La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : CONNAÎTRE L'ECOLE MATERNELLE POUR AGIR EN FORMATION DES ENSEIGNANTS
Auteurs : GARCION-VAUTOR LaurenceCIRADE, Université de Provence

Texte :
1. PROBLEMATIQUE ET CADRE D'ETUDE

Dans notre recherche sur l'école maternelle (Garcion-Vautor, 2000), nous avons regardé comment sont organisés l'enseignement et l'apprentissage pour que les élèves apprennent à l'école maternelle et nous nous sommes demandés si cette organisation répondait aux mêmes obligations qu'à l'école élémentaire. Dans cette étude, nous nous sommes intéressé à un moment très particulier dans la journée de classe qui est celui du premier regroupement du matin dans lequel se déroulent des activités quotidiennes telles que nommer, compter les absents et/ou les présents du jour et afficher la date. Ces activités sont appelées " les rituels du matin " par les enseignants eux-mêmes et la question était alors celle de savoir si ces rituels du matin constituaient un milieu, tel qu'il est défini en didactique, permettant aux élèves d'apprendre dans le cadre d'un contrat ?

Comment le maître organise-t-il le milieu pendant les rituels pour transmettre des savoirs et comment fait-il évoluer les objets de savoir ?
Avec les activités rituelles du matin à l'école maternelle, on a l'impression que tous les jours, maître et élèves rejouent les mêmes rapports aux objets et que les élèves n'apprennent rien parce que le temps didactique n'avance pas. Or, l'étude réalisée montre essentiellement comment l'enseignant de maternelle modifie ses attentes en produisant du temps didactique tout en mettant en œuvre des formes de guidage, et comment les processus de contractualisation sont liés à l'aménagement et au réaménagement quotidien du milieu investi tour à tour collectivement et par des élèves singuliers.
Dans un premier temps, la maîtresse apporte de nouveaux objets dans le milieu et dans une activité collective, elle guide les élèves tout en déployant complètement l'activité pour s'efforcer de leur faire faire certaines actions sur les objets qu'ils ne sont pas capables de faire seuls. C'est-à-dire qu'elle interroge les élèves pour passer d'une action à l'autre sur un ou plusieurs objets. A priori, les élèves ne savent pas quoi faire sur ces objets et ils attendent que la maîtresse les guide pour agir. La maîtresse porte alors l'intention d'enseigner, un nouveau contrat didactique est en train de se nouer. Quand elle apporte un nouveau système d'objets, la maîtresse alors toutes les stratégies possibles, montre aux élèves toutes les techniques possibles pour réaliser la tâche avec cet objet : " elle interroge alors l'élève qui sait le moins pour déployer l'activité et permettre aux élèves qui ne sont pas interrogés de comprendre ce qui se passe sans sauter d'étape " (Amigues & Garcion-Vautor, 1998).
Ensuite, toujours dans le premier temps, dès que les élèves savent établir certains rapports avec certains objets, la maîtresse va déstabiliser les élèves : Sans apporter d'objets nouveaux ou modifier le dispositif, elle va intervenir dans le milieu pour restreindre les stratégies jusqu'alors utilisées pour réaliser la tâche et son attente envers les élèves sera alors d'utiliser uniquement telle technique pour réaliser la tâche, moins empirique.
Ensuite, dans un deuxième temps, dans ce que nous avons appelé " l'action conjointe " ou " le dispositif guide l'action ", parce que les élèves ont intériorisé certaines façons de faire sur les objets, ils peuvent se passer du guidage du maître et dès qu'ils voient l'objet ou dès que l'enseignant les guide sur cet objet, ils savent ce qu'il y a à faire et agissent seuls sans autres injonctions de celui-ci.
Enfin, dans un troisième temps, les élèves agissent seuls avant le regroupement dans ce que j'ai appelé " la part de travail des élèves " qui se rencontre surtout au début du regroupement. Les rapports aux objets sont connus de tous, ils constituent un milieu pour permettre l'établissement de rapports à des objets nouveaux dans un nouveau contrat didactique.

Ainsi, dans un cadre d'activités répétitives, on s'aperçoit que l'enseignant apporte de nouveaux objets ou de nouvelles pratiques et le contrat bouge. Des actions se routinisent permettant de nouvelles activités sur de nouveaux objets, c'est donc que le milieu change, évolue et que les élèves apprennent. Nous voyons dans les situations, comment des objets ou des pratiques nouvellement apportés par l'enseignant dans le milieu sont ensuite rejoués collectivement, puis par les élèves seuls, avant de devenir insensibles pour tous et de faire partie du milieu permettant alors aux élèves d'établir de nouveaux rapports à d'autres objets alors dits sensibles.

2. QUEL EST LE SAVOIR EN JEU PENDANT CES ACTIVITES ?

L'idée essentielle est donc que le temps didactique avance pendant les rituels, que ceux-ci fondent un milieu et créent du savoir pour les élèves. Cependant, si nous avons pu montrer la nature didactique des tâches réalisées pendant les rituels, nous avons dû prendre une définition large des savoirs : en effet, les savoirs mathématiques en jeu ne sont pas identifiables comme tels pendant les activités.
En effet, dans ces situations, si les élèves apprennent à compter, à dénombrer, à lire les nombres ou à calculer sur de petits nombres, ils n'apprennent pas le fonctionnement de la numération. Ici, les élèves ne construisent pas le nombre mais l'utilisent dans diverses situations en essayant d'aller un peu plus loin à chaque fois dans le concept de nombre. Pendant les rituels, les élèves n'utilisent pas les nombres comme objet mathématique, en référence à la dialectique " outil-objet " (Douady, 1984), ils utilisent les nombres comme outils avant qu'ils soient étudiés comme objets identifiés. Ainsi, les nombres pendant les activités rituelles ne sont pas pour nous l'objet d'une étude mais l'objet d'un usage et sans cet usage des nombres comme outils dans des situations fonctionnelles ou d'apprentissage, les élèves ne pourraient ensuite penser le nombre.
Dans les situations rituelles que nous avons étudiées, l'élève comprend à quoi servent les nombres en même temps qu'il apprend comment mieux s'en servir. Nous pouvons reprendre la distinction que faisait J. Piaget entre " réussir " ce qui est la sanction du " savoir-faire " et " comprendre " ce qui est " le propre de la conceptualisation ", qu'elle succède à l'action ou finisse par la précéder et l'orienter " (Piaget, 1974).

3. ENTREE DANS UNE PRAXIS A L'ECOLE MATERNELLE

L'étude effectuée montre que la magie des rituels, comme situation répétitive mais structurante, est de créer des problèmes et de faire vivre ces problèmes même si ceux-ci sont de toutes petites choses difficilement identifiables par des adultes acculturés. Les savoirs et les problèmes ne seront ici identifiés que par les élèves, en conséquence, le maître ne peut pas partir de ces savoirs pour organiser un milieu de manière à ce que les élèves rencontrent le savoir visé. Ici, il faut organiser un milieu culturellement riche sur lequel les élèves peuvent agir afin d'acquérir petit à petit des gestes de familiarité avec certains outils.
Nous posons alors l'hypothèse que, pendant les rituels, l'on n'étudie pas à proprement parlé des savoirs mais plus largement des œuvres. Les dispositifs mis en place par les enseignants de maternelle permettraient aux élèves d'entrer dans les œuvres humaines que sont le calendrier qui organise le rapport social au temps, le nom écrit qui permet de désigner les absents, la bande numérique pour mesurer les quantités. Il y a des savoirs dans l'usage des œuvres et ces connaissances sont un préalable à l'entrée dans les savoirs disciplinaires, c'est-à-dire qu'avant d'entrer dans des savoirs plus formels, les élèves entreraient dans des organisations de pratiques autour d'objets scolaires qui sont mis à l'étude en ayant un dialogue didactique avec le maître. En effet, pour Bruner (1996) " nos pratiques présupposent un savoir qui ne nous est pleinement accessible qu'au travers une praxis " (p.132). Pour lui, la praxis précède le nomos dans l'histoire humaine et dans le développement de l'homme. C'est la raison pour laquelle il propose le concept de " programme en spirale " où l'on commence " par une approche " intuitive " parfaitement à la portée des élèves, avant d'y revenir par un mouvement circulaire qui permet d'en rendre compte de manière plus formelle et mieux structurée jusqu'à […] ce que l'élève parvienne à maîtriser le problème ou le sujet en question dans toute sa puissance générative " (p.149). Et, il y a même certains savoirs qui, ne pouvant être nommés, ne peuvent être accessibles que par la praxis. Ainsi, la construction du nombre ne serait pas un préalable à l'utilisation des nombres, mais à l'inverse, c'est l'utilisation des nombres dans diverses situations qui permettra ensuite aux élèves de construire cette notion de nombre .

L'essentiel est donc de faire entrer le plus tôt possible les élèves dans un pratique des œuvres ou des artefacts de manière à ce que ces praxis deviennent un savoir sur lequel il pourront s'appuyer pour acquérir des savoirs plus spécifiques. L'important à la maternelle, est d'avoir une pratique des outils de la société dans laquelle nous vivons et ceci même si le problème pour l'enseignant est de ne pas avoir de texte du savoir, de ne pas pouvoir dire et montrer ce qu'il est en train d'enseigner à tel moment et de ne pas avoir chaque jour, une intention didactique particulière quand il fait faire ces activités aux élèves. Ce qui nous semble essentiel est d'entrer dans une organisation de pratiques, d'entrer dans l'activité avant d'entrer dans l'étude des savoirs disciplinaires. Mais cela pose d'une part, la question de l'évaluation : en effet, si l'on accorde une place prépondérante aux découpages des activités en sous-objectifs évaluables, on néglige les savoirs de l'usage des œuvres qui, n'étant pas identifiés, ne sont pas susceptibles d'évaluation, et cela interroge, d'autre part, l'organisation disciplinaire de la formation des enseignants.

4. CONCLUSION

En disant qu'à la maternelle, les élèves entrent dans l'étude d'œuvres où des savoirs sont inscrits ou, que les enseignants dans cette école doivent organiser des milieux riches et structurés de manière à poser des problèmes et à créer du savoir pour les élèves, nous rejoignons les programmes officiels de 2002 qui précisent que les compétences acquises dans les grands domaines d'activités intellectuelles le seront par l'usage et au cours de jeux ou de situations globales (p.121). En 2002, il n'est plus fait référence aux disciplines avant le cycle 3. Cela signifie qu'au lieu d'aller du savoir savant au savoir enseigné comme dans le modèle de la transposition didactique proposé par Chevallard (1991), il s'agit de partir des grandes catégories de la pensée scientifique pour aller vers des pratiques culturelles permettant aux élèves de se familiariser ou d'utiliser l'outillage symbolique, les techniques et les procédures de la société dans laquelle nous vivons, avant d'étudier ces mêmes outils symboliques (la langue, les nombres…) comme objets d'apprentissage. Au cours de la formation des futurs enseignants, il serait alors intéressant de réfléchir aux situations globales les plus à même de faire acquérir des pratiques aux élèves et à la congruence entre les pratiques culturelles elles-mêmes (les outils culturels avec lesquels les élèves doivent se familiariser en les utilisant comme outils) et les concepts que les élèves devront acquérir plus tard (quand ils étudieront ces mêmes outils culturels comme objets d'apprentissage)
- Par exemple, un objet culturel comme la bande numérique, est-il un objet pertinent pour amener les élèves à comprendre, plus tard, le fonctionnement de la numération décimale ?


5. BIBLIOGRAPHIE

AMIGUES, R. & GARCION-VAUTOR, L. (2002). L'école maternelle et l'entrée dans le contrat didactique : une coopération maîtresse-élèves. Les dossiers des sciences de l'éducation, N°7, 59-68.
BRUNER, J-S. (1996). L'éducation, entrée dans la culture. Paris : Retz.
CHEVALLARD, Y. (1991). La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné. Paris : La pensée sauvage.
DOUADY, R. (1984). Jeu de cadres et dialectique outil-objet dans l'enseignement des mathématiques. Thèse de doctorat d'état, Université de Paris VII.
GARCION-VAUTOR, L. (2000). L'entrée dans le contrat didactique à l'école maternelle : le rôle des rituels dans la construction d'un milieu pour apprendre. Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille 1.
Ministère de l'Education Nationale (2002). Qu'apprend-on à l'école maternelle ? Paris : C.N.D.P./ Xoéditions.
PIAGET, J. (1974). Réussir et comprendre. Paris : PUF.


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