La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Les interventions sociales et les familles : injonction ou implication ?


Titre : Maltraitance infantile : le développement des compétences individuelles et collectives des professionnels
Auteurs : COTHENET Sylvie

Texte :
En France, la loi du 10 juillet 1989, suivie d'un décret du 9 décembre 1991 a rendue obligatoire la formation initiale et continue des médecins, de l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des enseignants et des personnels de la police nationale et de la gendarmerie.
L'évolution de la prise de conscience de la maltraitance infantile a entraîné une modification des activités professionnelles quotidiennes, mobilisant de nouvelles compétences individuelles et collectives.
L'identification, la prise en charge de la maltraitance infantile requiert un travail en réseau. Des professions, de formations, de cultures, de valeurs, de conceptions éducatives différentes, qui avaient alors l'habitude de travailler dans des institutions séparées sont amenées à travailler ensemble, ce qui n'est pas sans bouleverser les identités professionnelles, et à mettre à jour les compétences professionnelles.

Cette communication présentera tout d'abord une recherche effectuée dans le cadre d'une thèse de doctorat en Sciences de l'Education et invitera à une réflexion autour de la construction des compétences collectives, notion centrale dans la prévention et la prise en charge de la maltraitance infantile.

Questions Centrales de Recherche : L'offre de formation continue, dispensée depuis la législation de 1989 développe-t-elle les compétences-clés nécessaires aux professionnels lorsqu'ils sont confrontés à une situation de maltraitance infantile ? L'offre de formation est-elle adéquate à la demande de formation des professionnels ? Quels sont les processus permettant d'expliquer les éventuels dysfonctionnements ?

Cette recherche comporte 3 objectifs :
- identifier les compétences-clés nécessaires aux professionnels, et analyser les demandes de formation
- établir un bilan des actions de formation depuis la législation
- rechercher l'adéquation de l'offre à la demande de formation, d'identifier les éventuels dysfonctionnements afin de proposer des orientations praxéologiques.

La recherche, menée de 1998 à 2001 dans le département du Pas-de-Calais a tout d'abord permis de réaliser une analyse des compétences-clés à partir de questionnaires et d'entretiens sur les activités quotidiennes des professionnels, les difficultés rencontrées.
Une étude théorique sur le concept central de compétences a été effectuée au travers de différentes disciplines. S'il existe un consensus sur les 4 caractéristiques relatives au concept de compétence individuelle, le concept de compétence collective a fait l'objet de peu de recherches.

Des systèmes professionnels hétérogènes
Cette problématique renvoie à des groupes professionnels hétérogènes : professions de la santé, du travail social, de l'éducation et de la justice, ainsi qu'à des institutions diverses. Les apports en sociologie des professions, notamment les travaux de Claude Dubar et de Pierre Tripier apportent un éclairage, au niveau de l'élaboration des processus de professionnalisation au cours de l'histoire, notamment par les théories fonctionnalistes, interactionnistes et les nouvelles théories. Parmi ces dernières, les travaux d'Abbott (1988) ont un apport intéressant sur la division du travail expert.
La formation remet en question la notion de compétence et de qualification, notions soulevant des enjeux d'importance , dans des champs professionnels en mouvance, où la définition du champ de compétence devient une notion de plus en plus floue.

Quelques résultats de la recherche

Les principales demandes de formation des professionnels s'orientent en direction de l'entretien de l'enfant 43%, l'entretien des parents 34 %, la maîtrise de grilles d'indicateurs pour évaluer une situation de maltraitance 33%.

ð 56 % de la population enquêtée (n=188) n'a reçu aucune formation :
Les raisons
En formation initiale, la principale raison avancée est l'absence de thème , et à moindre mesure, le thème en option.
En formation post-scolaire, les raisons sont plus complexes : absence du thème dans le plan de formation, absence d'information, charge de travail, thème non prioritaire, raisons personnelles sont les variables explicatives données par les professionnels.

L'offre de formation s'est construite ponctuellement, dans la logique de l'expertise, sans prendre en compte véritablement les difficultés que rencontrent quotidiennement les professionnels de terrain : seulement 13 % de la population interrogée a été consultée pour l'élaboration de l'offre de formation.

On note une prépondérance de formations de courtes durées (la durée moyenne de formation est de 3.44 jours.), non diplômantes : seulement un médecin parmi la population interrogée a reçu un diplôme en fin de formation.
On peut constater une non reconnaissance sociale concernant la qualification liée à ces formations, malgré les compétences professionnelles de haut niveau requises dans ces situations professionnelles complexes.
La motivation des inscriptions en formation est liée à l'obligation de formation par les institutions, à la fréquence et à la difficulté des cas rencontrés au quotidien au cours de la pratique professionnelle.

Moins de la moitié de la population formée (n=82) est satisfaite et estime avoir acquis les différents thèmes du décret du 9.12.1991.
Les pôles de compétences que nous avons identifiés (écoute, gestion de l'émotion, analyse des représentations personnelles et professionnelles, observation et évaluation objective, coopération) dans notre partie théorique de DEA, sont relativement peu développés dans les modules de formation..
Les modèles d'analyse diffusés en formation sont dominés par les références à la psychanalyse (S. Freud, M. Klein).
Des professionnels reçoivent également des formations sans référence théorique (savoirs procéduraux). Cependant comment effectuer un signalement en l'absence de savoirs théoriques, nécessaires à l'évaluation d'une situation ?

L'analyse descriptive de 4 systèmes de formation continue (Conseil Général, Education Nationale, Police, Médecine libérale) comportant leurs propres caractéristiques a permis d'identifier certains facteurs influençant l'évolution des actions de formation : les politiques de formation des institutions, les modalités de financement, le cadre juridique.

Des modules de formation continue de 6 jours (1996-2000)ont été créés en direction de la moitié des agents territoriaux (formations interservices : ASE+PMI+Service Social).

Depuis 1998, des formations de 4 semaines en direction d'une quarantaine d'enseignants du premier degré ont été mises en place. Les directeurs ont eu deux demi-journées de formation concernant la procédure juridique du signalement.
Dans le département du Pas-de-Calais, il y a 9103 enseignants du premier degré public et privé et 13 253 enseignants du second degré public et privé, par conséquent, on constate qu'il existe un vaste programme à élaborer.

Dans la police, ce sont les policiers de la brigade des mineurs qui ont été formés, des formations étaient en prévision pour 3 journées, au niveau des commissariats locaux.

Dans la gendarmerie, ce sont les gendarmes de la Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile et des brigades de recherche qui ont bénéficié d'une formation (la vidéo est obligatoire depuis 1998, dans le cadre des entretiens d'enfants victimes d'abus sexuels, les actions de formation ont été élaborées suite à cette législation, plutôt que dans le cadre de celle de 1989).

Les médecins généralistes ont effectué un repli corporatiste expliqué par les apports de la sociologie des professions.

La tendance à la fermeture des systèmes (à l'offre, à la demande, à l'analyse), la logique de l'expertise (de contenu et non en terme de méthodologie d'appui et d'intégration indiquant une faiblesse au niveau de l'élaboration du curriculum,) la tendance à développer des compétences individuelles au détriment des compétences collectives sont les 3 principaux dysfonctionnements identifiés.
Ces dysfonctionnements résultent de la logique économique : les acteurs ont l'obligation d'être de plus en plus " compétents " dans des conditions de travail parfois difficiles, selon les publics concernés. Les organisations forment leurs agents, par des actions de courtes durées, pour les adapter à leurs postes de travail.
Des experts sont choisis pour une action efficace de la formation, cependant, cette logique de l'expertise est contradictoire au développement des compétences collectives.

Les compétences collectives sont des constructions sociales, des processus en évolution, soumises à l'influence des choix organisationnels et des politiques de formation, à partir desquels fluctue la performance globale d'un système, en l'occurrence, ici, celui de la protection de l'enfance.
La performance globale du système, et donc la qualité des pratiques professionnelles dont bénéficieront indirectement les enfants et leurs familles dépend des choix liés au développement des compétences collectives des systèmes institutionnels.

Cette étude a permis de constater que la législation du 10 juillet 1989, concernant l'obligation de formation des professionnels, a eu relativement peu d'impact au niveau d'un département, ce qu'il faudrait bien sûr compléter par une étude nationale pour prendre davantage de recul.
Des actions ont cependant été développées, mais restent marginales :
- la mise en place des actions de formations continues par le Conseil Général, entre les agents des différents services n'a concerné que 49 % des agents socio-éducatifs du département.
- les actions de formation en direction des enseignants, dans 2 des 7 centres IUFM de la région Nord-Pas-de-Calais sont impulsées le plus souvent par des responsables sensibilisés à cette problématique, plutôt que par une véritable politique de formation en la matière : 78 % des enseignants du Pas-de-Calais du premier et du second degré n'avaient reçu aucune formation au moment de notre étude.


Les constats effectuées lors d'interventions ponctuelles que je réalise auprès d'enseignants en formation initiale et continue ne peuvent que confirmer les résultats de la recherche : il existe un réel besoin de formation dans cet axe.
La nécessité d'actions de formations dans les IUFM, les instituts de formation du travail social, les écoles d'infirmiers, les facultés de médecine, les écoles de police, de gendarmerie et de magistrature constituent un vaste programme !
Les programmes d'éducation à la santé nécessitent une réflexion au niveau de la construction de ces compétences collectives. Dans ce cadre, des groupes de recherche commencent d'élaborer une réflexion.
La construction des compétences collectives ne peut se concevoir uniquement dans le cadre de la formation. Elle remet en question également les organisations des institutions : ces deux facteurs ne peuvent être dissociés.

Le concept de compétence collective , central dans la prévention et la prise en charge de la maltraitance, mais également dans la gestion de problématiques sociales proches, mettant en jeu les intervenants du domaine éducatif, social, médical et judiciaire (délinquance, drogue, alcoolisme, sida, …), ouvre de nouvelles pistes de recherches.


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