Cette contribution vise à montrer comment le concept de " milieu
pour l'étude " favorise la compréhension et l'organisation
de l'enseignement-apprentissage d'une activité physique et sportive,
qualifiée de complexe en EPS, le badminton, pour et par des élèves
de CP.
Si la gestion pédagogique consiste à délimiter les "ignorances"
jugées nécessaires à combler par les élèves,
les façons de les construire ou de les gérer sont différentes
selon la discipline considérée.
Le cadre théorique repose sur le concept de " milieu pour l'étude
" défini par S. Johsua (Johsua Félix, 2001) comme "
l'environnement d'un sous système didactique (maître ou élève),
dans lequel il s'agit d'y compter au moins les objets présents (
les
objets matériels-physiques, ou sociaux, ou des objets de savoirs
)
et le rapport aux objets (ainsi que l'organisation de ces rapports)
les
éléments pérennes du contrat en font évidemment
partie ".
Le milieu est " un milieu à trous " pour l'élève,
dans lequel il manque certains objets et certains rapports à ces objets.
Ces " trous " correspondent aux ignorances sur lesquelles le maître
veut faire travailler ses élèves.
Ainsi, le milieu n'est pas " un donné, mais un construit "
car il dépend des élèves et de leur relation aux savoirs.
Enfin, " le milieu ainsi conçu peut-être imaginé sous
la forme d'un enclos ". Il comporte à l'intérieur l'ensemble
des objets et rapports aux objets que le maître a jugé nécessaire
d'y introduire pour développer les apprentissages souhaités. Mais
ses " frontières sont poreuses " et renégociables en
permanence.
Au regard d'une telle définition, nous nous sommes poser la question
des caractéristiques d'un milieu pour l'étude qui nous concerne,
et les rapports au milieu que construisent les élèves, lorsqu'ils
sont confrontés à une situation adidactique.
1. Nature d'un milieu pour l'étude du badminton, au CP
La nature du milieu pour l'étude dépend de trois logiques : celle
de l'APS badminton (en référence à sa pratique sociale),
celle de l'élève de CP (ses ressources lui permettent-elles d'apprendre
à jouer au badminton?), celle des exigences institutionnelles figurant
dans les programmes scolaires.
. La logique de l'APS badminton nous renvoie à une analyse préalable
des savoirs experts.
Le badminton est défini comme une pratique sportive d'opposition duelle
où il s'agit de gérer un rapport de forces en sa faveur. La gestion
du duel s'inscrit généralement dans une pression temporelle forte
au cours de laquelle se combinent deux intentionnalités simultanées:
défendre son camp et attaquer la cible adverse. L'impact donné
au volant par la raquette traduit, selon le niveau de jeu, la maîtrise
relative de cette double nécessité.
Savoir s'opposer suppose de décider et d'agir dans un contexte porteur
de potentialités contradictoires (continuité ou rupture, risque
ou sécurité
)
Les enjeux didactiques gravitent dans les choix opérés par l'enseignant
devant conserver l'interdépendance fonctionnelle des éléments
de la complexité du duel et organiser les situations didactiques selon
un niveau de difficultés compatibles avec les ressources frustes des
élèves de CP. Conserver la logique du badminton dans la mise en
place d'un milieu pour l'étude nous questionne sur la démarche
de transposition didactique qui préserve le sens profond du jeu.
. La logique de l'élève de CP soulève la question de l'aptitude
d'enfant de cet âge à entrer dans des activités complexes
d'un point de vue psycho-moteur.
Des résultats de recherche montrent qu'à 6-7 ans, l'organisation
de la motricité de base est achevée même si les habiletés
motrices continuent à se développer jusqu'à l'âge
adulte (Durand, 1987).
La spécificité de ce travail est de montrer qu'un enseignement
qui n'existe pas est possible, à certaines conditions, que le seul facteur
maturationnel ne peut à lui seul justifier de l'entrée ou non
dans ce type d' activité.
Le pari est de vérifier que le rôle stimulant du milieu pour l'étude
dépend de conditions maintenant l'unité dynamique du système.
Il permettra alors des transformations dans le sens du progrès souhaité.
. La logique de l'EPS au cycle 2 nous renvoie à l'étude des programmes
scolaires. Ceux de 1995 et ceux entrant en vigueur à la rentrée
scolaire 2002 (pour certaines classes), font apparaître que les APSA constituent
un objet de découverte préconisé dès la maternelle
et au cycle 2. Elles apparaissent de manière plus explicite, au cycle
3, mais le badminton se fond dans le vocable plus global de "jeux de raquettes",
dans les textes. Les apprentissages visés conduisent, entre autre, au
développement de la compétence spécifique: " s'opposer
individuellement " (Les nouveaux programmes 2002).
2. Construction d'un milieu pour l'étude
La détermination des choix d'enseignement repose sur des orientations
générales, globales, macro-didactiques.
Ces choix se présentent en cascade: des caractéristiques du milieu
les plus objectives et indépendantes de l'élève à
celles qui le concernent personnellement.
L'interaction visée entre milieu et apprentissage nécessite d'analyser,
a priori et successivement:
. les exigences imposées par le jeu badminton.
Elles supposent pour le joueur de répondre à trois contraintes:
- mettre en relation la frappe de mise en jeu du volant et l'espace visé
et occupé par un adversaire.
- mettre en relation la frappe de renvoi du volant et les conditions de la rupture
de l'échange ou de sa continuité.
- mettre en relation les contraintes relatives aux règles du jeu et ses
propres ressources.
. les problèmes auxquels l'élève sera soumis et qu'il
devra nécessairement résoudre pour apprendre.
L'approche des problèmes, liée à la dialectique contraintes
du jeu et ressources de l'élève, implique d'analyser comment l'élève
devra s'y prendre pour répondre aux exigences du jeu.
. les réponses attendues dans cette activité de résolution
qui constitue une adaptation pertinente au milieu, et significative de progrès.
Cela suppose de l'élève qu'il construise de nouvelles actions
pour apprendre grâce à l'acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire
relatifs aux exigences du milieu, afin d'être efficace dans les duels.
Mais cette trame macro-didactique, représente le cadre directeur dans
lequel vont s'inscrire d'autres choix, plus locaux, ou micro-didactiques.
Les options prises à ce niveau, permettent d'entrer plus concrètement
dans la mise en place de l'enseignement. Elles questionnent, notamment, l'élaboration
des situations de pratique scolaire du badminton, en référence
à sa pratique sociale. Ce sont, ce que nous appelons habituellement en
EPS, " les situations de pratique ".
Quelles en seront les caractéristiques ? Et comment le maître en
fera-t-il la dévolution ?
Nous avons retenu du badminton, qu'il est une pratique d'opposition inter-individuelle,
où les joueurs inter-agissent pour se dominer par l'intermédiaire
d'un volant manipulé à l'aide d'une raquette et selon des règles
définies à l'avance.
Le match, constitue la forme de pratique qui oblige les joueurs à mettre
en relation un ensemble d'objets (raquette, volant, espace de jeu, filet, adversaire,
son propre corps, règles et objets de savoir) dans une perspective de
domination.
Pour que la situation de pratique puisse se dérouler et provoquer l'adaptation
progressive des élèves, certaines exigences relatives aux règles
remaniées (contraintes surmontables) et leur application co-gérée
(arbitrage commun)ont été prises en compte.
3. L'organisation d'un milieu
Cette recherche effectuée dans des conditions expérimentales partant
du terrain "tel quel", a posé, inévitablement, le problème
des places respectives du chercheur et du maître.
La dichotomie " concepteur " (= chercheur), " applicateur "
(=maître), n'étant ni souhaitée, ni acceptable, des formes
de travail adaptées ont dû être trouvées.
Un compromis s'est opéré sur la base des compétences réciproques,
reconnues et mises en uvre par chacun.
Le cycle, expérimentation pour l'un, terrain de formation continuée
pour le second, a été le temps d'échanges, de négociations
de propositions respectives propres à satisfaire les acteurs.
Ainsi, le travail en amont de conception, de choix, d'élaboration , a-t-il
été commun, mais l'animation des séances, totalement assurée
par l'enseignante face à " sa " classe.
L'enjeu était donc d'évaluer la viabilité d'un milieu pour
l'étude, sa fonctionnalité dans l'acquisition de savoirs nouveaux,
son rôle dans la stimulation des apprentissages des élèves,
et ce, guidé et régulé par un maître polyvalent,
non spécialiste en badminton.
4. Etude de quatre élèves emblématiques dans leurs
rapports au milieu, dans la situation de pratique initiale et terminale du cycle
Nous évoquons le cas de quatre élèves concentrant dans
leurs réponses suffisamment de caractéristiques communes à
d'autres, concernés par ces formes d'adaptation et, simultanément,
présentant des particularités personnelles originales. (d'autres
cas sont abordés dans notre recherche, ne pouvant figurer ici)
Les situations de pratique initiale (SIP) et terminale (STP) , situation à
forte adidacticité, (match à un contre un) constituent "l'enclos
didactique" le plus large pour l'étude du badminton, celui qui enferme
le maximum d'ignorances à combler.
La dévolution y est maximum
Les analyses (d'un double point de vue complémentaire, quantitatif et
qualitatif) ont été faites à partir de la dynamique des
duels. L'activité d'un joueur, au badminton, étant fortement "contextualisée",
c'est-à-dire dépendant de la nature du rapport de forces, nous
nous efforçons d'expliquer les "données" étudiées
à partir des conditions qui les génèrent.
En comparant les réponses en SIP et STP, nous mettons en évidence
l'évolution des interactions milieu-adaptation.
Nous avons conduit cette analyse selon trois aspects principaux du milieu:
. les rapports aux différents objets: matériel, espace de jeu,
savoirs, adversaire, corps propre.
. les rapports aux règles et à la co-gestion de leur application.
. la nature du contrat didactique et de la dévolution
Rapports aux différents objets
L'analyse des duels, en situation de match à un contre un traduit une
adaptativité bien individualisée de chacun des élèves
dans leurs rapports au milieu.
Par exemple, pour deux élèves s'affrontant, l'un affine des réponses
fermées et construit des savoirs limités pour devenir plus efficace,
tandis que l'autre explore davantage de solutions et mobilise une relation plus
diversifiée aux savoirs en jeu. Il enrichit son efficience par diversification.
La structuration de l'espace reste tardive, approximative, souvent erronée
et soumise à un traitement visuel exclusif et postérieur à
l'action. L'aire de jeu est totalement "extérieure" aux sujets.
Peu intégrée, mal définie, peu structurée par les
objets qui l'habitent et les circonstances du jeu, ces "balises" restent
à construire.
Le stade de "l'équilibre a posteriori" qui domine les actions
des joueurs, pose le problème des fonctions visuelles dans les ajustements
de frappes et reste un terrain de savoirs à construire.
L'espace arrière (celui dépassant le plan frontal du sujet), est
traité par rotations, hyper-extensions, jamais par déplacements
appropriés visant à positionner le corps avant la frappe. Ce "refus"
de cette dimension de l'espace, est, d'ailleurs, commun à toute la classe,
et témoigne du poids de la béquille visuelle et du rôle
de l'équilibre dans la motricité des enfants jeunes.
Ces "limites" du moment n'estompent pas les progrès accomplis,
mais interrogent le système didactique dans son évolution..
Milieu, règles, co-gestion de leur application
Cet aspect du milieu questionne sur la connaissance des règles, leur
rétention et leur application. Nous avons choisi cette contrainte didactique
dans une perspective de construction de savoirs procéduraux, plutôt
que déclaratifs.
Il apparaît que cette dimension essentielle et éminemment complexe
du milieu, soit directement appréhendée par les élèves
à partir des caractéristiques de leurs confrontations. Les règles
ne prennent sens et vie que par la dynamique même des duels, et restent
abstraites, formelles, inappliquées, tant que la nature de l'opposition
ne sollicite pas concrètement leur recours. Il y a bien, semble-t-il,
une relation dialectique majeure entre ces savoirs et ce que les joueurs "en
font", et, le phénomène de co-gestion de notre dispositif
didactique renforce ce point de vue en mettant les joueurs dans la nécessité
de comprendre et non de réciter.
Contrat didactique et dévolution
En badminton, le risque est dans la confusion milieu SIP et STP avec occasion
ludique et évacuation des "trous" à combler.
Les résultats traduisent que la dévolution a stimulé l'activité
adaptative des élèves. Il y a eu en effet une confrontation aux
savoirs, et des transformations.
La relation aux ignorances est diversifiée (certains tirent vers ce qu'ils
savent faire, d'autres explorent davantage de savoirs).
Une part d'autodidaxie existe, mais elle montre la nécessité d'une
d'aide à l'étude.
Enfin, si la dévolution a été totale, il ni a pas eu de
contre-dévolution, les élèves n'ont pas fait appel à
la maîtresse dans la co-gestion approximative des règles.
Les stimulations du milieu, les "trous" à combler pour gagner
en efficacité engendrent un conflit ancien-nouveau très porteur
d'apprentissages à entreprendre.
Des "limites", cependant, naissent de cette dévolution.
L'autonomie maximum des élèves les conduit à "échapper"
au guidage et ne les mène pas à certaines ruptures de contrat,
notamment dans la co-gestion des règles.
CONCLUSION
Au regard des résultats obtenus, le concept de "milieu pour l'étude"
dans lequel l'élève fait partie (donc pas complètement
antagoniste) nous semble pertinent dans la mesure où il a permis des
adaptations, des négociations, des évolutions dans le sens des
savoirs souhaités.
Ce travail souligne également le rôle des analyses préalables
dans les choix didactiques, de type épistémologique, elles participent
à la compréhension des éléments à prendre
en compte dans l'enseignement de l'EPS, et, contribuent à la pertinence
des choix.
Il traduit la nécessité de faire interagir les logiques du savoir
et de l'apprenant dans les choix des contenus d'enseignement et la gestion de
l'hétérogénéité de la classe.
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