La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Les interventions sociales et les familles : injonction ou implication ?


Titre : Partenariat école-famille et prévention des retards scolaires
Auteurs : BOUDREAULT Paul / CADIEUX Alain

Texte :
Longtemps, l'implication des parents à l'école s'est limitée à un rôle passif.  D'une part, ils attendaient que l'enseignante les interpelle pour les informer du fonctionnement de leur enfant en classe et d'autre part, les intervenants scolaires, incluant les professionnels et les directeurs ou directrices, avaient tendance à considérer les parents comme des intrus qui s'immisçaient dans leurs interventions éducatives.
Or, cette situation s'avérait particulièrement déplorable lorsqu'il s'agissait d'un élève en difficulté, parce qu'il devenait rapidement trop tard pour agir dans une optique préventive, considérant que les parents étaient informés des difficultés scolaires de leur enfant au moment où l'échec semblait déjà évident.  Parfois même, ce sont les parents qui devaient faire les premiers pas vers l'école, en s'apercevant que leur enfant perdait le goût d'aller à l'école et n'en parlait plus avec le même enthousiasme.
En somme, il n'y avait pas de lien de confiance entre les parents et les personnels de l'école, encore moins d'esprit de partenariat autour de l'enfant.  L'une et l'autre parties demeurant campées dans leurs rôles traditionnels, l'enfant n'était pas au cœur de leurs préoccupations, malgré les apparences, car les parents laissaient aux intervenants du milieu scolaire toute la responsabilité des apprentissages de la lecture, de l'écriture et des mathématiques, en tant qu'experts de ce domaine de l'éducation.
Confiance aveugle du côté des parents ou désir de conserver le contrôle du côté des enseignants, peu importe, l'enfant ne pouvait bénéficier des compétences complémentaires des uns et des autres pour cheminer dans ses apprentissages scolaires.  On observe dans un tel contexte, non seulement que les compétences des parents ne sont pas reconnues par les personnels de l'école, mais aussi que les parents eux-mêmes ressentent un sentiment d'incompétence parce que leur contribution n'est pas sollicitée.  Pourtant, ils ont des compétences et des savoirs à partager qu'il serait pertinent d'utiliser aussi bien pour mieux comprendre les besoins particuliers de l'enfant que pour intervenir à la maison d'une manière complémentaire à ce qui se fait à l'école.
Heureusement, cette tendance commence à changer quelque peu au Québec comme le démontrent certaines études menées, depuis 1996, par l'équipe Girafe dirigée par Jean-Marie Bouchard (Boudreault, Kalubi, Moreau 2001).  Déjà un certain nombre d'expériences d'une implication des parents tout au long du cheminement scolaire de l'enfant, à partir de l'évaluation de ses habiletés au moment de l'entrée scolaire, soutiennent l'importance de maintenir un véritable partenariat école-famille par l'établissement de relations de confiance et d'entraide qui favorisent le meilleur épanouissement de l'enfant. (Kalubi, Boudreault, Beaupré, Plante, 2000) 
Les concepts-clés d'un tel partenariat sont l'appropriation et l'autodétermination.  Le premier concept réfère au fait d'intégrer certains outils et moyens qui vont amener les parents à devenir de plus en plus compétents pour discuter d'égal à égal avec les professionnels des milieux scolaires, alors que le second concerne davantage les actions que doivent mener les parents pour faire valoir leur expertise dans la recherche de stratégies d'intervention, conjointement avec les personnels de l'école, pour venir en aide à leur enfant qui présente des difficultés.  L'appropriation de nouvelles connaissances par les parents contribue à leur redonner confiance en leurs capacités de soutenir leur enfant dans ses apprentissages, surtout dans un contexte de pénurie de ressources en intervention directe avec les élèves à l'école.
Parallèlement à cette appropriation des savoirs et des savoir-faire des parents, doivent aussi se développer chez les personnels de l'école de nouvelles façons de percevoir leur implication dans le suivi scolaire de leur enfant.  Il faut bien entendu de la part des enseignantes de l'école une certaine abnégation pour accepter de partager ses savoirs professionnels et reconnaître la complémentarité essentielle des savoirs des parents.  Depuis 1996, plusieurs expériences visant l'appropriation de nouvelles compétences chez les parents d'élèves en difficulté ont permis de réaliser que les enseignants comme les parents manifestent une grande ouverture d'esprit pour un meilleur partage de leurs savoirs.  Des forums conjoints sur le partenariat, impliquant des parents, des enseignants et des intervenants de centres de réadaptation, qui visaient le même objectif de la réussite scolaire des enfants, ont fait ressortir un bon consensus autour de l'importance de développer et d'entretenir un partenariat solide.  
C'est ainsi que dans le cadre de deux recherches exploratoires d'envergure (Boudreault, Kalubi, Beaupré, Bouchard, Sorel, 1998, et Sorel, Kalubi, Bouchard, 2000), les principes du partenariat réussi (Bouchard, Pelchat, Boudreault, 1999), ont été appliqués avant même l'entrée scolaire, alors que des parents ont été habilités à évaluer les forces et les faiblesses de leur enfant.  L'initiation des parents à l'observation systématique de leur enfant a été faite avec l'outil d'évaluation BRIGANCE qui mesure des habiletés sociales, motrices, langagières, préscolaires et scolaires des enfants entre 0 et 7 ans.  Les expériences ont été à la fois concluantes dans l'atteinte de l'objectif d'une collaboration témoignant d'un véritable partenariat et révélatrices dans la richesse des témoignages de satisfaction chez les participants.  Il y a lieu de relever aussi le fort degré de concordance entre les mesures prises par les parents et celles prises par les professionnels; les parents ayant même tendance à afficher une plus grande sévérité dans les conditions de réalisation des tâches.  Somme toute, lorsque les parents sont directement impliqués dès le début du processus, à partir de l'évaluation des compétences de leur enfant, ils se sentent davantage concernés par les suites à donner et ils participent avec une plus grande motivation à l'élaboration des plans d'intervention qui en découlent.
Cette pratique expérimentée dans certains centres de réadaptation en déficience physique du Québec a suscité un grand intérêt chez les parents d'abord, puis de plus en plus chez les intervenants.  Implanter de telles façons de faire dans les milieux scolaires ne semble pas aussi facile, pour plusieurs raisons.  Pour n'en citer que trois, le nombre d'élèves, le milieu d'intervention, la tradition, disons que le principal obstacle est lié à la tâche même de l'enseignant ou de l'enseignante qui, dans sa classe, doit intervenir avec plus d'une vingtaine d'élèves en même temps, rendant difficile un travail de collaboration étroit avec des parents, sinon, en dehors des heures de classe.  Ensuite, il faut considérer le milieu physique d'intervention; alors que l'ergothérapeute, le psychologue ou un autre professionnel oeuvrant dans un centre de réadaptation peut profiter d'un environnement propice au partage de compétences dans son bureau ou dans une salle de thérapie munie d'un miroir unidirectionnel, l'enseignante dans sa salle de classe étant par ailleurs très souvent confrontée à un manque d'espace.  Il lui est parfois même impossible de trouver un coin tranquille pour pouvoir téléphoner à un parent à la fin des classes.  Enfin, il importe de souligner aussi un aspect historique et peut-être même culturel qui fait en sorte que les parents d'un enfant en difficulté d'apprentissage scolaire est souvent stupéfait d'apprendre que son enfant n'arrive pas à lire et à écrire comme les autres de son groupe d'âges.
Contrairement aux parents rejoints par les centres de réadaptation qui ont un enfant vivant avec des incapacités physiques, sensorielles ou intellectuelles, les parents dont l'enfant requiert des services en orthopédagogie à l'école n'appréhendaient pas l'entrée scolaire alors que ce dernier avait trois, quatre ou cinq ans, présumant que tous les enfants apprennent facilement à lire et à écrire.  C'est d'ailleurs ce qui ressort habituellement des premiers commentaires à la suite de l'annonce par l'orthopédagogue de la nécessité d'entreprendre une forme ou l'autre de soutien pédagogique ou bien encore une rééducation.  Voilà pourquoi ils ne voient pas tellement l'importance de s'impliquer activement dans le suivi scolaire.
Pourtant, il serait utile de le faire, car dans une recherche menée depuis plusieurs années, nous avons fait la démonstration qu'il est possible d'effectuer un dépistage préventif avec l'identification précoce des élèves à risque de présenter des difficultés scolaires dès la première année.  En effet, une étude longitudinale sur cinq ans a démontré qu'une évaluation des habiletés préalables à l'apprentissage réalisée au préscolaire cinq ans, permet de prédire avec des valeurs significatives, le rendement des élèves lorsqu'ils atteindront la quatrième année (Boudreault, Cadieux, Laberge, Rodrigue, 1996; Cadieux, Boudreault, Laberge 1997).
Inspirés à la fois par ces résultats éloquents et aussi par une meilleure ouverture des enseignantes et des parents au partenariat, nous avons raffiné nos outils de collecte de données en impliquant ces partenaires dans des rôles actifs.  C'est ainsi que les enseignantes ont été appelées à compléter un questionnaire visant à résumer les observations réalisées en classe relativement aux attitudes des élèves devant une difficulté alors que l'implication des parents a surtout consisté à appliquer à la maison les stratégies d'intervention lors de la phase de soutien aux apprentissages, afin de mieux préparer leur enfant à l'entrée scolaire.  Il importe de mentionner que les enseignantes ont été consultées lors de l'élaboration du questionnaire, notamment dans le but d'isoler les aspects susceptibles d'être observés en classe, sans alourdir leurs tâches.  En réalité, elles ont aidé les chercheurs à organiser les questions de façon à compléter les informations qu'un test collectif ne peut mesurer, comme par exemple : la concentration à la tâche, les relations avec les pairs, la qualité de la communication orale, l'estime de soi, etc.  Mises ensemble, toutes ces informations constituent un portrait global de chacun des élèves en lien avec les habiletés requises pour réussir à apprendre à lire et à écrire selon le modèle théorique de Thériault (1988).  Cette orthopédagogue, à la fois praticienne et chercheure, a isolé un certain nombre d'habiletés que tout élève doit maîtriser au moment de commencer sa première année.  Ainsi, pour les élèves les plus susceptibles de présenter des difficultés d'apprentissage dès leur entrée à l'école, la recherche comporte une phase de soutien aux parents et aux élèves, dans le but de favoriser l'acquisition de ces habiletés.
En fait, c'est la recherche qui jette les bases du partenariat avec les familles, en proposant aux parents de travailler conjointement avec des assistantes de recherche, à faire acquérir aux enfants les habiletés de base pour réussir en première année en appliquant les plans d'intervention préparés à partir des principales lacunes de l'enfant selon son profil de maîtrise des habiletés préalables.  Par exemple, un élève qui obtiendrait un 5 e  centile dans les épreuves de latéralité et un autre centile faible dans les épreuves d'orientation spatiale, retrouverait dans son plan d'intervention, des exercices visant le développement de ces habiletés.  Dans ce contexte, le partenariat se dessine par une collaboration de l'équipe de recherche et des enseignantes de l'école pour préparer les plans d'intervention, puis par un soutien aux parents pour qu'ils s'approprient les stratégies visant à faire apprendre l'enfant.  Dans certains cas, le rôle de l'assistante de recherche se limite à des vérifications périodiques de l'évolution des progrès, alors que d'autres parents préfèrent que son implication soit plus soutenue.  Il n'est pas possible alors de parler d'appropriation ou d'autodétermination.
Pour s'autodéterminer, les parents doivent d'abord être conscientisés aux possibilités de faire un dépistage avant l'entrée scolaire et aux risques de difficultés d'apprentissage chez leur enfant à la suite d'une évaluation rigoureuse; puis, d'accepter de suivre les recommandations pour une rééducation avant l'entrée scolaire et de s'impliquer dans le suivi.  La majorité des parents ont les compétences pour s'approprier les savoirs et agir avec une certaine autonomie par la suite.  Même si certains décrochent avant la fin de la démarche complète, il demeure que plusieurs élèves se sont présentés en première année beaucoup mieux préparés, grâce à ce partenariat école-famille stimulé par la recherche.



RÉFÉRENCES :

Bouchard, J.-M., Pelchat, D., Boudreault, P.Partenariat entre les familles et les intervenants : contexte théorique?  Dans M. Mercier, S. Ionescu, R. Salbreux (Eds.), Approches interculturelles en déficience mentale. L'Afrique - L'Europe - Le Québec (pp. 195-207). Belgique : Presses Universitaires de Namur.
Bouchard, J-M., Boudreault, P., Talbot, L.,  Pelchat, D.Les parents et les intervenants : où en sont leurs relations. Apprentissage et Socialisation, 17(3), 41-47.
BOUDREAULT, P., KALUBI, J-C., MOREAU, A. (2001). Compétences des parents et évaluation du développement de l'enfant : de l'appropriation à l'autodétermination.  Les Cahiers de l'Actif, vol. 228-291, pp.165-178.
Boudreault, P., Kalubi, J-C., Sorel, L., Beaupré, P., Bouchard, J-M. (1998). Recherches sur l'appropriation des savoirs et des savoirs-faire entre parents et intervenants. Dans L.S. Éthier, J. Alary, Comprendre la famille (pp. 316-330). Trois-Rivières : Presses de l'Université du Québec.
Boudreault, P., Cadieux, A., Laberge, J.,  Rodrigue, A.Enfants de maternelle à risque de difficulté d'apprentissage : un outil de dépistage. Apprentissage et Socialisation, 17(1-2), 127-131.
CADIEUX, A., BOUDREAULT, P., LABERGE, J., (1997).   The Otis-Lennon School Ability Test as a predictor of grade repetition and academic performance.  Psychological Reports, 81, 223-226.
Kalubi, J-C., Boudreault, P., Beaupré, P., Plante, M.La collaboration parent-enseignant et son impact sur la gestion de la classe.  Dans R. Palascio, N. Beaudry, L'école alternative et la réforme de l'éducation : continuité ou changement ? (pp.69-82). Sainte-Foy : Presses de l'Université du Québec.
Kalubi, J.-C., Bouchard, J.-M., et Beckman, P. (2001). Regards sur les difficultés de communication entre parents et intervenants. Dans J.-C. Kalubi, J.-M. Bouchard, J.-P. Pourtois, D. Pelchat (Eds.), Partenariat, coopération et appropriation des savoirs (pp. 151-164). Sherbrooke : Éditions du CRP
Sorel, L., Bouchard, J.-M., Kalubi, J.-C.Évaluation des (in)capacités de l'enfant à besoins spéciaux. Dans J.-P. Pourtois et H. Desmets (Eds.), Le parent éducateur (pp. 209-241). PUF
THÉRIAULT, D. (1988).  Le mal des mots.  Québec : Éditions de l'Homme, 233 pages.


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