1 - Contexte de la recherche :
Elle s'enracine dans le cadre de la formation " sur le terrain ",
celle que vit le PS dans son établissement d'accueil de stage en responsabilité
où il bénéficie de l'accompagnement d'un CP . Cet aspect
de la formation, souvent considéré comme second, équivalent
d'un " bain de pratique ", nous semble au contraire peser d'un poids
considérable dans le parcours du PS et mérite d'être davantage
étudié et questionné.
Une première étape de la recherche (Dugal, 1999) nous a ainsi
conduit à travailler sur la question du conseil, élément
déterminant du processus de professionnalisation du PS (en tant qu'enseignant)
et du CP (en tant que formateur). Nous avons tenté, dans une visée
descriptive et compréhensive, de l'explorer d'un double point de vue
: sa forme (le comment ?) et son contenu (le quoi ?).
Sans entrer dans le détail des résultats de l'étude, en
ce qui concerne la forme, nous avons pu mettre en évidence que les CP
adoptent majoritairement des attitudes d'investigation, d'évaluation
et de décision et plus rarement des attitudes de soutien, d'interprétation
et de compréhension (Porter, 1950), ce qui peut être interprété
comme la marque d'un " habitus " enseignant, conduisant le CP à
opérer une sorte de confusion des fonctions d'enseignant et de conseiller
; en effet, comme le souligne la littérature, le dispositif du tutorat
est problématique (Chaliès et Durand, 2000), les interprétations
du rôle et des compétences des CP sont très diverses .
2 - Fondements de la recherche :
Ce sont davantage les résultats de l'exploration du contenu du conseil
qui sont à l'origine de la poursuite de la recherche. On constate une
prédominance de la catégorie " organisation " qui occupe
la moitié des préoccupations du CP et du PS et du volume dans
les entretiens conseils , alors que les deux autres catégories de l'analyse
" interventions auprès des élèves " et "
contenus enseignés " se partagent la deuxième moitié.
Il semble qu'ainsi, les CP et les PS partagent prioritairement le souci de la
bonne marche de la classe, reléguant contenus enseignés et apprentissages
au second rang : " Pourvu que ça tourne " est l'expression
plusieurs fois employée par un PS qui nous semble bien illustrer ces
constatations (Dugal, 2002).
Ces dernières posent alors la question de l'impact du conseil au plan
didactique et de la place accordée aux contenus enseignés. Il
s'ensuit que le conseil ne peut se réduire à une simple pratique
spontanée et qu'il relève plutôt d'une véritable
formation des CP pour une fonction dont les compétences ne se superposent
pas exactement à celles d'enseignant chevronné. Enfin, il semble
également possible de réinterroger la dichotomie entre les deux
catégories organisation / contenus enseignés, dont le codage a
pu parfois s'avérer délicat, pour essayer de voir si les contenus
enseignés ne sont pas, dans l'enseignement de l'EPS, largement "
encapsulés " dans des aspects apparemment organisationnels (Amade-Escot,
1998). Dans cette perspective, la notion de milieu didactique, qui articule,
selon un regard ternaire, les trois instances du système didactique,
pourrait alors constituer un outil de lecture intéressant pour analyser
les situations d'enseignement-apprentissage et conduire les entretiens conseils.
3 - La recherche collaborative et ses caractéristiques:
3-1- Le dispositif :
Nous avons mis sur pied une ERR (Equipe de Réflexion et de Recherche)
pour une durée de 3 années scolaires (4 journées/an) ,
comprenant 8 CP volontaires (après appel à candidature), 2 formateurs
IUFM et le chercheur. Le programme de chaque rencontre est discuté et
négocié d'une fois sur l'autre, conciliant des entrées
par la pratique et des entrées par la théorie. Ce dispositif est,
au fil du temps, naturellement apparu comme un lieu et un espace de formation
pour les CP.
La première caractéristique du dispositif est de tenter de tenir
une posture en tension entre la recherche et la formation. La recherche collaborative
se positionne (Desgagné, 1998), en effet, à l'interface de la
recherche (posture " à l'extérieur " de l'objet, investigation
de cet objet délimité en vue de production de connaissances) et
de la formation (posture " au dedans " de la pratique professionnelle,
visées d'analyse et d'amélioration de cette pratique). Cette position
vaut parfois quelques critiques à la recherche collaborative, notamment
du point de vue épistémologique de sa validité au regard
des exigences de la recherche scientifique " classique " .
Il semble possible de décrire ce dispositif selon 5 orientations :
- la définition d'un projet collectif ;
- l'insertion du projet dans une démarche de recherche ;
- la création d'un environnement propice aux échanges entre partenaires
;
- l'alternance entre des entrées par la pratique et par la théorie
;
- la valorisation des expertises de chacun quel que soit son statut.
Nous avons également tenté d'opérationnaliser les 3 étapes
constitutives des formes les plus abouties de la recherche collaborative, conçue
dans son ensemble comme une co-construction.
3-2- La co-situation :
Elle correspond d'abord à l'étape initiale de délimitation
et de positionnement de l'objet de la recherche collaborative. Signalons qu'en
ce qui nous concerne, elle a donné lieu à de longues discussions,
pour finalement retenir le thème (un peu large ?) de " l'accompagnement
du PS ", choix défendu dans l'ensemble par les CP, plutôt
que " le conseil et ses aspects didactiques", objet qui semblait au
départ le plus pertinent pour le chercheur, mais considéré
comme un peu restreint par la majorité des CP. Ce débat et cette
négociation nous semble, en tous cas, illustrative de la tension entre
les postures de la recherche et de la formation évoquées ci-dessus.
Cette étape se caractérise également, en plus de la définition
de l'objet, par la formalisation du contrat de recherche dont on peut mentionner
quelques éléments significatifs :
- la reconnaissance des savoirs de chacun qui seront partagés et enrichis
d'apports extérieurs dans un processus collectif de création (Donnay,
Charlier et Dejean, 2002) ;
- la prise en compte pour les CP de la formation et de l'expérience ainsi
acquises qui seront reconnues institutionnellement ;
- la négociation, au cours du temps, du fonctionnement de l'ERR, dont
on ne peut déterminer a priori le déroulement et l'aboutissement,
ce qu'on pourrait résumer par la formule : " management de l'incertitude
".
Enfin, les considérations concernant cette étape donnent l'occasion
de pointer la position particulière et délicate du chercheur,
contraint de gérer en permanence une relation dialectique : à
la fois impliqué comme membre du groupe et en posture d'extériorité
comme membre de la communauté scientifique.
3-3- La co-opération (ou co-construction proprement dite) :
Elle concerne d'abord les activités de l'ERR qui se sont partagées
entre des entrées par la pratique, notamment :
-analyses de séquences vidéo de leçons menées par
un PS et confrontation des points de vue ;
-observation sur le terrain d'une leçon d'un PS avec les outils de l'observation
didactique (Amade-Escot, 1997) suivie de son exploitation ;
-analyses de pratique professionnelle à partir d'une étude de
cas proposée par un des CP autour d'une difficulté ou d'un problème
rencontré par un CP dans son travail d'accompagnement et travaillé
par le groupe ;
et des entrées par la théorie :
-présentation par un des membres du groupe d'un texte ou d'un ouvrage
traitant du thème de l'accompagnement du stagiaire, suivie d'un débat
;
-analyses de verbatim d'entretiens ayant fait l'objet de publications (Durand,
00)
-travail de réflexion sur les notions proposées par les recherches
didactiques : observation didactique, contrat, milieu.
Cette étape, au-delà des activités de l'ERR, est également
celle de la co-construction de savoirs. Un des aspects originaux de ce travail
de recherche collaborative consiste en la proposition de connaissances issues
de la recherche en les positionnant comme telles, sans pour autant leur donner
un statut de " supériorité " qui inviterait à
les appliquer dans la pratique. Cette vision prescriptive naïve irait à
l'encontre de l'association et de la participation active des CP dans les décisions
et les choix à opérer pour la construction progressive, et sans
cesse remise en question, de la formation ; cette position fondamentale de départ
distingue la recherche collaborative d'une approche de type " science appliquée
" ou " modèle de la rationalité technique " (Schön,
1996). Elle se heurte également à un autre postulat de départ
qui considère que les savoirs pratiques ou savoirs d'expérience
des CP relèvent d'une élaboration personnelle intime, et d'ailleurs
pas toujours consciente et peu explicitable. Les propositions de la recherche
ne sont donc pas des produits à transmettre, mais plutôt à
s'approprier par les CP eux-mêmes avec toutes les adaptations souhaitées
en vue d'une incorporation à l'habitus professionnel (Perrenoud, 1998).
A titre d'illustration, la mise au point d'une grille d'observation didactique
commune (pourtant souhaitée dans un premier temps par les CP) s'est vite
avérée impossible, chacun ne pouvant utiliser convenablement qu'un
outil construit, au moins partiellement, par lui-même. Demeurent cependant
des éléments concrets qu'on retrouve dans la totalité des
produits : citons par exemple l'observation de :
-l'adéquation contenus visés / dispositif d'apprentissage mis
en uvre ;
-l'effet produit sur l'activité des élèves par les consignes
de l'enseignant (et surtout les modifications de ces consignes) ;
-le détournement des consignes par les élèves et leur tendance
à tirer les tâches dans un sens moins coûteux en effort d'apprentissage
et/ou plus ludiques ;
-les changements de contenus enseignés au fur et à mesure du déroulement
de la leçon.
Notons aussi la difficulté générée par la notion
de contrat didactique (très largement implicite) qui s'est heurtée
à la vision habituelle de la notion de contrat manipulée par les
CP (des contrats pédagogiques explicites et négociés avec
les élèves) conduisant pour certains à employer le terme
de " rupture didactique " plutôt que celui de rupture de contrat
inapproprié, selon eux, à la réalité habituelle
de leur pratique.
Nous pouvons, au total, considérer qu'au-delà de certaines déformations
ou transpositions des savoirs de la recherche, ce long travail d'appropriation
constitue une co-construction de savoirs didactiques pour la formation qui contribuent
au développement de la professionnalité des CP. Il faut enfin
préciser que la démarche de co-construction a fonctionné
également à partir des savoirs pratiques des CP (souvent implicites,
intuitifs, singuliers, pas toujours verbalisables) en tentant collectivement
de les faire émerger et de les mettre à l'étude (cf. ci-dessus
: les entrées " par la pratique ").
3-4- La co-production :
Cette dernière étape, encore en cours, s'adresse, sous forme de
productions différentes, tant à la communauté de la recherche
(cette communication en est un modeste exemple) qu'à celle de la formation
(sous la forme de propositions de stages de formation des CP toutes disciplines
).
4 - Résultats, hypothèses et perspectives :
Nous pouvons, en l'état actuel de la recherche, les présenter
selon trois directions :
4-1- La formation des CP :
Dans les bilans tirés jusqu'à présent, les CP soulignent
eux-mêmes l'importance d'une formation étalée dans la durée,
permettant des temps de mise à distance de la pratique de CP pour mieux
l'analyser, avec des intervalles entre les rencontres favorisant la maturation
; au total, une formule jugée comme très largement supérieure
aux stages bloqués sur 2 ou 3 jours consécutifs. Ils notent également
que, par une sorte " d'effet retour ", s'interroger sur les pratiques
du PS les conduit à s'interroger sur leur propre pratique d'enseignant
avec un regard renouvelé.
Les perspectives du renouvellement massif du corps enseignants et les conséquences
sur le recrutement de jeunes enseignants créent aujourd'hui les conditions
d'un véritable " défi " de l'accompagnement, ayant pour
corollaire l'importance de la formation des CP et l'intérêt de
la création de réseaux " d'accompagnants potentiels ".
4-2- Le conseil :
Il semble que l'intégration des notions didactiques ci-dessus évoquées
(adaptées, transformées, personnellement reélaborées
) transforme les pratiques de conseil des CP ; on pourrait caractériser
cette évolution comme le passage d'un conseil " spontané
" au conseil " expert " : en effet, ces notions y sont plus ou
moins réinvesties et fonctionnent de manière opérante dans
le conseil. Ce dernier est davantage occupé par les contenus enseignés
et les préoccupations didactiques ; le regard du CP s'est modifié
: l'observation didactique de la pratique du PS induit un changement de point
de vue permettant de dépasser les formes dichotomiques que constituent
les catégories du contenu du conseil (cf. 2 ci-dessus) habituellement
mobilisées. C'est ce que montre, par exemple, la comparaison entre les
propositions de conseil envisagées (par écrit) par les CP à
l'issue de la vision de la même séance filmée d'un PS au
début de l'ERR (journée 1) et vers la fin (journée 10,
2 ans après).
4-3- Les aspects didactiques :
Ils prolongent les constats envisagés pour le conseil, notamment l'importance
accrue des aspects didactiques dans le conseil (une modification de l'équilibre
initial des catégories organisation / contenus enseignés) et ainsi,
la contribution positive du conseil au développement des compétences
didactiques des PS. Ces aspects didactiques seront complémentairement
éclairées par le deuxième volet de notre recherche, étroitement
articulé à la présente recherche collaborative : il s'agit,
en effet, d'effectuer " un pas de côté " pour observer,
à partir d'une étude de cas, les effets de la recherche collaborative
sur les pratiques réelles des CP. Ce deuxième volet tente, en
particulier, de regarder comment la notion de milieu (Brousseau, 1988 et Amade-Escot,
2000) qui permet, selon une vision ternaire, l'intégration des trois
catégories du conseil peut devenir un outil pertinent de lecture des
situations d'enseignement-apprentissage et de conduite des entretiens-conseils.
Il nous semble en tous cas possible d'étudier l'entretien conseil comme
une interaction didactique particulière fonctionnant dans une institution
didactique : le tutorat, milieu pour la formation.
5-Conclusion :
La nature et de la fonction de la recherche collaborative nous paraissent constituer
une perspective originale d'exploration d'un objet problématique qui
se situe, comme le conseil, à l'articulation de la recherche et de la
formation. Dans notre cadre, en effet, le travail mené en recherche collaborative
représente une véritable formation des CP tout en offrant suffisamment
de pistes de recherche d'observation sur les effets qu'elle peut produire.
6- Bibliographie sommaire :
Altet, M. (1994) La formation professionnelle des enseignants, PUF, Paris.
Amade-Escot, C. (1997) Observation des situations didactiques et pratique réflexive
en formation initiale, Recherche et Formation n° 25, INRP, Paris.
Amade-Escot, C. (1998) L'enseignant d'EPS dans les interactions didactiques,
Note de synthèse pour HDR, Lemme, Univ. Toulouse III.
Amade-Escot, C. (2000) Milieu, dévolution, contrat. Colloque G.Brousseau,
Bordeaux.
Bardin, L. (1993) L'analyse de contenu, PUF, Paris.
Brousseau, G. (1988) Le contrat didactique, le milieu, RDM vol.9, 3, Grenoble.
Bru,M. (1993) L'enseignant organisateur des conditions d'apprentissage in La
pédagogie, une encyclopédie pour aujourd'hui, J. Houssaye, ESF,
Paris.
Chaliès, S. et Durand, M. (2000) L'utilisation discutée du tutorat
en formation initiale des enseignants, Recherche et Formation n° 35, INRP,
Paris.
Desgagné, S. (1998) La position du chercheur en recherche collaborative,
Recherches qualitatives, vol 18.
Donnay, J., Charlier, E. et Dejean K. (2002) Quelques spécificités
d'une recherche au service des pratiques éducatives, Revue Française
de Pédagogie, n° 138, INRP, Paris.
Dugal, J.P. (1999) Le contenu et la forme du conseil dans la relation conseiller
pédagogique-professeur stagiaire, mémoire de DEA, Université
Toulouse II Le Mirail.
Dugal, J.P. (2002) Forme et contenu du conseil dans la relation conseiller pédagogique-professeur
stagiaire, Communication colloque Formation des enseignants et professionnalité.
IUFM, Bordeaux.
Durand, M. (2000) La formation initiale des enseignants d'EPS. Actes du colloque
SNEP : Quelle activité professionnelle pour la réussite de tous
? Orsay.
Perrenoud, P. (1998) Le travail de l'habitus dans la formation des enseignants
: analyse de pratiques et prise de conscience in Paquay, L., Altet, M., Charlier,
E. et Perrenoud, P. Former des enseignants professionnels : quelles stratégies
? quelles compétences ? De Boeck. Bruxelles-Paris.
Porter, E. (1950) An introduction to therapeutic counseling, Houghton Miflin,
Boston.
Postic, M. (1981) Observation et formation des enseignants, PUF, Paris.
Schön, D.A. (1996) A la recherche d'une nouvelle épistémologie
de la pratique et de ce qu'elle implique pour l'éducation des adultes
in Barbier, J.M. (dir) Savoirs théoriques et savoirs d'action. PUF. Paris.
Mots-clés : Conseil - Formation professionnelle - Recherche
collaborative - Didactique.
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