La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Citoyenneté, valeurs et violence. Ethique et médiation : sont-elles au coeur des problématiques d'éducation ?


Titre : Désir d'emprise et éthique du formateur en travail social
Auteurs : VALLET Patricia

Texte :
Ma contribution est centrée sur le désir d'emprise du pédagogue, s'appuie sur une recherche de terrain (que je ne pourrai pas développer ici) et vise alors à proposer quelques pistes pour une éthique conçue autour de la capacité à consentir aux apories inhérentes à cette fonction ;
L'hypothèse d'un désir d'emprise au cœur de toute relation pédagogique rejoint la problématique de la violence si on le définit comme « une tendance très fondamentale à la neutralisation du désir d'autrui »(R.Dorey) ;cet auteur distingue 2 versants et 2 formes de manifestations de ce désir d'emprise :
«L'emprise obsessionnelle » qui vise à annuler l'autre en tant que sujet, le traiter comme une chose contrôlable, le figer dans une position de servitude et l'écraser ; les manifestations concrètes s'observeront du côté de la puissance affirmée du savoir, de la collusion entre avoir, savoir et pouvoir, à travers des discours qui exaltent l'exigence, le courage, la hauteur de vue et qui peuvent devenir cassants, écrasants, méprisants...ils visent à faire changer l'autre impérativement, brutalement, et privilégient l'excellence...

« L'emprise perverse » est une forme de violence plus subtile qui prend la forme de la séduction, cherche à conduire l''autre là où il n'a pas envie d'aller, le fascine et le capture par cette action de détournement qui entretient la confusion et refuse le conflit . Les manifestations observables peuvent prendre la forme de discours bienveillants où le pédagogue est situé comme modèle à imiter, où l'on prône le groupe fraternel et les projets généreux mais où les « bonnes intentions » visent au fond à « faire entendre, faire passer »...

Ces deux formes du désir d'emprise (excusez les caricatures mais en 3 pages...) sont fondées sur le déni de l'altérité de l'être en formation, et il s'agira dans notre deuxième partie concernant l'éthique, de passer « de l'emprise à la maîtrise » si l'on considère cette dernière comme la possibilité de la reconnaissance et de l'acceptation de cette « inquiétante étrangeté » fondamentale de l'autre ;

L'éthique que je propose consiste essentiellement à conjuguer les apories (de a-poros : non poreux, c'est à dire tenir ensemble deux voies apparemment contradictoires) et s'inscrit délibérément sous la bannière des paradoxes ;Cette voie ouverte par J.B Paturet insiste sur la visée précaire, fragile, et à reconstruire constamment pour consentir aux grands écarts entre :
Visée adaptative, « normalisation », et autonomisation, prise en compte de la singularité de chaque être en formation,
Identité sociale, et ipséïté radicale,
Prise en compte de la Morale, si on la conçoit sur le versant des prescriptions, des règles à adopter,   dans une visée de conformisation à des modèles prédéterminés ( et la dimension d'enseignement comme transmission de savoirs ou de savoir-faire professionnels peut être entendue en ce sens) et ouverture vers l'Ethique, qui entraîne vers la différence, l'ad-venir, la prise de risque et l'indétermination, échappe à l'empreinte des paradigmes de références et vise le surgissement d'un sujet singulier.
Tension entre objectivité, rigueur scientifique, neutralité, abstraction exigeante, et prise en compte de la subjectivité (objectiver sa subjectivité !), consentement à l'expérience sensible .
  Si la faculté d'ignorer permet de tenir sa finitude, il s'agirait aussi de conjuguer là encore savoir et ignorance, ou mieux, de tenir une docte ignorance!
Dans le travail collectif, on tenterait d'articuler « groupe de travail » et « groupe de base » (Bion), c'est-à-dire de tenir des objectifs fixés dans la réalité, sans dénier les phénomènes inconscients qui traversent la dynamique des groupes.
Si la personne (persona : le masque !) reste la base de nos communications, il paraît important aussi de s'ouvrir au sujet inconscient, sans concevoir non plus la psychanalyse comme une voie d'explication « passe-partout » ou d'interprétation abusive...

Ce travail d'équilibriste m'amène à une dernière ouverture pour conclure, dans la voie de ce que proposait E.Enriquez, qui dans l'homo sapiens réintroduit « l'homo demens, ludens, aestheticus et viator ! »
Je me demande donc si l'on pourrait ouvrir, au delà d'une éthique, une esthétique pédagogique, et je m'inscris dans la lignée de ceux qui pensent les Sciences de l'Education du côté des « arts de l'éducation et de la formation. »
Il s'agirait alors de tresser l'éthique de l'aporie avec l' esthétique du « Non Finito », considérant que les figures de l'emprise ne sont jamais fixées une fois pour toutes, l'éventualité restant ouverte à l'aléa, à l'événement, à la création continuée, toujours « en partance » (G.Ferry)
Conjuguer structurel et conjoncturel, avènementiel et évenementiel, développer des pratiques en évitant les discours déjà organisés et normés dans une démarche de totalisation, laisser place aux interstices, travailler aux bordures, dans les marges et dans les plis....voilà notre projet !
En dernière analyse, il n'y a pas de voie unique à tracer, et comme l'éthique des troubadours qui situe la femme comme impossessible au savoir et au discours, notre propos tente et contourne les bords de l'impossible à dire et à faire !
L'été dernier au « banquet du livre » à Lagrasse, Milner reprenant l'allégorie de la caverne de Platon, disait que finalement, le sructuralisme modifie radicalement l'épistémè classique en situant qu'il est impossible de sortir de la caverne........car il n'y a pas d'extérieur !
Ainsi la relation que nous entretenons avec le sujet en formation le ramène à ce point à partir duquel quelque chose d'une « sculpture de soi » peut s'ébaucher. Elle ne le désespère pas, elle ne le façonne pas ; elle transmet seulement que « le pire n'est pas certain », que nous ne sommes garantis en rien mais que nous ne sommes pas condamnés pour autant... »Le tragique est un tonique » disait Nietzsche. Mon tragique à moi, c'est çà !et c'est une position artistique que cette attitude fondamentale, cette adhésion lucide comme liberté possible, cette antériorité phatique à laquelle se confondre pour s'en libérer...
Je laisse pour finir mes pas dans l'empreinte du poète : :
« l'esprit congédierait tout désir de certitude, exercé qu'il serait à se tenir en équilibre sur des possibilités légères comme sur des cordes, et même à danser de surcroît au bord des abîmes. »(Nietzsche.le gai savoir)
P.VALLET

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