et à l'accompagnement
des enseignants et personnels de l'éducation, le chantier de cette formation
est grand ouvert et la pierre encore brute. Outre les aspects rapidement évoqués
ici et qui méritent d'être approfondis et mis en relation, d'autres
paramètres pourraient être sujets à réflexivité
(la place de l'affect, le langage non verbal, l'autorisation -de l'animateur,
des participants-, les modalités de choix d'une situation à exposer,
etc.) en essayant "de comprendre la multidimensionnalité, de penser
avec singularité, avec la localité, avec la temporalité,
et de ne jamais oublier les totalités intégratrices" .
Pour ne pas conclure
poser la question peut-être aporétique du déploiement, au
sein d'une institution de fonctionnaires appelés à fonctionner,
d'un dispositif axé sur l'humain voué à agir, d'un dispositif
non réservé à une élite et susceptible d'être
efficient et démultiplié sans une nécessaire expertise
"psy", d'un dispositif où il serait question de "maîtriser
la démaîtrise" et de "naviguer dans un océan d'incertitudes
à travers des archipels de certitudes" .
Mots-clés : analyse de pratiques professionnelles - multiréférentialité
- formation de formateurs
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