La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : LA DIVISION : UN SAVOIR EN VOIE DE DISPARITION ?
Auteurs : GALAS Florence

Texte :
1°) Présentation de notre recherche : Notre interrogation de départ concernait l'objet de savoir " division " qui semblait en voie de disparition (Bulletin Officiel de l'Éducation Nationale n°7 -numéro spécial- du 26 Août 1999) à l'école élémentaire. Notre recherche nous a rapidement conduite vers l'écologie didactique (Y. Chevallard, L. Rajoson, T. Assude, M. Artaud) qui étudie les place et fonction des objets de savoir dans un curriculum, un peu comme celles des êtres vivants dans un écosysytème. Par le passé (d'après notre enquête historique dans les programmes et manuels scolaires, en cours), la division avait une existence tout au long du cursus. Depuis la classe du Cours Préparatoire jusqu'à la classe de Terminale, elle était étudiée et réétudiée de manière explicite. Ce n'est plus aujourd'hui le cas que dans l'option de spécialité de mathématiques de Terminale scientifique (où la division est reprise du point de vue de l'arithmétique théorique), mais la division pourrait aussi être l'occasion de nombreux autres enseignements. En effet, même après les classes où s'enseigne encore officiellement la division actuellement (du CM1 à la 5°), la modélisation sous forme de composition d'applications linéaires (pour les classes de 4° et 3°), puis les suites géométriques (pour les classes de première et terminale) pourraient être de nouvelles occasions de retravailler la division. L'absence de ce travail pèse du coup sur les enseignements possibles. Car nous pensons que si les savoirs mathématiques -notamment concernant les nombres rationnels et décimaux- auxquels la division permet d'accéder, ne sont pas repérés par les enseignants et si ces liens ne leur sont pas connus, les enseignants n'ont pas la possibilité de faire vivre la division, d'en travailler les différents sens. Ainsi, nous avons décidé de réaliser une expérimentation auprès des futurs enseignants d'École, Collège et Lycées qui viennent de recevoir une formation à l'IUFM d'Aix-Marseille.

À cet effet, nous avons créé une " base de problèmes " de division, comprenant (pour l'expérimentation) 100 problèmes, classés en cinq catégories (d'après le modèle didactique proposé par G. Brousseau en 1988 et reposant sur une analyse épistémologique), c'est-à-dire des problèmes les plus simples appartenant à la catégorie des partages, aux plus complexes concernant les compositions d'applications linéaires. Par " problème de division ", nous entendons : un énoncé simple de problème mathématique contenant deux données chiffrées (deux nombres), dont la solution s'obtient en divisant l'un des nombres par l'autre. Le fait est que sur l'ensemble des problèmes de division que nous avons proposés à résoudre à des PE2 (Professeurs des Écoles 2ème année) et PCL2 (Professeurs de Collèges et Lycées 2ème année) de mathématiques de l'IUFM d'Aix-Marseille, la majorité des problèmes n'ont PAS été résolus par une division. (Les problèmes sont souvent mis sous forme algébrique et la réponse est alors parfois laissée sous forme fractionnaire, ce qui ne donne pas toujours une solution satisfaisante pour le problème). Sur 407 problèmes de division, seulement 33 % d'entre eux ont fait apparaître une division (sous quelque forme que ce soit) dans la résolution. Ce taux relativement peu élevé attesterait la disparition annoncée de la division, d'une part. Mais d'autre part, ces problèmes étant classés en cinq catégories, cela met en évidence que les divisions ne subsistent (à plus de 50 %), que dans la première catégorie (celle des partages, qui est aussi la plus simple). En effet, cette catégorie est la seule où les résolutions utilisant une division sont majoritaires : 61 % des problèmes de cette catégorie ont été résolus au moyen d'une des formes de la division. Nos résultats sont évidemment bien trop limités pour nous permettre de généraliser. Mais si l'on tient compte du fait que cette expérimentation a été réalisée auprès de futurs enseignants des décennies à venir, nous pouvons d'ores et déjà émettre l'hypothèse que la division n'aura peut-être pas d'autre condition d'existence que la modélisation et la résolution des problèmes de partages, ce qui est assez peu pour lui envisager un avenir au sein du cursus de l'enseignement mathématique.

Pourquoi cette limitation de l'utilisation de la division aux problèmes de partage est-elle insuffisante pour que la division puisse continuer à exister dans l'institution scolaire ? La raison principale en est simple, la majorité des problèmes de partages repose sur des nombres entiers. Or l'intérêt mathématique du maintien de la division (pendant et après les classes élémentaires et le premier cycle du collège) se situe au-delà de la sphère des nombres entiers. Il repose notamment sur le fait que l'expression des nombres rationnels non décimaux peut s'appuyer sur la division comme outil (et comme révélateur d'après A. Mercier 1988), cet outil permettant d'en obtenir une estimation décimale et permettant surtout, pour les élèves, de prendre en compte les différentes propriétés des nombres selon qu'ils sont entiers, rationnels ou décimaux. Or, c'est bien par le travail de la technique (de division) que l'on peut accéder au sens (de la division) en découvrant de nouveaux nombres. La division est la seule des quatre opérations qui, lorsqu'on l'applique à deux nombres entiers, permet d'obtenir un nombre d'une nouvelle nature (décimal, ou rationnel non décimal). Sinon, si les divisions sont " choisies " (par les professeurs ou par les concepteurs de manuels scolaires) de sorte que le quotient demeure un nombre entier, l'intérêt de la division s'amoindrit, d'autant plus que c'est une opération assez complexe (notamment à cause d'une quatrième donnée à prendre en compte : le reste). (D'ailleurs, si le travail sur la division avec les congruences est repris dans les programmes actuels en option de spécialité de terminale scientifique, on peut y voir la confirmation d'une certaine complexité). Donc, si la division n'est jamais réétudiée par la suite, au-delà des nombres entiers, le coût d'une telle technique pour les seuls nombres entiers est alors trop élevé… La calculette fait très bien l'affaire et elle est alors bien plus rapide et efficace que la potence pour effectuer une division.

Ainsi, l'avantage de la base de problèmes, que nous avons créée, est qu'elle donne la possibilité aux élèves, par le biais du travail de ces problèmes, de s'affronter à un certain nombre de savoirs mathématiques depuis l'école élémentaire et jusqu'au deuxième cycle du collège (classes de 4° et 3°). En effet, les problèmes de cette base utilisent des nombres non pas limités aux entiers (ou aux simples décimaux de rang 2, se ramenant par le jeu des conversions, à des entiers), mais des nombres notamment compris entre 0 et 1, qui, lorsqu'ils sont choisis au diviseur, permettent d'obtenir un quotient supérieur au dividende .


2°) Questions soumises au débat :

D'après le thème 1 (construction des savoirs et rôle des phases orales, d'écriture et de ré-écriture dans les activités scientifiques), nous pourrions prétendre que c'est le travail de la technique par le biais de la base des problèmes de division qui permet, d'après nous, d'accéder au sens (mathématique) de la division. Ainsi, ce thème n'est pas totalement étranger à notre sujet, mais il en est assez éloigné.
Pour le thème 2 (actions et pratiques enseignantes), il nous apparaît donc que l'organisation didactique et l'organisation mathématique (pour reprendre les termes que G. Menotti emprunte à Y. Chevallard) sont tout-à-fait liées. L'organisation didactique dépend du savoir mathématique à acquérir par les élèves, mais ce savoir doit évidemment être connu des enseignants et identifié par eux afin qu'ils puissent en organiser l'étude en classe pour leurs élèves. Comment les enseignants peuvent-il conduire l'enseignement mathématique de savoirs sur les nombres dans le cadre de l'apprentissage de la division si ces enseignants eux-mêmes ne possèdent pas cette clef essentielle de leur enseignement, si leur scolarité ne leur a pas permis de " faire les liens " ? Est-il souhaitable d'envisager un enseignement " pas trop coûteux " pour pallier ce manque, pendant leur temps de formation ? Il faudrait à cet effet, reprendre tout le curriculum.

Retrouve-t-on ce phénomène pour d'autres objets de savoirs dans d'autres disciplines ? Puisque " la formation " est bien le thème de la biennale de 2002, il serait intéressant que nous ayons une partie du débat qui porte là-dessus. En effet, nous pensons comme J. Fontanabona et J.-F. Themines que l'action de l'enseignant doit faire " tenir ensemble " logique des savoirs, logique des apprentissages et logique d'enseignement. C'est pourquoi, nous préférons nous tourner vers le thème 3 proposé par les responsables de cet atelier : Quelles aides la connaissance des représentations, la détermination des obstacles apportent-elles à l'élaboration d'un curriculum ? En quoi ces concepts peuvent-il permettre d'identifier et de changer le rapport aux savoirs des élèves ?

Nous avons, nous aussi, remarqué (comme le précise J-L Roubaud) que ce n'est pas la formation (scientifique ou non) des élèves-professeurs interrogés qui intervient de façon significative dans la capacité à résoudre les problèmes avec ou sans l'aide de la division. Plus les problèmes sont considérés comme difficiles, moins ils sont résolus au moyen d'une division, et surtout, les PCL de mathématiques ont un taux de résolution " DIVISION " systématiquement plus faible que les PE. Le problème se situe avant la formation universitaire. En effet, actuellement, c'est seulement dans l'option de spécialité de mathématiques de Terminale scientifique (donc, pour les élèves qui se destinent plutôt à une carrière mathématique) que sera revisité le concept de division, abordé du point de vue de l'arithmétique théorique. Les autres élèves, dans toute leur scolarité, n'auront pas bénéficié d'autre enseignement à propos de la division, que celui basé majoritairement sur des problèmes de partages avec des nombres entiers ou éventuellement décimaux, qu'ils auront connus à l'école élémentaire et au début du collège, ce qui est terriblement réducteur par rapport à ce que la division peut constituer comme support dans l'enseignement des mathématiques. D'où la deuxième question que nous aimerions poser : quelle est la nature de l'obstacle ici ? N'est-ce pas la méconnaissance à propos du savoir (ici la division) et des liens possibles de ce savoir avec certains objets mathématiques, qui entraînent l'appauvrissement d'un enseignement et donc un apprentissage voué à disparaître ? Ceci ne poserait peut-être pas de problème si ces carences -que la division permettraient de combler- étaient relayées par d'autres objets de savoir… À notre connaissance, cela n'est pas le cas. On pourrait considérer que l'obstacle didactique est ici le " non-enseignement " des savoirs mathématiques liés à la division.


3°) Conclusion et discussion : Reprenons les questions proposées dans le cadre de ce thème : Quelles aides la détermination des obstacles apporte-t-elle à l'élaboration d'un curriculum ? En quoi ces concepts peuvent-il permettre d'identifier et de changer le rapport aux savoirs des élèves ? Pour la première question, il s'agirait évidemment de former les professeurs dans un premier temps, afin qu'ils puissent dans un second temps, organiser l'enseignement en vue de l'apprentissage de leurs élèves. Nous pourrions préciser que notre base de problèmes de division peut peut-être constituer un outil d'aide à l'étude et qu'elle n'est absolument pas limitée en nombre de problèmes. Donc, en ce qui concerne la deuxième question, on pourrait envisager un travail en classe sur la " base de problèmes ". Après un temps d'entraînement en classe, par une co-construction de savoirs, comme le propose P. Terrien (co-construction composée à la fois de l'enseignant et de tous les élèves, à notre sens), le travail de création de problèmes pourrait même peut-être permettre de modifier de façon sensible le rapport des élèves à l'objet de savoir " division " (rapport au savoir pris dans le sens de Y. Chevallard 1989)… Et après avoir pris la précaution de changer celui du professeur évidemment ! Il est effectivement possible de créer toujours de nouveaux problèmes pour enrichir la base, avec pour objectif de les classer (concours de problèmes selon N. & G. Brousseau 1987). Ainsi, avant de pouvoir discuter des obstacles pour les élèves, nous aimerions proposer une discussion sur les obstacles à l'enseignement auprès des professeurs.



4°) Bibliographie :

ARTAUD, M. (1998). Introduction à l'approche écologique du didactique. L'écologie des organisations mathématiques et didactiques, in Bailleul M. et al. (eds.), Actes de la IXème école d'été de didactique des mathématiques, ARDM et Crédit Agricole de Bruz, 101-139.

ASSUDE, T. (1992). Un phénomène d'arrêt de la transposition didactique. Écologie de l'objet "Racine carrée" et analyse du curriculum. Thèse, Université Joseph Fourier - Grenoble I et IREM d'Aix-Marseille.

BROUSSEAU G. & N. (1987). Rationnels et décimaux dans la scolarité obligatoire. Bordeaux, publications de l'IREM.

BROUSSEAU, G. (1988). Représentation et Didactique du Sens de la Division. In Brousseau, G., Hulin, M. & Vergnaud, G. (Eds), Didactique et acquisition des connaissances scientifiques, Actes du colloque de Sèvres, Mai 1987. Grenoble, La Pensée sauvage.

CHEVALLARD, Y. (1989). Le concept de rapport au savoir. Rapport personnel, rapport institutionnel, rapport officiel. Actes du séminaire de didactique des mathématiques et de l'informatique, n° 108 Grenoble, LSD-MAG.

CHEVALLARD, Y. (1998). Introduction à l'approche écologique du didactique. L'écologie des organisations mathématiques et didactiques, in Bailleul M. et al. (eds.), Actes de la IXème école d'été de didactique des mathématiques, ARDM et Crédit Agricole de Bruz, p : 100.

MERCIER, A. (1988). Enseigner les décimaux ? La division comme révélateur des obstacles dans l'enseignement et l'emploi des décimaux. Cours, Actes de l'Université d'été "Didactique et formation des maîtres à l'École élémentaire", Olivet du 2 au 8 juillet, pp 144-163, IREM de Bordeaux.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE (1999). Consultation nationale. Projets de documents d'application des programmes de l'école élémentaire. Bulletin officiel de l'Éducation Nationale, numéro spécial, n°7 du 26 août.

RAJOSON, L. (1988). L'analyse écologique des conditions et des contraintes dans l'étude des phénomènes de transposition didactique : trois études de cas. Thèse, Université d'Aix-Marseille.

Ainsi que certains auteurs de ce groupe n°4 : FONTANABONA Jacky / THEMINES Jean-François - MENOTTI Guilaine - ROUBAUD Jean-Louis - TERRIEN Pascal.


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