La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Nouvelles compétences et nouveaux apprentissages ? dont le sous-groupe 'philo'


Titre : La mise en place d'un milieu pour l'étude du badminton par des élèves de CP
Auteurs : ROUSTAN Christiane

Texte :


Cette contribution vise à montrer comment le concept de " milieu pour l'étude " favorise la compréhension et l'organisation de l'enseignement-apprentissage d'une activité physique et sportive, qualifiée de complexe en EPS, le badminton, pour et par des élèves de CP.
Si la gestion pédagogique consiste à délimiter les "ignorances" jugées nécessaires à combler par les élèves, les façons de les construire ou de les gérer sont différentes selon la discipline considérée.
Le cadre théorique repose sur le concept de " milieu pour l'étude " défini par S. Johsua (Johsua Félix, 2001) comme " l'environnement d'un sous système didactique (maître ou élève), dans lequel il s'agit d'y compter au moins les objets présents (…les objets matériels-physiques, ou sociaux, ou des objets de savoirs…) et le rapport aux objets (ainsi que l'organisation de ces rapports)…les éléments pérennes du contrat en font évidemment partie ".
Le milieu est " un milieu à trous " pour l'élève, dans lequel il manque certains objets et certains rapports à ces objets. Ces " trous " correspondent aux ignorances sur lesquelles le maître veut faire travailler ses élèves.
Ainsi, le milieu n'est pas " un donné, mais un construit " car il dépend des élèves et de leur relation aux savoirs.
Enfin, " le milieu ainsi conçu peut-être imaginé sous la forme d'un enclos ". Il comporte à l'intérieur l'ensemble des objets et rapports aux objets que le maître a jugé nécessaire d'y introduire pour développer les apprentissages souhaités. Mais ses " frontières sont poreuses " et renégociables en permanence.
Au regard d'une telle définition, nous nous sommes poser la question des caractéristiques d'un milieu pour l'étude qui nous concerne, et les rapports au milieu que construisent les élèves, lorsqu'ils sont confrontés à une situation adidactique.

1. Nature d'un milieu pour l'étude du badminton, au CP
La nature du milieu pour l'étude dépend de trois logiques : celle de l'APS badminton (en référence à sa pratique sociale), celle de l'élève de CP (ses ressources lui permettent-elles d'apprendre à jouer au badminton?), celle des exigences institutionnelles figurant dans les programmes scolaires.
. La logique de l'APS badminton nous renvoie à une analyse préalable des savoirs experts.
Le badminton est défini comme une pratique sportive d'opposition duelle où il s'agit de gérer un rapport de forces en sa faveur. La gestion du duel s'inscrit généralement dans une pression temporelle forte au cours de laquelle se combinent deux intentionnalités simultanées: défendre son camp et attaquer la cible adverse. L'impact donné au volant par la raquette traduit, selon le niveau de jeu, la maîtrise relative de cette double nécessité.
Savoir s'opposer suppose de décider et d'agir dans un contexte porteur de potentialités contradictoires (continuité ou rupture, risque ou sécurité…)
Les enjeux didactiques gravitent dans les choix opérés par l'enseignant devant conserver l'interdépendance fonctionnelle des éléments de la complexité du duel et organiser les situations didactiques selon un niveau de difficultés compatibles avec les ressources frustes des élèves de CP. Conserver la logique du badminton dans la mise en place d'un milieu pour l'étude nous questionne sur la démarche de transposition didactique qui préserve le sens profond du jeu.
. La logique de l'élève de CP soulève la question de l'aptitude d'enfant de cet âge à entrer dans des activités complexes d'un point de vue psycho-moteur.
Des résultats de recherche montrent qu'à 6-7 ans, l'organisation de la motricité de base est achevée même si les habiletés motrices continuent à se développer jusqu'à l'âge adulte (Durand, 1987).
La spécificité de ce travail est de montrer qu'un enseignement qui n'existe pas est possible, à certaines conditions, que le seul facteur maturationnel ne peut à lui seul justifier de l'entrée ou non dans ce type d' activité.
Le pari est de vérifier que le rôle stimulant du milieu pour l'étude dépend de conditions maintenant l'unité dynamique du système. Il permettra alors des transformations dans le sens du progrès souhaité.
. La logique de l'EPS au cycle 2 nous renvoie à l'étude des programmes scolaires. Ceux de 1995 et ceux entrant en vigueur à la rentrée scolaire 2002 (pour certaines classes), font apparaître que les APSA constituent un objet de découverte préconisé dès la maternelle et au cycle 2. Elles apparaissent de manière plus explicite, au cycle 3, mais le badminton se fond dans le vocable plus global de "jeux de raquettes", dans les textes. Les apprentissages visés conduisent, entre autre, au développement de la compétence spécifique: " s'opposer individuellement " (Les nouveaux programmes 2002).

2. Construction d'un milieu pour l'étude
La détermination des choix d'enseignement repose sur des orientations générales, globales, macro-didactiques.
Ces choix se présentent en cascade: des caractéristiques du milieu les plus objectives et indépendantes de l'élève à celles qui le concernent personnellement.
L'interaction visée entre milieu et apprentissage nécessite d'analyser, a priori et successivement:
. les exigences imposées par le jeu badminton.
Elles supposent pour le joueur de répondre à trois contraintes:
- mettre en relation la frappe de mise en jeu du volant et l'espace visé et occupé par un adversaire.
- mettre en relation la frappe de renvoi du volant et les conditions de la rupture de l'échange ou de sa continuité.
- mettre en relation les contraintes relatives aux règles du jeu et ses propres ressources.
. les problèmes auxquels l'élève sera soumis et qu'il devra nécessairement résoudre pour apprendre.
L'approche des problèmes, liée à la dialectique contraintes du jeu et ressources de l'élève, implique d'analyser comment l'élève devra s'y prendre pour répondre aux exigences du jeu.
. les réponses attendues dans cette activité de résolution qui constitue une adaptation pertinente au milieu, et significative de progrès. Cela suppose de l'élève qu'il construise de nouvelles actions pour apprendre grâce à l'acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire relatifs aux exigences du milieu, afin d'être efficace dans les duels.
Mais cette trame macro-didactique, représente le cadre directeur dans lequel vont s'inscrire d'autres choix, plus locaux, ou micro-didactiques.
Les options prises à ce niveau, permettent d'entrer plus concrètement dans la mise en place de l'enseignement. Elles questionnent, notamment, l'élaboration des situations de pratique scolaire du badminton, en référence à sa pratique sociale. Ce sont, ce que nous appelons habituellement en EPS, " les situations de pratique ".
Quelles en seront les caractéristiques ? Et comment le maître en fera-t-il la dévolution ?
Nous avons retenu du badminton, qu'il est une pratique d'opposition inter-individuelle, où les joueurs inter-agissent pour se dominer par l'intermédiaire d'un volant manipulé à l'aide d'une raquette et selon des règles définies à l'avance.
Le match, constitue la forme de pratique qui oblige les joueurs à mettre en relation un ensemble d'objets (raquette, volant, espace de jeu, filet, adversaire, son propre corps, règles et objets de savoir) dans une perspective de domination.
Pour que la situation de pratique puisse se dérouler et provoquer l'adaptation progressive des élèves, certaines exigences relatives aux règles remaniées (contraintes surmontables) et leur application co-gérée (arbitrage commun)ont été prises en compte.

3. L'organisation d'un milieu
Cette recherche effectuée dans des conditions expérimentales partant du terrain "tel quel", a posé, inévitablement, le problème des places respectives du chercheur et du maître.
La dichotomie " concepteur " (= chercheur), " applicateur " (=maître), n'étant ni souhaitée, ni acceptable, des formes de travail adaptées ont dû être trouvées.
Un compromis s'est opéré sur la base des compétences réciproques, reconnues et mises en œuvre par chacun.
Le cycle, expérimentation pour l'un, terrain de formation continuée pour le second, a été le temps d'échanges, de négociations de propositions respectives propres à satisfaire les acteurs.
Ainsi, le travail en amont de conception, de choix, d'élaboration , a-t-il été commun, mais l'animation des séances, totalement assurée par l'enseignante face à " sa " classe.
L'enjeu était donc d'évaluer la viabilité d'un milieu pour l'étude, sa fonctionnalité dans l'acquisition de savoirs nouveaux, son rôle dans la stimulation des apprentissages des élèves, et ce, guidé et régulé par un maître polyvalent, non spécialiste en badminton.

4. Etude de quatre élèves emblématiques dans leurs rapports au milieu, dans la situation de pratique initiale et terminale du cycle
Nous évoquons le cas de quatre élèves concentrant dans leurs réponses suffisamment de caractéristiques communes à d'autres, concernés par ces formes d'adaptation et, simultanément, présentant des particularités personnelles originales. (d'autres cas sont abordés dans notre recherche, ne pouvant figurer ici)
Les situations de pratique initiale (SIP) et terminale (STP) , situation à forte adidacticité, (match à un contre un) constituent "l'enclos didactique" le plus large pour l'étude du badminton, celui qui enferme le maximum d'ignorances à combler.
La dévolution y est maximum
Les analyses (d'un double point de vue complémentaire, quantitatif et qualitatif) ont été faites à partir de la dynamique des duels. L'activité d'un joueur, au badminton, étant fortement "contextualisée", c'est-à-dire dépendant de la nature du rapport de forces, nous nous efforçons d'expliquer les "données" étudiées à partir des conditions qui les génèrent.
En comparant les réponses en SIP et STP, nous mettons en évidence l'évolution des interactions milieu-adaptation.
Nous avons conduit cette analyse selon trois aspects principaux du milieu:
. les rapports aux différents objets: matériel, espace de jeu, savoirs, adversaire, corps propre.
. les rapports aux règles et à la co-gestion de leur application.
. la nature du contrat didactique et de la dévolution

Rapports aux différents objets
L'analyse des duels, en situation de match à un contre un traduit une adaptativité bien individualisée de chacun des élèves dans leurs rapports au milieu.
Par exemple, pour deux élèves s'affrontant, l'un affine des réponses fermées et construit des savoirs limités pour devenir plus efficace, tandis que l'autre explore davantage de solutions et mobilise une relation plus diversifiée aux savoirs en jeu. Il enrichit son efficience par diversification.
La structuration de l'espace reste tardive, approximative, souvent erronée et soumise à un traitement visuel exclusif et postérieur à l'action. L'aire de jeu est totalement "extérieure" aux sujets. Peu intégrée, mal définie, peu structurée par les objets qui l'habitent et les circonstances du jeu, ces "balises" restent à construire.
Le stade de "l'équilibre a posteriori" qui domine les actions des joueurs, pose le problème des fonctions visuelles dans les ajustements de frappes et reste un terrain de savoirs à construire.
L'espace arrière (celui dépassant le plan frontal du sujet), est traité par rotations, hyper-extensions, jamais par déplacements appropriés visant à positionner le corps avant la frappe. Ce "refus" de cette dimension de l'espace, est, d'ailleurs, commun à toute la classe, et témoigne du poids de la béquille visuelle et du rôle de l'équilibre dans la motricité des enfants jeunes.
Ces "limites" du moment n'estompent pas les progrès accomplis, mais interrogent le système didactique dans son évolution..

Milieu, règles, co-gestion de leur application
Cet aspect du milieu questionne sur la connaissance des règles, leur rétention et leur application. Nous avons choisi cette contrainte didactique dans une perspective de construction de savoirs procéduraux, plutôt que déclaratifs.
Il apparaît que cette dimension essentielle et éminemment complexe du milieu, soit directement appréhendée par les élèves à partir des caractéristiques de leurs confrontations. Les règles ne prennent sens et vie que par la dynamique même des duels, et restent abstraites, formelles, inappliquées, tant que la nature de l'opposition ne sollicite pas concrètement leur recours. Il y a bien, semble-t-il, une relation dialectique majeure entre ces savoirs et ce que les joueurs "en font", et, le phénomène de co-gestion de notre dispositif didactique renforce ce point de vue en mettant les joueurs dans la nécessité de comprendre et non de réciter.

Contrat didactique et dévolution

En badminton, le risque est dans la confusion milieu SIP et STP avec occasion ludique et évacuation des "trous" à combler.
Les résultats traduisent que la dévolution a stimulé l'activité adaptative des élèves. Il y a eu en effet une confrontation aux savoirs, et des transformations.
La relation aux ignorances est diversifiée (certains tirent vers ce qu'ils savent faire, d'autres explorent davantage de savoirs).
Une part d'autodidaxie existe, mais elle montre la nécessité d'une d'aide à l'étude.
Enfin, si la dévolution a été totale, il ni a pas eu de contre-dévolution, les élèves n'ont pas fait appel à la maîtresse dans la co-gestion approximative des règles.
Les stimulations du milieu, les "trous" à combler pour gagner en efficacité engendrent un conflit ancien-nouveau très porteur d'apprentissages à entreprendre.
Des "limites", cependant, naissent de cette dévolution.
L'autonomie maximum des élèves les conduit à "échapper" au guidage et ne les mène pas à certaines ruptures de contrat, notamment dans la co-gestion des règles.

CONCLUSION
Au regard des résultats obtenus, le concept de "milieu pour l'étude" dans lequel l'élève fait partie (donc pas complètement antagoniste) nous semble pertinent dans la mesure où il a permis des adaptations, des négociations, des évolutions dans le sens des savoirs souhaités.
Ce travail souligne également le rôle des analyses préalables dans les choix didactiques, de type épistémologique, elles participent à la compréhension des éléments à prendre en compte dans l'enseignement de l'EPS, et, contribuent à la pertinence des choix.
Il traduit la nécessité de faire interagir les logiques du savoir et de l'apprenant dans les choix des contenus d'enseignement et la gestion de l'hétérogénéité de la classe.


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