La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Citoyenneté, valeurs et violence. Ethique et médiation : sont-elles au coeur des problématiques d'éducation ?


Titre : La participation des lycéens à la vie de leur établissement : nouveaux droits, nouvelles pratiques
Auteurs : CONDETTE-CASTELAIN Sylvie

Texte :
    Depuis maintenant plus de dix ans en France, des mesures sont prises en faveur de la participation des élèves, mesures qui s'adressent en particulier aux lycéens. En plaçant «au centre du système éducatifla loi d'Orientation sur l'Education du 10 juillet 1989 a en effet accordé à l'élève un véritable statut comportant des obligations mais aussi des droits. Ces droits ont la particularité d'être, pour leur majorité, des incitations à la participation. Les lycéens ont ainsi la possibilité de prendre part à la vie du lycée et sont associés à la plupart des décisions prises dans l'établissement.les nouveaux droits accordés, qui semblaient d'ailleurs correspondre à une demande des élèves, restent peu utilisés et parfois même sont remis en question.
La recherche que je mène depuis 1999 trouve son point d'ancrage dans cette volonté politique de responsabiliser les élèvesde développer une vie démocratique au lycéeil s'agit d'étudier, à partir des dispositions existantes, les réactions et les comportements des lycéens. Comment les lycéens accueillent-ils les offres de participation que leur fait l'institution scolairequelles sont les raisons qui expliquent leurs choix

Méthodologie de l'enquête
L'enquête est réalisée dans deux lycées (L.E.G.T) de l'Académie de Lille. Ces établissements accueillent un public varié qui n'est ni réputé ni classé difficile. Le choix de ces deux lycées a été guidé par un critère essentiella mise en œuvre effective des instances de participation.
Trois types de donnéesprivilégiésles caractéristiques propres à chaque établissement (tableau de bord, projet d'établissement, règlement intérieur), des observations de terrain, des entretiens semi-directifs menés pendant trois années scolaires auprès d'un échantillon contrasté de lycéens (116 élèves répartis dans différentes classes et sections, choisis soit en fonction de leur participation aux activités proposées soit en fonction de leur non-implication).

    Dans un premier temps, je reviendrai brièvement sur les principales offres de participation que fait l'institution scolaire aux lycéens. J'aborderai ensuite les différents types d'accueil que les élèves leur réserventje suggèrerai enfin quelques pistes qui pourront peut-être alimenter la réflexion collective de notre atelier «valeurs et violence. Ethique et médiationsont-elles au cœur des problématiques d'éducation

1/ Les principales offres de participation dont les lycéens peuvent bénéficier
    Les lycéens peuvent prendre des responsabilités dans leur établissement à plusieurs niveaux. Ils ont la possibilité de s'engager dans la représentation de leurs pairsle mandat du délégué de classe et celui du délégué au conseil d'administration existent depuis maintenant plus de trente ans et sont relativement bien connus. On assiste depuis peu à une nouvelle promotion de ces deux mandatsau début de chaque année scolaire, les lycées, lors des «citoyennessont en effet tenus de sensibiliser les élèves aux fonctions de délégué. Ces journées, dans les deux établissements où l'enquête a été réalisée, sont organisées par les personnels d'éducation et les professeurs principaux, lors des premières heures de vie de classe en début d'année scolaireun relais est aussi assuré par les enseignants d'histoire-géographie ou de sciences économiques et sociales dans le cadre de l'éducation civique juridique et sociale (E.C.J.S). A la suite des élections, une formation est dispensée aux élèves délégués pendant l'année scolaire.
D'autres mandats sont proposés aux élèvesle conseil de vie lycéenne (C.V.L)aux lycéens le droit de donner leur avis sur le fonctionnement de leur établissementla particularité de cette instance de dialogue est qu'elle réunit à parité élèves et adulteselle émet des avis et fait des propositions sur l'organisation du travail et de la vie scolaires. Les lycéens sont aussi invités à participer au comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (C.E.S.C) créé en 1998, qui lui met l'accent sur le partenariat entre les membres de la communauté scolaire et les institutions ou organisations qui ont à travailler avec l'école dans la prévention des conduites à risqueDe même, les élèves, par le biais de représentants, peuvent être conviés aux réunions du fonds social lycéen (F.S.L)propose des aides financières aux élèves les plus démunis.
Plus traditionnellement, les lycéens ont la possibilité de s'impliquer dans des activités socio-éducatives, dans le cadre du Foyer Socio-éducatif (F.S.E) ou de la Maison des Lycéens. Enfin, ils peuvent prendre des responsabilités au travers d'une implication plus personnelle dans une activité proposée, comme la rénovation du règlement intérieur ou l'élaboration du projet d'établissement.
Ces formes d'incitation à la participation se retrouvent également dans le domaine pédagogiquela mise en oeuvre des travaux personnels encadrés (T.P.E) va tout à fait dans ce sens dans la mesure où elle permet aux élèves de travailler assez librement en groupes, autour d'un sujet qu'ils ont choisi et qu'ils vont eux-mêmes construirel'éducation civique juridique et sociale (E.C.J.S) crée un espace de dialogue et de débat au sein de la classe sur des sujets d'actualité.


    Toutes ces nouvelles dispositions, obligatoires dans le cadre des enseignements ou laissées au choix des élèves en dehors des heures de cours, tendent à se multiplier depuis quelques années et on peut alors se demander comment elles sont accueillies par les élèves.

2/ Réticences face aux offres de participation
Un petit nombre de lycéens refusent «principetoutes propositions de participation, en dehors des «imposéescar, selon eux, il n'est pas question de se «
Mais, pour la grande majorité, ce sont plutôt des formes de réticence à l'égard des offres de participation que l'on peut observer.
-Une méfiance peut apparaître à l'égard de toute activité organisée dans le cadre du lycée. Les lycéens craignent en effet une mise sous tutelle de la part des adultes qui profiteraient de l'occasion donnée pour accroître leur contrôle sur les élèves («assiste à un truc, pour voir un peu, et ils ne vous lâchent pluspropos d'un lycéen). La participation lycéenne peut apparaître ici, dans le fonctionnement global de l'établissement, comme un adjuvant au renforcement de l'autorité de l'adulte. Les élèves insistent sur la qualité de la relation à l'adulteils attendent avant tout, de la part des adultes, «garantiesune honnêteté dans les propos et dans les actes.
-La participation peut aussi devenir
une entrave à la liberté. Les élèves souhaitent se préserver des marges de manœuvre (Dubet, 1991). Participer à des activités organisées dans le cadre de l'établissement viendrait alors réduire voire annihiler ces temps «soiLes élèves veulent «librement de leur temps libre(entretiens avec des lycéens).
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La relation aux pairségalement un rôle non négligeable dans la volonté de ne pas trop s'impliquer au lycée. L'école est en effet un des lieux privilégiés où l'on peut rencontrer d'autres jeunes, mais les liens qui s'y nouent et s'y dénouent doivent, selon les lycéens interrogés, rester en dehors du regard et du champ d'intervention des adultes. L'important est de se regrouper entre pairs, en restant hors de portée des adultes.
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L'évaluation des élèvesLes offres de participation proposées se caractérisent aussi par leur faible rentabilité sur le plan de la réussite scolaire. En effet, les élèves sont essentiellement évalués au travers d'une série de notes attribuées en classe. Les lycéens s'interrogent alors sur l'utilité de s'impliquer ailleurs qu'en cours.
-Le volontariat~et ses limitesMême si elles sont présentées comme un apprentissage de la vie démocratique et de la prise de responsabilités conduisant progressivement à l'autonomie, ces offres de participation (sauf pour les TPE et l'ECJS) ne sont pas obligatoires, et sans injonction, pas d'implication. Le facultatif devient alors synonyme de superflu.
    
    Ainsi, pour une grande partie des lycéens, les activités proposées requièrent peu l'adhésion car elles leur paraissent à la fois très normatives, dirigées par les adultessans effets véritablement bénéfiques sur le déroulement de la scolarité. Par conséquent, la plupart des élèves, sans être pour autant totalement opposés aux instances de participation, préfèrent ne pas s'impliquer car ils se sentent «non concernés par ces offres émanant de l'institution. D'autres élèves opèrent un choix différent car selon eux, la participation fait sens et procure un certain nombre de bénéfices.

3/ L'apport des nouvelles instances de participation
-La rencontre de l'autreUne certainesocialescolaire se crée au sein des instances de participation. Celles-ci accueillent en effet des élèves très différents. La conférence des délégués en est une illustrationelle réunit tous les délégués de classe, depuis la seconde jusqu'à la terminale. C'est ainsi l'occasion de nouvelles rencontres entre des élèves d'âges différents, de sections différentes, ce qui entraîne inévitablement une confrontation des points de vue, une remise en question des valeurs personnelles. Cette cohabitation d'élèves élus n'est d'ailleurs pas sans poser de difficultés dans la mesure où la confrontation d'idées peut laisser place à des formes d'affrontement. Cela nécessite, lors des séances de formation, une prise en compte de chaque individu et une réflexion sur le respect d'autrui. Certains élèves se découvrent alors des qualités d'animateur, de médiateur qu'ils demandent à explorer et exploiter lors des formations qui leur sont proposées.
-«d'existerPour certains d'entre eux, les instances de participation confèrent une existence sociale dans l'établissement («suis connu... et même reconnu pour ce que je fais... maintenant, on sait qui je suis, ...on me respecte
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Expérience collective et expérience individuelleLes lycéens identifient deux types d'expériences qui viennent ici se compléter. L'expérience collective s'élabore à travers des réflexions et des actions menées en groupes, en particulier lors des «lycéennescelle-ci se traduit par une forte solidarité entre les membres du groupe, par une coopération, en particulier dans le partage des responsabilités (les négociations, les choix collectifs, les consensus qui parviennent à se dégager). Les élèves mettent aussi en avant l'expérience individuelle qui, si elle prend sa source dans le groupe, revient ensuite à chaque individu.travers la participation à des activités collectives, l'individu va faire un pas de plus dans la connaissance et la construction de soi. Il va en effet pouvoir améliorer sa  prise de parole et sa façon de communiquer, apprendre à repérer où sont ses limites, prendre conscience que des valeurs sous-tendent ses actesil va apprendre à développer et exercer son esprit critique, accéder progressivement à l'autonomie à travers la prise de responsabilités.
-Une meilleure compréhension du fonctionnement de l'école: Par le biais de la participation, les lycéens apprennent à «les règles implicites de l'organisation scolaire«décode plus vite tout ce qu'on [les adultes] nous dit, on sait généralement ce qu'on attend de nous, alors on peut répondre avec plus d'intelligence et donner notre avis(entretiens avec des lycéens). Certains d'entre eux regrettent d'ailleurs ce qu'ils nomment  «citoyenneté à deux vitessesles effets positifs de la participation en terme d'apprentissage de l'autonomie ne profitent en réalité qu'à un petit nombre d'élèves. Une déléguée de première fait la remarque suivante«le monde devrait être formé... ça ne devrait pas concerner seulement les délégués... tout le monde en a besoin, mais en fait, les autres, ils l'ignorent, ils ne peuvent pas savoir

4/ Quelques effets engendrés par la participation des élèves
-Servir «juste et noble cause
Parmi les élèves les plus motivés, nombreux sont ceux qui souhaitent passer à l'acte et ne pas en rester aux constats. Cette volonté se concrétise dans des «de formationqu'ils organisent et mènent auprès des autres élèves (parmi les expériences menées, citons le tutorat, la formation à la prise de parole, l'aide et la médiation dans des situations conflictuelles). Il s'agit de se rendre utile et de partager ce que l'on a appris. Parallèlement, les demandes à l'égard de l'institution se multiplient et se précisent«veut faire des choses, alors on veut des moyens pour çales élèves recensent leurs besoins, font des devis, préparent un budget prévisionnel... et attendent des adultes qu'ils répondent favorablement à leurs attentes.
-L'instauration de nouveaux rapports de force: les élèves réclament une véritable reconnaissance de leur statut d'élève. Se jouent ici des relations de pouvoir entre élèves ««et adultes du lycée. C'est surtout au niveau du rapport à la loi que se manifestent ces rapports de force. On observe ainsi une reconstruction des règles en vigueur à partir de procédures de négociation dans lesquelles les élèves prennent ou souhaitent prendre une part active. Il se produit ainsi un glissement progressif vers un nouveau rapport à la loi (De Munck, Verhoeven, 1997) qui vient complexifier sans conteste les tâches au quotidien des adultes de l'établissement, surtout celles des enseignants qui passent beaucoup de temps à justifier les décisions qu'ils prennent.
-Les dérives possiblesCette compréhension du fonctionnement du lycée est parfois aussi utilisée de façon stratégique. Les instances de participation peuvent ainsi être détournées à des fins personnelles.par exemple le cas d'un délégué de seconde qui a participé activement aux diverses réunions et formationsl'année scolaireconnu et apprécié des adultes, il parvient à «son passage en classe supérieure, bénéficiant de leur bienveillance et leur indulgence.
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    A travers cette recherche, présentée très succinctement, sur la participation des lycéens à la vie de leur établissement, on peut retenir quelques points qui semblent tout à fait essentiels dans l'implication ou non des élèves
-La relation élève/adulte avec cette oscillation permanente entre méfiance et confiance
-La place accordée à la vie juvénile dans l'établissement scolaire
-Les enjeux liés à l'évaluation scolairequ'est-ce qui est évaluéQui évalueComment et pourquoi évalue-t-on
-L'existence de relations de pouvoir et de rapports de force dans l'établissement.
                                         
        S. Condette-Castelain   

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